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Qu’est ce que le structuralisme ?


Auteur du livre: François Wahl

Éditeur: Seuil

Année de publication: 1973

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Un grand reproche a été fait que « cette philosophie » – une ontologie, une métaphysique nouvelles ? – a supprimé beaucoup de choses, dont l’homme particulier. La philosophie qui va se déployer ici en tout cas n’est pas le structuralisme. Une déflation est nécessaire par rapport aux medias qui ont imposé le mot. Il vaut mieux en prendre un autre : le mot science. L’objet des sciences structurales offre le caractère d’un système : c’est-à-dire, tout ensemble dont un élément ne peut être modifié sans entrainer une modification de tous les autres. Il s’agirait, et c’est cette hypothèse que le cartel a mis à l’épreuve, pour avoir une science, de construire des modèles selon une loi des groupes de transformation commandant l’équivalence entre les modèles et présidant à leurs emboitements. Ceci dit, cette définition à partir de l’objet est trop extensive et ne rend pas compte de la spécificité du champ où vient de s’opérer une coupure épistémologique du savoir. La coupure a pour fonction de faire passer d’une idéologie à une science. Considérons donc qu’ici on appellera structuralisme un regroupement des sciences du signe.

Première partie : ou d’une philosophie en deça du structuralisme

Chapitre 1 :  précisons que le travail va dégager un critère, un concept et un paradigme

Le point décisif, c’est le signe. En nous appuyant sur ce critère, il y a lieu de lire les textes parlant du dépérissement des sciences humaines. Ceci étant fait, il sera plus évident qu’aucune de ces opérations de déconstruction apparaitra conceptuellement contemporaine du savoir structural. Ce qui ici est très important à saisir c’est que la métaphysique dégagée par le linguistic turn titille l’oreille de Wahl : on ne peut parler du structuralisme sauf juste avant ou d’un point de vue juste après quand/où le signe n’est plus pertinent. 

Depuis le premier point de vue, on va parler ici de Michel Foucault en lui posant la question : y a-t-il une épistémè structuraliste ? une épistémè c’est l’organisation sous-jacente à un savoir. Foucault a creusé une archéologie des sciences dans son livre « Les mots et les choses ». Le propre du signe est de poser une relation entre deux relata. L’épistémè enveloppe une sémiologie. Mais la relation conduit soit à un changement dans l’intérieur du cadre ou une rupture au-delà du cadre. Ainsi c’est dans le cadre que le signe a permis le rationalisme de Descartes et l’empirisme du 18ème siècle jusqu’au positivisme de Comte et la phénoménologie de Husserl. Ainsi Marx relit Ricardo à la jonction de l’anthropologie et de l’Histoire, dans une référence des deux au travail et dans une lecture historique commune des marques de notre finitude. Ici le sens leur est commun. Par contre la coupure épistémologique survient quand les édifices du savoir basculent, quand cela ne signifie plus la même chose de signifier.

Chapitre 2 : à la Renaissance nait le signe autour de trois éléments

Ces trois éléments sont : ce qui est marqué, ce qui est marquant, ce qui permet de voir en ceci la marque de cela, leur ressemblance. La logique du similaire entraine depuis l’image, un enchainement (par voisinage) dans les analogies. Mais si on y ajoute l’effet d’un mouvement par sympathie, on passe de la ressemblance à l’identique (par assimilation). Lorsque le signe est un presque pareil, la marque alors s’appelle signature et le savoir sert ici à la déchiffrer. L’Histoire montre que depuis la Renaissance l’articulation entre deux termes, le mot = la chose, devient de plus en plus lâche causant l’écart signifiant/signifié vidant le représentant de toute présence même médiatisée du représenté, et aboutissant chez de Saussure à l’arbitraire du signe linguistique. La question, qui ne se posait pas alors, est renvoyée à l’envoyeur (l’humaniste de la Renaissance, Galilée) parce que ce n’est qu’aujourd’hui qu’elle s’est manifestée : comment un représentant peut-il se lier à ce qu’il représente ? l’Histoire montrera que depuis de Saussure, il y a une fonction donnée à la littérature de rendre de l’épaisseur d’être au mot, sa lettre. Et c’est cette épaisseur d’être que le structuralisme retrouverait depuis la Renaissance. C’est ce moment philosophique contemporain qui trouve dans la Renaissance matière (en consigne) pour que la question y trouve peut-être réponse. 

