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Lecture de l’Etourdit -Lacan 1972


Auteur du livre: Christian Fierens

Éditeur: L’Harmattan

Année de publication: 2002

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Pour s’y retrouver voici deux éclairages. Celui de Fierens donc qui pousse le mathème dans ses retranchements, ce que Milner ne fait pas. Et puis Deleuze à propos de la science et l’art par rapport à la philosophie mais pas par rapport à la logique. Ce deuxième appui est tiré du livre « Qu’est-ce que la philosophie ». Pour lier les éclairages entre eux, il apparait que c’est la logique qui fait problème. Voici ce que dit Deleuze sur la logique.

La logique est réductionniste : elle veut faire du concept une fonction en suivant la trace de Frege et Russell. Mais pour cela il faut que la fonction caractérise un ordre plus général de propositions comme des phrases dans une langue naturelle. Il faut donc inventer un nouveau type de fonction proprement logique. L’ensemble des valeurs de vérité d’une fonction qui détermine des propositions affirmatives vraies constitue l’extension d’un concept ; les objets des concepts occupent la place de variables ou arguments de la fonction propositionnelle pour lesquelles la proposition est vraie ou sa référence remplie. Tout concept complet est un ensemble et les objets du concept sont les éléments de l’ensemble. Encore faut-il fixer des conditions de la référence qui donnent les limites ou intervalles dans lesquelles une variable entre dans une proposition vraie. De telles conditions constituent l’intension du concept. Ce sont des mondes possibles, des sous-ensembles du concept. Extension et intension sont exo- et endo-référence. La référence extérieure est traitée par la perception de l’objet, intérieure par l’affect subjectif. On ne sort pas de la référence. La question est de savoir comment on arrive à travers ces présentations intentionnelles à une détermination univoque des objets ou éléments du concept, des variables propositionnelles, des arguments de la fonction, du point de vue de l’exo-endo-référence. C’est le problème du nom propre et l’affaire d’une individuation logique qui nous fait passer des états de choses à la chose et au corps, par des opérations de quantification qui permettent d’assigner des prédicats essentiels à la chose, comme ce qui constitue enfin la compréhension du concept. Le concept propositionnel évolue tout entier dans le cercle de la référence en tant qu’il opère une logicisation des fonctifs, qui deviennent ainsi les prospects d’une proposition (passage de la proposition scientifique à la fonction logique). 

Les propositions ne jouissent pas d’auto-référence ni d’exo-consistance ni d’endo-consistance. En devenant propositionnel, le concept perd tous les caractères qu’il possédait comme concept philosophique. C’est qu’un régime d’indépendance a remplacé celui de l’inséparabilité (indépendance des variables, des axiomes, des propositions indécidables) ; même les mondes possibles comme conditions de référence sont coupés du concept d’Autrui qui lui donnait consistance. (Pour rappel, Deleuze lie la problématisation à l’articulation autrui-monde-visage. L’enjeu c’est la place à laisser au psychologique. Autrui c’est l’empêcheur de penser en rond mais il doit être un ami). Les actes de référence sont des mouvements finis de la pensée par lesquels la science constitue ou modifie des états de choses ou des corps. Il n’en est plus de même pour la logique : comme elle considère la référence vide en elle-même, comme simple valeur de vérité, elle ne peut que l’appliquer à des états de choses ou a des corps déjà constitués. Deleuze développe donc une charge contre la logique, qui, elle, déteste la philosophie. Le chapitre s’en prend à la phénoménologie (Kant, Husserl) par trop encombrée par sa tentative réductionniste de tous les traits psychologiques pour dégager la notion de vécu pur, en rapport avec un sujet transcendantal. Mais en fait cette phénoménologie ne fait que recycler l’opinion vue comme un rapport entre une perception extérieure comme état d’un sujet et une affection intérieure comme passage d’un état à l’autre. L’opinion est la règle de correspondance de l’un à l’autre. C’est une fonction ou une proposition dont les arguments sont des perceptions et des affections, et en ce sens une fonction du vécu. La doxa est un type de propositions comme suit : étant donné une situation vécue perceptivo-affective, quelqu’un en extrait une qualité pure mais en même temps qu’il abstrait cette qualité, il s’identifie à un sujet générique éprouvant une affection commune. L’opinion est une pensée qui se moule sur la forme de la recognition (passant par la contemplation, aboutissant à la communication). L’opinion est volonté de majorité et elle triomphe quand elle n’est plus que la marque d’un groupe constitué qui détermine le modèle perceptivo-affectif, la qualité et l’affection que chacun doit acquérir. 

La confusion du concept avec la fonction est ruineuse pour le concept philosophique (blog XI, 9) car elle fait de la science le concept par excellence. Elle remplace le concept philosophique par le concept logique. On n’a donc plus que la science, l’art et la logique ; ceci reflète bien le monde de la pensée du 21ème siècle (post-moderne).  Elle laisse au concept philosophique une place réduite. Or le concept philosophique échappe autant à la science qu’à l’art ou à la logique. Et ce parce que plutôt que de se référer à des états de choses, choses et corps, elle se tourne vers l’événement. Badiou semble convenir comme guide, mais ce n’est que dans un premier temps, car la logique des ensembles sur laquelle il s’appuie est bancale (voir en annexe, l’introduction du livre Être et Evénement). On aura donc parcouru et abandonné successivement la logique des propositions, la logique phénoménologique et maintenant la logique des ensembles. À chaque fois, on abandonne un peu plus de nos attaches à la logique du beau engendrée par Platon. Abandons de toute valeur à la vérité comme référence, au vécu comme référence, à l’événement comme référence. Car ces valeurs-là sont le fruit de la doxa. Plutôt que de fixer comme invariant une multiplicité arrimée à Deux, il y a pour Deleuze à dégager le vide qui gît dans l’entre-deux. Cet entre-deux est à retrouver dans un état de choses à partir du potentiel chaotique. Cet état peut à travers ce potentiel aborder les projections, les effets de voisinage. Tout ce qui entraîne des individuations en raison de toutes sortes de singularités. Aucune de ces opérations ne se fait toute seule, on passe du mélange à l’interaction. Et les interactions conditionnent une sensibilité, un feeling qui pressent les passages. Sorte donc de communication en rapport avec l’événement deleuzien qui n’est pas l’état de choses au plus près du chaos. L’événement est devenu consistant sur le plan d’immanence qui coupe le chaos. L’événement est une pure réserve et ceux qui en parlent le mieux sont Peguy et Blanchot. (Deleuze trouve que Agamben remplit le vide avec l’événement paulinien ce qui entraîne une conception eschatologique du temps).  De tout ce qu’un sujet peut vivre, du corps qui lui appartient, des corps et des objets qui se distinguent du sien, et de l’état de choses ou du champ physico-mathématique qui les déterminent, « il se dégage une vapeur par-dessus une lacune ».        

On commence donc par Fierens –  Lecture de l’Etourdit. 

Ce n’est pas une lecture qui résume le séminaire paru en 1972 mais une lecture du travail de Fierens sur ce séminaire dans son livre « Le mur de l’impossible ». La lecture en est difficile parce qu’elle est liée à une période de bascule dans la théorie lacanienne ébranlée par l’avancée du séminaire « Encore » (même année) et pas encore mise à mal par la rencontre en 1975 avec « Joyce, le sinthome ». Aussi par après coup cette production de 1972 peut aussi être relue à la lumière de 1975. On est entré au cours de ce laps de temps dans la dérive des mathèmes. La lecture du séminaire réclame une explication préalable d’un outil topologique. Mais il faut avoir en tête les acquis des années 64 -70 : la ronde des quatre discours qui est engendrée par l’amour (dans ses rapports au savoir) ; le graphe du désir où dans la logique du fantasme est contenu une rencontre avec la jouissance symbolisée dans le signifiant-lettre S (A barré). Ce signe est la manifestation du changement d’orientation du séminaire car il renverse la dominance du symbolique au profit du réel. Cela fera blémir l’université.

