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Le temps qui reste (lecture de l’épitre de St Paul aux Romains)


Auteur du livre: Giorgio Agamben

Éditeur: Rivages Poche

Année de publication: 2017

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Paul promeut le mot CHRISTOS qui n’est pas un nom propre mais la traduction du mot juif qui désigne messie, oint. C’est plus qu’osé car on ne devrait jamais oublier qu’il n’appartient à personne de transformer un mot d’usage courant dans le contexte linguistique où il vit, en un nom propre : ça c’est un coup de force du catholicisme ! Mais que signifie «  vivre dans le messie ».

Chapitre 1 : Aporie

Paul appartient à une communauté juive de la diaspora qui pense et parle en grec. Il n’y a rien de plus authentiquement juif que d’habiter une langue d’exil et de la travailler de l’intérieur jusqu’à en brouiller l’identité et en faire autre chose qu’une simple langue grammaticale ; pour que nous comprenions, le plus évident c’est le yiddish langue des ashkénazes. Il faut parler d’une langue maternelle bien qu’elle témoigne du fait que la vie linguistique du juif se sent toujours en terre étrangère et que sa vraie patrie linguistique personnelle se sait ailleurs dans le domaine de la langue sainte inaccessible au discours quotidien.

Point de méthode après ce préambule : quel jeu donne le changement de nom de Saul en Paul ? Miguel de Cervantes déclare à un certain moment que le véritable auteur du roman qu’il est en train d’écrire n’est pas lui mais un certain Cid Hamet Ben-Engeli. Dieu a changé le nom d’Abraham et Sarah, Saul aussi, en changeant une seule lettre de son prénom. Dieu avait-il en tête ici aussi de convoquer pour une nouvelle harmonie, moment de passage du temps ancien à un temps nouveau ? Paul est donc le surnom, le signum messianique (signum = supernomen) que l’apôtre «  se donne à lui-même au moment où il assume pleinement sa vocation messianique ». La métanomasie met en oeuvre l’intransigeant principe messianique énoncé par l’apôtre qui veut que, dans les jours du messie, les choses faibles et ayant peu d’importance prévaudront sur celles que le monde considère comme fortes et importantes (Saul est un nom royal, Paul veut dire petit). Paul veut se présenter en esclave soit une condition juridique profane qu’il transforme dans sa relation avec l’événement messianique : libre/esclave renvoyant à juif/gentil. Paul emploie DOULOS pour exprimer la neutralisation que subissent les divisions de la Loi : il n’y a plus ni juif ni gentil, ni esclave ni libre. Puis il parle de KLETOS : celui qui n’était pas digne d’être « appelé » apôtre est séparé en tant que tel. L’appel messianique a donc de l’importance au plan individuel autant que pour l’humanité toute entière.

Paul promeut le mot CHRISTOS qui n’est pas un nom propre mais la traduction du mot juif qui désigne messie, oint. C’est plus qu’osé car on ne devrait jamais oublier qu’il n’appartient à personne de transformer un mot d’usage courant dans le contexte linguistique où il vit, en un nom propre : ça c’est un coup de force du catholicisme ! Mais que signifie «  vivre dans le messie »  ?

Chapitre 2 : Beruf, klesis (vocation), ekklesia, os me (comme non), kresai (faire usage) 

La traduction apporte des problèmes mais permet des clarifications. La notion de KLETOS est remplacée par BERUF («  vocation » mais aussi profession profane) par Luther : la situation des paysans saute aux yeux quand ceux-ci partent en grève ! Il y a une énorme difficulté de mobilisation, vu leur profession. Il y a là une nouvelle évaluation de l’importance de la profession concrète de l’individu en tant que commandement que Dieu lui adresse en lui demandant de remplir les devoirs qui correspondent à la position mondaine que la providence lui a attribué !  KLESIS indiquait la transformation particulière que tout état juridique et toute condition mondaine subissent quand ils sont mis en relation avec l’événement messianique. Il ne s’agit pas d’indifférence eschatologique (morts nous sommes tous les mêmes) mais au contraire de la mutation voire du déplacement intime de toute condition mondaine spécifique dans la mesure où elle est « appelée ». Pour Paul EKKLESIA, la communauté messianique est littéralement l’ensemble des KLESEIS, c’est à dire des vocations messianiques.

Je vous le dit : le temps s’est contracté. Le reste est que ceux qui ont des femmes soient «  comme n’en ayant pas » … La vocation n’appelle à rien et vers aucun lieu, c’est pourquoi elle peut correspondre, coïncider avec la condition factuelle au sein de laquelle chacun est appelé. Qu’est ce donc une vocation sinon la révocation de toutes les vocations factuelles ? La vocation appelle vocation, elle même : elle est comme une urgence qui la travaille et la creuse de l’intérieur, l’annule dans la mesure même où elle se maintient en elle et y demeure. OS ME est un tenseur de type spécial, de ce qu’il met un concept en tension avec lui même sous la forme du « comme non » : ceux qui pleurent comme non pleurants. Le messianique n’est pas une autre figure, un autre monde : c’est le passage de la figure de ce monde. La vocation messianique est un mouvement immanent, une zone d’indiscernabilité absolue de l’immanence et de la transcendance de ce monde et du monde futur.