Nous voici rendu à un point où Wahl marque une différence par rapport à Foucault. Le livre de Wahl est compliqué car il tente de tenir deux points de vue et donc ici, dans la première partie, il signale la littérature qui ne sera abordé comme objet à traiter que dans la deuxième partie ; bref il crée une perspective où le structuralisme est médiateur évanouissant. N’est-ce pas hors la dimension de l’être (et du non-être) que s’enlève maintenant ce qui appartient au champ de signifier ? avec Mallarmé, la littérature a rejeté le monde, le lecteur et l’auteur, pour se tenir dans un jeu sans fin de reduplications sous la loi du même. Le travail du négatif de la différence par la répétition produit un langage nu. C’est çà ce que le langage est. C’est en se représentant lui-même que l’écrit fait surgir de toutes parts (de toutes parts semblables) la mise en question de l’être du langage. À quoi bon entendre le mot en dehors de sa référence à la chose ? pour Blanchot le langage est indécis entre l’être qu’il exprime en le faisant disparaitre, et l’apparence d’être qu’il rassemble en lui-même pour que l’invisibilité du sens y acquière figure parlante. L’écrit appelle une parole. Comme langue plurielle, de par sa structure, de par son code, toute parole par lui engendrée a des sens multiples. Tous ces traits excluent quoique ce soit qui ressemblerait à une réalité ou à un être du signe. Tous renvoient au langage comme à une dimension irréductible, vu ses éléments différentiels sans cesse à réarticuler. Ce mouvement à partir de tous ces écarts, c’est la littérature mais aussi bien l’anthropologie et la psychanalyse. Ce parti-pris pour analyser la littérature contemporaine, comme la manifestation d’une décadence, est ce qui empêche de se prononcer sur l’épistémè structuraliste. 

Foucault en est resté à l’emploi d’un schème phénoménologique. Une intuition donatrice préside chez lui à la présentation du signe comme un objet transcendant la conscience. Ce positionnement transcendant n’est ni le sens ni la chose référée. C’est le fruit d’un déplacement de 50 ans depuis l’analyse de Husserl sur le portrait. Dans « Idëen » le signe était envisagé comme un intermédiaire. Quand nous le tenons dans le champ de l’intuition, ce n’est pas sur lui que nous sommes dirigés mais, par l’intermédiaire d’une appréhension fondée sur lui, nous sommes dirigés vers une deuxième chose, celle qui est copiée et désignée. Signe et reproduction ne pouvaient se donner que comme modification d’une autre chose (ici perception, là un signifié), présentification d’un présent seul originaire. Le portrait était proposé comme paradigme du signe en ceci qu’il ne pouvait que se donner en lui-même, en vertu de son sens du portrait, comme la modification de quelque chose qui sans cette modification s’offrirait précisément en personne. Modification de neutralisation puisque l’objet-portrait ne s’offre ni comme étant ni comme n’étant pas ni sous aucune modalité positionnelle, mais comme modification qu’il faut faire porter sur deux objets différents à la fois, d’une part sur les figures et d’autre part sur les réalités figurées. Toute la construction visait à traverser le représentant pour l’accrocher au représenté, et le représenté pour l’accrocher à la chose offerte en personne. 

Or pour Merleau-Ponty (et Foucault), il s’agit au contraire de ressaisir l’immédiation de l’intermédiaire, la positivité même du neutre, la présence spécifique du présentifiant. Mais cela est impossible d’aller depuis l’image représentée à l’image perçue, et puis de l’image perçue à la personne. On ne peut plus retrouver la chose une fois qu’on est pris dans le cadre du signe. La présentification originaire est l’irréductible de la phénoménologie. Foucault définit la littérature dans la fonction de réduire l’impossible comme un geste qui remonte de la fonction représentative du langage à son être brut. Ramener le langage au pouvoir dénudé de parler, c’est le forçage de Foucault car il fait éclater le langage entre sa structure et son être hors structure. La littérature ne peut être traitée par la théorie de la signification, mais l’être du signe par contre … personne ne peut en dire ce que c’est, c’est donc une position vide, une nuit pour la pensée. C’est Lacan, situé dans la deuxième partie, qui franchit le fossé mais son geste sort du cadre. Lacan repère la chose non comme ce qui est derrière le discours mais comme ce qui fait retour au milieu de lui, d’être ce qui lui manque.

Chapitre 3 : à l’aube du 17ème siècle une configuration nouvelle traverse l’édifice du savoir

La ressemblance se voit désormais critiquée et mot d’ordre est donné de ne pas se précipiter mais d’analyser : la figure typique devient le tableau, le classement ; le simple est une catégorie de la pensée seulement, et pas nécessairement sur l’être des choses. Le passage du simple au complexe, de l’idée générale à la représentation qui la chiffre, ne s’effectue plus par la pente du presque pareil. Il présuppose une relation qui doit être connue et établie par l’expérience, l’analyse et le classement. Wahl introduit ici le fil de l’empirisme par l’observation et la perception. Mais c’est autour de la barre ou de la coupure signifiante que le signe s’articule entre représentant et représenté. L’ère de l’organisation binaire a commencé et nous en sommes toujours là, balançant entre des « ou…ou », des « plus ou moins » et des « absolument ». Tout tourne autour de la notion de système et de sa nature différentielle. L’arbitraire du signe renvoie à des langues (le X du code de la route) et donc à une structure irréductible aux adhérences particulières des éléments qu’elle met en jeu. La forme n’est pas contenue dans les substances. La motivation semble bien un facteur de réification, elle développe des alibis d’ordre idéologique. Pour Wahl, Foucault tombe dans ce défaut quand il parle d’une permanence épistémique du 17ème à nos jours, dans une théorie générale de la représentation. 