Intermède 1

Le cross-cap est un objet topologique constitué d’une bande de Moebius et d’une rondelle hémisphérique cousue à la bande pour la refermer. L’objet apparaît alors comme une quasi-sphère excepté une sorte de bec appelé mitre. La sphère est un objet qui distingue l’endroit de l’envers. La bande de Moebius est une bande qui moyennant une torsion met en communication le dedans et le dehors. Il y a des opérations de coupure significative ; car elles modifient les propriétés de l’objet. Pour rendre compte des coupures il faut dégager trois zones sur l’objet topologique. Lacan utilise le cross-cap mais lui fixe des coordonnées de lignes et de points en lien avec son enseignement. Si par l’ouverture du cross-cap on plongeait une sonde à l’intérieur de l’objet on visualiserait trois zones. En y dessinant le trajet de la coupure sur la surface « interne » de l’objet on aurait au fond un cercle ; à mi-hauteur une ligne fictive s’étranglerait mais en remontant finirait par se recroiser, le long d’un axe, en huit intérieur (hélice). Sur cet axe qui résume les propriétés de l’objet a-sphérique, il y a deux points significatifs celui qui au cœur du cross-cap engendre le trajet en huit intérieur (ce point c’est Phi ou Phallus rencontré dans l’analyse du graphe du désir, blog XII, 4), le point au bord supérieur quand le bec tente de se fermer est appelé Omega (c’est le trou nécessaire pour faire un nœud). Il y a donc deux points rendant compte de la torsion et du trou. Au cœur de l’objet si on « descend » plus profond que le point Phi, on est dans une zone a-signifiante ; @ est « ce qui reste », comme rondelle (en fait une demi-sphère) sans propriétés intéressantes. Intéressantes pour quoi ? Ou plutôt pour qui ? En fait Lacan attribue à la bande de Moebius les caractéristiques structurantes du sujet. On se rappelle que le fantasme poinçonne le sujet avec @. Le poinçon se voit au point Omega. Donc la figure topologique visualise un travail appelé traversée du fantasme. Un travail de coupure de la bonne façon, c’est-à-dire qui manifeste les propriétés de la figure en passant par tous les points significatifs. Pour préciser la coupure, il faut qu’elle fasse un premier tour à hauteur du point Phi. Ce qui ne suffit pas mais la suite est de poursuivre la coupure en passant dans l’hélice. L’idée est de se servir de l’outil topologique pour montrer qu’une analyse se fait en deux temps si elle veut aller à sa fin. 

Les trajets de coupure : en un tour, en deux tours. Le 1er tour sur le cross cap ne permet pas de voir la dépendance à l’Autre. On y est attaché par ses tores : les ronds de la demande et du désir. Avec la confusion que l’on sait : on prend la demande de l’Autre comme formulation de son désir ; d’où les répétitions. Si le cross cap est caractérisé par des particularités comme la suture d’une bande de Moebius (BM) par une rondelle sphérique, alors faire une découpe, qui ne parcourt la figure topologique rien qu’une fois, dissout la stabilité de la BM (qui s’évanouit équivalente à la coupure qui la fait disparaître, faisant juste une bande bipartite, bilatère ; on n’a donc pas de surface pour supporter le sujet puisque la BM – sujet se détache de la rondelle – @). On peut le reformuler en disant que le sujet a besoin d’un fantasme. Mais cela donne à l’objet @ une importance surgonflée. Comme cause du désir, il y a alors relance dans une recherche infinie et épuisante. Le sens se dissout faute de signification qui tienne, le non sens ne cesse de glisser, labile. L’objet équivaut au concept, à l’être, à une vision du monde. Le fantasme fictionne le rapport du sujet à l’objet de l’Autre. Pourtant ce n’est pas le bon sujet, ni le bon objet, ni le bon désir ni le bon Autre. Il va falloir traverser le fantasme. Le second tour sur le cross cap découpe de la bonne façon en maintenant l’articulation de la BM avec sa rondelle . À partir de ce moment, on voit qu’il y a une rencontre, mais…pas de rapport. La rondelle donne de l’étoffe à la tenue de la BM. 

Pour faire une coupure, il y a lieu de partir d’un trou, d’une entame dans la surface. En n’importe quel point à prendre comme simple point de départ. Toujours faux de ce qu’il ne peut se situer sur la ligne sans points (axe avec ses deux points significatifs Phi et Omega. À passer 2 fois par cette ligne, on rencontre des nœuds. Le 1er nœud a été abordé dans le 1er tour (S=signification). Les 2ème et 3ème  nœuds vont survenir dans le 2d tour (S=sens, S=sexe). Autrement dit, on va rendre compte du nouage du langage et de l’inconscient. Puis du nouage entre l’Autre et le réel. Et enfin on partira à la recherche d’un sujet.

Homophonie

Après ce préalable, abordons le contenu du séminaire. Il va travailler le discours, les discours en parlant de  l’homophonie, de la grammaire et de la logique qui s’enchaînent à trois. 

L’homophonie (étourdi ou étourdit) permet de prendre conscience de la différence entre le dit et le dire. C’est l’effet de la compréhension de la troisième formule de la sexuation dont Lacan nous a parlé dans Encore.  Le sujet est un effet de dit. Transposé dans la logique des discours, la théorie de la sexuation chamboule les fonctions discursives dans leur prétention à dire le vrai. Plus que jamais la vérité se mi-dit. C’est la psychose qui introduit à la logique au-delà des 2 premières formules de la sexuation.

Intermède 2

Immédiatement, on a de nouveau besoin d’un préalable, à savoir les théories de la sexuation. Ces formules sont analysées dans Zizek (blog I, 6) et par le résumé de Encore (blog XII, 4). Rappelons en deux mots. On est dans la mouvance d’un Lacan mathématique : en disant phi, entendez fonction de ; et quand apparait le grand X, entendez (fonction) phallique ; par contre le petit x renvoie à homme. Il y a quatre formules ; les deux premières sont côté homme et lient une proposition affirmative universelle (pour tout x, phi de X = tous les hommes sont pris dans la logique phallique) avec une proposition particulière négative (c’est vrai pour tous les hommes sauf une exception pour qui la logique phallique n’existe pas). Les deux autres formules sont liées aussi mais on est côté femme : la troisième proposition dit que ce n’est pas vrai cette histoire d’exception car c’est pour toutes les femmes que cette logique phallique ne s’applique pas…  Attention, dit Lacan, cette affirmation est fausse. C’est subtil parce que cela ne ramène pas tout à fait à la première proposition du côté homme (dire deux fois non, ce n’est pas dire oui ; c’est plutôt qu’on ouvre ainsi un espace « hors – »  , hors-signification ou hors sens ou hors sexe). C’est dire, et cela a aussi sa logique, ce que dit la quatrième proposition, qui est une affirmative existentielle particulière : pour pas tout x, phi de X : soit pour les femmes il y a deux logiques, la logique phallique et une autre. Au-dessus de ces quatre formules, Lacan dessine le non rapport entre les sexes. Côté homme un sujet barré (castré) attrape un objet partiel déniché chez sa femme pour la désirer ; du côté femme on part de La barré (façon de dire que l’on est ailleurs que chez l’homme, car pour lui son article défini Le n’est jamais barré) et on va vers Phi (Phallus) en même temps qu’on va vers S(A barré) à expliquer comme une « jouissance non castrée ». 

Grammaire Logique

Revenons à l’Etourdit : l’enjeu c’est de cerner la fin d’une analyse. Il y a à déserrer le lien fusionnel entre @ et l’Autre, quelque chose comme la mort du moi par effet de distance séparante d’avec la mère. Disons d’emblée que si il y a bascule théorique en 72, c’est parce que cette fin de l’analyse ne convient pas tout à fait. Lacan dans sa rencontre avec la psychose, en viendra à redéfinir la fin comme une identification au symptôme. De la façon douloureuse dont la femme témoigne être le symptôme de l’homme, l’écriture joycienne fait tout autre chose, de beaucoup moins douloureux. Le sujet s’y annonce susceptible d’être redéfini du tout au tout. Mais maintenant du côté femme sans oublier sa capacité d’approcher les fous. Entre-temps, pour un petit temps, S (A barré) est un point nœud qui touche à cet enjeu mais de façon obscure, dans la phobie. Car cela fait peur et aux hommes et aux femmes. Côté femmes, l’Autre ici c’est la mère derrière le père ; elle est à chiffonner. Côté homme, l’enjeu c’est la légitimité des figures paternelles de l’Autre qui font retour comme le chef.

La grammaire qui résulte du glissement entre étourdi et étourdit introduit les personnes qui conjuguent les verbes. Il y a à dire « je » par rapport à un « tu », par exemple entre un homme et une femme. La cure de la névrose obsessionnelle progressera vers sa fin, dans la mesure où on cessera de se fourvoyer entre 2 femmes car la femme à baiser n’est pas celle qui est désirée mais celle qui est aimée. Le chemin de la redéfinition du désir est en train de se faire dans le mouvement même de cesser de plaire à l’Autre et à ses demandes (prenez ma fille en mariage, mon vieux ! me disait Freud, sans le dire). La 3ème formule de la théorie sur le positionnement sexuel fait horreur à l’obsessionnel car alors le fondement de la légitimité n’existe plus. Penser devient tout autre chose : à côté du raisonnement (Heidegger et Kant), il y a à faire place à l’intuition féminine : ni dit ni dire.