KRESAÎ veut dire faire usage. L’OS ME n’a donc pas qu’un contenu négatif ; il est le seul usage possible des situations mondaines. La vocation messianique n’est pas un droit, elle ne constitue pas une identité : c’est une puissance générique dont on va faire usage sans jamais se l’approprier. Être messianique, vivre dans le messie signifie la dépossession de toute propriété circoncis/non circoncis, libre/esclave, homme/femme. Cette dépossession ne fonde pas une nouvelle identité. La nouvelle créature n’est que l’usage, en la vocation messianique, de l’ancienne. Soit une forme de vie complètement soustraite à la sphère du droit. Il n’y a pas à entrer en conflit avec le droit mais de créer un espace qui puisse échapper à l’emprise du pouvoir en le rendant inefficace. Pour rappel dans le droit romain le citoyen en captivité perdait le droit de faire testament mais une lex Cornelia va venir changer ça en introduisant la fiction du « comme non captif », rendant le testament admissible légalement. Que signifie demeurer esclave dans la forme du comme non ? Chez Paul on n’est pas dans la lex Cornelia qui fausse la loi. Non ! Il s’agit de se soustraire à la loi en tant que lieu d’une pure praxis, c’est à dire non légitime.

KLESIS est à rapprocher de la notion de classe au sens de Marx lequel remplace « Stand » par classe pour analyser la bourgeoisie. Un noble (Stand) l’est de naissance. La classe représente la scission entre l’individu et sa figure sociale qui se vide du sens qu’il avait encore dans le Stand et se montre donc comme pur hasard. Benjamin dit que le concept de société sans classe est une sécularisation de l’idée du temps messianique, exactement comme la classe représente la dissolution de tous les milieux et l’émergence d’une fracture entre l’individu et sa propre condition sociale. La KLESIS messianique signifie l’évacuation et l’annulation de toutes les conditions juridico-factuelles par le OS ME. Il y a pour Agamben une autre dérive, philosophique cette fois. Le fait que le prolétariat ait fini par être identifié avec une classe ouvrière déterminée est un contresens et il n’est pas étonnant que s’y soit perdue sa vocation révolutionnaire. On y vient au rôle du parti. Si l’action politique, la révolution, coïncide parfaitement avec l’acte égoïste de l’individu, la révolte, pourquoi quelque chose comme un parti, serait-il nécessaire ? 

Quand l’EKKLESIA en tant que communauté des vocations messianiques, a voulu se donner une organisation distincte de la communauté elle même, tout en prétendant coïncider avec elle, le problème de la juste doctrine et de l’infaillibilité est de la même manière devenu crucial. Où donc est passé le OS ME dans Rm 13,1 : tout pouvoir vient de Dieu… donc obéissez et ne mettez pas en cause la position qui vous a été donnée dans la société. L’esclave doit rester esclave. En tant que chrétien l’esclave est libre de tout lien et l’homme libre en tant que chrétien devient l’esclave de Dieu. Les rapports avec le monde, avec la profession et avec tout ce qu’est un homme, ne déterminent en rien la facticité du chrétien. Mais s’ils sont conservés et seulement dans la mesure où ils le sont, ils sont appropriés pour la 1ère fois. Dialectique donc du propre et de l’impropre : le propre et l’authentique ne sont pas quelque chose qui flotte au dessus d’un quotidien déchu, mais au contraire existentiellement la saisie modifiée de ce dernier. On a parlé de Luther, voici Heidegger. Mais attention ! Il n’en reste pas moins que chez Paul il ne s’agit pas d’appropriation mais d’usage, et que le sujet messianique non seulement n’est pas défini par des propriétés mais ne peut même pas se posséder lui même comme un tout, ne serait-ce que sous la forme de la décision authentique de l’être pour la mort. 

Adorno redéfinit la philosophie : la seule philosophie, dont on puisse encore assumer la responsabilité face à la désespérance, serait la tentative de considérer toutes les choses telles qu’elles se présenteraient du point de vue de la rédemption. N’est-ce-pas une esthétisation du messianique sous la forme du comme si ? Le problème qui se pose ici est celui du statut ontologique de ces fictions dont le langage est l’archétype. Les théories progressistes de la social-démocratie sont à situer ici. Flaubert et Gauthier y font écho, dans leurs romans, comme auteurs du bovarysme et du nihilisme. La philosophie survit parce que le moment de sa réalisation a été manqué. C’est le fait d’avoir manqué le moment de sa propre réalisation qui oblige à contempler à l’infini l’apparence de la rédemption. La beauté esthétique est le châtiment que la philosophie doit subir pour avoir manqué sa réalisation. Cette omission est tout à la fois absolument contingente et absolument irréparable : c’est l’impotentiel … Malgré les apparences, la dialectique négative n’est absolument pas messianique. On en vient à la notion d’exigence pour se faufiler entre l’impotentiel d’Adorno et le ressentiment d’Améry (il s’agit d’un juif d’Auschwitz qui change de nom à son retour ; essai publié chez Actes sud) sans pour autant nier simplement la contingence. Cette vie, bien qu’elle ait été complètement oubliée, exige de rester inoubliable. Chaque possible exige d’exister, de devenir réel dit Leibniz. Il faut pourtant renverser cette maxime : chaque existant exige sa propre possibilité, exige de devenir possible. Le chaos informe que ce qui a été oublié n’est ni inerte ni inefficace. Il agit en nous comme une force tout aussi grande que celle de la masse des souvenirs conscients même si c’est de manière différente. De là l’insuffisance de toute relation à l’oublié qui chercherait simplement à le renvoyer à la mémoire. Ce qui rend chaque histoire historique et chaque tradition transmissible c’est le noyau inoubliable qu’elles portent en leur sein. L’alternative est entre inconscience et conscience. L’élément décisif est seulement la capacité de rester fidèle à ce qui, bien qu’il ait été sans cesse oublié, doit pourtant rester inoubliable et exige en quelque sorte de demeurer avec nous, d’être encore -pour nous- d’une certaine manière possible. Retour du refoulé : est-ce que quelque chose, dans l’esprit, correspond à cette plainte de la créature qui se perd sans cesse ? Ce n’est pas un discours bien tourné qui pourrait en calculer et en enregistrer la perte, mais seulement un gémissement indicible. C’est pour cela que celui qui demeure fidèle à ce qui se perd ne peut croire à aucune identité ni KLESIS mondaine. Celui qui se tient dans la vocation messianique ne connait plus le comme si. Il ne contemple le salut que dans la mesure où il se perd dans ce qui ne peut être sauvé.

