Cet historien de l'art a vécu entre 1944 et 2003. Dans ce livre il raconte six fictions qui se présentent comme autant d'enquêtes sur des évidences du visible. Voici des lectures d'images de tableaux de peinture de Velasquez, Titien, Tintoret, Bruegel et Cossa. Ces aventures du regard ont pour point commun que : la peinture y révèle sa puissance en nous éblouissant, en démontrant que nous ne voyons rien de ce qu'elle nous montre. On n'y voit rien mais ce n'est pas rien…
Cara Giulia
Mars et Vénus surpris par Vulcain du Tintoret (1550, Alte pinakothek à Munich)
Arasse commence son livre en rompant une lance contre une spécialiste, Giulia. Arasse connaît plein de choses mais il ne donne pas des leçons et surtout il ne dresse pas un savoir entre le professionnel et le spectateur. Il y va de la crédibilité de la fonction d'historien de l'art. Bien sûr il peut y avoir des polémiques entre experts et Gombrich a tort d'imposer l'idée qu'il n'y a qu'une interprétation de ce que donne à voir un tableau. Arasse est nuancé et reconnait ses dettes. Giulia devant Tintoret a raison de dire que Vulcain penché sur le lit évoque un satyre découvrant une nymphe. Ou quand elle dit que l'érotisme de Vénus incite les femmes à s'identifier à la déesse. Mais pourquoi tirer du tableau une morale en pointant que Vulcain est le seul à être digne, que Vénus est honteuse et que Mars est ridicule ? La morale serait de canaliser le désir féminin. Mais dire que Vénus cherche à couvrir sa nudité ne convainc pas ; le geste peut aller au contraire vers un dévoilement de son sexe pour séduire Vulcain. Giulia, tu as oublié qu'à la Renaissance on aime le rire et le paradoxe, et pas le sérieux des savants pédants.
Reprenons. Tintoret a traité de façon inattendue un thème rebattu : d'habitude Mars et Vénus sont nus et enlacés sur un lit d'adultère. D'habitude ils sont saisis dans un filet lancé sur leurs ébats par Apollon que Vulcain a alerté. Mais dans ce tableau Mars s'est réfugié sous la table, en armure, le casque sur la tête tandis que Vulcain, un genou sur le lit, soulève le léger tissu qui dissimule le sexe de la femme. Et à la fenêtre dans un berceau Cupidon dort. L'argument principal de Giulia est simple : le tableau est une allégorie et ici la position ridicule de Mars est à prendre à l'opposé de ce qu'on voit, soit comme un rabaissement pour mettre en valeur la dignité mélancolique du vieux mari bafoué. Mais allons ! Vulcain aussi est ridicule, que fait-il entre les cuisses de sa femme ? Quelles preuves y trouverait-il ? Et puis à force de taper le fer sur l'enclume, est-il devenu sourd qu'il ne réagit pas aux aboiements du chien ? Un chien qui indique où Mars se cache. L'ironie du Tintoret prend consistance : Vulcain n'est pas sourd, il pense à autre chose. Le peintre saisit un instant. Un quelque chose apparaît dans le miroir. Le miroir occulte une partie de la fenêtre, il est à la hauteur du lit et en tout cas plus bas que le berceau. Il n'est pas accroché mais posé sur un meuble qui nous est caché par la table sous laquelle Mars est caché. Pourquoi est-il là ce miroir ? Est-ce une allusion au bouclier d'Enée fabriqué par les Cyclopes et qui reflète l'avenir de Rome, son destin grandiose ? Et toi Giulia toi tu dis que ce miroir est le reflet d'un miroir que l'on ne voit pas, celui qui sert à Vénus pour voir arriver Vulcain. Peut-être. Contentons-nous de regarder dans le miroir du tableau. Ce qu'il montre c'est ce qui va se passer dans l'instant qui va suivre : Vulcain a les deux genoux sur le lit et il a oublié Mars et le fait qu'il pourrait avoir été trompé. Non, il pense à autre chose.
Alors quelle est la morale ? De quelle vérité s'agit-il ? L'attirance du corps sexué de Vénus, (même si c'est sa femme, même si Mars n'a pas eu le temps de passer à l'acte,) affole Vulcain comme tous les hommes sans exception. Et on n'est pas loin de plaindre « Les hommes » victimes des ruses féminines par lesquelles depuis toujours elles mènent l'autre sexe par le bout du nez. Non ce n'est pas un tableau de mariage. Non ce n'est pas un tableau qui moralise sur les liens sacrés du mariage. Arasse conclut en absence de textes pour corroborer son idée que ce tableau s'est retrouvé à Venise dans le salon de la belle Tullia d'Aragon, ou chez toute autre courtisane qui tenaient en ce temps-là des salons où était encouragée la liberté d'expression contre le politically correct.
Le regard de l'escargot
Voici l'Annonciation de Francesco del Cossa, école de Ferrare (1470, actuellement à la Gemäldegalerie de Dresde).