La logique c’est bien au point « S de grand a barré » qu’elle se joue. C’est au champ de l’Autre que tout se joue. Et l’Autre n’est pas l’hystérique qui fait couple avec l’obsessionnel dans leur culte de l’être et de la mauvaise jouissance. Le pas tout déploie ses effets : la castration, la négation s’y ressourcent. Pour réparer les dommages liés aux 2 premières formules, il faut épuiser le langage et même les vertus de l’inconscient.  La fin passe alors dans les mains du réel. C’est la fin du sérieux qui met en série les discours (mathématique, philosophique, scientifique et …psychanalytique). Le savoir de la fin n’est plus le savoir insu. Mais un rire léger qui nourrit la poésie et l’art…  

Voilà on a reparcouru les points nœuds signification/sens ; sens/non sens ; non sens/sexe. La logique a tenu à accrocher les choses sans ontologie, ni métaphysique ou science de l’être (Heidegger et Kant, à 2, font une énorme condensation, mais provoquent une précipitation à la conclusion). L’intuition, c’est le fil que Freud tient par la pulsion de mort ou @. Y a-t-il du sujet stable quand @ ce n’est pas du solide ? Le fantasme vient moduler les rapports du sujet et de l’objet, autour des points-nœuds, laissant à chaque fois la question porter soit sur la barre, soit sur le franchissement d’une ligne de démarcation, sorte de mur de l’impossible. La traversée du fantasme, c’est la chute du surmoi (qui est fait de la condensation, ou plutôt de la coalescence de @ avec A), lequel donnait assise à une logique signifiante. Mais ce n’est pas tout car en vidant la coalescence, c’est le vide de @ (sa dégonfle) qui va servir de référence, entre sens et non sens, pour une recherche de « l’en plus » qui fera le nouveau sujet. On a un effet de la chute du surmoi comme confrontant à la jouissance non castrée.   

Mais en même temps la chute du surmoi donne à voir l’accroche de croyance propre à la signifiance concentrée dans un signifiant maître ( comprenez dans la figure d’un chef).Il y a alors toujours relance possible  dans la bascule vers d’autres discours. On a cru avoir fait le tour du savoir. C’est à tort. En reprenant les formules de la sexuation, Lacan continue son propos en opposant logique du Un et l’Autre logique ; façon de distinguer homme et femme, logique masculine, logique féminine. .Supposant que la femme peut être aussi hors-dicours. Quand elle accepte l’approche par S (A barré), côté jouissance hors-castration.

Intermède 3

Nous devons de nouveau ouvrir une petite parenthèse développant ce qu’est un discours dans la logique masculine. Un discours est analysé autour de quatre places : il sert à quelque chose (un objet est produit), il sert à quelqu’un (le sujet ou l’Un), qui est unique (et donc n’est pas l’Autre). La quatrième place c’est le vide, l’appel à un autre discours (appel du discours hystérique à un discours qui la rassure, chez son analyste par exemple).  Si on se rappelle que le discours courant n’est pas le discours qui circule dans la sphère psy où on croise des discours spécifiques, il y a à y compter le discours de l’analyste par rapport aux discours de l’obsessionnel et de l’hystérique. En tout cela en fait bien quatre car le discours courant c’est aussi celui de la science. Un discours cela sert à quoi ? Cela sert à représenter un sujet. Mais maintenant l’inconscient n’est pas sujet, il est jouissance. Jouissance chiffrée, puisqu’elle se déchiffre dans l’analyse, mais pas sans l’effet de castration.  Tout signifiant déchiffré (pour tout x), tout signifiant du savoir inconscient, porte la castration (Phi), à savoir la jouissance limitée du Un, et l’induction infernale à continuer qui s’ensuit, et qui ne fait que grossir l’essaim des signes du sujet. En effet chaque discours produit une identification subjective, ses signes de distinction.

Voilà le cœur de ce séminaire

On sent que dans la logique des discours la chute du surmoi va permettre de mettre en question le mur de l’impossible. La castration parle en termes d’interdit, mais ici on passe dans une certaine transgression, à bien comprendre. L’analyse du patient est perversement orientée. L’enjeu c’est de vraiment terminer une analyse. Lacan n’est pas simple et ici il va redéfinir l’Un. Toute l’analyse des discours dans la logique masculine va introduire paradoxalement une place à l’Autre depuis la place du Un (à comprendre comme Tout). Tout signifiant porte donc la castration, sauf un, car il en existe Un, de signifiant, qui est différent et qu’on appelle lettre: il existe un signifiant qui ne représente pas le sujet mais la jouissance de son corps. Un, donc, qui porte, non pas la castration, mais une solution à celle-ci, non la métonymie de la jouissance châtrée, la suite des discours, mais une fixation de jouissance qui fait arrimage. C’est le Un du symptôme que Lacan nomme lettre, qui s’excepte du symbolique et fait passer l’inconscient au réel. En d’autres termes, cet Un du symptôme, c’est aussi bien un S (A barré), signifiant qui a même structure que le signifiant… mais dans le réel, signifiant qui, « par exception » (positivée de façon féminine) n’appartient pas à la chaîne de l’Autre du signifiant (rappelons nous la place de l’Autre dans le discours de l’homme), mais qui est seul à en capitonner les déclinaisons. C’est aussi comprendre que le symptôme est père. C’est la thèse de Lacan, avec la preuve par Joyce et ça change quelque chose à la fonction du père dans la psychanalyse.

Conclusion

Il y a à insister sur la troisième formule de la sexuation : car on ne la comprend pas. Même pas chez Fierens qui est philosophe, comme Badiou et Milner. La double négation fait penser à Hegel mais c’est Zizek qui fait le pas d’écart. Dire non deux fois , dire non non homme est-ce dire femme ? Ou bien faut’il entendre la double négation comme une rupture avec la dialectique et c’est dire non au principe de non contradiction ? Le philosophe tranche là où il faut rester ouvert aux deux voies en même temps même si entre elles, elles sont contradictoires.  

Passons maintenant à laLecture de Deleuze sur La Science et Sur l’art. C’est justifié dans la mesure où le travail de Fierens met en lumière le côté scientifique et logique qui sous-tend la Lecture de l’Etourdit. Et c’est dans la mesure où la science, et particulièrement la mathématique, manifeste une limite qu’elle appelle à un relais du côté de l’art.

Deleuze : fonctifs et concepts

La science n’a pas pour objet des concepts mais des fonctions qui se présentent comme des propositions dans des systèmes discursifs. Les éléments des fonctions s’appellent des fonctifs. La science n’a pas besoin de la philosophie pour ses tâches. En revanche quand un objet est scientifiquement construit par fonctions, il reste à en chercher le concept philosophique qui n’est nullement donné par la fonction. Sous ces conditions la première différence est dans l’attitude respective de la science et de la philosophie par rapport au chaos. On définit le chaos par la vitesse infinie avec laquelle se dissipe toute forme. C’est un vide, un virtuel contenant toutes les particules possibles et tirant toutes les formes possibles qui surgissent pour disparaître aussitôt, sans consistance ni référence, sans conséquence. La science renonce à l’infini pour gagner une référence capable d’actualiser le virtuel. 

La science travaille avec un plan de référence. C’est comme un arrêt sur image, c’est un fantastique ralentissement et c’est par ralentissement que la matière s’actualise mais aussi la pensée scientifique capable de la pénétrer par propositions. Ralentir c’est poser une limite dans le chaos si bien que les vitesses forment une variable déterminée comme abscisse, en même temps que la limite forme une consistance universelle qu’on ne peut pas dépasser. Les premiers fonctifs sont la limite et la variable. Il arrive que la constante-limite apparaisse elle-même comme un rapport dans l’ensemble de l’univers auquel toutes les parties sont soumises sous une condition finie. Encore faut-il que des systèmes de coordonnées existent auxquels renvoient les termes du rapport : c’est un cadrage externe. Une particule aura une position à condition d’atterrir (effondrement de la fonction d’onde) dans des trajectoires que des systèmes de coordonnées pourront saisir. Ce sont ces limites qui opèrent un comptage : on invoquera les nombres, la vitesse de la lumière, le zéro absolu, le quantum d’action, le Big Bang, quand la limite engendre un ralentissement. L’abscisse des vitesses, les formes virtuelles du chaos tendent à s’actualiser suivant une ordonnée. Et certes le plan de référence opère une pré-sélection mais les formes n’en constituent pas moins des variables indépendantes qui se déplacent en abscisse. Les ordonnées intensives des formes doivent se coordonner aux abscisses extensives de vitesse de telle manière que les vitesses de développent et que l’actualisation des formes se rapportent les unes aux autres comme déterminations distinctes extrinsèques. C’est sous ce deuxième aspect que la limite est maintenant l’origine d’un système de coordonnées composées de deux variables indépendantes, mais celles-ci entrent dans un rapport dont dépend une troisième variable, à titre d’état de choses ou de matière formée dans le système. C’est bien le nouveau sens de la référence comme forme de la proposition, le rapport d’un état de choses au système. L’état de choses est une fonction : c’est une variable complexe qui dépend d’un rapport entre deux variables indépendantes au moins. L’indépendance respective des variables apparaît en mathématiques lorsque l’un est à une puissance plus élevée que la première (y puissance 2 / x = p). Car c’est alors qu’un rapport peut être directement déterminé comme rapport différentiel dy/dx sous lequel la valeur des variables n’a plus d’autre détermination que de s’évanouir ou de naître, bien qu’elles soient arrachées aux vitesses infinies. D’un tel rapport dépend un état de choses ou une fonction dérivée. On a fait une opération de dépotentialisation qui permet de comparer des puissances distinctes à partir desquelles pourront même se développer une chose ou un corps, par intégration. 

