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Le détour et l’accès, stratégies du sens en Chine et en Grèce


Auteur du livre: François Jullien

Éditeur: Grasset

Année de publication: 1995

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Dans le prolongement du Traité de l’efficacité, nous retrouvons ici Confucius. Et Mencius. On aborde la diplomatie, le rôle des lettrés, le poids des images, de la Grande Image. Et on ouvre des pans nouveaux de la culture chinoise en poésie et dans le théâtre.

Chapitre 1 : il est chinois…c’est du chinois

Au départ d’un article d’un missionnaire US décrivant le discours indirect avec des exemples de la communication du parti autour de Den Xiao Ping , on apprend à déceler une stratégie du sens qui s’appuie sur une méthode. Le suspens joue à plein de 2 types de signes : le discours prépare le terrain, et annonce en douceur le changement de cap. On parlera 1) de fonction conative, 2) et du rôle d’un amortisseur. Il faut ajouter que l’expression indirecte opère soit par emprunt d’éléments externes, soit par une différence interne comme la raréfaction. On peut aussi éclairer une modification par défaut en continuant simplement à dire ce qui n’a pas changé (dans un effet de trou).

Chapitre 2 : de front, de biais

Dans les traités militaires chinois, l’accent est mis sur l’art de déposséder l’autre de sa capacité défensive et de le miner de l’intérieur avant même que l’engagement ait lieu. On ne vise pas la destruction de l’autre mais sa déstructuration. Il s’agit d’une théorie du déjouement, du biais, pas du direct, du détourné et pas du droit. Les 2 premières notions sont stratégiques, les 2 suivantes relèvent de la tactique. Il faut aller de toute façon plus loin que cette distinction qui présente l’opposition depuis le dehors ; il faut rendre compte d’une différence interne. C’est par une absence de disposition que je contrôle la disposition de l’adversaire. Ce qui n’est pas encore actualisé n’a pas pris forme concrète et bénéficie de toutes les ressources du possible. À prendre la différence de façon générale, on n’est pas dans le déploiement mais dans le moment qui précède le déploiement. Si on nous attaque de biais, je répondrai de front ! Ce qui compte c’est de se garder toujours un surplus de biais. 

Attention il ne s’agit pas de dialectique : en comparant avec le point de vue grec, on prendra la description de la phalange et l’organisation d’un duel selon un principe d’économie : le résultat du combat entre les 2 équipes adverses scelle la victoire. Bien sûr les grecs aussi connaissaient la ruse (métis) mais elle est réservée dans les mythes. Chez les grecs la phalange est composée de pièces qui sont interchangeables et ce qui compte c’est la pesée. C’est pareil au niveau de la polis : les citoyens sont tous des éléments égaux entre eux. Et on retrouvera cette structure de l’ « agaun » dans le théâtre, à l’assemblée et dans les tribunaux. Ce qui est décisif c’est le vote de la majorité. Il y a toujours, disent les sophistes, à dégager 2 discours antithétiques. Le logos est de retourner l’argument de l’autre, de réfuter, de compenser, bref de développer des antilogies, où ce qui compte c’est de serrer l’objet « au plus près ». La portée de l’antilogie, c’est de transformer tous les éléments de l’argumentation en données comparables susceptibles  d’être comptés comme points gagnants ou le contraire. On gagne par surplus d’arguments. Attention, cette structure requiert un tiers en fonction de juge. Du côté chinois le chapitre se termine en développant le potentiel esthétique de la manifestation et du retrait, du jeu du vide et du plein. On prend ici l’exemple de la stratégie de l’invective.

Chapitre 3 : sous couvert d’image, la critique insinuée

Logique de l’implicite, la poésie classique l’applique une fois encore à la critique de la gestion des affaires par les dirigeants de la Cour Impériale. Sous couvert d’image, on opère comme lettré par insinuation, vu le danger d’une attaque frontale. Il faut que l’Empereur puisse sauver la face. La Chine veut préserver l’harmonie musicale globale. Le poème comme le vent n’est pas localisable, ne peut pas être borné. Par indice, le propos polémique est ténu, se contentant d’un effet d’incohérence à peine esquissé. Ici on ne vise pas la vérité, on est dans un propos moral à portée sociale. Cela n ‘a rien à voir avec l’allégorie grecque. On joue sur ce qui est tu. Très peu d’évocation poétique des injustices n’est fait par attaque frontale. Mais aussi très peu d’évocations poétiques ne sont qu’uniquement et purement littéraires, ouvrant sur l’ailleurs ou l’éternité. Pour s’approcher de ces registres, on procédera par inspiration chamanique, comme dans les soutras bouddhiques…mais ce n’est plus de la poésie.

