Ce penseur a entrainé un courant déterminant dans notre rapport aux sciences mais au-delà de la physique il a critiqué la métaphysique reçue de la tradition jusqu’à lui. Et là aussi est responsable d’une renaissance de cette dernière à distance de la spéculation.
Chapitre 1 : Les limites de la raison pure
L’accueil de la CRP (critique de la raison pure) fut mitigé avant que les « Prolégomènes à toute métaphysique future qui voudra se présenter comme science» ne la présente dans un style simple et accessible. Et d’emblée il s’y dégage une distance par rapport au rationalisme et à l’empirisme radical (assimilé à du scepticisme). L’objectif est de montrer une philosophie où la raison s’examine elle-même et découvre ses propres limites. Pour cela il y a lieu de s’en prendre à la métaphysique qui est une discipline qui s’attaque à des questions qui interpellent le plus directement les hommes et renferme les concepts-clés de toute éthique : l’existence et la nature du créateur, de l’âme et de la liberté. Surtout que la métaphysique prétend offrir une connaissance scientifique de ces questions. Et c’est sur ce deuxième aspect que Kant lui fixe des limites, vu que la métaphysique, à tort, s’affirme contre l’expérience. Kant en toute logique se demande du coup si la métaphysique est une science : qu’est-ce que la raison et l’entendement peuvent connaitre sans expérience et jusqu’à quel point ? La question est devenue recherche des limites de la connaissance. Il y est allé d’une révolution copernicienne. Puisque l’observation de l’objet ne permettait pas d’avancer sur le chemin de la certitude de la connaissance, le philosophe décide d’inverser la perspective et de s’intéresser au sujet, c’est à dire au processus humain de la connaissance. Les éléments formels de la connaissance (les concepts) et les éléments matériels (le monde extérieur) doivent collaborer pour que le processus puisse avoir lieu. Ce sont les objets qui doivent s’adapter à notre connaissance, laissant au sujet connaissant, à l’esprit connaissant, un rôle primordial. C’est ici qu’est inauguré ce qu’on appelle l’idéalisme transcendantal.
Quelles sont donc les conditions nécessaires à la connaissance et est-ce que ces conditions satisfont les différentes sciences ? Toute connaissance commence avec l’expérience. Les objets sont donnés par les sens et la raison leur donne forme. Le sens comme la raison doivent se soumettre à des formes indépendantes de l’expérience (les modèles). Ces formes transcendantales sont les conditions nécessaires à la connaissance. Le processus de la connaissance s’appuie sur 3 facultés (sensibilité, entendement, raison) : la sensibilité est notre faculté qui nous rend capable de générer des représentations du monde extérieur. Elle est la source qui recueille nos intuitions du monde extérieur. L’entendement entre en jeu pour ordonner le produit de la perception sous forme de concepts. Les intuitions adoptent un ordre et un sens et se transforment en pensées connexes : « ceci est une maison » soit une proposition, produit d’une pluralité d’intuitions ordonnées par l’entendement sous une forme communicable. L’entendement est la faculté de comprendre et opère en même temps que la sensibilité. Enfin la raison relie les concepts sous la forme de propositions comme des jugements. Nous les associons à d’autres jugements conformément aux lois de la logique de façon à produire de nouvelles propositions de plus en plus universelles. La raison est la force qui nous pousse à nous enrichir de lois toujours plus générales. Les conditions nécessaires de toutes sciences correspondent aux conditions nécessaires des facultés grâce auxquelles l’homme configure la réalité. Les conditions nécessaires pour que les mathématiques soient une science sont les formes transcendantales de la sensibilité et les conditions nécessaires des sciences de la nature sont les formes transcendantales de l’entendement. Quant à la raison, ses conditions nécessaires sont les formes transcendantales de la métaphysique. Le problème, c’est que ces formes transcendantales-là ne produisent pas de connaissance certaine. Les mathématiques sont traitées dans « L’esthétique transcendantale » ; la possibilité des sciences de la nature et de la métaphysique constitue « La logique », elle-même divisée en 2 – « L’analyse transcendantale » et « La dialectique transcendantale ».