La question est de savoir si le potentiel peut être recréé dans l’actuel, s’il peut être renouvelé ou élargi, s’il permet de distinguer plus strictement les états de choses, les choses et les corps. Quand on passe de l’état de choses à une chose, nous voyons qu’une chose se rapporte toujours à la fois à plusieurs axes suivant des variables qui sont fonction les unes des autres, même si l’unité interne reste indéterminée. Mais quand la chose passe par des changements de coordonnées, elle devient un corps et la fonction ne prend plus pour référence la limite et la variable mais plutôt un invariant et un groupe de transformations (corps euclidien et groupe des mouvements). La différence entre le corps et l’état de choses (ou la chose) tient à une individuation du corps qui procède par une cascade d’actualisations. Avec le corps, le rapport entre les variables indépendantes complète suffisamment sa raison quitte à se pourvoird’un potentiel ou d’une puissance qui en renouvelle l’individuation. Notamment quand le corps est un vivant, qui procède par différenciation et non plus par extension, c’est encore un nouveau type de variables qui surgit, variables internes déterminant des fonctions progressivement biologiques en rapport avec les milieux intérieurs, mais aussi entrant dans des fonctions probabilitaires avec les variables externes du milieu extérieur. Les états de choses sont les mélanges ordonnés qui peuvent même concerner des trajectoires. Mais les choses sont des interactions, et les corps des communications. Les états de choses renvoient aux coordonnées géométriques de systèmes supposés clos ; les choses aux coordonnées énergétiques de systèmes couplés ; les corps aux coordonnées informatiques de systèmes séparés, non liés. 

Y a-t-il un ou plusieurs plans de référence ? La référence implique un renoncement à l’infini et donc ne peut monter que des chaînes de fonctifs qui cassent nécessairement à un moment. Les bifurcations produisent des trous, ruptures qui renvoient à d’autres variables, d’autres rapports et d’autres références. Le nombre fractionnaire rompt avec le nombre entier, la géométrie riemannienne avec l’euclidienne et inversément. La science déploie un temps sériel, ramifié, où l’avant désigne des bifurcations et ruptures à venir, et l’après des réenchaînements rétroactifs. Les noms propres en science marquent les points de rupture. Avec eux il n’y a plus besoin de repasser par les mêmes composantes. Le nom propre du savant dresse des paradigmes (Kuhn). Finalement ce qui fait problème, c’est la religion, car elle est à la recherche d’une loi unique, d’une force unique, d’une interaction unique. La première différence entre philosophie et science concerne le présupposé respectif des concepts et de la fonction. La seconde différence est entre concept et fonction. La science et la philosophie suivent deux voies opposées car renvoyant soit à des événements, soit à des mélanges. C’est Bergson qui a mis le doigt sur la différence essentielle entre les deux voies, quand il parle de la durée comme d’une multiplicité de fusion contre une multiplicité d’espace, nombre et temps. Mais il y a encore une troisième différence entre concept et fonction, outre le présupposé et l’événement, c’est le mode d’énonciation. La science est discursive et est donc arrimée à un nom propre. Mais là où  la philosophie se fait accompagner par ses personnages conceptuels, ici en science, on parlera d’observateurs partiels. Il n’y a pas de Dieu de Laplace mais il y a des démons comme celui de Maxwell. C’est le réel qui apparaît aux yeux de la science, relativiste. Il y a bien une vérité du relatif. La force de l’observateur partiel, c’est de percevoir et éprouver. Il faut dégager ces sensibilia qui doublent les fonctifs. Et il faut des instruments à disposition de ces observateurs pour faire flamboyer ces sensibilia, parce qu’ils sont non sentis. Les instruments supposant en fait un observateur partiel idéal, en suivant l’approche dans de telles régions, elle passe le relais à l’art qui semble le seul à pouvoir aller plus loin.

Deleuze : percept, affect et concept

L’art conserve. Si l’art conserve ce n’est pas à la manière de l’industrie qui ajoute une substance pour faire durer la chose. La chose est dès le début devenue indépendante de son modèle, mais elle l’est aussi des autres personnages éventuels, qui sont eux-mêmes des choses artistes, personnages de peinture respirant cet air de peinture. Et elle n’est pas moins indépendante du spectateur qui ne fait que l’éprouver après. Elle est indépendante du créateur par l’auto-position du créé qui se conserve en soi. Ce qui se conserve c’est un bloc de sensations, un composé de percepts et d’affects. Les percepts ne sont plus des perceptions, les affects ne sont plus des sentiments. Les sensations sont des êtres qui valent par eux-mêmes et excèdent tout vécu. La seule loi de la création c’est que le composé doit tenir tout seul. Pourtant les blocs ont besoin de poches d’air et de vide car même le vide est sensation, toute sensation se compose avec le vide en se composant avec soi. Tout se tient sur terre et dans l’air, et conserve le vide, se conserve dans le vide en se conservant soi-même. 

On compose avec des sensations, on compose des sensations. Si la ressemblance peut hanter l’œuvre d’art c’est parce que la sensation ne se rapporte qu’a son matériau : elle est le percept ou l’affect du matériau même, le sourire d’huile. Et pourtant la sensation n’est pas la même chose que le matériau. Ce qui se conserve en droit n’est pas le matériau, ce qui se conserve en soi c’est le percept et l’affect. Tant que le matériau dure c’est d’une éternité que la sensation jouit dans ces moments-là. Toute la matière devient expressive. La sensation est colorante. Le peintre fait venir devant nous, en avant de la toile fixe, non pas la ressemblance, mais la sensation de la fleur torturée, du paysage sabré, labouré, pressé, rendant l’eau de la peinture à la nature. Extraire un bloc de sensation, il y faut une méthode qui varie avec chaque auteur et qui fait partie de l’œuvre. Pour sortir des perceptions vécues, il ne suffit pas de la mémoire. La mémoire intervient dans l’art. L’acte du monument n’est pas la mémoire mais la fabulation. On n’atteint au percept et à l’affect que comme à des êtres autonomes et suffisants qui ne doivent plus rien à ceux qui les éprouvent. Et si les méthodes sont très différentes, on peut néanmoins caractériser de grandes variétés de composés de sensation : la vibration, l’étreinte ou le corps à corps, le retrait, la division, la distension : ouvrir, ou fendre, évider la sensation. La sculpture présente ces types presque à l’état pur. 

Le percept c’est le paysage d’avant l’homme, en l’absence de l’homme. C’est l’énigme de Cézanne : l’homme absent mais tout entier dans le paysage. Les personnages ne peuvent exister que parce qu’ils ne perçoivent pas mais sont passés dans le paysage. Achab de Melville. Les affects sont ces devenirs non humains de l’homme, comme les percepts sont les paysages non humains de la nature. Nous insistons sur l’art du roman parce qu’il est la source d’un malentendu. La fabulation créatrice n’a rien à voir avec un souvenir ni un fantasme. L’artiste déborde les états perceptifs et les passages affectifs du vécu. C’est un voyant. Il a vu dans la vie quelque chose de trop grand, de trop intolérable, et les étreintes de la vie avec ce qui la menace, de telle manière que le coin de nature qu’il perçoit et leurs personnages accèdent à une vision qui compose à travers eux les percepts de cette vie-là, faisant éclater les perceptions vécues dans une sorte de cubisme de lumière crue, de pourpre ou de bleu, qui n’ont plus d’autre objet ni sujet qu’eux-mêmes. Il s’agit de libérer la vie là où elle est prisonnière (Kafka). Peu importe que les personnages soient médiocres, ils deviennent des géants (Bloom dans Ulysse de Joyce), même les nains. Médiocres ou misérables ils sont trop vivants pour être vivables. Comment rendre un moment du monde durable ou le faire exister par soi ? En saturant chaque atome. En éliminant tout ce qui est déchet mort, superflu, tout ce qui colle à nos perceptions courantes et ne gardant que la saturation qui nous donne le percept. Il y a à inclure dans le moment l’absurde, les faits, le sordide, mais les traîter en transparence pour avoir atteint le percept comme la source sacrée, dont le peintre revient le souffle court. C’est un athlète du type champion du jeûne. On parlera d’un athlétisme affectif qui serait le double inorganique de l’autre, spectre plastique qui fait vivre Nietzsche perclus par les maladies du vécu. L’affect ne dépasse pas moins les affections que le percept, les perceptions. L’affect n’est pas le passage d’un état vécu à un autre mais le devenir non humain de l’homme. Achab et Moby Dick c’est une extrême contiguïté dans l’étreinte de deux sensations sans ressemblance ou au contraire dans l’éloignement d’une lumière qui capte les deux dans un même reflet, quelque chose passant de l’un à l’autre. 