Chapitre 4 : par citations interposées, le pouvoir d’ébranler

Le Livre des Odes est une mine de citations dont usent les diplomates de la négociation. L’usage cherche ici à jouer de la charge émotionnelle  des images véhiculées dans le poème retenu. Il ne s’agit pas d’argumenter mais de retourner le motif fixe en quelque chose de mobile, soit retourner une intention fixée, par un déplacement sur un autre plan, dans un autre registre. Dans ce chapitre de nombreux exemples font l’inventaire de cette pratique, tout un art qui ne s’acquiert qu’au bout de tout un travail d’éducation (mais accessible aussi aux plus barbares). L’art est d’ailleurs tout aussi grand quand il s’agit de décrypter. Et le summum est alors de feindre de ne pas avoir compris la raison du recours à tel ou tel poème. D’où l’importance des couloirs car on y a parfois l’occasion de montrer qu’on a parfaitement compris mais qu’on a sa propre lecture. À chaque fois on joue sur une réserve de sens pour ébranler les volontés les plus assises. Les circonstances sont des contextes  qui appellent le recours à tel ou tel poème, parfois à contre usage. Ils sont là pour faire entendre : éloge, avertissement, menace, conseil, recommandation, ou pour dissoudre une résolution.

Chapitre 5 : laisser entendre, éviter de dire, ou comment lire entre les lignes

Les annales de l’antiquité chinoise sont consignées dans la chronique des printemps et des automnes. Ce n’est pas seulement un relevé factuel. Il y a quelque chose de systématique qui est à dégager par le détour des faits cités selon une logique de l’obliquité. Il laisse percevoir le point de vue adopté qui de façon plus que dominante est de l’ordre du blâme ou de l’appréciation d’un événement relaté. D’où l’importance des mots et de la place des mots, dans ces jugements de valeur. Tout ce qui n’est pas habituel est relevé : dans les événements climatiques mais évidemment aussi sociaux et politiques. Ce qui compte c’est la valeur d’exemple. Le plus évident c’est un manquement à une règle pu un rite. Mais à côté du point de vue moral, le point de vue d’historien va souligner ce qui arrive la première fois car il fait appel d’un nouveau système. Attention alors à ce qui est trop courant car plus la déviation se répète, plus elle perd de son poids par rapport à une rectitude de conduite (par exemple en période de décadence). Pour s’y retrouver on n’a que des indices. Ainsi de la façon de nommer les gens : titre, clan, nom personnel. On peut ici évoquer une topologie, une géométrie, celle qui se découvre dans l’aventure du chemin, avec ses tensions. Il faut ajouter dans le discours l’ordre d’énumération, le mode de coordination employé. Plus complexe est la dialectique à 4 termes quand s’y invite un 5ème pour la dé-compléter. Il y a de la tension entre la priorité événementielle et la propriété axiologique (la tradition pour quelqu’un comme Confucius). Il faut porter l’attention à la différence entre une lecture depuis un point de vue extérieur et depuis un point de vue intérieur. Il y a en outre une logique de la pudeur par rapport à ce qui concerne l’extérieur et l’intérieur du sujet du discours. Ceci conduit à biaiser, à gommer pour protéger le lettré. Mais attention aussi à sa capacité de nuire subtilement ; il faut ici être attentif à la consistance des indications dans la structure du propos. Il faut dire parfois les choses de façon très nuancée en combinant 2 indications contradictoires, par exemple condamner moralement et pardonner.

Ce chapitre fait une comparaison chez les grecs avec Thucydide et Pline chez les romains.

Chapitre 6 : la dissidence impossible, idéologie de l’obliquité

On termine ces chapitres centrés sur les lettrés par sa fonction d’adresser des remontrances au prince. L’Empire qui démarre au 2ème siècle acn clôt l’ère des lettrés, leur siècle d’or. La dissidence devient impossible. Désormais leur fonction perdra son dessin tranchant. Un nom sort du lot : Wang Fushi qui codifie dans un catalogue 5 modes de remontrance…mais après lui tout se diluera dans la veulerie. Et tous ceux qui rivalisent en subtilité s’y perdent car on ne peut s’assurer de la bonne lecture de leurs propos. Le lettré a perdu toute légitimité, on est loin du temps de Confucius…dont ce chapitre finit par parler beaucoup.