Chapitre 3 : aphorismenos – segregatus

Comment est-il possible que Paul qui prêche l’universalisme et annonce la fin messianique de toutes les séparations entre juifs et païens, se réfère à lui-même comme à un « séparé » ? Il nous faut traiter la notion d’universalisme supposé de Paul et de la vocation catholique de la communauté messianique : en se définissant comme séparé Paul évoque son passé ; le mur que le message messianique fait tomber est celui que le pharisien d’autrefois maintenait autour de la Thora afin de la protéger des non juifs. Dans la bible, le concept de peuple est toujours divisé. AM est Israël, le peuple élu avec lequel Yahvé a conclu un pacte ; les goyim sont les autres peuples : LAOS et ETHNE… pas loin des conflits ethniques ! Quelle est la stratégie de Paul face à cette division fondamentale ? 

Dans l’épître aux Romains, les partitions du NOMOS passent à l’intérieur de l’homme qui, sous l’action de la loi, se divise lui même. Face à ces partitions, Paul fait jouer une autre division qui ne coïncide pas avec elles mais qui ne leur est pas non plus extérieure. L’aphorisme messianique s’exerce bien plutôt sur les divisions de la loi elles mêmes et leur impose une division ultérieure. Il s’agit de la division entre SARX et PNEUMA, entre la chair et le souffle. Le sous ensemble juif se scinde en juifs manifestes (visibles) et en juifs cachés ; il faut faire la même division pour l’autre sous-ensemble. Il y a désormais des juifs qui ne sont pas juifs et des non juifs qui ne sont pas des non juifs. On passe alors à une logique intuitioniste, du genre de celle qui est utilisée par Nicolas de Cues : à côté de A et non A, il y a place pour non non A. Celui qui se tient dans la loi messianique est non non dans la loi. Ceci oblige à penser la question de l’universel non seulement d’un point de vue logique mais aussi du point de vue ontologique et politique. Le juif selon le souffle n’est pas un universel parce qu’il ne peut être le prédicat qui correspond à tous les juifs, de la même manière que le non juif selon la chair ne l’est pas non plus. Mais cela ne signifie pas que les non non juifs soient seulement une partie des juifs ou des non juifs. Ils représentent plutôt l’impossibilité pour les juifs et les goyim de coïncider avec eux mêmes, ils sont comme une sorte de reste entre chaque peuple et lui-même, entre chaque identité et elle même. D’où la notion de tolérance ! Il ne s’agit pas de tolérer ou de traverser les différences pour trouver au delà de celles ci le même et l’universel. Pour Paul l’universel n’est pas un principe transcendant en fonction duquel regarder les différences (il ne dispose pas d’un tel point de vue) mais une opération qui divise les divisions de la loi elles mêmes et les rend inopérantes, sans pour cela atteindre jamais un fondement ultime.

Antelme – Maurice Blanchot. Si l’homme est ce qui peut être infiniment détruit, cela veut aussi dire qu’il reste toujours quelque chose au delà de cette destruction et dans cette destruction, et que l’homme est ce reste. Comme du temps d’Elie, Dieu s’est réservé 7000 hommes ! Le salut messianique, qui est une oeuvre divine, a pour sujet un reste : de Jérusalem sortira un reste, des survivants du mont Sion. Comment devons nous penser ce reste d’Israël ? Ce n’est pas une portion numérique. Mais il n’est pas non plus identique à Israël. Le reste est bien plutôt la forme ou la figure que prend Israël en fonction de  l’élection ou de l’événement messianique. Il n’est donc ni le tout ni une partie du tout mais il signifie pour le tout et la partie de coïncider à la fois avec eux mêmes et entre eux. Le reste est donc à la fois en excès du tout par rapport à la partie et de la partie par rapport au tout et il fonctionne comme une machine sotériologique très particulière. En tant que tel il ne concerne que le temps messianique et n’existe qu’en lui. Dans le temps de maintenant qui est le seul temps réel, il n’y a que le reste. il est cet impossible à sauver dont seule la perception nous permet d’atteindre au salut. Le propos de Kafka serait qu’il y a un salut mais pas pour nous.Il y a possibilité d’ouvrir ici une nouvelle perspective sur les notions de peuple et démocratie. Allusion à Rancière. Si le litige démocratique est pris pour ce qu’il est réellement, c’est à dire comme possibilité de la STASIS ou de la guerre civile, alors la définition « des sans parts » est pertinente. Et il y a lieu de faire en conséquence appel à la radicalité.