Ce quelque chose, on ne peut le préciser, c’est une zone d’indétermination comme si des choses, des bêtes, des personnes avaient atteint dans chaque cas ce point pourtant à l’infini qui précède immédiatement leur différenciation naturelle. L’art vit lui-même de ces zones d’indétermination dès que le matériau passe dans la sensation comme dans une sculpture de Rodin. Il faut la puissance d’un fond capable de dissoudre les formes et d’imposer l’existence d’une telle zone où l’on ne sait plus qui est animal et qui est humain, parce que quelque chose se dresse comme le monument de leur indistinction. Ainsi Goya. Le maximum de détermination sort comme un éclair de ce bloc de voisinages. Précisément parce que les opinions sont des fonctions du vécu, elles prétendent avoir une certaine connaissance des affections. Un grand romancier c’est quelqu’un qui invente des affects inconnus et les fait venir au jour. D’un écrivain à un autre, de Chrétien de Troyes à Beckett, les grands affects créateurs peuvent s’enchaîner. L’artiste ajoute de nouvelles variétés au monde ; les tournesols de Van Gogh sont des devenirs. L’art n’a pas d’opinion. Le style de l’écrivain fait bégayer la langue courante. La souffrance toujours renouvelée des hommes, leur protestation recréée, leur lutte toujours reprise. Le succès d’une révolution ne réside qu’en elle-même, précisément dans les vibrations qu’elle a données aux hommes au moment où elle se faisait. 

Les figures esthétiques n’ont rien à voir avec la rhétorique. Mais les figures esthétiques ne sont pas identiques aux personnages conceptuels. Le devenir sensible est l’acte par lequel quelque chose ou quelqu’un ne cesse de devenir autre en continuant d’être ce qu’il est : tournesols ou Achab. Tandis que le devenir conceptuel est l’acte par lequel l’événement commun lui-même esquive ce qui est, celui-ci est l’hétérogénéité comprise dans une forme absolue, celui-là l’altérité engagée dans une matière d’expression. Le monument n’actualise pas l’événement virtuel mais il l’incorpore, il lui donne un univers. Ces univers sont possibles tandis que les événements sont la réalité du virtuel, formes d’une pensée-nature qui survole tout les univers possibles. La phénoménologie vient nous faire croire que la sensation peut être assimilée à une opinion originaire. Le chapitre va de Maldiney à Merleau-Ponty, et la chair. Ce qui constitue la sensation c’est le devenir animal-végétal qui monte sous les plages d’incarnation dans un nu comme la présence d’une bête écorchée. Le deuxième élément c’est l’armature. La maison c’est les pans qui donnent à la sensation le pouvoir de tenir toute seule dans des cadres autonomes. Le difficile est de joindre les plans. La maison est la vie non organique des choses. Le troisième élément, après la chair (et plutôt même le corps) et la maison, c’est l’univers : un univers-cosmos. L’univers se présente comme l’aplat. La figure n’est plus l’habitant de la maison mais d’un univers qui supporte la maison. C’est comme un passage du fini à l’infini mais aussi d’un territoire à la dé-territorialisation. C’est le moment de l’infini : des infinis infiniment variés, comme chez Bacon. Dans ce monochrome, c’est le peintre qui devient monochrome, suivant un pur affect qui fait basculer l’univers dans le vide. Le vide colorant est force. Les monochromes présentent des subtiles variations imperceptibles, comme chez Soulages. L’aplat vibre, s’étreint ou se fond parce qu’il est porteur de forces entrevues, comme chez Kandinsky. Ce peinte forme toute une géométrie vivante élevant à l’intuition les forces mécaniques constituant une puissante vie non organique. La maison ne nous abrite pas des forces cosmiques, tout au plus elle les filtre, forces bienveillantes versus malveillantes. Aux forces cosmiques correspondent des devenirs animaux-végétaux-moléculaires jusqu’à ce que l’aplat se torde : les maisons sont une des sources de l’abstraction qui consiste moins en figures géométriques qu’en trajets dynamiques et lignes d’erre. 

Le territoire implique l’émergence de qualités sensibles pures, sensibilia qui cessent d’être uniquement fonctionnelles et deviennent des traits d’expression. Allusion à la ritournelle du scenopoïates dentirostris. Chaque territoire recoupe des territoires d’autres espèces formant des fonctions microspécifiques. Mais ce ne sont pas seulement ces compositions mélodiques déterminées que constituent la nature, même généralisés. Il faut aussi un plan de composition symphonique infini. L’architecture ne cesse de faire des plans, des pans et de les rejoindre. On la définit par le cadre. Il y a plusieurs formes encadrantes : le mur, la fenêtre, le sol et le toit. Et emboîter ces cadres passe dans un système composé, riche en points et concepts. Mais il faut encore un vaste plan de composition qui opère une sorte de décadrage suivant les lignes de fuite. Et là on s’ouvre sur un champ de forces infinies. Des procédés en peinture font que le tableau sort du cadre. Formes irrégulières, côtés qui ne se ferment pas, carrés sur leur pointe, comme chez Mondrian. On est loin des problèmes d’opinion dans des romans comme ceux de Proust où tout commence par les ritournelles : de chaque chose finie, Proust fait un être de sensation qui ne cesse de se conserver mais en fuyant sur un plan de composition de l’être : êtres de fuite. 

Le chapitre se termine en réglant les rapports à la technique. La sensation se réalise dans le matériau mais d’un autre côté c’est le matériau qui passe dans la sensation. Il y a à distinguer le plan de composition technique d’un plan de composition esthétique. Soit on a une peinture qui n’a plus de fond parce que le dessous émerge, en dehors de toute profondeur aérée par une perspective. Hubert Damisch a fait de l’épaisseur du plan un véritable concept. Une épaisseur matérielle s’affirme et elle ne se laisse pas réduire à aucune profondeur formelle. C’est quand le plan de composition technique est avalé par le plan de composition esthétique que la matière devient expressive. Les problèmes techniques en art ne se posent qu’en fonction des problèmes de composition esthétique qui concernent les composés de sensations et le plan auquel ils se rapportent nécessairement avec leurs matériaux. Le problème en art consiste à trouver quel monument dresser sur tel plan, ou quel plan tirer sous tel monument. C’est sur leurs lignes de fuite que les univers s’enchaînent. Le plan peut être unique en même temps que les univers multiples. L’univers ne vient pas après la figure et la figure est aptitude d’univers. Comme chez Pessoa, une sensation sur le plan n’occupe pas un lieu sans l’étendre, le distendre à la Terre toute entière et libérer toutes les sensations qu’elle contient : ouvrir ou fendre, égaler l’infini. 

Voilà. Dans la logique en deux tours de l’Etourdit, on ne peut boucler avec Fierens sans passer par Deleuze (et sa présentation des limites de la logique). En passant aux annexes, le double tour fera suivre Badiou par Zizek. Mais c’est aussi dans la logique de la double coupure de témoigner des effets sur celui qui l’opère. Cela n’est pas possible avec Fierens mais bien avec Badiou. Voyons ça.

Annexe 1 : introduction au livre de Badiou Être et Evénement

L’introduction fait un survol de l’état de la philosophie du 20ème siècle après Heidegger considéré comme le dernier philosophe reconnu universellement. L’oubli de l’être n’est pourtant pas le seul problème. En effet depuis l’impact de la pensée anglo-saxonne, la science, qui a pris le relais de la philosophie spéculative, découpe la réalité par des logiques formelles ou des approches empiristes spécialisées. Les mathématiques font partie du rendez-vous au carrefour de ces deux exigences. Mais il y a en plus à prendre en compte les exigences d’une nouvelle approche du sujet, comme sujet du réel, c’est à dire tout sauf un moi substantiel. Une fragilisation s’en suit sur tous les efforts de l’homme dans le monde au point que, à reprendre les mathématiques, elles sont désormais en prise avec ce qui, en elles, les met à l’écart d’elles-mêmes, voire dans une impasse.