Cela a cependant été vrai à la période classique : la peinture n’y figure-t-elle pas très directement la chose peinte, tout en laissant savoir que ce n’est là que figuration et rien de plus ? renvoi et désignation de ce renvoi détermine le signe comme un passage non entre des choses mais entre des idées. C’est donc un bain idéologique qui sert d’espace de plongement à cette théorie. On reviendra sur le problème de l’idéologie quand la question glissera sur la question du vrai en science. Toute idée manifeste ce qui la rattache à une ou plusieurs autres. Elle n’est même que cette manifestation et le signe du 17ème (Port Royal) c’est cette manifestation devenue manifeste. Dans le jeu représentatif de l’âge classique, ou bien l’on en passe par la figuration de la deuxième dans la première (le tableau du représenté dans sa représentation), ou bien c’est une analyse de la première idée qui conduit à la seconde. On est entre un « laisser voir » ou « se laisser décomposer ». Et pour faire voir le poids idéologique de Foucault, Wahl rappelle que l’interrogation actuelle sur le signe est née de ceci : que signifier n’est pas figurer. À traiter classiquement de cette double façon le signifiant, jamais on n’arrivera au signifié. de Saussure définira la langue comme la norme du langage et là on renonce au jeu de la représentation pour rentrer dans celui du signal, pour la communication, et non comme expression de la pensée. Dire que l’inconscient est structuré comme un langage ou bien qu’il appartient à l’ordre de la lettre, c’est dire qu’il n’appartient pas à l’ordre de l’idée.

Le structuralisme n’a rien à comprendre et tout à transformer. Un ordre, une logique propre aux langues surgissent, qui gouvernent les perceptions et les pensées sans en posséder les déterminations ni tomber sous la loi des enchainements d’idées. Le symbolique pas plus qu’il n’est réel, n’est idéel. La sémiologie s’écrit : signe/représentation (où signe s’écrit : signifiant/signifié). A distance de Foucault, plus proche de l’empirisme anglais, pour avancer, il faut replacer le problème sur son véritable terrain qui n’est pas psychologique mais logique. Suivent ici des pages non résumées sur la linguistique et spécialement celle de Chomsky. Le structuralisme est la première accession d’un certain ordre de faits à l’élaboration formelle-rationnelle. Je ne peux que renvoyer au livre de Mumford. De ce côté-là de la Manche, on voyait dans le structuralisme une menace : le retour à un naturalisme qui réduirait les règles en certitudes, la cohérence opératoire en conditions, la production linguistique en représentations. Et Foucault est visé.

La déduction sémiologique en a-t-elle fini avec la représentation ? non car si on considère jusqu’ici avec progrès le rapport d’une science à son objet, reste la question du sujet. La question de la conscience subjective accapare Foucault qui rappelle que c’est précisément sur cette charnière de la représentation en première personne (je) et du jeu en troisième personne (il) que place est à donner, en un statut singulier irremplaçable, aux sciences humaines. L’objet des sciences humaines c’est le sujet, c’est cet être qui de l’intérieur du langage par lequel il est entouré, se représente en parlant le sens des mots ou des propositions qu’il énonce, et se donne finalement la représentation du langage lui-même. Pour Wahl, ici, il faut bien distinguer la différence entre une approche semi-subjective en clé de représentation d’avec l’opacité des couches de langage à l’intérieur de ma parole, parce que c’est là que s’immisce l’apport du structuralisme. La construction structurale fait de la langue une forme, un dispositif logique , étranger aux résonances de l’intériorité. C’est important parce que le savoir structural est sans cesse menacé de retomber au niveau plus traditionnel des sciences humaines, menacé de devenir représentatif. Le fond de l’enjeu c’est de savoir si le sens aura un arrière-sens ou si la structure détermine en sa combinaison d’avant tout sens, même le sens. Il faut cesser de penser le signe dans le cadre de la représentation. La signification est toujours phénoménale. Le sens appartient au système et ne peut qu’y être relatif au signifiant, à la barre et aux autres signes. L’emploi d’un supposé redoublement sous la signification (ramenant au mécanisme de la représentation) est inutile et donc remplacé par le concept de différence. 

