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Prenez et mangez : ceci est votre corps


Auteur du livre: Frank Van de Veire

Éditeur: La lettre volée

Année de publication: 2008

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Philosophie détournée, en effet. C’est par un détour par le cinéma que l’on retrouve accès à la pensée qu’il faut débloquer d’un contexte mortifère.

Cette analyse croise la pensée néolibérale et le courant libertin (au moment des Lumières

Le libéralisme a été pointé comme l’ennemi, mais il a été tellement caricaturé que finalement le nazi en est devenu une copie conforme, en pire.

Le courant libertin est concomitant à l’émergence de la bourgeoisie comme classe. Il va de paire avec le libéralisme du « laisser faire » moderne. Voulant être libre jusque dans ses mœurs, il feint la liberté dont il se donne les airs. En opposition à l’amour courtois, il est moins au service de sa Dame que l’esclave de sa volonté. Une volonté qui n’est pas la sienne en propre mais celle de la femme fatale. Dans ce jeu de dupes, les femmes sont les plus cruelles car elles se savent être niées en leur féminité.Les rapports sexuels répondent des rapports de classes. Pasolini renie dans son dernier film la philosophie (libertine) qui l’habitait jusque là, et selon laquelle le petit peuple avait naturellement le sens de la fête des corps, au plus près du vrai sens de la vie.

L’important pour un chef fasciste ce n’est pas la cause elle-même mais la jouissance que lui assure les jeux de manipulation

Il ne peut y arriver seul. Le binôme d’Hitler s’appelait Speer. Van de Veire s’attache à en déployer les ressorts psychiques. L’artiste en propagande est le super travailleur, chargé de travailler les masses amorphes, faibles et bien trop passives (ou féminines) afin qu’elles finissent par revêtir une posture de bon aryen. 

La manière de répondre à la manipulation est induite ; il s’agit d’abandonner tout esprit critique et répondre aux ordres. Jusqu’à la douleur. Remplir son devoir ne sert à rien, ne sert que la jouissance. La douleur suggère qu’il y a quelque chose qui jouit : l’Etat, le Führer. Le désintéressement ne se trouve confirmé qu’à partir du moment où le bien ne profite à personne. Le chef jouit (ou pas) par l’intermédiaire des autres ; il s’identifie non sans jalousie à l’abandon de soi dont il est incapable. L’apathie grâce à laquelle il tient à distance ses penchants n’est pas pour lui une condition mais un but.   

Un don de soi total (de l’autre) inscrit dans la peur ne peut être forcément que feint, simulé et factice. Le fasciste alors jouit de cette joie cadavérique, de cette jeunesse cadavérique, face à lui. La jouissance démesurée du SS consiste à se faire dans l’austérité et le détachement l’instrument mort d’un Autre (quelque chose !) qui jouit dans l’indifférence. Ainsi renie-t-il son impuissance par rapport à la mort.Manipulation = interpellation idéologique ? oui mais à condition que ce qui est alors intégré dans le champ symbolique du sujet soit un message dénué de sens. Si le sujet, l’autre pour le fasciste, est interpellé c’est parce qu’il est censé savoir d’avance. Être prêts à. La loi doit rester excentrique. Elle doit veiller à être proche et intimidante par l’intermédiaire d’une voix.

Lecture du film de Pasolini : Salo. Ils étaient 4, des notables, entourés de maquerelles. Ils firent venir des jeunes gens et des jeunes filles pour s’en servir

Le film est triple comme des cercles concentriques resserrés selon le plan de la divine comédie de Dante : le cercle du sperme, le cercle de la merde et le cercle du sang. Le plus bavard des notables est duc. Dans les journées consacrées à explorer le second cercle de Dante, il prend dans sa bouche la merde d’une jeune fille. C’est à son ordre à lui qu’elle obtempère : il la force là à prendre la position de l’Autre (quelque chose !) qui en serait comblé. C’est une jeune femme que le duc choisit et jouant d’un certain rapport au savoir (ou plutôt comme chez l’homme c’est toujours mêlé, un certain rapport au pouvoir), il lui déverse un discours sur les Lumières. Les libertins n’existent que dans le discours des femmes fatales. Ils sont l’instrument objet du désir des signoras, les emblèmes dont elles se parent comme elles se parent de leur mort. C’est là la loi de la Nature.

Mais le duc est un nazi, pas seulement un libertin. L’envie et le désir sont eux-mêmes humiliants et donc accablent l’homme de mauvaise conscience. Le fascisme est là pour délivrer de cette mauvaise conscience en se rêvant une jeunesse qui se rue en avant parce que cela lui plait. Dans le culte rendu à la jeunesse, la nation entend toucher sa propre capacité à grandir. Au culte de la jeunesse se répond l’antisémitisme des nationaux-socialistes. L’image paranoïaque du peuple juif regardé comme une force furtive, comme un virus qui attaque l’âme de la nation est le symptôme du vitalisme fasciste. Et la loi de l’inconscient est bien que ce qu’ils ont eux, les juifs, nous allemands nous ne l’avons pas. Le secret gardé autour de la Shoah provenait de la crainte que les nationaux-socialistes eux-mêmes ne se rendissent compte que le problème juif était d’abord un problème allemand. 

