Introduction
Les chercheurs historiquement datés présupposent un héritage commun : Descartes et Locke. L’idéal serait que la science soit fondée, assurée par des évidences immédiates. Mais Kant, lui, part d’une science physique réelle, celle de Newton, exclusivement exemplaire. Dans la suite, les choses prendront l’allure d’une guerre des cultures car on a voulu instituer les sciences modernes en déclassant d’autres formes de pensée ou bien, au nom d’exigences méthodologiques ou bien, au nom d’objectifs à travers des formes que la société n’approuve plus. En fait l’histoire de la connaissance est faite de rejets : des idéalistes, des empiristes, à l’âge classique ; mais ensuite c’est l’éclatement qui prévaudra : Popper, Kuhn, Lakatos, Feyerabend, Bachelard … Chalmers, Stengers.
Ceci étant, le point de vue du livre est de prendre l’histoire des rejets à partir d’un intérêt pour les erreurs qui sont intelligentes et indispensables à notre point de vue contemporain. Avec un tel point de vue, la science s’humanise.
Chapitre 1 : l’époque classique ou le règne de la représentation
C’est le pouvoir de penser qui distingue l’homme des autres créatures ; la pensée humaine peut s’exprimer en mots, en signes proprement humains. L’opposé d’un monde connu n’est pas un univers inintelligible à cause d’une absence de pensée ou de mots, mais un univers illusoire plein d’erreurs trompeuses, en raison d’une imagination fertile et influençable. La vérité pour être fondée doit viser la chose en soi. Après eux, quand arrive Kant, il y a un pas d’écart : il affirme une médiation a priori, esthétique et catégoriale. Les suivants rejetteront Kant sans le nuancer ; avec un point de vue anthropologique qui mixera langages, techniques, déterminations sociales et éthiques. La vérité relève alors du verdict révocable d’une communauté scientifique qui évalue la valeur comparative d’hypothèses concurrentes.
Mais prenons le temps. en reprenant la période classique, le chapitre affirmera la représentation en précisant ce qui relève de l’activité et de la réceptivité d’un sujet et ce qui dégage un problème dans le rapport du sujet avec un objet. On ne pourra se passer de la caution divine car les approches de la pensée vers le réel ont à prendre en compte un irréductible fossé entre S-O, tout en pouvant s’appuyer sur des évidences, premières et dérivées, et louchant sur une mathesis à portée de main. En soubassement, la conception du langage implique à partir d’un réalisme, qui se doit d’être conséquent, la nécessité d’une méthode, rapidement insuffisante.
L’intérêt du chapitre est de bousculer des visions simplistes. Car les empiristes, tout en mettant en avant un sujet sur son versant réceptif, ne nient pas l’activité pensante et raisonnante. Et les idéalistes, mettant en avant un sujet actif, admettent une réceptivité, car il faut évidemment penser sur quelque chose. : les notions innées, les évidences d’une vérité principielle et nécessaire. Locke rejoint Descartes dans l’usage du terme « subjectum », qui nous vient du Moyen-Âge et même des Grecs (upokeimenon, asujetti, passif). C’est de Dieu que viennent les idées des choses car elles gardent la marque de l’artisan, son empreinte sur son ouvrage (la création). Il y a une similarité exemplaire, foncière entre empiristes et idéalistes, car les essences immuables et les vérités nécessaires des idéalistes occupent la même position fonctionnelle que les idées simples et les vérités singulières des empiristes. Les unes comme les autres ont besoin au préalable d’efforts de pensée, de préparations comparables à la pratique du doute cartésien, et qui sont les bases logiques d’un travail discursif. Surtout les empiristes et les idéalistes ont en commun le problème S-O que les uns comme les autres essaient de fonder dans une connaissance garantissant l’indubitable conformité de pensées du sujet à l’objet en soi. Soit le problème du pont. Locke et Descartes au départ ont la foi en un homme qui pense des idées (certitude subjective). Et en même temps affirment que les pensées sont des pensées subjectives quant à l’objet. Ces idées ne peuvent qu’être les signes d’une réalité possible dont il faut encore assurer la réalité. Les mots sont les signes des signes d’une réalité possible dont il faut assurer la réalité. Le problème atteint toute sa complexité quand on prend en compte le niveau des idées rapportées les unes aux autres dans des jugements et des raisonnements. La communication se doit de préserver un savoir cumulatif.