Qu'est-ce que cet escargot fait là au moment de l'Annonciation dans ce somptueux palais de Marie ? Et au tout premier plan de surcroît. Les yeux bien tendus il va de l'ange vers Marie laissant traîner de la bave dans un palais tout propre et devant la Vierge immaculée…
Pour comprendre il faut recourir à l'iconographie et donc au « Journal of the Warburg and Courtauld Institutes » où une savante spécialiste rappelle que les gens d'alors croyaient que l'escargot était fertilisé par la rosée ; le voilà ici devenu une figure de la Vierge dont l'ensemencement divin était comparé à la fertilisation de la terre par la pluie. Mais Arasse n'est pas convaincu car dans les tableaux d'Annonciation c'est très rare de recourir à ce symbole (except Girolamo de Cremona, école de Sienne, et encore c'est douteux). Non les escargots sont à chercher dans les Résurrections.
Mais où se trouve-t-il cet escargot dans le tableau ? Il est au bord. Dès lors il faut se pencher sur la perspective établie lors de la construction de l'espace du tableau. Les lignes de fuite convergent au centre mais c'est pour buter sur une colonne et celle-ci sépare la chambre, de la ville où les palais successifs s'enfoncent dans le lointain. Quant à l'ange et Marie ils sont situés sur une ligne oblique si bien que lui est vu de dos et elle de trois-quart face. Les voilà pris dans un jeu de cache-cache de part et d'autre de la colonne, posée sur cette ligne oblique. Une colonne donne traditionnellement figure à la présence de la divinité ; la main de l'ange touche le fût, elle indique cette présence. On peut de plus se demander si sur ce point ne passe pas une autre ligne oblique partant de l'escargot et passant par la main de l'ange, aboutissant à Dieu le Père en haut à gauche : alors voilà l'escargot comme équivalent sur terre de Dieu dans le ciel. Ce n'est pas farfelu parce que les exégètes médiévaux ont trouvé, dixit un expert de Bologne, très long le temps entre la chute hors du paradis et l'incarnation d'un sauveur. Pourquoi Dieu se comporte-t-il comme un escargot ? Cossa dans ce premier train explicatif opère une condensation entre Marie et Dieu, il fait de l'escargot le symbole de l'Incarnation.
Arasse reste dans le doute vu la rareté du recours à l'escargot dans un tel contexte. Il faut savoir que le tableau est un tableau d'église au-dessus de l'autel. Si bien que quand le prêtre lève l'hostie, son regard tombe sur l'escargot. Il faut bien voir que cet escargot est énorme ; vu les trente centimètres du pied de l'ange il fait bien 20 cm de long et 9 cm de haut. Bref c'est disproportionné. Ce qui veut dire que ce gastéropode est peint sur le tableau mais pas dedans ; il est au bord de notre espace réel où nous spectateurs nous trouvons. Ici Arasse fait écho d'un texte de Louis Marin consacré au vase placé par Filippo Lippi le florentin sur le bord de son Annonciation, et là pour le coup ce symbole est très courant dans ce contexte. La question est celle de la représentation au lieu même de l'échange invisible entre le regard du spectateur et le tableau. Rapporté à notre tableau quel est donc ce regard commandé par le gastéropode ? De même que dans la réalité un escargot n'est pas comme la Vierge, de même cette Annonciation que vous regardez n'est pas comme celle qui est advenue à Nazareth en l'an zéro. En peinture vous ne verrez jamais l'objet de l'Annonciation, soit l'Incarnation du Dieu sauveur. Cossa fixe pour nous le lieu de cette limite.
Pour conclure Arasse rassemble tous les objets placés au bord des tableaux sur l'Annonciation mais ce sont des trompe l'œil qui rappellent au bord du cadre le fait que cette interpellation de notre regard ne dit rien sur le sens transporté par telle courge, ou sauterelle etc. Or l'escargot n'est pas un trompe l'œil. En se rendant à Dresde Arasse découvre que la taille de l'escargot est normale mais que c'est Marie qui est trop petite. L'escargot fait échec à la profondeur fictive de la perspective et restaure la présence matérielle de la surface du panneau, du support de la représentation. À vouloir faire jouer cette perspective dans un plan 3D d'architecte le palais est inconstructible. Dès lors, avec son escargot dont on sait qu'il n'y voit rien, Cossa nous demande de ne pas croire l'adage d'Alberti : le peintre n'a à faire qu'avec ce qui se voit. Cossa nous dit que nous devons opérer une conversion de notre regard.
Un œil noir
L'adoration des mages par Bruegel l'ancien (1564, National gallery London)
Ce qui frappe chez Bruegel c'est son côté carnavalesque, rabelaisien. Mais ici il y va fort car pour un chrétien l'Epiphanie c'est sérieux : cet événement signe la reconnaissance universelle de la divinité humaine du Christ. Pourquoi Bruegel fait-il de cet événement un spectacle de village ?