Chapitre 4 : apostolos

Apôtre veut dire « envoyé pour exercer une charge déterminée ». Pourquoi Paul se définit-il ainsi et pas comme prophète ? Dans le temps messianique, l’apôtre occupe la place du prophète, il se tient en son lieu : nabi. Dans le judaïsme c’est plutôt quelque chose comme une force ou une tension en lutte permanente avec d’autres forces qui cherchent à en limiter les modalités et le temps. Le prophète est essentiellement défini par son rapport au futur ; l’apôtre parle à partir de la venue du messie. À ce moment là, la prophétie doit se taire, elle est désormais réellement achevée, le temps est maintenant le présent. 

Il ne faut pas confondre le temps avec celui de l’apocalypse : le messianique n’est pas la fin du temps. Ce qui intéresse l’apôtre ce n’est pas le dernier jour, l’instant dans lequel le temps finit, mais le temps qui se contracte et qui commence à finir, le temps qui reste entre le temps et sa fin. Il y a contradiction inconciliable entre la modernité et l’eschatologie. Comment pouvons nous préciser le temps ? Soit une ligne orientée balisée en 3 points : A c’est CHRONOS, B c’est la résurrection du christ qui ouvre le temps du maintenant qui dure, et C c’est la parousie où alors le temps implose dans l’éternité. Ce serait pourtant mieux de recourir à la coupure d’Apelle et de représenter le temps messianique comme une césure qui en divisant la division entre les 2 temps (A et C) introduit en elle un reste qui excède de celle ci. Le temps messianique se présente comme la partie de l’EON profane qui excède le CHRONOS et comme la partie de l’éternité qui excède l’EON futur, l’un et l’autre étant en position de reste par rapport à la division entre les 2 EON(s). 

Mais n’est-on pas coincé ici par des représentations spatiales ? Si l’on représente le temps comme une ligne droite et sa fin comme l’instant ponctuel, on obtient quelque chose de parfaitement représentable mais d’absolument impensable ; au contraire si on réfléchit sur une expérience réelle du temps, on a quelque chose de pensable mais pas représentable.

Gustave Guillaume considère la langue entre puissance et acte, ce qui fait écho à de Saussure qui distingue langue et parole. Ici toutefois c’est plus complexe de ce que cela fait appel à la notion de temps opératif. L’esprit humain, pour Guillaume, a l’expérience du temps mais non de sa représentation, il recourt alors à une construction de nature spatiale : passé – présent – futur. Mais c’est trop simple, il faudrait pouvoir représenter les phases par lesquelles la pensée est passée pour la construire. On appelle temps opératif le temps que l’esprit emploie pour réaliser « une image-temps ».  La grande trouvaille du 20ème siècle revient à Benveniste soit la théorie de l’énonciation. Cette dimension mesure l’écart que le sujet entretient avec ses représentations. De tout ceci voici une 1ère proposition de définition du temps messianique : c’est le temps que met le temps pour finir. Le temps que nous mettons pour faire finir, pour achever notre représentation du temps. KAIROS, CHRONOS. Ce que nous saisissons quand nous saisissons une occasion n’est pas un autre temps mais seulement un temps contracté, abrégé. 

Paul décompose le temps messianique en 2 temps : la résurrection et la parousie (la seconde venue du christ à la fin des temps). Il y aurait ici un risque de dilatation implicite dans le concept de temps de transition qui comme toute transition tend à se prolonger à l’infini et à rendre ainsi insaisissable la fin qu’elle devrait produire. Parousie : dans le présent l’être est pour ainsi dire « à-côté de lui même ». La parousie n’indique ni un complément qui s’ajouterait à quelque chose pour le rendre complet ni un supplément qui s’ajouterait ultérieurement sans jamais réussir à atteindre l’accomplissement ; il faut utiliser la notion d’hétérogénéité tout le temps.  La présence messianique est à côté d’elle même parce que sans jamais coïncider avec un instant chronologique et sans s’ajouter à lui, elle parvient à la saisir et à l’amener de l’intérieur à son achèvement. Ma venue et l’heure : nous sommes si proches que l’heure de ma venue a failli arriver avant moi ! La Genèse est écrite pour expliquer que la création s’achève en 6 jours et que Dieu se repose le samedi. Mais la traduction de la Septante distingue la fin de la création du repos et marque la fin de la création au vendredi !!