Dans la représentation, le premier choix à faire est de décider si l’on conserve son idéal ou pas. Les classiques le font et pour cela parlent de sensation « pure » ou d’interaction « pure ». Le second choix concerne la façon de réaliser son idéal. Contrairement à Hegel qui retrouve le sujet dans l’objet, les classiques maintiennent l’hétérogénéité du sujet pensant et de l’objet à connaître. Les classiques ont pris acte du caractère subjectif des idées mais ils ont reculé devant l’énormité de leur certitude première, à savoir que l’homme pense des idées mais non des choses. Et les idées (simples chez Locke, distinctes chez Descartes) ont le privilège d’être des idées spéculaires, fidèles à l’objet, conformes aux éléments ultimes de la réalité. Ces idées sont représentatives. Ces idées sont telles grâce à Dieu. L’ordre des connaissances est conforme à l’ordre du monde, la chose nous est immédiatement présente. L’idéal quant à lui suppose une exigence de simplicité, rattachant des idées complexes à des idées qui résistent à toute analyse, décomposant des jugements embrouillés en jugements élémentaires absolument à partir de notions présumées inanalysables, et s’affirmant dans des vérités présumées élémentaires appuyées sur le rôle exemplaire des mathématiques.
Revenons sur le langage à la période classique. Les mots sont les serviteurs fidèles de l’idéal partagé par tous les philosophes classiques et ce dès le début d’un développement de pensée. 1), les choses pourront être préservées et se conserveront dans un langage qui transforme la certitude privée de l’expérience sensible ou de l’intuition mentale, en possession publique. 2), mais le langage n’est pas le langage commun (lequel doit passer l’épreuve d’une Réforme) : d’où la méthode « more geometrico ». Le langage n’est qu’un instrument pour autre chose. La théorie classique de la connaissance est une déclaration de foi réaliste. Kant va avoir facile de la critiquer. Mais Schotte veut préserver le radicalisme bénéfique des classiques. Pour se soumettre aux prrescriptions méthodologiques du philosophe classique, il faut qu’on découvre les évidences premières, ce qui présuppose une certaine adéquation de son « être au monde ». Une fois que ces évidences sont découvertes, il faut continuer de s’y rapporter en résistant à la tentation de spéculer. Et il en vient à se surveiller dans le choix et la combinaison des mots qu’on utilise. L’empiriste doit se contraindre à ne faire subsister qu’un homme au corps passif et donc s’en tenir au domaine de l’a posteriori. Il doit se limiter à la seule association des idées simples et n’accorder son accord qu’aux rapports régulièrement observables. Il recourra à des mots exorcisés et renvoyant à des collections de choses individuelles, à des propositions renvoyant à des faits singuliers. Quant à l’idéaliste, il doit liquider tout ce que l’homme a d’objectif en soi, ne faisant subsister l’homme que comme esprit désincarné, pur sujet au pouvoir intuitif indépendant du corps. Il s’en tiendra au domaine de l’a priori et réunira des idées réduites à l’essentiel, n’accordant pas son consentement à des liaisons d’idées confuses à partir d’hallucinations des sens. Il doit utiliser des noms pour les essences seulement et combiner des mots pour des essences seulement. L’homme participe à la constitution des connaissances, même si sa participation est avant tout négative puisqu’elle est dirigée contre lui-même. En conclusion la méthode a des limites du fait qu’elle a besoin de la garantie divine. Ce modèle de la connaissance n’est pas humain mais divin, attribuable seulement à un être sans faiblesses. Bien sûr cela sera critiqué mais ce qui restera c’est la problématique du rapport du langage à la réalité à connaître. Le problème est celui de la référence à la réalité première et ultime de l’univers.