Le structuralisme a des limites. La signification a la vie dure et le signe repris en logique ne satisfait pas sans laisser flotter un reste. Et ce reste, on y arrive, oblige à quitter le registre de la science liée par une analyse correctement cernée de son objet, et à parler du sujet. Il faut à plus grand frais parler de la conscience, c’est-à-dire de l’inconscient. Mais attention au terme du raisonnement qui va suivre, il y aura constat que l’on est passé dans l’après structuralisme, avec Lacan. De Husserl à Merleau-Ponty, il y aura le saut de Lacan. Pour le mesurer il y a à relire « Les mots et les choses » par rapport aux Ménines. Place au regard et aux miroirs.  

Les Ménines vont-elles conduire au pas d’écart de Freud par rapport à Husserl ? Freud quand il parle de tenant-lieu ne parle pas de représentant. Foucault dans ce tableau de Velasquez ne dégage que la représentation de la représentation. Ètalé sur la toile il y a toutes les fonctions de la représentation : celle du peintre, du modèle, du spectateur. Et même la représentation s’y manifeste sous l’aspect d’un tableau dont on voit le dos. Mais à l’avant de la toile, une place reste vacante, celle où se trouve réellement le peintre, où était censé être le modèle (le roi et la reine), où nous sommes comme spectateurs. Le sujet est éludé. Par contre, Foucault s’engage dans un discours sur la phénoménologie du représenter. L’oscillation entre le regard et le geste du peintre,  l’invisibilité à soi du regardant ne peuvent être rendus visibles pour le peintre sans être transposée en une image définitivement invisible pour lui-même. Le miroir trompe. On est de nouveau à toucher le parti-pris et on se perd dans un jeu de miroir condamnant l’échange entre les fonctions du regardant et du regardé. Le piège du miroir du fond (où en flou apparaissent le roi et la reine), c’est faux qu’il reflète les modèles occupant la place du peintre. Car pour remplir cette fonction le miroir aurait dû être décalé vers la droite à la place de l’encadré de la porte du fond occupé par le frère du peintre. La fonction attendue de la réunion des deux fonctions a besoin du miroir convexe qu’on observe sur « Le portrait des Arnolfi ». Foucault est en deça de ceci parce qu’il veut toujours une saisie « sans reste ». Merleau-Ponty s’enferre aussi dans cette confusion. Le problème n’est pas le sujet transcendantal de Husserl mais l’irréductibilité aux conditions internes, aux aspects du voir, des systèmes formels inconscients, apsychologiques, du faire signe. Ainsi de ce que le sujet est l’irreprésentable des Ménines, il ne s’en suit pas même qu’en la structure du tableau une place ne soit assignée où il lui sera donné de faire retour.

Chapitre 4 : autour de 1800 l’étude des fonctions en biologie se substitue à celle des caractères à classer (histoire naturelle)

L’interrogation sur la production se substitue à celle sur les richesses, l’enquête sur les langues (philologie) se substitue à l’analyse du discours, à la continuité du tableau classique se substitue partout la profondeur des organisations. Par delà la face du signe qui nous est donnée, un déséquilibre se produit : le travail, la vie, le langage et enfin l’homme sont des objets derniers, non pas symétriques d’un signifiant, mais inférés à partir d’un tissu de signes insuffisant. Comment alors fonctionne le signe ? on a de nouveau un signe visible pointant vers une profondeur enfouie. Seulement cette profondeur n’est plus comme à la Renaissance, homogène à sa surface. Il s’agit de ressaisir à partir de sa pointe, une organisation complexe et hiérarchisée. Il y a décrochage entre le plan des identités et celui des différences : des caractères extrèmement différents peuvent renvoyer à la même fonction. Ceci renvoie donc à un plan d’organisation, qui commande leur coexistence et leur hiérarchie. 

Le structuralisme est la boite à outils qui manque. Foucault ne cesse de guider le cheminement de la pensée et l’hypothèse de lecture de Wahl (il y a du structuralisme) est de trouver dans « Les mots et les choses » un work in progress, où depuis la Renaissance s’affinent les outils de la science, au prix de laisser tomber le sujet au profit de l’objet. Mais s’agit-il bien de ça ? non car le structuralisme, ce qu’il cherche, ce n’est pas une fuite organique du signifié loin derrière les éparpillements des signes, mais le fonctionnement du système sémiologique au plus près. Ce qu’il trouve, ce n’est pas la profondeur mais au contraire une surface : l’ordre de derrière est aujourd’hui un ordre sans dedans. Ce qu’il faut mesurer, c’est qu’il ne nait pas de rien. Tout est parti de la question propre au 19ème du fondement et de l’origine. Distance est prise par le structuralisme par rapport à Hegel, et plus exactement contre Hegel. Il n’y a pas de fond anthropologique ou transcendantal de la connaissance. Il n’y a pas plus de sujet extérieur au procès de la connaissance qu’il n’y a à chercher son objet hors de son produit, dans le réel. Avec le structuralisme, on n’a pas affaire à d’autres concepts mais à une autre conception du concept. Il ne s’agira plus de remonter d’une représentation à une organisation comme à la nature cachée des choses, mais de retrouver l’inhérence à une organisation, produit de la pratique organisée qui l’a produite. Sans oublier que ce « trouver lui-même » est un produit, un moment de la production théorique. Pour sortir la science de l’ornière de l’idéologie, Althusser parlait de l’économique par rapport aux autres dimensions du social, en termes d’imposition en dernière instance de la première sur les autres, sa dominance. Alain Badiou, lui, propose de distinguer entre une pratique économique décalée et invisible, déterminante..et l’instance de l’économie dans l’articulation du tout, qui ne serait que le tenant-lieu de la première. 