Kant dévoile que la connaissance découle de la combinaison de 2 éléments : un qui vient de l’extérieur et l’autre qui est présent en nous. Le premier est qualifié « a posteriori » et l’autre « a priori ». Il y a 2 types de jugements ou propositions renvoyant à la distinction ci-dessus. Les « jugements a priori » sont ceux qui portent sur des concepts ou des connaissances antérieures à l’expérience. La connaissance a priori est universelle, nécessaire et valable en tout temps et en tout lieu. Ceci concerne la métaphysique car sa possibilité est également celle de la connaissance a priori. Il existe des « jugements a posteriori » qui découlent de l’expérience. Et ici on ne dégage pas de connaissance universelle et nécessaire car toujours sujette à révision. Toutefois il y a une autre façon de classer les jugements en philosophie, selon la distinction entre « jugements analytiques » et « jugements synthétiques ». Dans les jugements analytiques, le prédicat est contenu dans le concept d’objet de façon que l’on atteigne le prédicat par la simple analyse de l’objet, sans nécessité de recourir à l’expérience ; ce sont les jugements explicatifs ; le problème c’est que si on connait bien le concept, ce jugement n’apporte rien de neuf. Il en est autrement des jugements synthétiques car ici le prédicat est totalement exclu du concept de l’objet (l’eau bout à 100°). Il y a un lien avec les jugements a priori et a posteriori (ces derniers relevant de la classe des jugements synthétiques). Le problème est qu’il ne peut y avoir de jugements analytiques (explicatifs) a posteriori. Mais peut-il y avoir des jugements synthétiques (extensifs) a priori ? Peut-il exister des jugements qui découlent de l’expérience et dont la vérité soit à la fois universelle et nécessaire ? Eh oui comme dans cet exemple de 7 + 5 = 12. Ou encore dans les affirmations : tout changement a une cause, l’univers est la création d’un Dieu omnipotent. Oui donc les « jugements synthétiques a priori » existent, donnent des conclusions certaines et constituent de fait le fondement des sciences. Quelles sont les conditions nécessaires pour que puissent avoir lieu des jugements synthétiques a priori dans les différentes sciences ? L’être humain perçoit le monde comme un assortiment d’impressions : une craie avec sa couleur, sa texture… Cet ensemble d’impressions sans ordre est dépourvu de sens et a besoin d’être ordonné par un processus qui aboutit au concept de craie. Ce processus est mené par l’entendement et non par la sensibilité (l’expérience). Les impressions désordonnées s’appellent phénomènes (apparences). À leur ordonnancement Kant donne le nom d’intuition. Il ne s’agit pas de 2 moments différents car sensibilité et entendement travaillent de concert. Les apparences ne sont pas des choses mais des propriétés de choses ; elles sont les prédicats d’un objet. Ces propriétés peuvent changer sans que l’objet n’évolue (exemple de la cire). Kant appelle noumène, ce substrat qui reste, soit « la chose en soi ». Le problème c’est qu’on ne peut le connaitre.
Avec la question : comment la sensibilité est-elle possible, on entre dans « L’esthétique transcendantale ». La perception des sensations s’effectue nécessairement dans l’espace et le temps. L’espace et le temps ne sont pas des objets de la perception car ils ne constituent pas les propriétés objectives des choses. Ils ne sont pas postérieurs à la perception mais a priori. Ils se trouvent déjà dans la sensibilité. L’espace et le temps sont les conditions qui rendent la perception possible (esthetikos = perception). Les propositions sur le temps et l’espace sont synthétiques a priori ; elles donnent des informations, précèdent l’expérience, leur vérité est universelle et nécessaire. C’est une intuition pure, nécessaire pour que l’expérience ait lieu. Il en est de même pour le temps. Comme on ne peut pas percevoir l’espace, on ne peut pas percevoir le temps. Le changement et le mouvement ne sont possibles que dans la représentation du temps. Rappelons nous que « L’esthétique transcendantale » cherche à étayer les jugements synthétiques a priori dans le domaine des mathématiques. Celles-ci traitent des propriétés de l’espace et du temps sous forme des nombres (par exemple, les séries arithmétiques). Les mathématiques ont donc une application nécessaire et universelle.