Chapitre 2 : Kant ou le renversement copernicien
Locke et Descartes rejettent le scepticisme radical qui suivit la publication du livre de Severus Empiricus, paru dans la 2ème 1/2 du 16ème siècle. C’est au temps où Galilée, Boyle, … mettent en place une physique nouvelle. De même Kant n’accepte pas le scepticisme optimiste de Hume car ce point de vue empêche de pouvoir rendre compte de Newton. Kant va examiner comment cette nouvelle science est possible et quelles sont les limites à respecter pour éviter les déboires de la métaphysique. Les conditions possibles de la science sont toujours plus que des conditions de possibilité. Ce sont des impératifs pour un usage de la raison, les restrictions que tout penseur doit respecter. On se demande pourquoi les sceptiques n’ont pas cherché à dépasser les classiques dont les oppositions concernaient justement le langage. Kant lui va exploiter les distinctions de l’a priori et de l’a posteriori, de l’analytique et du synthétique. Pour Kant la science newtonienne accroît nos connaissances du monde empirique et nos moyens de propositions universelles et nécessaires. Une telle science pour Kant ne peut se constituer analytiquement a priori car elle présente des lois naturelles valant pour un monde sans l’expérience de ce monde-ci. Et cette science ne peut s’établir non plus synthétiquement a posteriori car alors elle n’offrirait que des vérités contingentes. D’où il conclut que la connaissance de la nature, la formulation des lois du monde sont conditionnées par l’activité de catégorisation d’un sujet qui informe l’expérience. Il constitue un ordre de réalité caractérisé par ses propres nécessités. Le monde est impensable sans les mathématiques et donc une mise en forme a priori d’un matériau sensible, ordonné et découpé dans le temps et l’espace. Et donc selon une mise en forme catégoriale a priori d’un matériau phénoménal, transformant les expériences en connaissance discursive et conceptuelle (masse, énergie par exemple). L’homme qui est logiquement capable de connaître scientifiquement la nature ne peut effectivement la connaître de cette façon qu’au prix de deux refus : le refus de se fier au pouvoir réceptif indéfini de l’intuition sensible, et le refus parallèle d’exercer la raison sans la contrainte d’un matériau empirique déjà informé mathématiquement. Ces refus restreignent l’usage de la raison, signant un adieu à la prétention de connaître la chose telle qu’elle est en soi. L’activité du sujet a pris le dessus sur la réceptivité. Ce sujet pensant est transcendant. Il invente une distance par rapport à la métaphysique des classiques. Et en science il invente une distance par rapport à l’expérience. Ce sujet pensant est effectivement soumis dans la science au regard d’une expérience mathématiquement informée. Il n’y a pas d’objet de connaissance sans l’unité synthétique de la conscience donnant accès à des jugements synthétiques a priori, déployant l’unité synthétique de la conscience conformément à diverses déterminations a priori du temps. La science de Newton est une science médiate d’un objet, c’est donc une science subjective.
Toutefois ce qui importe à Kant, c’est une perspective normative. Les conditions logiques de la science sont les conditions de la seule connaissance qui soit digne de passer pour une véritable connaissance. Il faut se soumettre à deux impératifs : une restriction a priori de l’expérience : elle ne devient connaissance qu’informée esthétiquement (versant du sensible) et catégorialement (versant de l’entendement) ; une restriction a posteriori des concepts ou des catégories d’un entendement parce que le concept reste vide sans l’expérience. Matière et forme a priori et a posteriori sont indispensables. Kant est certain de sa philosophie de la connaissance et le garant de cette certitude, c’est le sujet transcendantal. Kant déplace le problème de la certitude des connaissances vers l’intérieur du sujet. Pour Kant l’intelligibilité de la nature résulte de quelque chose qui transcende aussi bien la nature que l’expérience sensible de cette nature. Le sujet transcendantal garantit en droit et non en fait la connaissance de la nature, ce qu’aucune expérience sensible ne pourrait faire. Le jugement du sujet est directif tant à l’égard de la métaphysique que de la science. Kant insiste sur l’application empirique des catégories de l’entendement. Mais il n’interdit pas au penseur voué à la science le commerce des idées d’allure métaphysique car elles ont une fonction régulatrice (idée de l’unité du monde, idée de la cause première).