La structure, si elle agit d’ailleurs, n’est pas une profondeur. Reste à savoir, (et la question doit être posée à part), si la structure ne vient pas réoccuper une place dont la valeur stratégique tint d’abord au système du 19ème, celle du fondement. Et là on aborde la métaphysique, une métaphysique de l’objet dont le responsable est Kant ( !), oscillant entre effort de fondation et effort de dévoilement, paradoxe de faire de l’Autre avec du même. 

Mais le structuralisme proprement dit, est ce que c’est ça ? L’analytique de la finitude est plus fondamentale encore que l’anthropologie, c’est ce qui permettra de penser pour le formalisme un système de la finitude mais sans l’anthropologie. Et c’est là qu’on retrouve la critique faite que le structuralisme c’est la dissolution de l’homme. Mais l’est-il du sujet ? La chaîne signifiante si c’est en sa forme que se résoud l’inconscient, nous jette dans l’altérité abrupte, nous renvoie à un dehors irrécupérable, nous ouvre sur ce qu’elle a pour nous d’absolument fermé. Une aliénation est essentielle au sujet par ceci qu’il ne s’effectue comme agent, que dans l’imaginaire, de prendre à son compte les effets du structurant où déjà il compte. 

Foucault en vient avec l’« Histoire de la folie à l’âge classique », à cette situation déconcertante qui renvoie dos à dos l’homme ou sa forme excentrée. À travers ce « ou », Foucault laisse entendre que pourraient bien passer les limites d’une épistémè, l’expulsion de l’Autre hors de la raison. Lacan en viendra à un principe paranoïaque de la connaissance dont le modèle serait fourni par le transitivisme de l’enfant au stade du miroir et qui reviendrait à ceci que l’objet est, de la connaissance, soumis à une loi de reduplication imaginaire. Lacan par rapport à la phénoménologie a introduit de la torsion avec son objet @ : où le moi manque à se ressaisir, c’est ce manque qu’il dit, et non l’ailleurs où règne la forme. La structure exclut de par sa forme propre la forme de reconnaitre. L’élaboration d’un discours rationnel sur le système des signes, sur la créativité qu’ils autorisent et sur les transformations auxquelles ils se prètent, pour autant que la détermination y joue aussi bien de l’élément au tout que du tout à l’élément, ce chemin-là est celui de la science, ou il n’est pas. 

On attend en vain chez Foucault le pas théorique qui consisterait à produire un concept des effets de langue, des faits de société, voire du « je », à partir de l’appareil structural qui les gouverne et qui préside à leur apparition, qui les gouverne non comme une pensée Autre mènerait du dedans une pensée du même, mais comme une condition détermine ses conséquences ; qui préside à leur apparition non dans l’ordre fantasmatique de la fondation mais dans celui rationnel de la cause. S’il existe une épistémè du structuralisme, elle ne fait pas simplement suite à celles qui l’ont précédée. Elle est le lieu de la coupure au-delà de laquelle le signe qui par son organisation commandait aux autres sciences, reçoit une articulation telle qu’il devient objet de science à son tour. 

C’est là que Wahl présente Althusser comme celui qui approche au plus près de cet insaisissable structuralisme. On en est venu à la nécessité de produire le concept d’un type nouveau de détermination : au moyen de quel ensemble de concepts peut-on penser la détermination des éléments d’une structure, et les rapports structuraux existant entre ces éléments, et tous les effets de ces rapports, par l’efficace de cette structure ? cela revient-il à la détermination d’une structure subordonnée par une structure dominante ? A ce questionnement qui commande, du point de vue épistémologique, l’ensemble des recherches structurales dont on a fait le tour dans le cartel, il serait présomptueux de dire qu’une réponse a été donnée. Althusser a toutefois dégagé un acquis : la structure est au regard de ses effets dans un rapport double, de présence et d’absence. 