L’issue est de l’ordre de l’événement, de l’ordre de « il y a ». Il y a de la mathématique discriminante dont l’intervention passe par l’entre-deux, et passe outre… L’événement est le pendant de l’être dont l’ontologie intègre qu’ « il y a du deux ». Il y a de l’absurde à suivre la voie du moins que rien (allusion à l’avant-propos de Badiou au livre de Zizek). Mais il y a à apprendre de l’absurde. Entre généricité et forçage, Badiou passe outre avec Paul Cohen, mathématicien (1963). Badiou n’est vraiment pas loin de Deleuze, leurs querelles jouent sur des détails. Et surtout à propos du mot événement. Par contre il est loin d’Agamben et de son temps eschatologique. La notion de générique traite des indiscernables en ouvrant la pensée à la saisie soustractive de la vérité et du sujet. Voilà la place du moins que rien. Le vide.

On s’appuiera sur des procédures génériques. Il y en a quatre : la science, la politique, l’amour, et l’art. La pensée du générique suppose l’abandon ou plutôt la traversée des notions de l’être (multiple, vide, nature, infini) et de l’événement (indécidable, intervention, fidélité, ultra-UN). Un multiple générique est soustrait au savoir et pourtant il se laisse penser.

Ces procédures sont simultanément complètes et indéterminées parce qu’elles s’avèrent l’être-commun, le fond multiple du lieu où elles procèdent. Un sujet est dès lors un moment fini de cet avéré. Un sujet avère localement. Il ne se supporte que d’une procédure générique. Il n’y a du sujet qu’artistique, politique…

L’être peut être supplément. L’existence de vérité est suspendue à l’occurence de l’événement. Mais comme l’événement n’est décidé que dans la rétroaction d’une intervention, il y a une trajectoire complexe que le livre va traiter en huit chapitres : sur le vide, l’excès à la situation, la nature et l’infini, l’histoire et l’ultra-Un, l’intervention et la fidélité, le discernable, l’indiscernable (le générique), et le forçage.

Annexe 2 : introduction de Badiou au livre de Zizek qui surenchérit

Pour Badiou, il y a cinq philosophes en Europe dans la seconde moitié du 20ème siècle et ce jusqu’à aujourd’hui (2012). Laissons tomber les quatre autres (mais s’y trouve en tout cas Deleuze). Le cinquième c’est mon ami Zizek. Il y en a même un sixième, un philosophe surnuméraire : moi. De cette distribution des prix résulte en tout cas que Slavoj et moi formons une paire qui fonctionne du reste officiellement. Toujours amateur d’histoires tirées de l’équipée des Etats socialistes, Zizek compare volontiers la paire que nous formons à un bureau politique, plein d’anecdotes sur les rivalités, exclusions, exécutions. Un de mes nombreux crimes idéologiques était d’aimer le film de Clint Estwood : Sur la route de Madison. On a souvent dit qu’il était un histrion, j’affirme le contraire. Il est d’une rare droiture, d’une fidélité exemplaire dans l’amitié et d’un sérieux total dans la recherche de la vérité ou la quête d’une nouvelle façon de penser. Il est aussi exposé à cette angoisse dont son maître Jacques Lacan dit qu’elle seule subjective le monde ou annonce le réel. A nous lire il y a une différence qui apparaît entre nous deux. Mais elle tient plus à la forme qu’au fond, au style qu’aux concepts mis en œuvre. Nous aimons l’un et l’autre les opéras de Wagner et le communisme. Adorno, Lacoue-Labarthe, Althusser, Sartre, Derrida, Deleuze nous tiennent ensemble. Ce singulier tissu de références fait symptôme que nos systèmes respectifs, bien qu’en surface presque opposés, visent sans doute les mêmes cibles. 

Il y a deux livres qui sortent de l’ordinaire : Après la finitude de Quentin Meillassoux et Moins que rien. Je veux rendre hommage au second pour la stratégie qui en gouverne les moindres détails. Cette stratégie revient à rénover la pensée dialectique. Zizek considère que la philosophie commence avec Kant, parce qu’il est le premier à expliquer, non pas comment il se fait que l’homme erre à distance de la vérité de l’être (ce qui est le facile constat depuis la pré-philosophie grecque), mais comment il se fait que cette prétendue errance soit en fait dotée d’une impressionnante configuration subjective dans laquelle s’établit rien moins que la totalité de l’expérience humaine, y compris la science la plus rigoureuse (à savoir les mathématiques fondées par Thalès et la physique fondée par Newton). Ce décalage est le modèle dialectique du réel : ce qui semble ne faire qu’apparaître, soit la réalité phénoménale, n’opère l’inaccessibilité de l’être-en-soi qu’en tant qu’elle fait être l’apparaître « plus en vérité » que ne le pourrait la simplicité de l’être-en-soi. La robustesse des lois qui régissent le sujet transcendantal fait que même si je ne me représente rien, l’opération représentante comme telle persiste à être, en tant que moins que rien. Là s’initie la saisie du réel comme faille interne, dissidence immanente, décalage irrésolu, soit toutes les formes de la négation. 

Le dire fait le discret secret d’un contredire du dit explicite : à moins que le dit explicite soit justement la vérité de ce qu’il semble nier. D’où résulte que la pensée puisse être à la fois toute entière dans le dit et entièrement décalée de ce dit. La compréhension des raisons pour lesquelles Hegel peut soutenir que l’absolu est particulièrement actif dans le dire de qui en contredit l’existence, relève de la même insistance logique : le meilleur symptôme de l’êtrre réside dans la différence presque nulle entre son dire et son dit, ou entre son acte et sa profération. L’idéalisme allemand inaugurant l’histoire entière de la philosophie, cette histoire se décline en six étapes : une préhistoire grecque, une naissance critique (Kant), deux insistances idéalistes (Fichte et Schelling), une matrice dialectique « définitive » (Hegel), une répétition créatrice de Hegel (Lacan), une répétition créatrice de la répétition créatrice de Hegel par Lacan (Zizek). D’où l’organisation du livre en deux grandes parties qui imitent la répétition stratégique de Hegel par Lacan. Ce qui est parfaitement logique puisque Zizek répétant la répétition d’Hegel par Lacan, doit mettre en scène cette répétition de manière à ce que la faisant voir comme répétition, il la répète nécessairement autrement. Et c’est dans cette stratégie que l’on voit la méthode. Cette méthode de Zizek est de faire s’équivaloir quant à la détection des décalages primordiaux, des matériaux d’apparence tout à fait disparates. Etant entendu que la discordance est le point nodal, la bascule sensible, de l’intelligibilité dialectique.

La lecture du livre est un voyage qui va de surprise en surprise. Mais cela même répète Hegel autrement. Dans sa phénoménologie, Hegel nous propose le voyage d’une figure de la conscience à une autre sans jamais faire autre chose que lire répétitivement l’absolu dans l’impraticable jointure de deux figures successives, dont l’une est la vérité de l’autre. Selon la logique symptômale de toute vérité (dite et non dite). On prend la mesure du malaise dans la civilisation, on trouve des moyens de l’endurer, ce malaise, de façon créatrice. Ici s’apprend un nouveau lien entre vérité et liberté. Ce mode d’exposition a un pouvoir existentiel (on fait l’expérience de). Ici la prise au sérieux de la dialectique va jusqu’à l’angoisse car on y approche la zone de la vérité. Tu dis que tu es une ordure, mais nous ne sommes pas dupes ; tu es vraiment une ordure. La prémisse sous-jacente c’est que le Tout n’est jamais vraiment tout. Toute conception du Tout omet quelque chose. Et l’entreprise dialectique consiste à inclure cet excès. Donnons acte à Zizek que son angoisse même, quand il doit transmettre ce genre de vérité absolue aux jeunes, fait qu’il sortira le reste, qu’il le prendra en considération sous la forme d’un lapin oublié et vivant, qui sortira du chapeau du Tout, noir et mort. L’essentiel est en surface.       

Dans les mots de Zizek, on boucle car il est aussi sur le terrain de Fierens. 

Ici on part sur la distinction à faire entre stupidité, crétinisme et imbécillité : distinction entre le sujet hyper-intelligent qui comprend seulement de façon logique; celui qui se moule uniquement sur le sens commun et celui qui doit s’appuyer sur le langage, le grand Autre symbolique, l’ordre du discours en sachant qu’il est inconsistant. On est d’emblée renvoyé au trajet de la pulsion, soit à la pulsion de mort. Le champ de Higgs en physique quantique illustrera bien cette tension irréductible entre pulsion et raison. Malgré ce que dit le courant bouddhiste ou la notion de dépassement chez Heidegger (la volonté s’imposerait au désir), quelque chose continue à bouger dans l’écart. Selon la logique du moins, on peut avoir retiré les sentiments et puis les ressentiments (liés à la jouissance), il y a quelque chose qui reste actif. C’est le moins que rien. Zizek dégage une place à l’objet @. Ce qui survit à la mort (vérité du trajet pulsionnel?) c’est l’Esprit Saint, c’est le collectif quand il est soutenu par @ qui représente la pulsion indestructible propre au moins que rien.