Bémol : c’est Kant qui décide d’avance et une fois pour toutes quelles peuvent être les idées métaphysiques pouvant être utiles à la science. Double bémol : Kant oriente son regard vers le sujet, mais apparemment son sujet qui ne peut se passer de l’expérience, ne risque plus de subir d’échec expérimental qui le déposséderait de son savoir mécanique newtonien.
Chapitre 3 : Popper, Bachelard, et leurs interlocuteurs ou l’achèvement d’un idéal inhumain
Il y a deux parties dans ce chapitre : des néopositivistes jusqu’à Feyerabend, les heurs et malheurs du rationalisme popperien ; Bachelard ou le rationalisme ouvert.
On comprend que la question de l’origine des connaissances ait fortement occupé les empiristes. Hume prétendit découvrir la source première de toute connaissance, d’où toute connaissance serait dérivée. La théorie classique empiriste de la connaissance ne s’arrête pas avec Kant. Les néopositivistes s’opposent à la métaphysique qu’ils veulent éliminer de la cognition au nom de la vérité. Non pas parce que la métaphysique n’a pas de sens mais parce qu’elle ne signifie rien. Elle n’est ni vraie ni fausse. Un énoncé scientifique n’est pas nécessairement vrai. C’est en premier lieu un énoncé dont on doit s’assurer qu’il est vrai ou faux moyennant des procédures de vérification empirique. Les néopositivistes exigent en outre que la science soit fondée empiriquement, qu’elle repose sur une réception originaire du réel en termes langagiers. Ils requièrent que le scientifique vérifie ses énoncés soit en un sens phénoménaliste soit en un sens physicaliste. Ici arrive Carnap du Cercle de Vienne avec sa théorie de constitution des concepts. Grâce à elle toutes les sciences pourraient être réécrites à partir d’un langage de base. Un langage phénoménaliste c’est un langage où tous les concepts scientifiques peuvent être réduits à des concepts radicaux renvoyant au donné, au contenu de l’expérience immédiate. Il y a construction d’un arbre généalogique où chaque concept doit trouver sa place selon sa manière d’être dérivé à partir d’autres concepts et in fine à partir du donné. Un langage physicaliste est un langage où tous les concepts sont basés sur des concepts physiques. Ils reposent finalement sur les concepts purement descriptifs des théories physiques, lesquelles n’appartiennent à personne en privé mais sont accessibles à tous. Tous les concepts remontent aux concepts renvoyant à des événements spatio-temporels publiquement accessibles.
Il s’agit d’une vision scientifique du monde, que rejettent rapidement des penseurs « viennois » plus nuancés. Ce désir de certitude absolue déclenche un rejet de toute pensée métaphysique, surtout qu’ils disposent d’une nouvelle logique, celle de Russell et Whitehead, véritable « nécessaire à penser scientifique ». Avec cette technique, ils réalisent le rêve de Guillaume d’Occam, nominaliste du 14ème siècle, devenant capables de substituer des constructions d’entités connues aux entités inconnues, entités parfaitement superflues dont on peut se débarrasser puisqu’il s’agit de constructions théoriques ne représentant aucun objet réel dont on pourrait faire l’expérience. « Une pièce de fer en bois n’existe pas » : cet énoncé est vrai. Mais Meinong confronte les néopositivistes au fait qu’ils se sont appuyés sur l’attribution du prédicat de non-existence au sujet de la « proposition ci-dessus », pour soutenir que « le fer en bois » doit être un certain quelque chose ! Ici démarrent les théories des objets impossibles. Mais les néopositivistes réagissent en réécrivant l’énoncé comme suit : « l’énoncé X est en fer et X est en bois est faux pour tout objet X ». Cette nouvelle formule peut être vérifiée en la confrontant aux objets réels X du monde réel. Elle ne contient aucun objet impossible. Et Carnap poursuit contre la métaphysique de Heidegger à partir de l’énoncé « le néant néantit ». Ici l’erreur est d’avoir pris le mot néant pour le nom d’un objet sous prétexte que dans la langue usuelle ce vocable est utilisé sous cette forme verbale pour formuler un énoncé existentiel négatif. Dans la langue formelle, on obtient le même résultat mais sans passer par un nom particulier, ce qui rend l’énoncé de Heidegger bon pour la poubelle. La nouvelle logique rend les néopositivistes capables de reconstituer des propositions primitives à partir de propositions plus élaborées, ce qui permet de découvrir dans des propositions grammaticalement correctes des inconséquences logiques. Voici une feuille de papier : « maintenant elle est lisse, maintenant pliée, maintenant roulée en boule ». En en restant à la grammaire (un sujet et trois prédicats impliquent trois énoncés), on pourrait conclure que l’univers est peuplé de substances permanentes. Mais c’est logiquement faux : nous ne faisons jamais l’expérience de quelque chose comme une substance permanente. Fin de la philosophie de l’Être.