La présence de la structure se lit donc dans ses effets. Le mode d’organisation et d’articulation de la complexité constitue précisément son unité. Que peut-être un changement de la structure globale sinon un changement de pratique dominante : c’est-à-dire un échange des rôles entre les instances avec renversement de leur hiérarchie ? Pour la séparation entre propriétaires de moyens de production et travailleurs salariés, c’est une condition d’existence que le développement des structures juridiques. Et si l’articulation des différents niveaux de la société ne va pas sans fixer pour chacun son degré d’efficace dans la totalité, on sera fondé à dire que les rapports de production capitaliste existent dans les formes juridiques de la vente de la force de travail. On sera fondé à dire que réciproquement ces formes superstructurales se trouvent présenter leur efficace d’une manière spécifique dans les rapports de production vus comme une distribution signifiante de places et de fonctions que viendront occuper des agents de production. Leur action est nulle part conceptualisable en dehors de la combinaison qu’elle institue. De même la structure de la totalité sociale n’est visible que dans le mouvement total de ses effets, dans la totalité de ces rapports qui lui sont consubstantiels.    

La structure est aussi une cause absente à l’existence de ses effets en ce sens qu’elle déborde chacun de ses éléments, pour le reprendre à partir de la totalité des conditions qui en elle font système. Peut-on aller plus loin ? La structure qui cause le tout est-elle présente même dans ce tout ? Althusser répond que oui mais pour autant que l’approche soit le marxisme scientifique, le matérialisme dialectique. Ce qui va plus loin que le matérialisme historique. Althusser quitte l’accroche à la pratique idéologique et définit la science comme théorie, débarrassée pour un temps de l’idéologie. Le prix est que l’agent de la révolution est le prolétariat. Lequel n’a rien à voir avec l’homme, ni avec l’ouvrier. Lacan a raison de dire que la science forclot le sujet. 

Et voici en quoi le retour du sujet – la constitution des structures ne va pas sans qu’une subjectivité inéliminable s’y situe – commande notre présent problème. C’est qu’à réfléchir à la réalité comme si la structure prenait effet du sujet lui-même, le sujet y provoque une distorsion et introduit un ordre imaginaire où la virtualité du structurant se convertit en absence. Pour Lacan il s’agit là d’effets qui sont réels à l’intérieur de la structure. Le manque étant par définition dissimulé, c’est au repérage d’un tenant-lieu, dans le structuré, du manque du structurant que s’articule la reconstitution de la causalité structurale.

Deuxième partie : la structure, le sujet, la trace

Chapitre 1 : le structuralisme comme médiateur évanouissant

Ce qui se dessine assez clairement jusqu’ici, c’est une présentation du structuralisme comme « médiateur évanouissant ». Par cette formulation, je veux faire ressortir que l’hypothèse de ce livre qu’« il y a du structuralisme » est difficile à étayer en s’appuyant sur Foucault. Cela se sent par des indices ouvrant à des pistes complémentaires. Ce qui ressort en effet, de la première partie, ce sont des préférences de Wahl pour Badiou et Althusser. 

Badiou articule son propos sur l’efficace des mathématiques dans le champ philosophique. Quand on est confronté à une situation coinçée par des termes excluant toute capacité de sortir de la contradiction en restant dans le cadre, il faut sortir du cadre en changeant de dimension. C’est ici que l’outil mathématique apparait dans la boite à outil du philosophe contemporain comme le levier qui fait passer à un degré de complexité supérieur. Wahl fait remarquer que c’est même là le secret de l’efficacité pour Spinoza quand il apprend à passer du 1er au 2ème genre de connaissance. C’est la raison d’une attirance pour Althusser qui en parle quand il expose sa théorie des 3 généralités. Ici il y a aussi trace d’une issue par une sortie du cadre.

La coupure épistémologique et la structure s’entre-définissent. La coupure substitue aux figures de répétition de l’idéologie (combinées avec tous les déplacements qu’on voudra), une procédure authentique de transformation-exposition par réarticulation. La science est donc la construction d’un nouvel objet. La transformation réelle de généralités ou idéologiques ou scientifiques (ou…ou parce que ce sont des produits d’une première pratique théorique) par ce système relativement unifié de concepts et de techniques qui forment les procédures (et le champ problématique) de la pratique scientifique à un moment de son histoire, qui enveloppent les critères de validation (et qui constituent une généralité différente de celle des données à transformer), d’où l’élaboration finale de nouvelles généralités ou concepts (comme des produits concrets de la connaissance, effets chaque fois de sa restructuration). 