Et il est logique qu’un sacrifice de cette jeunesse soit programmé pour manifester la sacralité de celle-ci. Le sacrifice de ce qui incarne au mieux la nation revivifiera celle-ci en flirtant avec la mort. À l’abri de la sexualité, elle grandit en toute innocence.  Ce qui permettra de l’instrumentaliser, lui conférer la positivité pure et fonctionnelle d’un instrument. Aux yeux des fascistes, c’est uniquement de ce sacrifice virginal que peut émaner la jouissance suprême : autrement dit, jamais ! Cette intimidation, les 4 notables ne la laissent pas s’insinuer en eux. Dans Salo, les notables s’approprient le corps de jeunes de 16 ans. Ils n’accordent à ces garçons et ces filles aucune latitude : sur les champs de bataille, d’un tel corps en sang chutant dans la boue se détache un corps sublime jouissant de son sacrifice et contenant l’encre immortelle de la nation. Ils jouissent du fait qu’il est impossible d’intégrer les jeunes gens dans l’univers cruel dans lequel on les plonge. Le sujet jeune est incapable de le concilier avec son vécu. Cela ne lui semble pas adressé et en même temps la scène l’interpelle lui comme le seul destinataire. Le fantasme consiste en une interprétation de cette jouissance qui fait irruption. L’Autre est projeté  sur des autres qui jouissent toujours plus que le sujet. En soumettant leurs victimes à des rituels absurdes, les fascistes se vengent pour ainsi dire sur leur propre démon intérieur. Plus vos gestes sont morts, plus nous sommes assurés que cette chose en vous est immortelle et que dès maintenant elle vous survit. Dans Salo, tout doit être réel  : la victime doit donner sa propre passivité, son incapacité à donner. Le sadique croit qu’il existe une technique capable de forcer la victime à faire ce don. Par le rituel des fascistes, la victime doit sécréter sa jouissance comme des excréments. Les fascistes considèrent avec cynisme le signifiant. La jouissance des fascistes est froide, apathique. Leurs victimes, ils les harcèlent avec le signifiant. Un seul signifiant se trouve fixé, décontextualisé. La participation cadavérique des jeunes gens à un scénario absurde prouve l’existence de La Jouissance. Le fasciste c’est le grand cadavre. Ce à quoi il est interdit de conférer une signification n’a d’autre ressource que de survivre comme un signifiant fantomatique. La distanciation qui fait obstacle à toute identification institutionnelle empêche tout autant le spectateur de prendre une certaine distance. Il ne le peut plus parce qu’elle est souillée par la distanciation cynique et apathique adoptée par les fascistes. Les fascistes imitent en permanence la passivité de la victime.  Ils se font sodomiser, se soumettant quelques minutes aux mêmes rituels. Comment faut-il comprendre cette identification masochiste ?  Il se présente devant son maître comme son objet mais ce faisant il cherche à intimider le maître. La victime, il convient qu’elle reçoive l’absolu de la jouissance comme une jouissance qui lui est totalement étrangère et donc qu’on peut expulser d’elle. Les 4 notables se concentrent sur le pénis que l’on arrache.

Aujourd’hui c’est une catastrophe culturelle. Il n’y a plus moyen de faire la différence entre un fasciste et un non fasciste

Les mass-médias sont responsables de cette dégradation. La nouvelle jeunesse  cache une envie de ceux qui ont et ce sous un masque d’indifférence et d’ironie cynique. Hystérie : une prosternation devant l’œil obscène des mass-médias qui veille à l’imposition de l’amour libre. Ce qui est intimidant c’est que l’Autre fantasmatique semble nous inciter à jouir tout en gardant pour lui le secret de la vraie jouissance. La jouissance libre file entre les doigts car avant ça il y a lieu d’en passer par toutes sortes d’activités préalables. 

Plutôt eux que nous. La jeunesse ne cesse à son insu de consommer de la jeunesse. L’angoisse sur son visage c’est que dans le fantasme la place qui devrait être la sienne, est déjà occupée. L’Autre pour les adultes, c’est la jeunesse. C’est à elle de jouir à plein afin qu’elle soit passive en lieu et place des adultes. À eux de se confronter à l’impasse de la jouissance…à notre place. Ce qui est pervers c’est de penser que l’on pourrait s’entendre avec la jouissance excessive de la Nature dès lors que l‘on connait suffisamment bien ses lois secrètes pour être à même de les appliquer. Les jeunes gens ne sont pas en mesure d’affronter leur jouissance. Elle fait rage en eux comme quelque chose qui les dépasse. Voilà pourquoi elle est réservée au pervers qui sait comment l’extraire du corps en le brûlant ou en le tranchant. Néanmoins la jouissance divine qui se libère alors ne se laisse pas appréhender si facilement. La jouissance est seulement faite pour être vue de l’œil glacial d’un dieu qui n’est pas de notre monde. Les hommes de pouvoir d’aujourd’hui sont des mélancoliques. Leur arrogance libère les masses de la conscience malheureuse qui les habite et selon laquelle le bien n’est qu’illusion idéaliste. Les leaders cyniques guérissent les individus dans une relation amour-haine entretenue avec l’objet idéalisé perdu…en tuant l’objet : être le rebut de cet objet : qui est une sorte de corps mystique qui jouit.