Ici il n'y a pas de cortège majestueux ; il y a des soldats avec leurs gueules de soudards, la soldatesque la même partout qui exécute les ordres sans réfléchir. Quant aux rois mages, il n'y a rien de la majesté d'une personne royale chez ces gens mal peignés, sales ; ce sont des vieillards gâteux. Joseph n'est guère mieux traité avec son grand chapeau qu'il tient soigneusement devant son sexe comme pour cacher une braguette mal fermée (ceci renvoie à l'expression flamande « porter le chapeau »). Seule Marie et l'Enfant trouvent grâce aux yeux du peintre : à eux deux ils forment au milieu du tableau une cellule de calme et de douceur. Mais la fin est déjà là : la mère a des gestes pour retenir son enfant dans son sein et le linge blanc sur lequel le bébé est assis rappelle le linceul du tombeau de la Passion. Les soldats sont ceux qui viendront le prendre au jardin des oliviers.
Et puis le regard est capté par le mage Gaspard, décalé par rapport au face-à-face de l'enfant et du vieil homme tombé à genoux. À droite pour le spectateur le troisième mage n'est ni grotesque ni dérisoirement pathétique comme Balthazar et Melchior, il est majestueux, vertical. Son manteau simple et admirable à la fois le distingue. Le cadeau qu'il porte est le plus recherché, le plus beau : c'est un bateau d'or dont la panse est faite avec un coquillage marin où est serrée une pierre précieuse. Ce cadeau exotique vient d'Afrique, et ce roi est noir. Tout d'un coup il est clair que le tableau tient en équilibre grâce à lui, par rapport à la diagonale qui depuis le coin inférieur gauche passe à travers le vieux et la Vierge à l'enfant et atteint Joseph avant de se perdre à l'angle supérieur droit. Le long manteau beige sert de faire-valoir pour le reste de la composition et en tant que tel, il ne doit pas se faire trop voir. On voit mal le noir en peinture. Pour qu'on le remarque il faut le peindre sur un fond clair ; mais ici ce n'est pas le cas. Il ne ressort pas car le regard est capté par les deux personnages de fond, compagnons imbéciles et blancs. Voilà l'énigme d'un regard d'une interrogative douceur et d'un visage beau aux traits fins. Ce beau noir attend son tour.
Arasse ici fait un détour iconographique car Bruegel a fait trois adorations mais celle-ci est la seule à avoir un cadrage serré et vertical. En 1564 le peintre a son premier fils : ce tableau serait-il là pour célébrer sa naissance vécue comme un événement central dans la vie du père. On s'égare. Non la verticalité du tableau est nécessaire à la verticalité du mage noir. Par contre le roi noir convoqué dans les Adorations est banal, on le croise partout depuis 1460 chez Rogier van der Weyden. Mais attention le personnage noir au moyen-âge c'est un esclave ou alors un être satanique ; s'il devient roi c'est suite à la prise de Constantinople par les turcs en 1456 qui avait barré l'accès aux lieux saints. Le seul chemin de la reconquista chrétienne passe par le sud ce qui ressuscite le mythe ancien d'un riche royaume chrétien au sud de l'Egypte ; c'est d'alors qu'on date nos premières explorations de l'Afrique noire. Mais prudemment d'où une constatation que le roi noir est représenté en peinture comme un être à part. Au luxe vestimentaire et jeune en âge.
Arasse revient à Bruegel et s'arrête sur le regard du roi noir : les yeux sont grands ouverts, attentifs, mais noirs sur noir, ils ne se voient qu'à peine. Cela a pour effet que par trois petites touches blanches le peintre happe notre regard au-delà de ce qui se voit. Et du coup les deux autres mages en contraste échouent dans leurs efforts pour chercher à voir ; c'est quasi qu'ils compensent en voulant toucher Jésus qui a un geste de recul. Mais que cherche à voir ce Balthazar agenouillé ? il cherche à voir le sexe du bébé. Arasse fait ici écho du livre de Leo Steinberg sur la sexualité du Christ : à la Renaissance on a insisté sur les organes génitaux car ils servaient de preuve de la sexualité : quand Dieu s'est incarné il l'a fait dans un corps pourvu de tous ses membres. La circoncision rappelle le don du sang divin pour notre salut. Or par la perspective du tableau, Bruegel a dérobé l'objet loin de notre vue. D'ailleurs Gaspard non plus ne voit pas. En fait le regard de Gaspard concerne Balthazar si bien que l'on peut voir sa fonction comme point d'entrée du regard du spectateur dans le tableau. Louis Marin parle ici de « figure de bord ». Et la conclusion de nouveau est que nous n'avons pas besoin de voir pour croire. Et que c'est même mieux. Ce qui n'est pas rien au temps du calvinisme (1543 Advertissement très utile)… Au temps où le Concile de Trente justifie le culte des images et des reliques, Bruegel semble avoir fréquenté des milieux soucieux d'un retour à une foi chrétienne authentique (Ortelius « libertin », la secte de Nicolaes). En cours de route Arasse a fait des digressions sur les sources italiennes du tableau et surtout de Bosch (son Adoration au Prado).