Paul définit la relation intime qui existe entre le temps messianique et le temps chronologique, c’est à dire avec le temps qui va de la création à la résurrection, au moyen des notions de TYPOS : préfiguration et récapitulation. TYPICOS, de façon figurale c’est ce qui s’écrit pour notre instruction. Cette notion permet à Paul de faire lien entre tous les éléments passés et le temps messianique. TYPOS est ANTI-TYPOS : le messianique n’est pas seulement l’un des 2 termes de la relation typologique, il est cette relation même. Le messianique n’est pas un 3ème EON entre les 2 temps mais plutôt une césure qui divise la division entre les temps et introduit entre eux un reste, une zone d’indifférence inassignable à l’intérieur de laquelle le passé est déplacé dans le présent et le présent étendu au passé. Le passé, l’achevé retrouve l’actualité et devient inachevé alors que le présent, l’inachevé acquiert une sorte d’achèvement.Quant à la notion de récapitulation ? Le temps messianique est donc une récapitulation sommaire (comme on parle d’un jugement sommaire) du passé.  Ce qui produit un plérôme, un remplissage et un achèvement des KAIROÏ qui anticipe le plérôme eschatologique quand Dieu sera tout en tous. Le plérôme messianique est donc une abréviation et une anticipation du plérôme eschatologique. Il ne s’agit pas du résultat d’un processus ; ce qui est décisif, c’est que le plérôme des KAIROÏ soit ici compris comme la relation de chaque instant avec le messie. Chaque temps est le maintenant messianique et le messianique n’est pas la fin chronologique du monde mais le présent comme exigence d’achèvement. Le fait qu’il ne s’agisse pas seulement d’une préfiguration mais d’une constellation et presque d’une unité entre les 2 temps, est déjà contenu de manière implicite dans l’idée que tout le passé est pour ainsi dire inclus sommairement dans le présent, de telle sorte que la prétention du reste à se donner comme tout y trouve un fondement supplémentaire. On n’est pas encore dans la récapitulation définitive mais cette étape est d’autant plus décisive que c’est précisément par la récapitulation messianique que les événements du passé acquièrent leur vrai sens et deviennent susceptibles d’être sauvés. C’est surtout avec le passé que nous devons régler des comptes.

Chapitre 5 : EIS

EIS est un « mouvement vers quelque chose » dans l’évangile, l’heureux message apporté par le joyeux messager. Comme l’apôtre se distingue du prophète, la structure implicite dans l’évangile se distingue de celle de la prophétie. L’annonce se réfère à un événement présent. Cette définition saisit parfaitement le lien «  annonce / foi / présence ». Terme à rapprocher de PISTIS et de PAROUSIA. Qu’est ce qu’un logos est capable de réaliser pour celui qui l’écoute et y croit, une présence ? L’annonce en tant que potentialité a besoin du complément de la foi. Ce qui est annoncé c’est la foi qui réalise la puissance de l’annonce elle même. La foi est l’être en acte, l’ENERGEIA de l’annonce. En réalité l’évangile n’est pas seulement un discours, un logos qui dit quelque chose de quelque chose, indépendamment du lieu de son énonciation et du sujet qui l’écoute. Au contraire l’annonce n’est pas un logos vide en lui même mais qui pourrait cependant être cru et vérifié : elle nait dans la foi de celui qui la profère et de celui qui l’écoute, et vit seulement en celle ci. La foi consiste en la pleine persuasion de la nécessaire unité de la promesse et de la réalisation.

Abraham : l’annonce est la forme que la promesse prend dans la contraction du temps messianique. EPAGGELIA : Paul oppose EPAGGELIA (promesse) et PISTIS (foi) d’un côté et loi (NOMOS) de l’autre. Il s’agit pour Paul de situer la foi, la promesse et la loi par rapport au problème décisif du critère du salut. Abraham est joué contre Moïse. Si l’héritage venait de la loi, il ne serait plus celui de la promesse ; Dieu donne sa grâce à Abraham à travers la promesse. Alors pourquoi la loi ? Elle fut ajoutée à cause des transgressions jusqu’à la venue de la semence à laquelle avait été faite la promesse. 

Entre la loi et la foi, il y a non pas un rapport d’opposition mais une relation plus intime comme si l’un et l’autre s’impliquaient réciproquement. Il s’agit de la loi dans son aspect prescriptif et normatif. L’opposition concerne donc EPAGGELIA et PISTIS d’une part et d’autre part non pas simplement la Torah mais l’aspect normatif de celle ci. Entre foi et loi, il ne s’agit pas d’un lien antithétique entre 2 principes séparés et hétérogènes, il s’agit au contraire d’une opposition interne au NOMOS lui même, l’opposition entre un élément normatif et un élément promissif. Il y a dans la loi quelque chose qui excède constitutivement et qui lui est irréductible et c’est à cet excès à cette dialectique interne à la loi que Paul se réfère. La loi messianique est la loi de la foi et non pas simplement la négation de la loi. 

Paul se sert toujours d’un verbe KATARGEIN : suspendre les oeuvres le jour du sabbat. Paul connait l’opposition grecque entre DUNAMIS et ENERGEIA entre puissance et acte mais on a ici une puissance qui passe à l’acte et atteint son TELOS non pas sous la forme de la force et de l’ERGON mais sous celle de l’ASTHENEIA et de la faiblesse. Principe d’inversion. La philosophie grecque connaissait la STERESIS (privation) et l’ADUNAMIA (impuissance) qui sont malgré tout des espèces de puissance. Mais il y a autre chose : si dans le NOMOS, la puissance de la promesse a été transposée dans des oeuvres et des préceptes obligatoires, à présent le messianisme rend ces oeuvres inopérantes et les restitue à la puissance sous la forme du désoeuvrement et de la non effectivité. Ce n’est que dans la mesure où le messie rend inopérant le NOMOS, le fait sortir de l’oeuvre et le rend ainsi à la puissance, qu’il peut en représenter le TELOS, c’est à dire à la fois la fin et l’accomplissement. Ce qui est désactivé, ce qui a été sorti de l’ENERGEIA n’est pas pour autant annulé mais au contraire gardé et fixé en vue de son achèvement. Non pas la destruction de l’être mais le progrès vers un état meilleur. Luther va traduire KATARGEIN par AUFHEBEN. 