À propos des formes que revêt l’action de la structure, on constate qu’elles ne peuvent être que celles de l’organisation signifiante. En psychanalyse on parlera de déplacement. Et le renversement de la hiérarchie, c’est la réunion de plusieurs instances, par une condensation. Reste à trouver le principe de l’action. C’est le moteur de la recherche lacanienne. Mais mon résumé va sauter au dessus de Lacan pour la bonne raison qu’il n’a cessé de servir en première partie comme contrepoint aux différents développements. Il apparait surtout que Wahl fait porter l’accent de son propos maintenant sur Derrida qui clôture provisoirement ce livre. Ce livre ne parle pas de psychanalyse mais de philosophie. Or Wahl pressent chez Lacan que celui-ci est à la fois contre (anti) la philosophie et contre (anti) la science. Ce n’est qu’en 2013 que Alain Badiou tiendra un séminaire sur Lacan ; il y démonte le positionnement de Lacan par rapport à la philosophie car le principe efficace de « sa » psychanalyse se construit contre Freud où il apparait que le principe d’efficacité était métaphysique (son recours à un métalangage). C’est un autre philosophe, Jean-Claude Milner, qui en 1995, dans « L’œuvre claire », dévoilera le positionnement anti-mathématique (et donc anti-scientifique) de Lacan. Son invention des mathèmes n’est rien d’autre qu’une sortie des mathématiques. Pour ce philosophe, le symptôme de Lacan ce sont les dissolutions successives de synthèses idéologiquement orientées et datées jusqu’à se perdre dans un silence devant un tableau encombré de figures de nœuds. Destin en miroir de celui d’Althusser.

Le seul livre de Lacan s’appelle « Ecrits ». Où donc le structuralisme fait-il retour ?

Chapitre 2 : le sujet et la structure suivis à la trace

Si le mot clé de Lacan c’est subversion, celui de Derrida c’est déconstruction. Lacan misait tout sur la parole, Derrida c’est sur la littérature qu’il mise et à la parole il oppose l’écriture. Déconstruire pour lui c’est critiquer un logocentrisme. L’assertion métaphysique d’une présence du sens dans le logos s’appuie sur la distinction entre signifiant et signifié, en faveur de ce dernier. Le logocentrisme est une certaine idée du signe qui refuse de penser le signe et dont le signe ne peut manquer de se venger. De Platon à Rousseau, à Hegel, à Husserl, à de Saussure, à Lévi-Strauss, Derrida repère le même fonctionnement de la conceptualité logocentrique, et la même difficulté. 

L’écriture, personnage ambigü entre le père et le fils (mythe de Theuth), ne s’affranchira jamais de ce que le « Timée » désigne comme la mère : et qui est l’espace, la matière, le réceptacle, le porte-empreintes (Platon).

La philosophie n’est, dans l’écriture, que ce mouvement de l’écriture comme effacement du signifiant et désir de la présence restituée, de l’être signifié dans sa brillance et son éclat (Rousseau). 

L’écriture, la lettre, ont toujours été considérées par la tradition occidentale comme les corps et la matière sensible extérieurs à l’esprit, au souffle, au verbe et au logos (de Saussure). 

Qu’est-ce à dire encore, sinon que la violence (depuis l’écriture) surgit de l’extérieur comme un accident fatal à la bonté de l’interne de la parole ? (Lévi-Strauss) 

Si l’on peut dire la vérité, c’est que le signifié peut se tenir en lui-même, dans son intelligibilité, avant de faire chute dans le signifiant qui en est la marque sensible (Aristote).

Si le signe est l’unité d’une hétérogénéité parce que le signifié n’est pas constitué dans son sens par son rapport à la trace possible, parce qu’il oppose à l’ailleurs du signifiant une résidence préalable en soi sans médiation, c’est que l’être a été déterminé une fois pour toutes comme présence (Hegel). 

La conscience ne se communique rien ; elle n’en a pas besoin, puisque ses vécus sont présence à soi ; et dès lors, si elle recourt au signe, ce n’est plus dans son existence empirique, mondaine, mais dans sa représentation. Des signes non existants montrent des signifiés idéaux, donc non existants, et certains, car présents dans l’intuition (Husserl). 

Pour sauver le signe, pour restaurer l’originalité et le caractère non dérivé de sa dualité, il faut paradoxalement effacer un concept de signe dont toute l’histoire et tout le sens appartiennent à l’aventure de la métaphysique de la présence. Jusque dans la sémiologie structurale, y compris, Derrida s’en prend à un structuralisme comme si Foucault en avait cerné les caractères essentiels. Le schéma du structuralisme auquel Derrida s’en prend est plus ou moins le même auquel Foucault se tient, et dont on peut dire qu’il est une contamination du geste proprement structural par les déterminations ontologique, psychologique et transcendantale de la phénoménologie. Force est de se demander si, ici, Derrida ne retrouve pas la métaphysique pour l’y avoir lui-même mise.

Qu’une certaine négation du signe, implicite dans le refoulement de l’écriture, et essentielle à toute philosophie comme à toute science de la présence du sens, ait laissé sa trace dans le structuralisme, de ce que l’écriture y est en effet maintenue refoulée, c’est ce que Derrida démontre. Que le même primat de l’être-auprès-de-soi contamine le concept structural du signe, et soumette tout concept de signe au signifié transcendantal, c’est ce qu’on ne saurait accorder sans manquer le structuralisme, et sans faire droit dans la lecture de l’histoire à cette métaphysique de la présence dont l’écriture doit justement permettre d’attester la précarité. 