Chapitre 7 : entre émotion et paysage : le monde n’est pas un objet de représentation

Retour en Grèce pour 2 chapitres (même si le résumé ne rend pas compte de cette pensée largement présentée dans «  le traité de l’efficacité » du même auteur). Le livre des Odes sera considéré comme source constante d’approfondissement. Par étapes : évocation des réalités naturelles, les thèmes humains, le rapport de sens, le motif initial et l’interprétation morale, les ressources analogiques des motifs, la volonté de tout expliquer, la capacité d’un déclenchement  affectif et verbal …on a ici le résumé de tout ce qui a été vu. À partir de cette re-formulation de la question, on entre dans les phénomènes de réaction. Et dans cette nouvelle perspective, on sort du rapport d’image pour celui d’antécédent et de conséquent. C’est surtout de l’indétermination de l’incitation sans rapport d’analogie que nait la richesse. Il faut pointer une différence entre la lecture des Han et celle de l’Empire (an zéro)…d’avec la lecture faite au 17ème siècle. Car on quitte alors la période d’inféodation vis à vis du politique. Le grondement du tonnerre pour les Song possède une valeur concrète d’événement qui fait irruption dans l’existence et fait réagir la conscience à l’unisson. Mais le déclenchement affectif est et doit rester indéfini. On est à un autre niveau de conscience que celui produit par le procédé analogique (propre à la représentation dans une logique signifiante). Il découle d’une rencontre entre moi et le monde pris dans un vacillement commun. L’immanence comprend le réel en termes de polarité. On est dans une conjonction de l’indirect et de l’immédiat orientée vers une transmutation par laquelle l’émoi se transforme en portée de sens, l’intensité de notre présence au monde en déploiement sans fin du poème. Les niveaux infra et supra linguistiques s’infinitisent dans un procès poétique où joue l’incitation allusive : un véritable ébranlement intérieur qui réagit à la stimulation du monde (ce qui n’a rien à voir avec un rapport aux réalités extérieures – processus de médiation grec). Il n’y a pas de retrait du mode de la représentation. On passe à un procès d’engendrement. La rhétorique cède le pas au poétique. Le mode incitatif est obscur. Ce n’est pas rationnel, comme le contact entre la parole ici et le sens là-bas ;  les catégories grecques s’épuisent. Dernière remarque sur les conditions d’accès : le calme permet une transposition sélective dans toute la confusion de la scène qui affecte la conscience. Il y faut concision et simplicité, ce qui nous ramène à la notion de tension – absolument essentielle – renvoyant à un flux qui fait vibrer le monde et émeut l’intériorité.

Chapitre 8 : au-delà du paysage : le sens figuré n’est pas symbolique

Loin des grecs (et leur recours à l’allégorie), on est à la recherche d’un horizon du sens. D’un point de vue formel, le mode incitatif procède par juxtaposition. En référence à la politique et à l’histoire, le poème parle d’un certain contexte et sauve la moralité du poème : le sens est figuré. Il faut parler des chants de Chu pour ramener une source chamanique où le moi du poète ne craint pas à s’afficher. Mais là aussi les commentaires refermeront la voie du développement du sens sur un plan spirituel, empêchant l’accès au symbole. Le poète tire profit des formulations codées car le poème les mobilise en accroissant sa capacité d’évocation à son profit. Les stéréotypes rattachent à un fonds commun et fait ressortir la dimension communautaire du sujet. Petit à petit cependant la référence politique n’épuise plus la lecture du poème. La succession des strophes induit une lecture structurelle qui vient briser la linéarité du langage pour dégager une impression, un effet. Cela tient au caractère indiciel des signes utilisés, à une obliquité de l’éclairage. Le flou de la référence qui permet au mieux de rendre le caractère évanescent de l’émotion ne prend pas la consistance d’une essence, ne met pas en valeur une idée. Le propre de l’allusion est de renvoyer à quelque chose qui n’est pas dit mais se trouve indiqué de façon oblique. Mais pourquoi le vague n’est-il pas abstrait ? l’exemple de Ruan Ji (3ème siècle) montre que la portée du sens est comprise à partir d’une projection émotionnelle, l’incitation, et d’autre part ce déploiement du sens ne tend pas à nous orienter vers un autre sens mais plutôt à nous dégager d’une appréhension trop mesquine de la réalité. Le caractère évasif du poème divise le camp des commentateurs en 2. Pour imposer le point de vue qui reste indéfini (en abandonnant tout appel à un référent). Le poème devient alors un gisement de sens. Au gré de la musicalité l’émotion se diffuse et irradie les mots. Le poème n’est plus le langage d’une émotion mais celui de notre capacité d’émotion. Rien à voir avec un sens symbolique ou un plan stable de la représentativité. Un changement de plan s’opère : l’accès n’est plus la suite qui constitue le corps du poème mais la continuité de celui-ci dans la conscience du lecteur. Les motifs sont des emblèmes codés. La figuration fait binôme avec l’idée d’incitation qui vient du monde. Mais il y a aussi un autre binôme : souffle – figuration conduisant à saisir une aura, une atmosphère. La grande image savoure, le vide se fait vivant.