Et voici Hegel. Du moins via ses traducteurs français que sont Kojève et Koyré. Mais avec eux le messianique a été rabattu sur l’eschatologique et donc sur la fin de l’histoire. Alors il y a déviation du discours …en définissant la condition de l’homme post-historique de voyou désoeuvré qui est le sabbat de l’homme. Penser c’est revenir à Aristote qui distinguait la privation de la simple absence dans la mesure où la privation implique encore un renvoi à l’être ou à la forme dont il y a privation et qui se manifeste à travers son manque. Penser c’est faire place aux indécidables car il y a encore de la signification au delà de la présence et de l’absence car d’une certaine manière la non présence signifie encore (Jakobson). Pour que la dé-construction puisse fonctionner, ce qui doit être exclu, c’est que la présence et l’origine, au lieu de manquer, soient purement insignifiantes. La trace est de ce point de vue une AUFHEBUNG suspendue qui ne connaît jamais son plérôme. Si l’on abandonne le thème messianique et que l’on insiste seulement sur le moment de la fondation et de l’origine ou ce qui revient au même sur leur absence, on obtient une signification vide de degré zéro et l’histoire devient son renvoi à l’infini.  

Karl Schmitt dégage le paradigme de l’exception. Il est important de ne pas oublier que ce qui est exclu de la norme par l’exception n’est pas pour autant sans rapport avec la loi : la loi ici est en auto-suspension. On a : 1) une indétermination absolue du dedans et du dehors ; dans l’état d’auto-suspension souveraine, la loi atteint la limite extrême de son effectivité et en incluant son dehors sous la forme de l’exception, elle coïncide avec la réalité elle même 2) dans l’état d’exception on ne peut pas distinguer entre l’observance et la transgression de la loi 3) cette in-exécutabilité de la norme a pour corollaire le fait que la loi dans l’état d’exception est absolument in-formulable ; elle n’a plus la forme d’une prescription ou d’un interdit.

Paul alors revient avec la KATARGEIN messianique : 1) le reste, les non juifs, n’est pas spécialement dans la loi ou hors la loi ; il est le signe de la désactivation messianique de la loi ; à la loi qui s’applique en se dés-appliquant correspond alors un geste – la foi – qui la rend inopérante et la porte ainsi à son accomplissement ; la loi de la foi ne se définit plus par les oeuvres mais comme la manifestation d’une justice sans loi soit à une observance de la loi sans la loi  2 et 3) l’in-exécutabilité et l’in-formulabilité de la loi apparaissent comme les conséquences nécessaires de l’exclusion des oeuvres réalisées par la loi de la foi ; tous ont été rendus incapables de « faire usage » et seule la foi peut à nouveau transformer en KRESIS, en usage ; la loi n’est pas ici une ENTOLE c’est à dire une norme qui prescrit ou interdit clairement quelque chose : tu ne désireras pas le salut car c’est la connaissance de ta faute qui doit te guider comme auto-imputation continuelle sans précepte (comme dans la colonie pénitentiaire de Kafka, tu ne sais pas pourquoi on te condamne? Tu n’as pas à connaître la raison, du moment que moi, chef de ce camp, le sait) ! Après avoir divisé la loi de Moïse en une loi des oeuvres et une loi de la foi, en une loi du péché et une loi de Dieu, et après l’avoir rendue inopérante et inexécutable, Paul peut ainsi l’accomplir  et la récapituler à travers la figure de l’amour. La notion de KATECHON veut dire frein. L’empire romain est vu positivement (?) comme ce qui retient la fin de s’accomplir (Tertullien), il la freine. Paul ne dit pas ça : le KATECHON est la force qui s’oppose à la KATARGESIS et cache l’état d’anomie tendancielle qui caractérise le messianique et en ce sens retarde le dévoilement du mystère de l’anomie (2 Thess 2). Il n’y a rien chez Paul pour «  faire usage » de fondement à une doctrine chrétienne du pouvoir.

Chapitre 6 : Buber

Buber parle de 2 types de foi : l’EMOUNA juive et la PISTIS paulinienne. La PISTIS grecque signifie exactement la même chose que l’EMOUNA juive et il n’y a pas 2 types de foi. Pour en sortir il faut rapprocher PISTIS de la notion d’ORKOS, serment. Au moment de prêter serment on tenait un objet en main appelé aussi ORKOS. Cet objet avait le pouvoir de faire mourir le parjure. On est ici dans la sphère la plus archaïque du droit dans laquelle la magie, la religion et le droit sont mêlés. 

Paul cherche à séparer l’un de l’autre 2 éléments qui se trouvent à l’origine étroitement liés. La foi est le crédit dont on jouit auprès de quelqu’un après que nous avons placé en lui notre confiance, c’est à dire que nous lui avons donné comme un gage à travers lequel nous nous lions à lui dans un rapport de fidélité. Le CREDO du chrétien (donner le KRED) c’est mettre la puissance magique en un individu dont on attend une protection. Il y a un aspect politique au mot FIDES. Une ville pouvait se rendre sans conditions à l’ennemi, obligeant celui ci à une certaine bienveillance. Les individus de ces villes avaient alors un statut à part, les DEDITICII, les apatrides, les non esclaves, les messianiques. Il y a aussi un lien entre FIDES et FOEDUS. Si nous voulons comprendre le sens de l’opposition entre PISTIS et NOMOS dans le texte paulinien, il vaut mieux ne pas oublier cet enracinement de la foi dans la sphère du droit. La PISTIS y maintient quelque chose de la DEDITIO, de l’abandon sans conditions au pouvoir d’autrui et qui oblige également le recevant. 