Reste un point : tout à gauche il y a un vieux barbu blanc, autre figure de bord qui ne regarde qu'une chose, à savoir Gaspard. Témoin de l'universalité de l'humanité des hommes.
La toison de Madeleine
Il n'y a pas de tableau de référence mais je pense à Noli me tangere, le Corrège, 1525 au musée du Prado
Le cheveu et le poil. Arasse commence par constater que les éminents spécialistes échouent à les définir et surtout les différencier. Et puis Madeleine était-elle blonde ? Et sa toison pouvait-elle être noire ? mais d'où part-on ? Tout ça c'est pour dire que c'est peut-être une fausse blonde, et on s'en balance, parce que ce qui compte c'est qu'elle les a longs…pour d'autant mieux cacher sa toison. Surtout pour Lui.
Arasse compare les femmes qui avaient de longs cheveux : Agnès qui en son martyre dans l'arène voile sa nudité par le miracle d'une soudaine tignasse jusqu'aux pieds. Il y a aussi Marie l'Égyptienne sauf que Madeleine, elle est belle et elle n'est pas noire. Et on connait ses attributs : un vase de pommade parfumée, des bijoux qu'elle enlève, un miroir, une tête de mort. Mais ses cheveux ça, dit Arasse, ce ne sont pas des attributs (comme on dit à propos de la virilité). Chez les femmes quand on parle de leurs attributs c'est comme avec Agathe, c'est au moment où elles ne les ont plus. De même pour les yeux de Lucie, ou les dents d'Appolonie. Mais les cheveux de Madeleine personne ne les lui coupe. En fait ses cheveux sont son attribut féminin, ils sont son image de femme, la manifestation de son corps femelle, tellement exhubérante qu'elle nous empêche de rien voir.
Alors maintenant ce qu'il faudrait savoir, c'est pourquoi ce sont ses cheveux qui sont devenus son attribut de femelle. Ses cheveux c'est à cause d'eux qu'elle existe. Sans ses cheveux Madeleine n'existerait pas. Et la preuve c'est que Madeleine n'a jamais existé. Lisez Luc qui parle de Madeleine aux sept démons (une hystérique) que Jésus guérit. Il s'agit de Madeleine de Magdala sur le lac Tibériade en Galilée ; mais pas la moindre allusion à ses cheveux. Juste avant, Luc a parlé de la visite de Jésus à Naïn où il dîne chez un certain Simon. Lors de ce repas survient une putain de la ville qui lui lave les pieds, sur lesquels elle pleure beaucoup avant de les parfumer et puis de les baiser pendant une heure. Du coup Jésus lui a pardonné ses péchés… parce qu'elle avait beaucoup aimé. Et puis Luc raconte une histoire où les trois femmes sont rapprochées. Ni vu ni connu on mélange la belle pute repentie et Madeleine, et puis à cause des bains de pied on mélange Madeleine et Marie, la sœur de Marthe, que Jésus aimait beaucoup, parce qu'elle l'écoutait assise à ses pieds. On agite le cocktail et on a Marie-Madeleine.
Reste la question de pourquoi on a inventé ça. Et pourquoi a-t-on gardé les cheveux ? C'est pour pouvoir montrer les cheveux de la putain sans nom de Naïn qu'on en a fait Madeleine, et puis Marie-Madeleine et puis la sainte la plus sainte de toutes les saintes. Ici Frère Jacques nous a proposé une condensation. Et non pas une confusion. Ici on a ce qu'on appelle une figure composite. Et cela sert pour exprimer quelque chose qu'on ne peut pas dire ou penser parce que c'est interdit. Ni possible, ni permis, bref la censure. La condensation sert à échapper à la censure. En fait ces cheveux c'est un symptôme. Madeleine c'est une femme, et on l'invente pour servir aux femmes. Elle se retrouve dans une trinité femelle, avec la vierge Marie, avec Eve et c'est là entre les deux qu'elle est utile. Marie, l'immaculée conception, est trop parfaite pour être imitée. Eve avant le péché aussi est à part ; d'ailleurs c'est après avoir été chassée du paradis qu'elle peut enfanter. Eve non plus est tout sauf un modèle puisque c'est de sa faute que les femmes ont des règles, une malédiction. Marie renverse Eve et lave la malédiction. Quant aux femmes, elles ne pouvaient rien faire. C'est pour cela qu'on invente Madeleine. C'est elle qui sert de passage entre les deux autres ; les femmes peuvent être comme Madeleine : la putain au grand cœur. Et puis sainte parce qu'elle avait beaucoup pleuré et changé de vie. D'ailleurs elle leur ressemble : à Eve évidemment mais aussi à Marie parce qu'on la retrouve au calvaire. Et d'ailleurs pour la remercier Marie donne à Madeleine le cordon ombilical de Jésus… et pourquoi pas en faire un pendentif.