Chapitre 9 : de maître à disciple , le propos n’est qu’indiciel

Nous voilà en route sur le chemin de la philosophie : Confucius est-il Socrate ? La régulation qui est propre à Confucius est liée à une exploration et un cheminement, ce qui pourrait faire penser à la maïeutique mais il y faut insister : la différence local-global n’existe pas en Chine et la notion de lieu non plus. Incidemment la référence géométrique à Riemann (en raison de son étude des tenseurs) se situe clairement du côté grec.

Chapitre 10 : il n’y a pas un plan des essences, ou pourquoi le détour est l’accès

La démarche inductive n’est pas privilégiée. Confucius ne construit rien, ne révèle rien non plus. Son objet est de favoriser l’adéquation en rapport à la circonstance. Il fait éprouver quelle cohérence se trouve à l’oeuvre à travers la variation. La régulation de la conduite permet d’épouser la régulation du monde, sur fond d’immanence. Confucius condamne le logos car de la parole il faut être économe. Et il ne recherche pas à se singulariser par des idées mais à penser l’évidence. En Chine on ne débat pas d’une question, il n’y a pas de dialogue entre le pour et le contre. En restant en retrait la parole devient fiable. La parole n’a pas à être démentie par les actes. Il n’y a pas de réflexion sur le mensonge. Confucius favorise le bon moment pour répondre aux questions de ses disciples, au moment où ils sont prêts à entendre. La réponse laisse libre jeu au disciple pour poursuivre à partir d’une indication, selon la voie de sa propre recherche. La valeur de la parole est dans son effet, dans ce qu’elle réussit à féconder en nous. Toute formulation est temporaire, aucune n’est définitive. Ce qui compte avec la parole c’est sur quoi elle débouche, son au-delà. Il y a un cheminement de la méditation, un prolongement possible de la réflexion. La relation en jeu nous fait passer par simple extension d’un aspect local à la dimension globale, sans qu’il y ait changement de plan. La sagesse émane de façon diffuse et fait barrage à la spéculation. Confucius n’oppose pas, il fait des clivages délicats par petites fissurations. Confucius use des listes faisant sentir une aventure de l’esprit : la liste ne se clôt pas, elle débouche sur un mystère où la prudence dans la parole doit être accrue. Les binômes creusent un « entre deux » pour y loger le lieu du propos. Allusion à la chirie antique. (Chirie sorte de mancie ). Le souci de Confucius est de faire prendre conscience de la façon dont il faudrait progresser. La parole devient autre selon les besoins de chacun. Confucius opère par variation, modulation continue. La perspective est celle d’un équilibrage entre l’excès et le défaut, qui dépend entièrement de la situation. Il y a poursuite d’une adéquation entre l’énoncé et son occasion. Confucius n’appréhende pas le réel en termes d’être mais de procès. À l’un ou l’autre pôle d’une relation, chacun coïncide parfaitement avec ce qu’exige de lui sa position. Les propos se relayent (on croise des tautologies et des truismes) les uns les autres, ils ne font tous que commencer à dire à partir d’une situation. Découverts à la suite, ces propos orientent chaque fois la prise de conscience selon un sens relativement différent mais pour dire toujours la même chose au final et aucun ne conclut. 

Le sens de l’humain est pensé comme une dimension. Traversant l’existence de chacun, l’homme communique avec le fond même de la réalité. En éprouvant, à travers les occasions, la solidarité radicale des existences, il s’élève à l’intuition de la cohérence dans le grand procès des choses. Confucius ne dit pas ce que c’est mais indique la direction par où aller chercher. Confucius ne sous-entend aucun mystère. Le Ciel n’a pas besoin de parler pour se révéler à nous car il ne cesse de s’étaler en tous lieux et nous sommes tous débordés par lui. D’où le cercle vicieux de l’individualité. Il n’y a pas de règles, juste de la régulation. Confucius est sans caractère et sans qualités, il est sans position, il peut être aussi bien ceci que cela, il ne faut pas s’arrêter à la stabilité. La sagesse ne produit aucune exclusion.

