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La société du risque


Auteur du livre: Ulrich Beck

Éditeur: Flammarion

Année de publication: 2008

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La société industrielle est une société semi-moderne et la contre modernité inscrite dans cette société n’a rien d’ancien ni d’hérité, c’est une construction et un produit de la société industrielle elle même. L’organisation de la société industrielle repose sur une contradiction entre le contenu universel de la modernité et la structure fonctionnelle de ses institutions dans lesquelles elle ne peut se réaliser que de façon partielle et sélective. Première face de la société du risque. La société industrielle se déstabilise dans le moment même où elle s’impose. La continuité devient la cause de la rupture. Les hommes sont libérés des certitudes et des modes d’existence de l’époque industrielle ( comme ils ont été rendus à la société par l’Eglise réformiste ). Les bouleversements qui en résultent constituent l’autre face de la société du risque. Le système de coordonnées dans laquelle s’inscrivaient la vie et la pensée à l’ère de la modernité industrielle se met à vaciller et on voit apparaitre une structure nouvelle et trouble faite d’opportunités et de risques. Ce sont là les contours de la société du risque. Peut on parler d’opportunités ? Non. Dans la société du risque il n’est pas jusqu’aux principes de la modernité qui ne soient affectés par leurs limitations dans la société industrielle.

Première et deuxième parties

On a développé le modèle théorique d’une modernité réflexive de la société industrielle selon 2 axes d’argumentation : une étude de la répartition du risque et une étude du théorème de l’individualisation. Comment s’articulent ces 2 points de vue (théorie – pratiques) ?

Le processus de l’individualisation est abordé théoriquement comme le produit de la réflexivité dans laquelle le processus de modernisation garanti par l’Etat Providence dé-traditionnalise les formes d’existence propre à la société industrielle. Le 19ème siècle a vu disparaître les formes de travail et d’existence propres à la société agraire féodale. C’est aujourd’hui le tour de la société industrielle développée de voir disparaître les formes de travail et d’existence qui lui étaient propres avec ses strates et classes sociales, sa cellule familiale restreinte et les biographies différentes (hommes et femmes ) qui s’y inscrivent, ainsi que des normes de l’activité professionnelle.  Fin d’une légende selon laquelle la société industrielle avec son schéma d’opposition entre travail et existence est une société moderne. En effet, dans certains principes essentiels – par exemple la normalité d’une subsistance matérielle médiée par le marché – la réalisation de la société industrielle implique leur suppression. Les bases de la société de classes ainsi que la cellule familiale restreinte sont sapées. L’une comme l’autre sont émancipées des formes d’existence et des évidences apparemment naturelles de la société industrielle. La fin de cette histoire coïncide avec la perte de conscience historique des formes de pensée sur l’existence et le travail. Les formes traditionnelles de maîtrise de la peur et de l’insécurité propres aux milieux sociaux et moraux, aux familles, au couple, aux fonctions homme-femme, ne font plus leur office. C’est donc à l’individu que ces responsabilités incombent. Tôt ou tard les incertitudes et les bouleversements socioculturels qui en résultent représenteront de nouveaux défis pour les institutions sociales dans les domaines de la formation, du conseil, de la thérapie et de la politique. 

La réflexivité opère aussi dans le processus de modernisation quand on étudie la production de richesse et la production de risques : il faut que le processus de modernisation dé-traditionnalise les fondements de la société industrielle pour que l’on voie s’effriter le monisme avec lequel la pensée opérant dans les catégories de la société industrielle subsume la répartition des risques sous la logique de la répartition des richesses. Ce qui est déterminant c’est que le contexte social est radicalement transformé au cours du processus de modernisation réflexive : en scientificisant les risques liés à la modernisation, on les arrache à l’état de latence. Le triomphe du système industriel brouille les limites entre nature et société. On ne peut plus attribuer les destructions de la nature à l’environnement et leur universalisation industrielle en fait des contradictions sociales, politiques, économiques et culturelles inhérentes au système. On ne peut plus traiter ces risques en supposant leur conformité aux structures de l’inégalité sociale. Ils déploient une dynamique propre de conflit qui s’émancipe de l’organisation schématique de la société industrielle en production et reproduction, classes, partis et sous-systèmes. La notion de société industrielle présuppose la prédominance de la richesse et affirme sa compatibilité avec la répartition du risque, tandis que la notion de société du risque affirme l’incompatibilité de la répartition des richesses et de la répartition du risque, et la concurrence de leurs logiques.Dans toutes les conceptions de la société industrielle, on prend pour point de départ la possibilité de faire une délimitation stricte entre connaissance scientifique et action politique, ce qui oblige de se placer exclusivement dans le champ de l’un ou de l’autre. Cela se lit dans les systèmes sociaux prévus à cet effet et dans les institutions correspondantes : le système scientifique et le système politique. Mais la modernité réflexive s’inscrit dans un contexte de démocratie ultradéveloppée et d’une scientificisation très poussée. Ceci conduisant en fait à un effacement caractéristique des frontières entre science et politique. On sort des cadres : la transformation des modes de vie humains se joue au delà de la sanction démocratique, qu’elle soit positive ou négative.