Bref on a ici un triangle sémiotique. (Non pas le fameux carré sémiotique qui montre comment, pour aller d'une chose à son contraire, il faut passer par son contradictoire pour se retrouver dans l'impliqué, ou le contraire passer par l'impliqué pour se retrouver dans le contradictoire, et là c'est facile). Soyons plus simple. Madeleine est le chemin, la voie, la porte qui permet aux filles d'Eve de devenir des filles de Marie. Et si elle peut faire ça, c'est parce qu'elle s'est convertie. Sans attendre la Passion, simplement devant des pieds sales. Et ses cheveux ? Après les pieds elle a renoncé à se faire des chignons, des nattes, des trucs pour attirer les hommes. Elle a gardé ses cheveux en tignasse comme une pénitente. Au désert. Avant, sortir en cheveux ça faisait désordre et une femme sans chapeau c'est qu'elle mène une vie désordonnée. Seules les pucelles pouvaient aller les cheveux au vent. Ses cheveux indiquent à la fois les péchés anciens et leur exclusion ; ils exhibent sa pénitence actuelle et son impudeur passée. Ils dévoilent le péché dans la figure qui l'exclut. Mais il faut qu'on la voie, qu'on ne cesse de la voir en pénitence.
Reste que les cheveux ne sont pas un attribut comme un autre : c'est une partie de son corps qui pousse. Et quelle vitalité ! Les cheveux il y en a trop. Ils montrent ce qu'on ne saurait voir : une intimité du corps, exhibée, substituée à cette peau qui cache un tas d'immondices. Les poils de Madeleine, le visible de son sexe, eux, ils restent interdits. La levée de cet interdit c'est La femme dans la vague de Courbet : on voit ses touffes sous les bras qu'elle a levé. Pour conclure il faut revenir à ce que les psys appellent la prise en considération de la figurabilité. Quand on interdit de peindre quelque chose, on lui substitue autre chose : les cheveux de Madeleine c'est la figurabilité de ses poils. Mais ce faisant ils les montrent, déguisés. Ses cheveux sont sa toison convertie. Voilà nos apôtres rassurés ? Pas si sûr : les cheveux font voir son intimité sauvage ou sa sauvagerie intime.
La femme dans le coffre
La Vénus d'Urbin par le Titien (1538, galerie des Offices à Florence)
Une pin-up dit l'expert ! C'est une commande de Guidobaldo della Rovere qui possédait déjà le portrait de La Bella habillée celle-là. Donc il voulait l'image de cette femme, nue. Et cette image est faite pour être accrochée au mur. Sauf qu'une pin-up c'est une photo ou un dessin indéfiniment reproductible.
La discussion avec un expert tourne autour de la fonction de ce type d'image de « donna ignuda ». Pour la masturbation masculine ou pour les épouses qui auraient de beaux enfants si pendant l'accouplement elles regardaient la Vénus du Titien ? La discussion tourne autour du contexte car lire le tableau comme un reflet des pratiques matrimoniales, c'est tout sauf en faire une pin-up. Faux parce que quand Guidobaldo se marie en 1534 sa fiancée, Giulia Varano, n'a que dix ans. Oui mais quand le tableau est réalisé elle a 14 ans ce qui change la donne. Ensuite on part sur le geste de la main de Vénus qui se caresse : choquant au 19ème, mais pas au 16ème. S'il y a obscénité c'est parce qu'il rend public un geste qui est recommandé dans l'intimité du mariage. La science disait que les femmes ne pouvaient être fertilisées qu'au moment de leur jouissance.
C'est là que Arasse commence à remettre en question les attributs : le myrte sur la fenêtre, les roses dans la main droite, les deux coffres du fond et le petit chien endormi sur le lit. Le coffre ne renvoie pas à l'idée d'un rangement pour la dot car les courtisanes dans les palais rangeaient leurs vêtements dans des coffres. Et si le chien est symbole de fidélité il est aussi celui de la luxure. Ce tableau est un grand fétiche érotique. Et pour cela il faut oublier l'iconographie. Il y a à faire de l'histoire de l'art en cherchant à voir. Par exemple ce qui a fasciné Manet quand il prépare son Olympia. Il faut retrouver le regard de Manet pour entrer dans le tableau du Titien.