C’est ce que fait le Lacan que Wahl a suivi dans ses Ecrits. Le mouvement de ce livre aboutit à distinguer la fonction prééminente du Phallus, tel qu’il opère dans le « graphe du désir ». Et comme nous allons le voir, ce Phallus, c’est exactement l’envers de la différance dégagée par Derrida.

Chapitre 3 : là où l’on ne suit plus Derrida pour trouver la philosophie issue de l’expérience paradoxale du structuralisme

Wahl passe à la vitesse supérieure. Si dans la déconstruction, il reconnait une pertinence à la critique du logocentrisme (à la réserve près que Derrida lui-même fait entendre sur Platon et consorts des positions en faveur de l’écriture), par contre il va démontrer la contradiction du concept de différance (avec un a) qui en dernier ressort caractérise l’écart tenté par un Derrida déchaîné. Partant du système de signes saussurien, Derrida prend comme point de départ le jeu formel de différences. Ceci définit le système comme un système de renvois : non pas à l’infini mais à arrêter par un concept qui fixe la trace de la différence. Derrida tombe sur une absence de fin du processus de renvois et se met à réfléchir à la notion de centre, conçu comme une fonction d’organisation du jeu en un sytème. Ce que Derrida affirme c’est que dans le structuralisme, ce centre se dérobe si bien qu’il faut en conclure que sa prétention à un discours scientifique ou philosophique est prétentieuse.  

Wahl stoppe ce mouvement et en revient au signe, comme problème philosophique. C’est ici que paradoxalement le structuralisme, à travers la critique de Derrida, survit pour engendrer une nouvelle philosophie. Comme étape nécessaire, le structuralisme aura été. Et ce qui s’en suivra n’a plus rien à voir avec la tentative derridienne de fonder son concept de différance. Le structuralisme a pris lui-même en charge le travail de déconstruction que revendique Derrida. Le fonctionnement d’un code suppose une présence du signifié au signifiant. Or le structuralisme n’a pas plutôt produit l’idée de code qu’il l’ébranla, en fait et en droit. La distinction du signifié par une trace pour le signifiant est un problème philosophique que nous ne pouvons faire que nommer sans en savoir encore dessiner la forme. Et si trace il y a, c’est dans la littérature qu’elle élabore une prise de distance d’avec un travail de conceptualisation et en tout cas bien loin de toute fixation par la différance derridienne. 

Ébranlement de tout un système de privilèges sur quoi repose toute une tradition de la pensée ; mise en œuvre d’une économie du discours qui lui permet de faire retour jusqu’à ce moment où l’opposition n’avait pas encore opéré dans la violence son partage ; assignation de ce lieu d’avant tout lieu où la différance comme préalable du détour à tout être-là aussi bien qu’à tout n’y est pas, telle est la déconstruction. Mais Wahl ne suit plus Derrida quand apparait le thème de la différence productrice. Dans « Sémiologie et grammatologie », Derrida avait précisé que le @ de différance doit indiquer qu’on est dans un ordre de productivité qui ne se laisse pas encore commander par l’opposition actif-passif. Ensuite il assignait à cette productivité non seulement le jeu des différences mais également le découpage par abstraction et selon des motivations déterminées entre code et message, langue et parole, afin de pouvoir aboutir à dire que la subjectivité (et l’objectivité) est un effet de différance. 

Or il est bien clair qu’en ce mouvement final Derrida se donne plus qu’il n’a les moyens de poser. Chez Badiou (et Althusser), Wahl trouve appui et montre que « ce » concept est contradictoire car la différence ne peut manquer d’être spécifiée. À parler de l’activité et de la passivité comme d’une production de la différance, on traite de celle-ci comme d’une forme séminale, c’est-à-dire d’un principe qui enfermerait en soi assez de principes pour que tout le réel en puisse être le reflet déployé. Pour Derrida, le langage ébranle la métaphysique pour ce qu’il ouvre la représentation au re- dont elle est constituée. Non pour ce qu’il s’institue comme un système de décrochement (la représentance) sans recouvrement possible par rapport à la représentation. Or la structure c’est très exactement cela, dixit Wahl avec Badiou. Derrida n’a pas cerné ce qui se passe entre l’être représentation et l’être représentant. C’est ce qu’a fait le structuralisme. Le structuralisme commence quand le système de signes nous renvoie ailleurs, sur l’autre scène, à condition de se souvenir que cette scène est une chaîne de formes où le sens se fait d’un effet et que la représentation défait. 

Wahl laisse le dernier mot à Lacan.