Il faut parler d’un univers de structure relationnelle, un univers fait de rapports. On en vient à une approche critique sur la question du langage de base et sur le rejet de la spéculation métaphysique. Surtout on retient que l’originalité des néopositivistes consiste dans le fait qu’ils font dépendre l’impossibilité de la métaphysique non de la nature de ce qu’on peut connaître mais de la nature de ce qu’on peut dire. La seconde critique concerne la différence entre langage factuel et langage théorique. Le dogme empiriste implique qu’une telle différence existe vu qu’il existe un langage qui n’est pas hypothétique. Mais attention ! D’emblée il y a à préciser que l’expérience prônée par une théorie sensualiste atomiste ne pourrait jouir d’aucune validité a priori et subirait la concurrence de théories de la perception alternatives (comme la Gestalt). Dans le domaine de l’interrogation physiologiste ou biologiste de l’expérience, l’expérience d’une espèce animale n’est pas la même que dans une autre espèce. Enfin la question de l’expression verbale de l’expérience (phénomène de l’acculturation de la perception) est essentielle dans une visée anthropologique. Il y a une transcendance de tout langage par rapport à l’expérience. Il énonce l’impossibilité de réduire le langage au perçu, il y a toujours une interprétation. On en conclut que le langage du positivisme se situe entièrement dans la sphère de la représentation au sens classique. On en vient à la mise en lumière du statut technique, historique ou normatif de notre expérience sensible du monde. Les théories optiques sont tributaires de programmes de recherche, lesquels taisent une série de théories implicites ouvrant la porte sans critique à des interprétations naturelles mais fausses. Tout le monde n’est pas entraîné à voir ce background voué à rester invisible. L’introduction de la technique s’accompagne de l’acceptation non critique de codes de conduite portant sur l’admissibilité de ceetains types d’exploration perceptuelle. L’erreur des néopositivistes est heureuse parce qu’instructive. On sait qu’au sein même du Cercle de Vienne, Neurath a le premier mis des bémols à des postulats radicaux. Ce qui sera tenté par Carnap lui-même passe par des pis-allers, car entretemps l’idée s’est imposée que les axiomes de départ sont conventionnels. Les aménagements probabilistes, instrumentalistes, ne font que couler sur des problèmes sans les faire progresser. On en arrivera de toute façon à devoir admettre qu’il n’y a pas d’autre vérité que la cohérence.