L'expert résume ce qu'on sait. En 1538 Titien s'est inspiré de la Vénus de Dresde, œuvre de Giorgione datant de 1510 ; il s'agit, en raison du paysage, d'une nymphe ou de Vénus. Chez Titien on est dans un beau palais où il installe une courtisane. C'est ce que Manet voit : un moment de désacralisation du mythe. Arasse fait alors remarquer que la perspective qui normalement produit un rapport entre le lit et la salle du fond ne permet pas ce passage. Qu'est-ce que le grand pan de peinture noire derrière le buste de la figure ? Et cette ligne horizontale vaguement brune qui marque le bord du lit entre la cuisse de la femme et le chien endormi ? il n'y a pas ici de rideau comme l'affirme Panofsky ni de bord de pavement. Or c'est ce même Panofsky qui a dit qu'une description purement formelle doit ne voir que des éléments de composition totalement dénués de sens ou possédant une pluralité de sens sur le plan spatial. Oui oui dit alors l'expert, mais à condition de compléter la citation car il assure que cette recommandation est impossible à appliquer en pratique.
Arasse pourtant tient son morceau et ne le lâche pas : vous avez vu des palais vénitiens comme ça ? Et des lits comme ça ? En fait Vénus est couchée sur un matelas posé au sol. Et si on cherche un rideau il y en a un, il est vert derrière Vénus. Quand au « pan » vertical noir il est à l'aplomb du sexe de la femme. Le tableau est incohérent. La seule façon de décrire ce pan de peinture noire c'est de dire que c'est un écran de présentation pour la figure. Il faut prendre les lignes verticale et horizontale comme des bords et, en tant que tels, ils remplissent la fonction de tous bords… les deux lieux ne font pas partie d'un même espace. Ils ne sont pas continus, ils sont contigus. Ici la perspective ne construit pas une unité spatiale mais une unité mentale. Rappel quant à la notion de perspective. Pour la réussir il faut deux points singuliers. Un point de fuite qui correspond à la position de notre regard face au tableau ; et le point de distance qui indique la distance où nous sommes, en théorie, situés par rapport au tableau et détermine la rapidité de la diminution apparente des grandeurs dans la profondeur. Ici le point de fuite des lignes du pavement est placé à l'aplomb de la main gauche et à la hauteur de son œil droit. Quant au point de distance il est situé au bord du tableau. Visuellement nous sommes très proches du corps nu qui vient en avant. Voyez comme les servantes sont minuscules. La perspective du fond sert de trompe-l'œil qui fait surgir le corps nu vers nous. Le point de fuite fixe la hauteur de notre regard par rapport au tableau ; mais par rapport à l'espace représenté au fond, c'est un point de vue très rabaissé. Par rapport à la servante qui est debout, notre œil est à la mi-hauteur de ses jambes. La position de notre regard est en fait à la hauteur de celui de la servante agenouillée, les bras plongés dans le coffre. Du coup nous sommes supposés être à genoux, au plus près du lit.
Dans ce tableau il faut distinguer toucher et voir. C'est nous qui soulevons le drap à gauche ? Nous sommes face au tableau comme la servante agenouillée se trouve, dans le tableau, face au coffre. Elle est le relais de notre position, pas de notre action, mais de notre position par rapport au tableau. La construction du tableau nous donne théoriquement une position, par rapport à Vénus, équivalente à celle de la servante par rapport au coffre. Deux conséquences : la salle aux deux servantes est un tableau dans le tableau. Or le fait que nous soyions fictivement placés comme la servante devant le coffre donne à voir le scénario selon lequel a été conçu le tableau que nous regardons. Titien va chercher une Vénus à l'intérieur du couvercle d'un coffre de mariage, et il la met, sa femme nue, sur le devant de la scène. D'ailleurs elle n'est que déshabillée puisque ses vêtements vont sortir du coffre. Elle se sait dénudée et l'assume. Et ça en peinture c'est une première. Pour cela il faut revenir au geste de la main gauche. Elle est réveillée, elle nous regarde et elle se touche. Dans l'attente d'être touchée. Mais dans un tableau on ne peut que regarder. Et voilà la définition de l'érotique classique : passer du toucher au voir. La Vénus occupe un lieu précis, celui du lit, situé entre deux espaces clairement définis et conjoints : l'espace fictif de la salle des servantes et l'espace réel de la salle d'où nous regardons le tableau. Mais le lieu du lit échappe à ces deux espaces car il est… la surface de la toile, la surface de peinture d'où surgit, tout proche, la femme nue et d'où elle nous regarde. Aura : apparition unique d'un lointain. Elle nous met sous l'emprise de son regard. La seconde conséquence fait retour sur Manet en insistant sur les différences qu'il introduit. Manet détruit le travail de Titien qu'il a parfaitement compris, pour créer une œuvre moderne : faite d'à-plat de couleurs, avec une femme dont la gestuelle est celle d'une femme qui n'engendre plus notre regard car maintenant c'est toute la surface qui nous regarde. Olympia ne se touche pas, elle barre l'entrée. Et s'il y a relation érotique c'est une érotique de la peinture.