Kant maintenant se penche sur l’entendement. Dans « L’analyse transcendantale », il étudie ses formes pures a priori. Pour ordonner la sensibilité au niveau de ses perceptions, l’entendement utilise les concepts (définition : l’union et l’ordonnancement des perceptions sous une seule forme). Mais quelles sont les règles de ce classement ? Il y a à distinguer les concepts empiriques et les concepts purs. Les premiers relèvent de l’expérience et de l’observation des ressemblances et des traits communs entre les objets. Mais l’entendement use aussi de concepts purs, « Les catégories » (définition : les liens grâce auxquels l’entendement organise les sensations que le sujet appréhende par l’intuition). L’espace et le temps doivent se remplir d’impressions sensibles, les catégories devront se remplir de données issues de l’expérience. Mais l’entendement n’est pas capable de connaitre uniquement à travers des concepts : nous plaçons ces derniers au sein d’un jugement formé par un objet et un prédicat. Il y a à employer une articulation de concepts dans laquelle est affirmée la liaison entre le concept qui occupe la place de l’objet et un autre qui occupe celle du prédicat (par exemple : tous les corps sont divisibles). Il est logique de penser que tous les types de jugements sont liés directement aux catégories qui les rendent possibles. Kant définit 12 types de jugements regroupés en 4 grandes classes : quantité, qualité, relation, modalité. Nous ne pouvons pas comprendre sans passer par les catégories. Ces jugements synthétiques a priori sont possibles dans les sciences de la nature.Est-ce que tout ceci est justifié d’un point de vue logique ? Après avoir établi la table des catégories, il entreprend d’établir leur légitimité. On entre ici dans l’opération de déduction transcendantale. On en déduit que les catégories sont antérieures et qu’il n’est pas possible de penser sans elles. Cette perception de soi-même s’appelle a-perception et c’est le principe le plus élevé de toute connaissance humaine. On en vient donc à « La dialectique transcendantale ». Tout ce qui existe n’est pas accessible à l’expérience (dialektikos = discussion). Par rapport à l’entendement et la sensibilité, la raison élabore des raisonnements qui, à partir de jugements particuliers, permettent de construire des principes plus généraux, des lois. Raison et entendement agissent sur la base de concepts purs. Et les concepts purs de la raison sont « Les idées transcendantales ». Comment la raison peut-elle accéder à ces idées ? Par un processus qui permet d’obtenir des informations (conclusions) à partir de données connues (prémisses). Avec l’exemple du syllogisme : tous les hommes sont mortels et Socrate…, Kant montre que si la prémisse n’est pas certaine (le contre-exemple de Jésus) la conclusion ne le serait pas non plus. Et alors la raison pousse (impulsion) à chercher un nouveau syllogisme qui prenne la prémisse de départ et en fasse la conclusion d’un autre syllogisme formé de nouvelles prémisses etc…, jusqu’à trouver l’énoncé dont la véracité ne soit conditionnée par aucun autre. Kant parle de « Conditions inconditionnées de la raison », soit les idées transcendantales. Kant parle aussi ici d’illusions de la raison : on n’a aucune expérience possible de l’âme, du monde et de Dieu. Ce sont des concepts vides. Kant parle de 2 types d’illusion : les Paralogismes et les Antinomies. On reviendra sur les « Idées transcendantales » dans la CPR (critique de la raison pratique traitée dans le chapitre suivant) autour de la liberté et du déterminisme ; c’est ici que la métaphysique retrouve tout son sens.
Chapitre 2 : Vers un principe unique pour la vie morale
La raison pratique s’occupe des fondements qui déterminent la volonté quand il s’agit de prendre des décisions ou d’effectuer des choix moraux. Kant cherche ce sur quoi repose la moralité.