Il en va de même des considérations avec l’EMOUNA juive dans ses rapports avec le BERIT, pacte, alliance, pacte juridique comme celui que concluent Jacob et Laman. Le terme EMOUNA signifie donc exactement l’attitude qui doit naître de la BERIT et il correspond en cela exactement au grec PISTIS. L’EMOUNA est aussi bien la foi des hommes que celle de Yahvé. La grâce chère à Paul trouve ici un précurseur dans le HESED, la bonté et la faveur que Dieu réserve à ses fidèles. En opposant PISTIS et NOMOS Paul ne fait pas ressortir le contraste de 2 éléments hétérogènes mais fait au contraire jouer entre elles 2 figures ou 2 plans ou 2 éléments à l’intérieur du droit de façon désormais claire. D’un côté EPAGGELIA (promesse) ou DIATHEKE (pacte) et de l’autre côté ENTOLE (commandement). Dans Gen 15, 18 la promesse que fait Yahvé à Abraham est définie comme DIATHEKE : c’est le pacte originaire qui précède la loi mosaïque ? Pacte de promesse. Paul joue la constitution contre le droit positif comme Karl Schmitt : tous les concepts les plus importants de la doctrine de l’Etat sont des concepts théologiques sécularisés : il y a fidélité personnelle et puis il y a l’obligation positive qui en découle.  

C’est pourquoi chez Paul à côté de la PISTIS émerge le thème de la grâce (CHARIS). Il s’agit ici d’une prestation gratuite, déliée des liens obligatoires de la contre prestation et du pouvoir : crise entre EPAGGELIA et NOMOS. Ce qui disparait alors en même temps que le lien entre la religion et le droit, c’est donc le lien entre la prestation et la contre prestation, entre l’exécution et la norme, de sorte que d’un côté on a une loi sainte, juste et bonne mais cependant devenue inexécutable et incapable de produire le salut et de l’autre côté une foi qui bien qu’elle dépende à l’origine d’un pacte est capable de mettre en oeuvre le salut sans la loi. Apparait l’espace de gratuité. La grâce est cet excès qui en même temps qu’il divise à chaque fois les 2 éléments du pré-droit et les empêche de coïncider mais ne leur permet pas non plus de se diviser complètement. La grâce semble même définir une véritable souveraineté (AUTARKEIA) du messianique par rapport aux oeuvres de la loi. Capacité souveraine d’accomplir gratuitement des bonnes oeuvres indépendamment de la loi. 

Ici on peut mieux comprendre ce que Paul appelle les 2 alliances (les 2 DIATHEKAÏ) : MoÏse par rapport à Abraham ou les 2 par rapport au Christ. Gal 4, 24-26 raconte qu’Abraham avait eu 2 fils, l’un de l’esclave, l’autre de la femme libre, le fils de la 1ère selon la chair et le second en vertu de la promesse. La loi mosaïque vient d’Agar et correspond à l’esclavage des commandements et obligations ; la nouvelle alliance vient de Sarah et correspond à la liberté qui est la loi de la foi. L’instance messianique qui agit dans le temps historique en rendant inopérante (KATARGEIN) la loi mosaïque remonte généalogiquement au delà de cette dernière vers la promesse. C’est pour cette raison que la nouvelle alliance ne peut devenir un texte écrit car elle est « écrite » avec le souffle de Dieu sur des coeurs de chair, c’est à dire non un texte mais la vie même de la communauté messianique, non pas une écriture mais une forme de vie. La dérive des indulgences dans la sphère chrétienne du pouvoir ecclésiastique renvoie à la thèse des prestations totales, le POT-LACH, de Mauss. Pour Paul, la gratuité ne fonde pas la prestation obligatoire mais produit par rapport à elle une sorte d’excès irréductible. La grâce n’est pas le fondement des échanges et des obligations sociales, elle est plutôt une interruption. Le geste messianique ne fonde pas, il accomplit. La grâce n’est rien d’autre que la capacité de « faire usage » de toutes les déterminations et de toutes les prestations sociales.  

Il y a une discussion au sein du christianisme qui vire au problème : faut-il parler de la foi du christ ou de la foi en christ ? Que se passe-t-il chez Paul ?  La foi de Paul commence avec la résurrection car il ne connait pas Jésus en chair et en os, il ne le connait pas selon la chair. Le contenu essentiel de la foi paulinienne n’est pas la vie de Jésus mais Jésus messie. Tout se passe comme si pour Paul, entre Jésus et messie, il n’y avait pas de place pour la copule « est » ! Il ne sait pas que Jésus est le messie, il ne connait que Jésus messie : c’est un syntagme nominal. La phrase nominale et la phrase à ESTI n’assertent pas de la même manière et n’appartiennent pas au même registre. La 1ère est du discours, la 2de de la narration. L’une pose un absolu, l’autre décrit une situation par division de l’ontologie entre ontologie de l’existence et ontologie de l’essence. La phrase nominale échappe à cette distinction et présente un 3ème type au delà de l’existence et de l’essence. Paul ne croit pas que Jésus ait la qualité d’être le messie, il croit en Jésus messie et c’est tout. Messie n’est pas un prédicat qui viendrait s’ajouter au sujet Jésus mais quelque chose qui est inséparable de lui sans pour cela constituer un nom propre.  Et c’est cela l’expérience de la foi chez Paul : une expérience de l’être aussi bien au delà de l’existence qu’au delà de l’essence, tant du sujet que du prédicat. Mais n’est-ce pas ce qui arrive dans l’amour ? 1 Cor 13, 4-7. 