Mais là arrive Popper qui n’est pas d’accord. Pour tester la validité de lois naturelles présumées, il faut que la communauté scientifique formule des hypothèses falsifiables et il faut ensuite des propositions singulières moins universelles que la loi naturelle à tester : les falsificateurs potentiels et les instances corroborantes sont ici convoquées. Les propositions sont théoriques comme celles plus universelles dont elles sont déduites. Nulle théorie ne peut être vérifiée au sens empiriste car on ne peut recenser tous les cas pertinents et on ne sait pas quand viendra le cas qui disqualifie. Il y a donc à demander aux scientifiques d’évaluer l’écart qui existe par rapport au réel en faisant travailler une communauté sur la résistance des hypothèses théoriques de telle théorie dominante. Tout langage est hypothétique, comme le dit Tarski. Cette longue première partie rebondit maintenant chez Kuhn, Lakatos et Feyerabend. En effet Popper est à son tour critiqué, même si c’est lui qui fait le mieux pressentir l’importance d’un troisième monde, celui des arts et des idées pures. Mais ce qui est le plus neuf, c’est la réintroduction de l’histoire. Popper critique les méthodologies disponibles pour en proposer une autre qui devrait en toutes circonstances être respectée si l’on veut que les sciences continuent de croître. Explicitement il faut une méthode universelle ; implicitement le savoir scientifique est désirable. Feyerabend interroge le fait de formuler des méthodologies à prétention universelle au nom d’un certain réalisme. Il sait que chaque pratique scientifique, que chaque situation de recherche est déterminée par un nombre variable de déterminismes d’ordre divers, entre autres d’ordre anthropologique. On ne peut plus dicter des impératifs inconditionnels valables partout et pour tous, quelle que puisse être la réalité concrète, singulière de cette situation. Il y a à interroger le savoir scientifique car il n’est pas sûr que ce soit désirable pour l’homme. On sort du réalisme anthropologique.
Avec Kuhn et Lakatos déjà, on avait prôné une faisabilité empêchée par la radicalité du critère de falsifiabilité strict. Les scientifiques restent au chaud dans les paradigmes et rechignent à sortir de leur zone de confort. Les crises sont largement hors de contrôle et imposent des revisions bon gré mal gré. Lakatos s’appuie davantage sur Popper mais ses programmes de recherche doivent beaucoup à Kuhn dans le sens où dans toute théorie, il y a un noyau dur et des hypothèses périphériques auxiliaires. La plupart des programmes de recherche se font dans le main stream (dans un accord sur le noyau dur) et même passe plus de temps à le conforter qu’à l’infirmer. La technique des expérimentations en laboratoire conduisent la plupart du temps à un travail non vérifié parce qu’un laboratoire est assujetti à l’autorité d’un chef respecté, qui laisse tomber les éléments qui font anomalies (comme les phénomènes observés trop gênants). Autant les faire taire car derrière le laboratoire il y a un financement dépendant du marché, lequel s’en f… de la recherche. Feyerabend lui il largue les amarres. Il respecte Lakatos jusqu’au point où il accule Lakatos à avouer qu’in fine le philosophe est nécessaire pour cadrer la science et que le philosophe par excellence dans ce domaine…c’est Lakatos himself. Mais l’originalité de Feyerabend c’est quand il questionne si c’est bien d’ériger le philosophe en idéologue dans le domaine de la science. Et encore un pas de plus : est-ce si important d’accorder à la science la place qu’elle occupe dans la gestion politique de la société ?
On passe maintenant à la deuxième partie du chapitre. Le livre a une thèse à défendre. Et ici l’argument Bachelard est déterminant. Par rapport à Popper qui est le contre-argument du livre, le philosophe Bachelard défend une approche que Schotte va tirer du côté anthropologique. C’est à entendre comme un mode d’approche des sciences qui se dégage d’un courant dit rationnaliste, lequel était déjà une prise d’écart par rapport à la pensée classique et kantienne. Le constat est bien que le repère popperien permettant de dégager une vraie science est beaucoup trop strict pour être appliqué en pratique. Devant le mystère du réel, l’âme ne peut se faire, par décret, ingénue.
Or le penseur pré-scientifique n’a pas le sens du problème. La formation de l’esprit scientifique est un traité de la Réforme. La formation de l’esprit scientifique doit être actualisée par une nouvelle théorie de l’homme. L’esprit scientifique n’est jamais assuré de l’objectivité de ses connaissances car les obstacles sont épistémologiques, intrinsèques à l’acte de connaître. Heureux obstacles car ils sont indispensables à qui veut accéder à la culture scientifique. La méthode de la tabula rasa ne paraît ici que comme une vaine vue de l’esprit. De même la vulgarisation des idées scientifiques ramenées à des idées simples est tout aussi nocive. L’essence de la chose est un faisceau modifiable de rapports d’états structuraux. La connaissance scientifique est une activité incessante car la science n’est pas un édifice où on construirait un étage supplémentaire.