Il y a dans tout comportement un élément de devoir, d’obligation. Ceci est un axe central. Quant à l’origine de l’obligation morale, elle n’est pas à chercher dans la nature ou dans la vie en société. La loi morale suprême ne peut changer lorsque les circonstances changent. Il faut dire la vérité, c’est un concept de la raison pure a priori ; cela n’a rien à voir avec les morales matérielles. Kant s’oriente sur l’identification des éléments a priori de la volonté. Pour sortir du cadre des éthiques matérielles, il faut un principe qui soit valable dans le monde ou en dehors du monde. Il le cherche du côté de la bonté. Comment la définir sans déterminations suspectes ? La bonté sans restrictions ne peut être définie par l’objet du désir mais par le sujet, par sa propre volonté : il l’appelle la bonne volonté. La bonne volonté est motivée par le devoir mais, même ainsi, on peut encore se tromper car il y a 2 manières d’agir par devoir : agir conformément au devoir ou agir dans le cadre de la légalité vs. l’action n’a de valeur morale que lorsqu’elle est réalisée par pur devoir. Kant prend l’exemple a contrario du commerçant qui agit par inclination. L’angoisse rend la vie insupportable au point d’aspirer à en finir ; préserver sa vie par devoir c’est résister à toute inclination, choisir de vivre c’est agir de façon morale. Mais où réside l’indéniable valeur morale du « principe de l’agir par devoir » ? Dans la maxime qui est un principe objectif, c’est à dire valable pour tout être rationnel et conformément auquel il peut agir. Ce principe sous sa forme objective est la loi morale. Le devoir est la nécessité d’agir dans le respect de la loi. La maxime est : obéir à la loi, et cela a une dimension objective et subjective.
Ceci dit : quel est le contenu de cette loi ? Elle se doit de prendre la forme qui exprime comment agir en toute circonstance : agir de telle façon que tu puisses désirer que ton action soit érigée en loi universelle. Et cette proposition repose sur le sentiment d’empathie. Il faut se mettre dans la peau de l’autre. Ne traite pas les autres comme tu n’aimerais pas que tout le monde soit traité. Cette notion est implicitement connue de tous. Voilà défini le versant objectif du principe de connaissance morale. Il s’agit d’un fondement a priori, une prémisse métaphysique. C’est un principe formel : l’universalité. Cela dit, on sait que la volonté humaine n’est pas faite de manière à coïncider parfaitement et à chaque instant avec les lois de la raison. La volonté voit dans la loi une pression, un commandement, un impératif.. il y en a de 2 sortes ; il y a les impératifs hypothétiques et les impératifs catégoriques. Les premiers sont exprimés de façon conditionnelle : si tu veux x, tu dois faire y. Ceci renvoie aux morales matérielles. Mais « l’impératif catégorique » constitue la base d’une éthique formelle et établit qu’une action est objectivement nécessaire parce qu’elle est bonne en soi sans référence avec un but externe. Lui seul constitue une loi pour la volonté. Mais on n’a pas avancé sur le versant subjectif.
Kant déroule alors 3 formulations : 1) formule de la loi universelle (déjà citée), 2) la formule de la loi naturelle, à travers une loi universelle de la nature, 3) formule du but en soi : agis de telle façon que tu traites aussi bien l’humanité dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin et jamais seulement comme un moyen. Kant croit dans une « définition moderne de l’homme » où c’est la base de la rationalité qui se manifeste dans la personnalité de l’être humain et qui le définit comme une personne. Du respect de la loi morale découle le respect des autres et le respect de soi-même. L’impératif est un devoir nécessaire et obligatoire pour tous les êtres rationnels. S’y soumettre est le seul esclavage acceptable car il offre la liberté. Si bien que Kant finit par proposer une 4ème formule ; la formule de l’autonomie : agis de telle façon que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir en même temps comme principe d’une législation universelle. Ceci renvoie à la capacité législative de la volonté. L’autonomie de la volonté est la condition sine qua non pour pouvoir penser l’être raisonnable comme une fin en soi.