L'œil du maître
Les Ménines de Velasquez (1656, musée du Prado)
Foucault nous en a rebattu les oreilles en 1966. Que dire d'autre ? Arasse revient sur la dispute qui est au cœur de son livre : entre les historiens d'art et les iconographes, les théoriciens, les sémiologues, les philosophes. Les seconds oublient qu'ils lisent des œuvres du passé sans pouvoir y appliquer « l'œil du Quattrocento ». D'où un anachronisme irréductible à ces discours. Qu'il vaut mieux prendre avec soi. En relevant les analyses sur le tableau la première est celle de Palomino, biographe de Velasquez. Dans le tableau se manifeste quelque chose de la divinité de la peinture, de cette « deita » que Leonard attribue à la « science divine » de la peinture. Et cela s'étaie sur la fonction du miroir qui reflète les visages du roi et de la reine. Dans le miroir, le sujet absolu. Ce qui est intéressant c'est de comprendre comment un tableau historiquement déterminé, réalisé et regardé dans telles et telles conditions matérielles et culturelles, a pu produire des effets impensables pour l'auteur et les destinataires du tableau. Des effets anachroniques ! Ce qui finalement est gênant c'est de ne pas avoir cherché à lier cette interprétation anachronique avec les conditions dans lesquelles le tableau a été peint et regardé en 1656. Foucault déraille quand il gomme les figures du roi et de la reine pour en faire des représentants des sujets de 1966 saisis en ce miroir.
Il faut savoir qu'il s'agit d'un tableau privé que seul le roi regarde. Pour reconstruire la conception des Ménines, il faut partir du fait que c'est une commande royale de Philippe IV. Et au début le tableau avait pour titre : le tableau de la famille. C'est un tableau à part qui a pour thème la famille par le sang, avec l'infante Marguerite qui, l'œil gauche sur l'axe central du tableau, regarde ses parents entourée des servantes et autres membres attachés à la famille comme José Nieto, frère du peintre, tous deux étant des maréchaux des logis ou grands chambellans. La lecture dynastique désigne l'infante comme héritière du trône. Mais en 1657 naîtra l'infant Philippe Prosper, un mâle ! Le peintre s'exécute et peint ce que nous voyons encore aujourd'hui. Ce n'est pas un portrait officiel de l'infante Marguerite car son portrait officiel existe. Donc c'est un tableau privé de l'infante et cela se voit dans la présentation informelle des neuf figures.
Ce tableau est un caprice. Le miroir renvoie une silhouette floue du couple royal, chose qui ne se peut qu'avec l'accord du roi. Et ce miroir est la pointe du concept dont le peintre a débattu avec le roi pour accord avant l'exécution de la commande. Ce miroir a pour fonction d'être la pointe d'un capricho à la gloire du monarque : la trace de sa présence. Il y a ici un petit récit dont le caractère fictif ne fait aucun doute : alors que le peintre du roi peignait dans son atelier le double portrait du roi et de la reine, l'infante est descendue voir ses parents. C'est ce moment que le peintre a mis devant nos yeux. Et la fiction marche si bien que l'on a cherché après ce tableau du couple pour découvrir qu'il n'existe pas. On est dans la logique courtisane ; il s'agit de rendre hommage discrètement, presque subrepticement avec la fausse nonchalance où l'art cache l'art. il faut savoir qu'un portrait était réalisé en l'absence de son modèle à partir d'esquisses préparatoires. La fiction va faire des petits car il y a une suite où le récit est inversé : le roi vient souvent voir où en est le tableau, et la reine aussi descendait. Ce qui est le contraire de ce qui est peint.
Dans les conditions historiques de la réception du tableau, installé dans une pièce privée du roi, le pseudo reflet au miroir constitue un hommage qui confirme le roi dans sa « position absolue de monarque » ; le reflet fait du roi l'omnivoyant, le dieu du tableau. Puisque les regards qui sortent du tableau sont censés être tournés vers lui, qui les regarde depuis son bureau et du fond du tableau. Le concetto courtisan est confirmé par la construction perspective du tableau et elle confirme que le roi est le seul à posséder ce regard absolu. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, le point de fuite de la perspective ne se trouve pas dans le miroir mais dans l'avant-bras de José Nieto. Nous ne sommes pas face au miroir mais un peu plus à droite. Si les figures peintes regardent le roi, elles ne nous regardent pas. Cette perspective décalée permet de montrer et d'articuler l'écart entre « l'organisation géométrique » du tableau et « sa structure imaginaire » : la première produit le sujet en marquant sa place devant le tableau ; dans la seconde, ce même sujet se manifeste par la visée qui le définit en tant que tel. L'emplacement du point de fuite peut être considéré comme neutre. Quoique si le bras soulève le rideau, ce geste fait métaphore ou le pendant de l'activité du peintre qui fait voir, qui ouvre la représentation. Si cet emplacement est décalé par rapport au miroir, l'horizon géométrique qu'il détermine est par rapport à ce miroir tout sauf neutre. Il ne correspond à aucun regard dans le tableau sauf à celui du roi, situé exactement à la hauteur du point de fuite. C'est sous le regard du roi, pour son regard de roi et en fonction de ce regard que le tableau est vu. Personne ne partage le regard royal et placés là où nous sommes, à hauteur du bras de José Nieto, nous ne croisons pas ce regard.