Chapitre 11 : le cheminement de la maturation, le bond de la réalisation

Longueur de la fréquentation et puis jaillissement soudain de la lumière comme par un bond, ce motif de la maturation sert à rendre compte du cheminement enfoui grâce auquel le progrès intérieur se réalise. On ne peut mettre la main dessus comme sur un objet, il faut laisser advenir et à la fois s’y appliquer assidûment et se garder d’anticiper le résultat. L’évaluation en effet dépend d’autres facteurs que ceux que nous gérons d’emblée. L’intervention conditionne le processus à un moment propice. Pénétrer par l’esprit est de l’ordre de l’accumulation et du passage s’appréciant de proche en proche. Il y a une autre source que nos efforts, à savoir la logique intérieure inhérente au processus engagé. Comme si l’on était porté par son déroulement, cela ne se passe pas par la communication, par la parole, par la dialectique.Il y a un tableau de Mencius fidèle à la voie dégagée par Confucius, 10 siècles plus tard. Ici surgissent les Mohistes et quelques autres qui suivent Yang Chu. En évitant la discussion frontale, Mencius re-configure le débat. Selon un ensemble de positions, l’adéquation de la sienne se révèle suffisamment en creux du fait qu’il se place au centre. L’effet de montage consiste en un simple alignement. Puis en imposant l’idée d’une alternance entre les périodes d’ordre et de désordre. Ce qui suggère alors que Mencius intervient au même titre que les sages du passé, qui rejetaient les hétérodoxes par rapport aux liens familiaux et les devoirs dûs au Prince. Par un changement de registre, Mencius fait oublier la nature de discours de ses propos pour s’assimiler à l’oeuvre renouvelée d’époque en époque. Tandis que les autres déblatèrent sur le pour et le contre, c’est par lui que procède la régulation du monde. En construisant un agencement et au lieu de former un concept (qu’est ce que la politique) il codifie une situation en la rendant typique. Il fonctionne comme un dispositif. Il dresse en vis à vis des positions dont il met en valeur la corrélation. Un tel équilibre s’apprécie en situation. La réponse vise à définir la juste mesure entre l’étroitesse d’esprit et la complaisance, l’intransigeance et le déshonneur. Parce qu’il ne cesse de se modifier en fonction de l’occasion, le juste milieu idéal ne saurait être codifié. Tenir au centre n’est pas s’y attacher. La constance de l’adéquation n’est possible qu’à travers la variation par équilibrage continu. Les points de divergence ne sont pas élucidés, l’argument adverse est renversé  sans qu’on examine ce qui y est erroné. D’une séquence à l’autre, il n’y a pas de suite.  Manquent l’analyse et l’enchaînement, les analogies donnent à penser. L’essentiel réside dans le procès de maturation en dehors de l’affrontement. Quand le fruit est mûr, il tombe tout seul. Il se livre à la controverse pour la déjouer de façon à favoriser l’éveil. Comme dans le tir à l’arc, si les dispositions relatives au tir sont rendues en tous points corrects, la suite vient toute seule. Efficacité de l’immanence, nous ne pouvons prendre conscience de cette continuité, elle ne fait jamais trou, elle échappe mais cela n’a rien à voir avec la transcendance telle que la dégage…Héraclite.