On arrive ici à la question de la faisabilité. Il y a 3 conditions nécessaires pour rendre l’action morale possible, soit « les postulats de la raison pratique » : la liberté, l’immortalité de l’âme et l’existence de Dieu. Ces postulats sont au fondement de la dignité humaine comme être rationnel. Pour Kant il y a 2 choses incontestables : la loi morale et le souverain Bien. Il faut supposer la liberté. La liberté est une limite aux penchants qui se nourrissent d’impulsions et inclinations. L’impératif catégorique donne la propriété d’établir une loi pour une volonté à condition qu’elle soit autonome. La volonté libre et la volonté soumise aux lois morales, c’est la même chose. Si la liberté est nécessaire à la mise en pratique de l’impératif catégorique, il doit exister également une condition nécessaire pour que l’homme puisse y trouver une quelconque rétribution. La CPR doit tout comme la CRP tendre naturellement vers un objet total sans condition qui adopte la forme même de la morale, soit la vertu : le Souverain Bien. Celle-ci ne rend pas heureux. Ceci crée une antinomie : il est impossible de conjuguer la vertu et le bonheur, ce qu’il faudrait pourtant. Mais si cette connexion est impossible, alors le Souverain Bien l’est aussi. Et si le Souverain Bien ne peut exister, alors la loi morale est orientée vers une fin fictive ou fausse. C’est là que par une pirouette, Kant va chercher l’âme et Dieu. La conjonction se fait mais pas dans le monde sensible ; mais bien dans le monde intelligible. L’homme existe aussi comme noumène. Pour cela Dieu doit intervenir comme garant. Alors l’immortalité de l’âme dérive de la vertu comme définition adéquate de la volonté et de la loi morale. Kant parle ici de la volonté sainte, plus élevée donc que la bonne volonté. Le bonheur est l’état dans lequel se trouve l’être raisonnable pour lequel tout est conforme à sa volonté. Il se définit par l’harmonie entre la nature et la volonté. Il faut postuler l’existence d’une cause de la nature, distincte de la nature, qui a la capacité d’établir cette connexion. Ne voulant pas parler de foi, Kant invente « la notion de foi rationnelle ».
Chapitre 3 : de la critique de la faculté de juger
Le projet de la CFJ est de réconcilier 2 aspects de la réalité apparemment déconnectés : la dimension sensible et la dimension intelligible ; chacune ayant ses propres normes. C’est un problème grave car la liberté s’exprime dans des actions qui relèvent de l’ordre empirique. Par conséquent la liberté doit avoir un contact avec le monde de la nature. Dans le cas contraire les lois morales ne pourraient pas se réaliser dans les actions. Comme il semble impossible de trouver une connexion objective, nous cherchons une connexion subjective, « un pont » qui permette de penser à la fois selon les principes de la nature et de la liberté.
Puisqu’il existe des choix moraux dans le monde, il doit exister un principe d’unité qui autorise l’influence des lois de la liberté sur le monde naturel. Entre la raison selon la CRP et la raison selon la CPR, Kant est à la recherche d’une 3ème faculté à mi-chemin, à côté de la connaissance et du désir. Kant démontre qu’il y a en effet quelque chose de sous-jacent à la connaissance de la nature et la moralité : « la faculté de jugement ». Qu’est-ce que le jugement ? C’est la faculté de penser le particulier comme contenu dans l’universel et vice-versa : descendre de la loi au cas ou s’élever du cas à la loi. Les « jugements déterminants » relèvent du 1er mouvement. Appliqué à l’art, tel jugement correspond à l’action de créer un objet en quête de l’idéal de beauté.Les « jugements réfléchissants » relèvent du second mouvement et dans l’art cela correspond au moment où l’on pressent l’idéal de la beauté en observant des objets. La CRP propose l’existence des catégories de l’entendement. Le jugement a priori applique au particulier un concept universel et donné, c’est un exemple de jugement déterminant. Il existe néanmoins des concepts universels qui ne sont pas donnés mais qu’il faut découvrir, par exemple les lois empiriques de la physique. Nous devons découvrir la loi empirique universelle en extrayant des indices ou des schémas à l’intérieur de chaque représentation ou échantillon individuel. Telle est la tâche du jugement réfléchissant. Kant trouve que le fonctionnement le plus simple à comprendre est celui du jugement déterminant puisqu’il s’agit d’une application directe des catégories de l’entendement. Le jugement réfléchissant est plus obscur parce qu’il suppose un élément sous-jacent, « le schéma » ou le principe d’unité entre les cas particuliers.