Mais alors qu’est ce que le monde de la foi ? Un monde d’événements indivisibles dans lequel je ne juge pas et je ne crois pas que la neige est blanche mais au contraire dans lequel je suis transporté et déplacé dans l’être de la neige-blanche. Enfin un monde dans lequel je ne crois pas que Jésus, cet homme là, est le messie, fils unique de Dieu, mais je crois seulement en Jésus messie : je suis entraîné et transporté en lui de telle manière que ce n’est pas moi qui vit mais c’est le messie qui vit en moi. La foi est le monde de la parole. Accorder sa propre parole à la parole d’un autre, ou accorder ses mots à ses oeuvres ? Chez Paul la correspondance ne joue pas entre différents mots ou entre des mots et des faits, elle joue pour ainsi dire dans la parole elle même entre la bouche et le coeur. Proche : le terme n’exprime pas seulement la proximité dans l’espace mais aussi et surtout la proximité temporelle, presque une coïncidence temporelle. Proche exprime aussi le vide de la main et le fait de mettre quelque chose dans la main, le gage. Il faut ici penser à quelque chose comme une efficacité performative de la parole de la foi qui se réalise par sa prononciation même dans la proximité de la bouche et du coeur.  Benveniste rapproche la parole de la sphère du droit. On peut définir le droit comme le champ dans lequel tout le langage tend à prendre une valeur performative. Le performatif remplace la relation dénotative normale qui existe entre le mot et le fait, par une relation auto-référentielle qui en mettant hors jeu la 1ère (référentielle) se pose elle même comme fait décisif. Quelle relation y a-t-il entre le PERFORMATIVUM FIDEI et les performatifs de sacrement et de pénitence ? Chaque révélation est toujours avant tout une révélation du langage lui même, l’expérience d’un pur événement de parole qui excède toute signification et qui est cependant animé par 2 tensions opposées : le NOMOS cherche à combler l’excédent en l’articulant sous forme de préceptes et contenus sémantiques ; la PISTIS cherche à la maintenir ouverte. Serment versus gratuité ou usage. Le messianique fait signe, se présente comme une pure et commune puissance de dire, capable d’un usage libre et gratuit du temps et du monde. Faiblesse. L’acte d’une pure puissance de dire en tant que telle, une parole qui demeure très proche d’elle même, ne peut être une parole signifiante qui énonce des opinions vraies sur l’état des choses, ou bien un performatif juridique qui se pose lui même comme un fait. Il n’existe pas de contenu de la foi, et professer la parole de la foi ne veut pas dire formuler des propositions vraies sur Dieu ou sur le monde. Cette puissance de dire est ce reste de puissance qui ne s’épuise pas dans l’acte mais est chaque fois conservée et demeure en lui. Si ce reste de puissance est en ce sens faible, s’il ne peut être accumulé dans un savoir ou dans un dogme, ni s’imposer comme un droit, il n’est cependant pas passif, ni inerte ; il agit précisément par sa faiblesse même en rendant la parole de la loi inopérante, en décriant et déposant les états de fait ou de droit, c’est à dire en devenant capable d’en faire libre usage.

Chapitre 7 : seuil ou tornada

Le livre se termine. Occasion de dire que c’est le compte rendu d’un séminaire. 

Ce chapitre termine avec la structure du poème et de la rime laquelle deviendra importante dans la poésie romane. Le poème est un organisme, une machinerie temporelle tendue depuis le début vers sa propre fin : eschatologie intérieure au poème. La sextine a ceci de particulier que le statut de la rime se modifie en elle : le retour des homophonies dans les syllabes finales cède la place à la réapparition de 6 mots-rimes qui concluent chacune des 6 strophes. À la fin une « tornada » récapitule les mots-rimes en les combinant à l’intérieur de 3 vers. L’analyse manifeste une alternance d’inversion et de progression. Le mouvement de la sextine à travers ses 6 strophes répète celui des 6 jours de la création et en même temps construit leur relation avec le samedi en tant que chiffre de l’achèvement messianique du temps. La rime nait dans la poésie chrétienne comme une trans-codification linguistico-métrique du temps messianique. La rime est l’héritage messianique que Paul lègue à la poésie moderne. Mais Hölderlin rompra avec cet héritage quand il élaborera sa doctrine de la prise de congé des dieux.

Parler de tornada ce sera parler de la citation avec ou sans guillemets. La citation va chercher dans des textes du passé ce qu’on a besoin pour argumenter maintenant. Mais on peut trouver dans cet usage un moyen de récapituler ce passé dont on ne peut se passer, récapituler c’est accomplir. Et puis surprise…Parler de seuil c’est faire état de la philosophie de Walter Benjamin comme l’interprétation pour aujourd’hui de la pensée de Paul. Dans les thèses sur l’histoire il est argumenté que l’accomplissement du message de Paul trouve à notre temps occasion d’accomplissement. On est au bon moment pour en comprendre toute la portée. Nouvelle source donc pour un renouvellement de notre lecture.

Conclusion : sur l’image lue

L’image lue, l’image dans le maintenant de sa connaissabilité, porte au plus haut la marque de ce  moment critique qui est à la base de toute lecture. On n’approche pas Paul innocemment. Benjamin y a reçu sa vocation. Et cela pourrait bien arriver à Agamben. Ou à nous. Seuil donc…