Chapitre 12 :  la grande image n’a pas de forme, ou comment indiquer l’ineffable

On part du côté grec (Plotin, Damascus) pour en arriver au Tao qui semble y ressembler. Toutefois la première différence c’est que chez les chinois il n’y a pas de différence de plans mais plutôt 2 stades : l’indifférenciation harmonisante et l’actualisation différenciante : et ces 2 termes sont corrélés étroitement. Le dernier de ces termes  procède non d’un dépouillement par abstraction (monde intelligible, généralisation) mais par évacuation (qui sort la réalité de toute réification). À mesure qu’il revient à l’indifférencié, le réel reste en cours et se répand ; il faut toujours du vide pour qu’un déploiement soit possible. Mais attention le non-agir est le contraire du renoncement. Et le renoncement à la parole est à comprendre comme un renoncement à l’accumulation (d’un savoir) pour revenir à la simplicité foncière. Et ce fonds sans fond, on ne pourra que l’indiquer. La dénomination et l’indication sont toutes 2 déficientes pour exprimer le Tao, objet sans sujet. En déterminant le sens, la dénomination le perd ; quant à l’indication elle ne peut que l’aborder. Écrire ne serait que cette entreprise constamment reconduite qui consiste à sortir la parole de la détermination des mots tout en essayant de dire toujours plus loin ce que leur seule indication laisse d’inachevé. Le sens n’est jamais individuel, on l’aborde par une lecture globale, et cela passe par l’image, la Grande Image, image sans contenu particulier. D’une culture à l’autre, cet invisible n’est pas du même ordre. Il y a à résorber le sensible mais il n’y a pas à constituer un autre plan. L’invisible chinois est dans le prolongement du visible. Cet invisible est plutôt le fonds diffus du visible à partir duquel celui-ci ne cesse de s’actualiser. La forme est niée à l’intérieur de la forme. Le sensible est dépassé mais sans qu’il soit délaissé. La Grande Image a libéré son caractère d’image de ce qu’il pouvait contenir d’anecdotique. La Grande Image se déploie à travers des images mais le concret n’y impose pas sa loi mais reste ouvert sur d’autres possibles. Abandon de la phénoménalité dans ce qu’elle a de restrictif. Importance du flou. Importance de la fadeur. Renversement aussi de la notion de négation. Renversement du religieux car rien n’est à attendre de l’ascèse du saint homme pour un monde « d’après celui-ci ». De même l’attente de la régulation dispense de la révolution en politique, et cette approche chinoise s’étend à l’art dont nous allons maintenant parler.

Chapitre 13 : « nasse » et « poisson », ou comment accéder à la nature

En Grèce, l’image est traitée par la notion de voile, en Chine on va avoir tout à approcher pour penser le rapport ascensionnel (vers le ciel) qui conduit de la parole à la figuration puis de la figuration à l’idée. La nasse est la parole, le sens est le poisson : ceci signale l’incapacité du langage à communiquer. Le langage nous fait rater la réalité. Nous pouvons par la parole et la pensée atteindre, à la limite, des choses de façon locale. Mais l’immensité de la réalité nous échappe. Le point de vue est d’emblée imposé. Notre corps reçoit une forme et entre dans la partialité. L’esprit aussi est limité par son individualité, conséquence logique de tout avènement (événement). Sortir de l’uni-latéralité où il y a toujours ceci qui s’oppose à cela, tel est le pivot du Tao. Et dès lors que le pivot peut se situer au centre du cercle, il pourra correspondre à tous les aspects des choses sans plus rien n’exclure, il y a à marcher des 2 côtés. L’issue est dans le langage en inventant une parole qui puisse déjouer sa condition langagière et sortir du monde. Pour cela il faut l’ouvrir à la démesure, à l’oiseau Peng, aux hommes-esprits. Plus efficace que tout discours, on introduit la substitution d’une image. Il faut sortir le langage de sa relativité fonctionnelle. Il faut accéder à l’existence, rendre le monde à la jouissance, il y a appel à une conversion du regard. Zhuongzi est une branche du Tao qui va le plus loin, frôlant le mythe et le symbole. Mais il n’y a pas à interpréter le sens sur un autre plan, il y a continuité avec le cours du monde où il va et comme il va. On ne se coupe pas de l’individualité, le propos se rapporte à la politique. Il y a aussi à sortir de l’individuel et fondre le propos dans une voix connue, celle des anciens, ce qui lui donne du poids. Mais l’efficace est dans une autre image, celle du vase qui s’incline quand il est plein, et se redresse quand il se vide. Dans son épanchement continuel, la parole idéale s’accorde à la limite naturelle. On parlera ici de parole fluctuante car elle réussit à dire jusqu’au bout la réalité et nous faire accéder au naturel.

Chapitre 14 : les nuages et la lune

Ce chapitre analyse la poésie et s’aligne sur le chapitre suivant.

Chapitre 15 : la distance allusive

Ce chapitre analyse le théâtre mais est surtout une synthèse du livre. Le 4ème de couverture en offre le résumé. C’est à lire cette vingtaine de pages que l’on se fait sa propre conclusion. Pour ma part, c’est que l’on ne sort pas de sa culture et que la culture chinoise nous reste mystérieuse au-delà de l’immense effort de présentation de traits « qui nous parlent ». Entre autre sur les limites du symbolique et de la représentation, bref du logos.

Conclusion : détour ou dédoublement

La conclusion a pour souci de se préserver des critiques en soulignant une faiblesse de l’approche chinoise par rapport au politique (à la démocratie et à la liberté).