Il faut ensuite élucider le fonctionnement interne des jugements réfléchissants. En étudiant la façon dont le sujet perçoit l’objet et formule un jugement réfléchissant, il est possible de distinguer 2 orientations. « Les jugements esthétiques » et « les jugements téléologiques ». Les jugements esthétiques sont ceux dans lesquels un sujet se représente un objet de telle façon que sa simple forme suscite un sentiment de plaisir, sans relation avec aucun autre concept qui enrichisse la connaissance de l’objet. L’intuition sensible semble appréhender la forme d’un objet dans le but d’en tirer du plaisir. Il s’agit de jugements subjectifs et ces jugements prétendent toucher à l’universel ; tout le monde reconnait la beauté d’un tel objet. En analysant la fonction de ces objets, on entrevoit l’importance de l’idée de finalité. Le beau est sa propre finalité. Les jugements téléologiques sont ceux dans lesquels le sujet perçoit un objet comme la représentation d’une finalité de la nature de telle façon que la raison est à même de distinguer cette finalité. Ces jugements ont à voir avec l’entendement, ils associent la forme de l’objet à une connaissance déterminée, un concept. Émettre un tel jugement c’est juger si tel objet donné répond à une finalité de la nature. C’est un jugement objectif car l’objet n’est pas cause de sentiment chez le sujet mais une fin en soi. Ces jugements s’appuient sur la raison théorique et ont pour objectif d’élargir la connaissance.
Surgit maintenant « un schéma » : on peut considérer la beauté comme l’exposition de l’idée d’une finalité formelle (subjective) et les fins de la nature comme l’exposition d’une finalité réelle (objective). La finalité formelle est jugée par la faculté de goût. Quant à la finalité réelle, elle est jugée par l’entendement et la raison de façon logique, selon des concepts. Le concept de finalité de la nature est un principe transcendantal car il fait référence à des objets possibles de la connaissance empirique en général sans se fonder sur des observations empiriques. Voilà ici le principe a priori de la faculté de juger. Dans le fait que la nature est un système compréhensible se trouve « le pont » entre le monde sensible et le monde intelligible. Cette connexion est dans le principe : le principe de la finalité de la nature. Il y a une unité dans la nature, tout a un sens. Les facultés de connaissance de l’homme lui permettent d’appréhender les lois particulières de la nature (le sensible) pour en extraire leur finalité (l’intelligible) et de passer ainsi d’une pensée soumise aux principes de la nature à une pensée soumise au principe de la liberté. On a ici une idée régulatrice ou une exigence de la raison.
Mais alors comment la nature est-elle unifiée par le fondement commun de ses lois et l’ensemble du système adapté aux facultés cognitives des êtres rationnels ? Est-ce le fruit du hasard ? Non car cela semble le produit d’une cause qui agit avec une intention. Cela se trouve dans les nombreuses manifestations naturelles qui ne peuvent être expliquées de façon satisfaisante d’un point de vue purement mécanique. Il y faut bien un créateur. Mais quelle fin poursuit cette cause en créant le monde ? Si la nature est un tout finaliste, produit d’une cause supérieure et si le but de cette cause, en créant le monde, est l’homme en tant qu’être moral, cette cause supérieure doit être Dieu car lui seul est le garant de la moralité. Il devient ainsi possible de penser la nature comme l’espace où la réalisation des fins est possible en harmonie avec les lois naturelles.
Et rien de tel que l’art car il permet de contempler la nature comme la manifestation phénoménale de ce substrat suprasensible. À partir d’ici Kant s’avance en terre inconnue….Et de fait la fin de cette partie consacrée à Kant ré-aborde de façon étonnante la question de l’esthétique : l’expérience du beau et du sublime, la fonction du génie et celle de l’Esprit placent l’homme à la charnière de toute une articulation relative à la finalité de l’harmonie entre la nature et les mathématiques, la morale et la métaphysique.De plus Kant en vient à l’idée d’ouvrir 2 nouveaux chantiers sur la finalité de l’Histoire en lien avec un appel pour une relecture du Droit, et la question de la Conscience. Cela restera à l’état de chantier ouvert.