Mais comment se fait-il qu'un tableau courtisan qui voulait exalter le roi en monarque absolu, ait pu être perçu comme suscitant une « élision du sujet » ? Comment le dispositif contenait-il en puissance l'effet que Foucault a mis à jour ? Attention car ici on est passé de l'analyse des circonstances (le surgissement de l'infante qui alors était descendue) à l'analyse des conditions du dispositif, aux conditions d'une expérience. Velasquez a représenté les conditions de la représentation. C'est là que le dispositif fait glisser l'attention de l'objet représenté (dans la fiction, le roi et la reine) aux conditions de sa représentation : la présence de l'objet de l'expérience ne peut être certifié ; Velasquez a rendu incertain l'objet même de la représentation. Autant donc que le sujet, c'est l'objet qui est élidé. Elidé : ni supprimé, ni exclu, ni absent, mais supposé présent comme condition et origine de la représentation.
Et voilà la philo, avec la critique de la raison pure de Kant (CRP). La description fait du roi l'« objet transcendantal » du tableau : soit quelque chose qui, tout en étant indéterminé, peut être déterminé à travers le divers des phénomènes et constitue le corollaire de l'unité de l'aperception. Le roi est le noumène du tableau. Objet d'une intuition non sensible, quelque chose qu'on peut penser mais pas connaître. Ici on s'est intéressé à l'objet représenté, pas au sujet représentant. Mais on peut y venir. « Le peintre est légèrement en retrait du tableau », dit Foucault. Tel est le point d'origine de son analyse mais aussi son point d'arrivée : « et libre enfin de ce rapport au sujet qui l'enchaînait, la représentation peut se donner comme pure représentation ». La petite histoire de Velasquez consiste bien à déplacer l'attention de l'objet représenté aux conditions de sa représentation. Et cette fiction n'est pas radicalement étrangère à l'opération intellectuelle qui préside à la critique kantienne. Kant le dit dans sa seconde préface à la CRP, il a l'objectif de prendre l'objet comme phénomène et comme chose en soi. De même Velasquez prend le roi comme phénomène, sous l'espèce de sa famille, et comme chose en soi, insaisissable dans le visible. Il fonde ainsi la métaphysique de la royauté.
Et là une nouvelle idée est venue. Si on reconnaît un miroir dans la surface où apparaissent les effigies royales, c'est à cause du mince filet de peinture blanche que Velasquez a glissé entre le cadre noir et les figures, et qui suggère la réfraction, dans l'épaisseur du verre, de la lumière venant de la fenêtre. Il s'agit quasi du nimbe sacré qui entoure les visages des saints ou des rois de leur vivant investis de puissance. Car il y a un mystère de la personne royale. Et là est venue à l'esprit la phrase de St Paul : « sur terre nous voyons Dieu dans un miroir, en énigme ». Et ici voilà l'énigme de la nature divine du corps royal. Du double corps. Mais il ne faut pas non plus pousser trop loin car le tableau c'est d'abord un caprice.
Ici Arasse convoque Manuela Mena Marques, la conservatrice du Prado, qui rappelle que le tableau est un tableau dynastique dont le peintre, à l'origine, était absent (c'est quand le tableau a été fini que le roi satisfait avait anobli Velasquez, lequel complète l'œuvre en s'y représentant). D'ailleurs dans la première mouture, à la place du chevalet et de Velasquez était peint un jeune homme se tournant vers l'infante et lui passant le bâton de commandement. Loin d'être un caprice on avait alors un tableau public et officiel. À la place du miroir, il y a un tableau du roi, présence pure et simple au centre de la composition. Mais en 1657 un garçon naît. Et le voilà l'héritier privant le tableau de famille de son sens, le message dynastique est périmé. Quand Velasquez reprend le tableau, il en fait un caprice car « l'infante » est en fait promise à l'empereur. Dernière lecture pour conclure. Avec l'accord du roi, Velasquez dans le geste de peindre fait passer le travail mécanique d'un artisan à une œuvre d'artiste : soit un recul, soit d'abord un travail en esprit pour concevoir ce que la main va peindre. « Le bras qui tient le pinceau, nous dit Foucault, est replié sur la gauche, dans la direction de la palette ; il est pour un instant, immobile entre la toile et les couleurs. Cette main habile est suspendue au regard ; et le regard, en retour, repose sur le geste arrêté. » La toile blanche voit toutes les choses en puissance ; seul le pinceau, avec une science souveraine, peut réduire la puissance à l'acte. Pour Arasse le miroir sert de support d'une aura qui se maintient à travers les moutures et les interprétations anachroniques qui s'en suivent. À condition de suivre l'aura qui glisse du roi vers le peintre.