Et Hegel là dedans ? Hegel donne le plan du livre. C’est lui qui subdivise Un avec le Deux (dont Badiou nous a entretenu dans l’introduction à son livre Être et Evénement) : Hegel-Lacan. Car il y a de la répétition et la répétition amène du neuf. Il s’en suit 4 parties et 6 intermèdes: 

– la description des formules essentielles et des mécanismes du procès dialectique et l’analyse de la thèse de l’Absolu comme substance mais aussi comme sujet,

– l’exposition des références explicites de Hegel chez Lacan et l’analyse de ce que Hegel apporte à Lacan quand il manifeste ses impasses,

– la présentation de l’objet @ engendré par le procès signifiant et l’analyse de ses limites dans la théorie de la différence sexuelle quand est abordé la logique du pas tout, et ce jusque dans une exploration du champ quantique,

– le dépassement du conflit obscurantisme/pragmatisme et la proposition d’une nouvelle interprétation appuyée sur un Hegel matérialiste. 

Dernier mot laissé à Badiou ? En tout cas pas sans critique. En quoi le champ idéologique – philosophique actuel correspond-il à Hegel ? Pour répondre on s’appuiera sur les 4 chantiers ouverts par Badiou :

– le naturalisme scientifique qui triomphe dans les neuro-sciences,

– l’historicisme discursif qui passe par Foucault et sa dé-construction du spiritualisme,

– la transposition du bouddhisme occidental qui dérape « amoureusement » dans le New Age,

– la pensée de la finitude transcendantale qui se bloque avec Heidegger face à la question politique du nazisme.

La thèse du livre est finalement de critiquer les 4 positions de Badiou sur leurs 2 axes : pensée an-historique versus historique, matérialisme versus spiritualisme. En effet, il y a une dimension qui échappe à ses 4 positions (science, religion, amour et politique), soit un écart, une rupture pré-transcendantale. Cette dimension est celle propre au noyau de la subjectivité moderne. 

Ainsi pour prendre le champ de la religion, la prémisse essentielle du matérialisme discursif était de concevoir le langage comme un mode de production et de lui appliquer la logique marxienne du fétichisme de la marchandise (tournant linguistique du temps de Lucaks). Tout comme dans les échanges commerciaux, l’échange linguistique efface le processus textuel qui engendre le sens. Or c’est ambigu cette notion de fétichisme : faut-il établir une distinction entre les propriétés objectives des choses et le sens que nous projetons sur les choses, ou bien a-t-on affaire à une version de la constitution transcendantale pour laquelle l’idée même de réalité objective (de choses existant là dehors indépendamment de notre esprit) est une illusion aveugle, à la manière dont notre activité symbolique constitue ontologiquement la réalité à laquelle elle se réfère ou qu’elle désigne? 

« Fausse opposition » dit Zizek car il faut en fait abandonner la prémisse qui lie par homologie la production discursive et la production matérielle. Il faut abandonner Marx sur cette question, on y reviendra.

Le livre a pour socle un autre moment historique qui offre une clé interprétative de la Tradition, précieuse aujourd’hui. Ce moment est celui de l’idéalisme allemand entre 1787 et 1831. Il va falloir nous appuyer sur Kant, Schelling, Fichte et Hegel. Ce sera l’occasion avec cette bande des 4 de reprendre les positions chères à Badiou : la science avec Kant, l’art à quoi la philosophie se subordonne avec Schelling, la politique de l’événement (de la Révolution) avec Fichte et l’amour avec Hegel.

Kant dévoile une fissure , une série d’antinomies irréparables si on cherche à saisir la réalité comme un tout. Hegel embraye mais va plus loin car les antinomies ne sont pas telles en raison des limites de notre entendement mais sont à situer dans les choses mêmes. Il y a une différence entre réalité ontique et horizon ontologique, soit le réseau a priori des catégories qui déterminent notre compréhension de la réalité. Il y a une différence entre illusion et apparence. Avant Kant, la différence n’est pas négative (de simples apparences illusoires) mais on discerne les conditions de possibilité de l’apparition des choses, leur genèse transcendantale. Aristote dégage les conditions de ce qu’on appelle être vivant. Fini le lien de participation avancé par Platon entre le rapport empirique de causalité liant 2 phénomènes et l’idée éternelle de cause. Les causes que je perçois entre 2 phénomènes sont les seules causes qui existent et l’idée de cause est ce qui nous permet de percevoir la causalité des rapports de causalité. C’est la condition de possibilité de ma perception de ce rapport de causalité entre 2 phénomènes. Nous ne pouvons pas directement chercher la vérité. Kant pour critiquer la métaphysique doit venir après la métaphysique. La philosophie désormais s’inscrit dans l’Histoire : elle ne donne pas la vérité de la totalité de l’être, elle donne une explication satisfaisante des illusions. La seule vérité est l’édifice inconsistant de l’interconnexion logique de toutes les illusions possibles. Alors que pour Hegel le véritable lieu de ce processus est la Chose elle-même.

Schelling est génial entre 1805 et 1815. L’univers des pulsions prélogique, l’obscur fondement de l’être est comme ce qui est en dieu plus que dieu. Il y a une déchirure dans le coeur de dieu qui est l’origine du mal.  Et le mal c’est l’Esprit directement matérialisé dans la Nature comme forme non naturelle, monstrueuse. Par exemple les esprits maléfiques ou plus simplement les manipulations technologiques. L’horreur de l’homme tient au fait qu’en lui le mal devient radical. Schelling est différent de Hegel dans ce qu’il développe comme réponse à la question du commencement. Pour Hegel le point de départ c’est la question de l’être qui dans son abstraction manque de détermination et donc ne représente rien. Pour Schelling le point de départ est vide mais ce vide est la force d’affirmation du désir de la volonté car le non-être a soif de l’être. Le réel devient un réel vivant. Schelling ici éclaire mieux le problème central de Fichte, à savoir le spinozisme de la liberté. Le fondement de la liberté est trans-subjectif. Cet ordre de l’être (ou de la vie divine) est préréflexif, indivisible et pas même identique à lui-même. Schelling introduit ici un clivage radical, une instabilité. Le logos est une tentative de résolution de l’impasse débilitante de ce fondement.

Fichte décrit la structure profonde de la subjectivité. Il dialogue avec Hölderlin pour qui le point de départ est le clivage et l’impossible retour à l’unité organique traditionnelle avec la liberté réflexive moderne. Nous sommes, en tant que sujets finis discursifs et conscients, jetés hors de l’unité que nous formions avec le tout de l’être et auquel nous désirons revenir, mais sans sacrifier notre indépendance. Pour cela il y a une voie excentrique : la division entre la substance et la subjectivité se surmonte par la narration, l’histoire de l’oscillation infinie entre les 2 pôles. La réconciliation passe par l’exact opposé de l’affirmation logique de l’identité du sujet (je = je où il n’y a pas de clivage, où il y totale identité). Fichte croise aussi 2 autres penseurs excentriques, Schiller et Schlegel.

Ce que fait Hegel c’est un déplacement purement formel transposant le clivage tragique dans l’être même. C’est notre séparation même de l’être absolu qui nous unit à lui puisque cette séparation est immanente à l’être. Nous devons compléter la formule de l’identité (de l’identité et de la non identité) avec la formule de la séparation (entre la séparation et la non séparation). Ce qui est proprement métaphysique c’est la présupposition d’un être substantiel derrière le processus de l’auto-différentiation. L’horizon de la compréhension s’appuyant sur le langage est l’ultime horizon transcendantal et « métaphysique » de notre conception de l’être. (Hölderlin avec Lacan met l’accent sur la façon dont le signifiant lui-même tombe dans le réel). Le livre finira par pointer des limites chez Hegel qui ne peut penser la pure répétition ni thématiser la singularité de @. Mais il y a aussi à pointer une limite chez Lacan dans l’ouverture inconsistante pressentie dans Encore. On croisera ici Guy Lardreau (face à Deleuze et Lyotard) et Christian Jambet (face à Sloterdijk) pour en revenir à Badiou et son projet d’émancipation radical.