L’historien des sciences ne fait qu’enregistrer des échecs et l’épistémologue tire profit de ces erreurs. Les sciences avancent à partir de l’enseignement de ces dernières : on ne cesse de rectifier. Le réel du monde résiste et parallèlement l’activité scientifique de l’esprit consiste à interroger les choses, à poser des problèmes. Plus la science progresse, moins l’objet est donné. L’objet scientifique est hypothétiquement construit. Il devient un objectif qu’il faut réaliser et qu’on ne peut théoriquement rapporter à d’autres objectifs. Cet objet est artifice contrôlé. C’est un bi-objet avec une face abstraite et une face concrète. Le rationnalisme doit être ouvert et créatif. Seul un passage à la limite permet de d’attribuer à un objet une infinité de propriétés ou à l’esprit une identité parfaite…mais vide ! Le physicien est nécessairement à la fois un réaliste et un rationnaliste, … c’est un philosophe du non. Une des deux directions métaphysiques doit être majorée, celle qui va du rationnalisme à l’expérience. D’où l’importance de la préparation mathématique de l’expérience. On parlera de rationnalisme appliqué ou de matérialisme technique. On connaît contre une connaissance antérieure. Il n’y a pas de doxa sans paradoxe.
Ainsi la fonction de la communauté scientifique est présentée comme nécessaire car elle seule peut mesurer le discours de la méthode comme un discours de circonstance : elle est moins dupe d’elle-même que l’opinion. Loin d’une approche axiomatisée, la communauté scientifique est au fait des plis de la profession tant dans le laboratoire que dans les amphithéâtres de l’enseignement supérieur universitaire. Bachelard va même jusqu’à préconiser un interrationnalisme en « formation » (loin d’être fixé dans une forme). La science est un débat. Heureuse erreur car tout scientifique régionalise sa pratique, son sens du problème, en la simplifiant en vue d’un débat. Et c’est là que se glisse l’erreur. Il faut pouvoir compliquer au contraire : compliquer permet de compléter.
Et voilà les mathématiques. Loin de toute approche formaliste, les mathématiques sont par excellence exploratrices, osées, curieuses. Il ne faut jamais oublier ce qu’on a contredit. Bachelard a besoin d’un contradicteur, ce sera le philosophe des sciences. C’est à lui qu’il dit non. Trop souvent le philosophe a peur et rejette les mathématiques. Or le tri, le progrès se font de façon mathématique. Qu’est-ce qui fait qu’on aurait dû voir quelque chose depuis longtemps et qu’on ne l’a pas vu ? Cela tient au fait que le problème avait été mal posé. Bachelard idéalise les choses à dessein : il lui faut le quasi-sujet mathématique.
Chapitre 4 : entre deux extrêmes se glissent Chalmers, Stengers, Delcourt et Latour
Et c’est là que Schotte prend ses distances. On pressent que Bachelard ne sait pas lui-même trancher sur son propre point de vue. Il est sans cesse en train d’osciller entre la nécessité d’une norme qui serait de l’odre d’une instance surmoïque introjetée dans une logique orientée parano (moi la vérité en personne) et une série d’autres éléments interférents dans la sphère anthropologique. La société en face de l’individu suit ses propres envies.
Les préférences de Schotte vont se chercher dans les nuances apportées par Bruno Latour et Stengers. Car le niveau anthropologique met à mal une certaine conception du travail du philosophe des sciences. Étant donné que les scientifiques n’en ont rien à faire, le travail du philosophe est mis sur la sellette quant à sa raison d’être, jusqu’à frôler l’idée qu’il ne sert à rien. Si encore il servait à moins que rien.
Il y a un appendice : histoire et reconstruction rationnelle.
J’ai des résumés détaillés sur le travail de Stengers.
Je ne développe donc pas.