Troisième partie

La religion moderne du progrès a eu son heure de gloire. Dans les années 60-70, il y a 2 évolutions historiques. Tandis qu’avec la construction de l’Etat social, la politique se heurte à des limites et perd de son impetus utopique , les possibilités de transformations sociales s’accumulent dans l’interaction de la recherche, de la technologie et de l’économie. Dans un contexte de stabilité institutionnelle et le maintien des compétences, la puissance de transformation quitte le domaine de la politique pour s’installer dans celui de la sub-politique. On attend l’autre société non plus des débats parlementaires sur de nouvelles lois mais de la microélectronique, de la techno-génétique et des médias.

À la place des utopies politiques, on trouve aujourd’hui l’énigme des effets secondaires. L’élaboration de l’avenir se fait dans les laboratoires et les Conseils d’Administrations. Tous les autres vivent des miettes d’informations qui filtrent de là bas. Les laboratoires et les CA sont devenus des cellules révolutionnaires cachées sous le manteau de la normalité. Cette non opposition extraparlementaire sans programme mais orientée vers les objectifs de progrès de la connaissance et de la rentabilité économique met en place les structures d’une nouvelle société. 

La nonpolitique commence à assumer le rôle dirigeant théoriquement dévolu à la politique. La politique devient une agence de publicité financée par les fonds publics qui vante les qualités d’une évolution qu’elle ne connait pas et n’influence pas. Les angoisses dans l’avenir, la politique les impute à des machinations, celles des critiques de la civilisation, sans cesse attisées. Les entrepreneurs et les scientifiques qui quotidiennement élaborent des projets de bouleversement révolutionnaire peuvent en toute innocence ne pas être compétents sur les questions décisionnelles pour tel ou tel projet. Cela en devient grotesque. 

Mais quand la menace des risques augmente, la répartition du pouvoir dans le processus de modernisation évolue. On voit naître des zones floues d’une organisation politique de l’avenir entre 3 variables qui ne s’excluent pas : retour à la société industrielle, démocratisation de la mutation technologique ou une politique différentielle. C’est ce dernier point que nous développons.

Le point de départ de cette esquisse d’un avenir possible est la disparition des frontières entre la politique ou plutôt le fantôme de la politique centrale et la politique annexe, la sub-politique et la contre-politique qui sont nées dans le contexte de la démocratie développée dans la société sociale différenciée. Il est désormais impossible de revenir sur cette absence de centre de la politique, même en revendiquant plus de démocratie. La politique est devenue sans milieu mais l’irréversibilité de la transformation de la politique exécutive en un processus politique n’est pas à regretter car il faut y voir l’annonce d’une nouvelle ère de la modernisation, la réflexive. La loi de la différenciation fonctionnelle est minée et privée de tout effet par la disparition des différenciations (conflits et coopérations dans le domaine du risque, moralisation de la production, configuration nuancée de la sub-politique). Au cours de cette rationalisation au second degré, les principes de la centralisation, de la bureaucratisation et de l’organisation figée des structures sociales qui en résultent, entrent en concurrence avec les principes de la flexibilité de plus en plus privilégiés dans les situations de risque et d’insécurité mais aussi avec de nouvelles formes d’auto-coordination des autres systèmes et des unités d’activités décentrées.Cette mutation historique recèle l’amorce d’une démocratisation structurelle bien plus adaptable. Elle a son origine dans le principe de la séparation des pouvoirs et s’est constituée grâce à la liberté de la presse. En outre dans le domaine privé (face à la toxicité, à un moment où les modèles traditionnels du couple et de la famille disparaissent) on peut modifier les conditions de la vie commune sans disposer de projet de loi ni émettre des décrets. Les 2 conditions que requièrent une évolution qui revienne les pieds sur terre, sont la constitution de tribunaux forts et indépendants et des médias forts et indépendants.