On avait annoncé qu’il nous faudrait revenir sur Marx et incidemment sur Nietzsche et Heidegger. Les post-hégéliens pensent devoir sauver l’idée de liberté face au déterminisme engendré par un système philosophique totalisant, clos et arrimé à une idée absolue de la vérité transposée dans l’action. Curieusement ils oublient le pas d’écart hégélien pour qui il n’y a pas de substance sans sujet, la modernité se caractérisant par l’introduction du sujet. Oubli surtout de ce qu’Hegel met à mal le principe de causalité suffisante en faisant jouer le mécanisme de la rétroaction. La liberté joue à plein en ceci que le déterminisme qui fixe les choses est susceptible d’être modifié devant tout événement décisif. Le sujet retrouve une place pour y impliquer ses actes. Oubli aussi et c’est capital de la nouveauté dans l’articulation de la contingence avec la nécessité. Les post-darwiniens dans leur lecture de la Nature choisissent Marx manifestant ainsi que l’oubli répété du pas d’écart hégélien est en fait un souvenir-écran c’est à dire une monstruosité interprétative. La filiation du singe et de l’homme dans l’évolution est lue à partir de la fin : dans le singe, il manque ceci…tout comme dans l’ouvrier aliéné il manque le prolétaire. Or Hegel renverse la perspective pour insister sur le Pas Tout et donc sur la faille, la barre, le manque dans l’Autre, dans l’être. Re-visitant en passant la dialectique lacanienne de l’aliénation-séparation par trop marquée par Kojève. 

Marx engendre Staline. Le capital est le grand Autre. La dimension de la vérité est rabattue sur le savoir de la dialectique historique et matérialiste (en miroir Hegel serait idéaliste). 

Heidegges’attaque à la question métaphysique de nos liens entre ontique et ontologique alors que Hegel maintient la priorité à l’être par rapport à l’existence

Nietzsche pense en termes vitalistes qui séduiront Deleuze. La vie est là pour surmonter une civilisation freinée dans ses institutions religieuses au lieu d’être facteur d’ouverture. 

La difficulté pour ces post-hégéliens c’est de penser le poids de @, de la pulsion de mort…car c’est là que se manifeste chez Hegel, la puissance du négatif. Il y a avec Hegel place à l’erreur car il ne prétend jamais savoir la vérité. Entre eux 2, un écart qui joue sur le sens en le rendant incertain.  il y a de l’indéterminé. Par ailleurs, il travaille la question de la représentation spécialement dans ses pages consacrées à la mort de l’art anticipant sur le post-modernisme. Dieu est mort. Cela veut dire que le Dieu substantiel est mort. Il revient donc à l’homme de s’engager car il hérite du coup d’une responsabilité dont la religion cherchait à l’exonérer. Place au politique. Je suis celui qui invente une résolution des conflits entre pulsion et raison. L’éthique du désir se rejoue au plan collectif (trans-individuel) et se traverse car la politique sera le lieu d’une passe ou pas. La révolution de 1789 servant de guide évanouissant car elle est le moment révélateur de la part des sans parts  dont moi même aussi  je suis fait.

Il est temps de mesurer les effets de la double coupure sur Badiou en présentant ici rapidement ce qu’il dit de Lacan quand ce dernier affirme que le philosophe est « bouché » aussi bien au mathème qu’à la politique. 

Pendant trois ans Badiou va prendre au sérieux une affirmation de Deleuze : la philosophie a besoin des non-philosophes. Badiou va donc tenter d’en cerner trois : Nietzsche, Wittgenstein et Lacan. Pour ce dernier, l’acte analytique est à situer à l’articulation du savoir et de la vérité. L’acte est un passage vers un nouveau savoir. « La vérité peut ne pas convaincre, le savoir passe en acte ». Le nouveau savoir c’est le mathème. Lacan triangule les problèmes : vérité-dire-acte. La vérité est suprême en tant qu’insue mais l’acte en analyse développe un savoir sur l’insu. C’est le mathème qui est savoir insupposable, impersonnel mais transmissible. 

Badiou y oppose sa triangulation personnelle : philosophie-mathématiques-psychanalyse (acte). Reste que Lacan est une anguille. Il reformule son triangle : mathématique-politique-amour.  

Et de commencer par les mathématiques. Lacan l’a provoqué en disant que le philosophe est « bouché » sur la question des maths. Car le mathème va se placer au point d’impasse et ce point c’est le réel. « Il y a un impossible à inscrire qui est forçé par l’inscription ». Lacan sur sa lancée a ajouté que le philosophe est « bouché » sur le trou du politique. Heidegger affirme que c’est la métaphysique qui bouche le trou du politique. Pourquoi la politique a-t-elle un trou ? Le logos est un dire qui littéralement nous transperce, nous transit, nous prend comme un oracle de destin. Pour Heidegger l’histoire de l’être, c’est l’arraisonnement de l’être par l’Un. Pour Lacan, l’Un est promu à tort à une place normative alors qu’il n’est qu’apparence et semblant. « En effet une femme ne soupire pas de l’Un mais de l’Autre. » Paradoxalement Lacan maintient qu’il y a de l’Un mais à l’envers de l’emploi qu’’en fait Heidegger. Et ici Lacan précise ce qu’il entend par mathématiques parce qu’il affirme que son Un est à positiver comme puissance de comptage, c’est-à-dire en l’ouvrant au Multiple. Dans l’expression « il y a d’l’Un », ce qui compte c’est le il y a. il y a des places et des positions sans être, où l’Un opère. Cela n’est pas douteux pour Heidegger dans sa conception de Platon sur le politique ; la place de guide est occupée par Un sage. Mais attention lui dit Lacan, Platon n’est pas un utopiste et il sait bien que cette Idée n’a guère de chance de se réaliser. Le sens s’appréhende de l’effet (de l’épreuve des faits). Il n’y a pas d’être sans déroutement vers le désêtre.

Rappelons les articulations dans l’Etourdit : signification-sens, sens-non sens, non sens-sexe. Avec Freud, on sait que la castration fixe la signification au prix d’une perte de sens. Pour aller plus loin Lacan fait valoir un savoir excentré (ex- c’est du grec ; traduisible par ab- en latin). L’ab-sens n’est autre que le sens  ab-sexe. Il n’y a pas de rapport sexuel travaille l’inverse avec l’ab-sexe. Pour fixer les idées il y a le sexe et l’autre sexe. Le mathème cherche à produire une transmission intégrale. Contre l’affirmation que c’est impossible vu que la vérité est toujours mi-dite ? Dans l’Etourdit « la mathématique c’est la science sans conscience, où le dit se renouvelle de prendre sujet d’un dire plutôt que d’aucune réalité ». L’Etourdit prend un pas d’écart sur le rapport signifiant/signifié. De retomber dans l’articulation conscience/réalité, la philosophie devient religion, car la philosophie s’articule à la logique du sens. 

Mais pour Badiou, la mathématique est une axiomatique à partir de quoi se développe une logique cohérente et qui est encore loin d’avoir épuisé ses effets de relance pour la philosophie. Et là où pour Lacan le bouchon du trou du politique c’est à tort l’appui sur le groupe, Badiou réagit avec les armes de son adversaire en lui pointant ses erreurs de logique. Il a lu RSI et rappelle que pour Lacan le symbolique fait trou dans l’imaginaire du discours. Mais la politique n’est pas un dicours, c’est justement un fonctionnement qui doit être dans une production d’effets qui ne se laissent pas récapituler dans le discours. Badiou maintenant enfonce son deuxième argument. La politique peut être un trou réel dans le symbolique parce que la politique au-dessus de la loi peut décider de la mort et de la vie.

Pour Lacan il y a l’amour de savoir. Il n’y a pas de désir de savoir ni de pulsion de savoir ; il y a passion. La philosophie est inscrite sous un impératif : il faut aimer la vérité parce que la vérité est puissance. Badiou réagit sans mal : c’est seulement si le savoir est impossible, que le réel s’y glisse y faisant fonction. Et alors il y a situation de la vérité. Il n’y a pas de vérité du réel. Mais ce qu’il y a est vérité dans la mesure où il y a une fonction du réel dans le savoir. Il n’y a donc pas savoir du réel non plus. Ce qu’il y a c’est une fonction du réel dans le savoir qui permet une situation de vérité. il y a un savoir impossible de ce qu’un réel y est en fonction. Et enfin il n’y a pas non plus savoir de la vérité. il y a tout au plus la vérité d’un savoir à proportion de ce qu’un réel y fonctionne. Et ça c’est de la logique.

On pourrait croire que Badiou va s’en tenir là mais reste la place à faire à l’acte analytique.  Avec Kierkegaard, on sait qu’en philosophie l’existence c’est un cheminement subjectif jusqu’à un point de bifurcation où il faut choisir. Pour Lacan ici on ne peut pas se tromper si on se laisse guider par l’angoisse. « Dans l’espace où le réel va se démontrer, il faut qu’il y ait une impasse d’une symbolisation dans des conditions de contrainte telles que sur le bord de non-issue de cette symbolisation ne puisse venir que le réel mais cette fois dans la guise de l’acte ». A cela dans cette affirmation de « démontrer », il pourrait y avoir moyen d’objecter que cela dérape…

Alors que Badiou pourrait dire quelque chose, il donne la parole à Jean-Claude Milner qui a écrit l’œuvre claire. Comment comprendre ?