Banner background

La réputation. Qui dit quoi de qui


Auteur du livre: Gloria Origgi

Éditeur: PUF

Année de publication: 2015

Publié

dans

par

Étiquettes :


Nous avons deux egos : notre subjectivité et notre réputation (Charles Horton Cooley). Ce double de nous-mêmes n’est pas créé par la réflexion mais par la réfraction de notre image déviée par le regard des autres. Le moi social ne nous appartient pas. Comment ce moi pensé, imaginé mais inexistant, qui n’est qu’une trace, une ombre de nous-mêmes chez les autres, peut-il avoir des effets psychosomatiques si déterminables ? Le paradoxe réside dans la disproportion entre la valeur que nous accordons à quelque chose et son existence purement symbolique. Avoir de l’honneur c’est être reconnu comme tel par quelqu’un d’autre.

Chapitre 1 : comment je me vois vu

C’est comme si nous avions en nous un sociomètre, un indicateur interne de la température sociale autour de nous enregistrant l’acceptation ou le rejet social  dont nous sommes l’objet (Mark Leary). On pourrait envisager ici la notion de « degré d’estime de soi ». Ce qui compte ce sont les émotions engendrées en nous par ce retour (Elster). La dernière chose que nous apprenons dans la vie c’est notre effet sur les autres. Il y a donc l’ego et son double. Mais la réputation se glisse mal entre être et paraître. Le mystère tient à ce que la réputation renvoie pour une part à la « fama » pré-moderne. Il n’y a pas une science de la réputation ; il y a des pans de sociologie, psychologie, économie, et anthropologie. L’axe d’approche est la cognition sociale et le résultat en reste incertain. Par contre ce qui est certain c’est la nature sociale, distribuée, réfractée par les pensées et les discours.

Les contextes sociaux qui enregistrent nos traces vont du face-à-face aux rumeurs en passant par la presse et internet. Les médiations de l’information sociale créent des biais et des effets d’amplification (Erwin Goffman). L’ego et le masque finissent par se confondre ; le masque est notre moi le plus vrai. La société est organisée selon le principe que chaque individu qui possède certaines caractéristiques sociales a le droit moral de s’attendre à ce que les autres les reconnaissent et le considèrent selon ces caractéristiques. Sur une sorte de théâtre chaque personne est l’acteur de sa propre mise en scène. Chacun projette une situation initiale donnée qui conditionne la façon dont il sera perçu. Cette projection « oblige » le spectateur. Il en faut donc beaucoup pour que cette situation « se casse ». On est ici dans une cercle vertueux (car on améliore l’image de nous-mêmes pour répondre à l’attente des autres) et vicieux (car cela renforce le conformisme social). L’apprentissage social est un aller-retour entre le moi et son double. Et cela peut aller jusqu’au-delà des codes sociaux pour représenter un personnage qu’on n’est pas. La face, la figure est une propriété de l’interaction entre apparence et manière. La peur de décevoir est très souvent imaginaire. L’interaction n’est pas réelle mais elle est faite de milliers d’interactions passées qui ont laissé une trace dans notre cognition.Le chapitre finit en parlant du stade du miroir (Wallon, Lacan, Winnicott, Dolto).

Chapitre 2 : fin ou moyen : les stratégies de la réputation

Ici Origgi explore les théories des sciences qui tentent de répondre à la question de savoir si se soucier de sa réputation constitue une attitude rationnelle ? 

Comment expliquer l’émergence d’un trait social et puis c’est quoi une caractéristique sociale ?  On est à la synthèse entre des théories néo-darwiniennes de l’évolution et des théories du choix rationnel. À ce croisement on a conçu des modèles de l’action et de la motivation humaine non seulement à l’échelle individuelle mais aussi à l’échelle d’une population. Il s’agit de sociobiologie et cela permet d’expliquer les conditions d’émergence de certains traits sociaux. Ces modèles représentent des variations contemporaines des expériences de pensée, sur les conditions d’émergence de la société dans les traditions de philosophie politique contractualisée. En tout cas il n’y a pas d’invariant naturel qui soit éternel et universel. Il faut toujours le situer car tout est question d’échelle temporelle. Les rythmes respectifs des phénomènes biologique et sociologique sont inscrits sur des échelles différentes mais ils ne sont pas différents essentiellement. Il y a pour Norbert Elias trois composantes : l’individu, la société et la Nature. Tous ces niveaux d’explication lorsqu’ils concernent des agents sont compatibles avec les contraintes rationnelles du chapitre 1 et qui permettent une formalisation de certaines dynamiques d’évolution.

Le défi de ces modèles c’est par rapport à l’altruisme. Les sociobiologistes expliquaient ça au niveau d’une population apparentée. Mais le phénomène peut s’adresser à de parfaits inconnus. Robert Trivers va décaler la situation en liant le phénomène à la réputation : un geste altruiste permet à l’agent de gagner une réputation positive et engage le bénéficiaire à agir de façon réciproque. Mais il n’est pas très rationnel de penser que le bénéficiaire de notre aide sera là quand moi j’en aurai éventuellement besoin.

La réflexion introduit alors la notion de réciprocité indirecte. Quand l’acte altruiste de quelqu’un envers un tiers nous prédispose à être altruiste en sa faveur, on parle de réciprocité indirecte en aval et elle requiert la réputation. L’émergence de celle-ci explique la coopération indirecte : c’est parce que les gens parlent des autres en modifiant leur réputation que la coopération peut fonctionner. On est tous soucieux des interactions entre des gens même quand on n’y est pas directement impliqués. Les normes morales s’imposent dans une telle logique.

La réputation aux yeux des autres n’est pas exactement celle à nos propres yeux. Dans le film « la vie des autres » l’idéal du moi de Wiesler, agent à la Stasi, c’est que quand il s’attache à la vie de ces inconnus qu’il surveille, et même si ces derniers finissent par faire des actes de résistance contre le régime, Wiesler les protège. Ce mécanisme est bon pour la survie des espèces morales. Wiesler est un individu qui a de façon absolument rationnelle des préférences pour l’estime de soi. À côté du calcul de l’intérêt, il y a le souci de la cohérence interne : être en accord avec ses croyances. Wiesler reconnait ses vraies préférences et renonce à sa réputation extérieure. Notre désintérêt est aussi rationnel.

Mais parfois on a le sentiment d’être obligé de renoncer à sa réputation pour sauvegarder sa vie ; on n’a pas toujours les moyens de vivre à la hauteur de ses propres attentes. À la panoplie des théories, on va rajouter l’Histoire : pour comprendre le phénomène de la réputation, il y a à explorer les origines. Rousseau va reconstruire fictivement l’histoire humaine dans ses motivations, la poussant à se mettre en société : la motivation individuelle s’explique par une stratégie de groupe. Michel Foucault critique Rousseau et ses théories des origines, en développant des généalogies. Faire la généalogie des valeurs de la morale ou de la connaissance ne passe pas par l’origine. Le souci de sa réputation est très inégalement distribué dans les sociétés. Elle est une valeur essentielle à une certaine époque, elle est critiquée comme prétention de classe à une autre. Quoiqu’il en soit, Rousseau et Foucault souffrent de l’erreur génétique, soit l’absence de lien causal entre l’histoire du concept et le concept lui-même. Ce qu’un concept peut expliquer n’est pas forcément lié à son histoire. Pour avancer il est préférable sans doute d’accepter des aller-retour des significations, les inscrire dans des théories qui existent, les mettre à l’épreuve de certaines contraintes minimales sur l’explication, sans en oublier la dimension historico-sociale. L’épistémologie sociale est le cadre théorique d’Origgi. Faire l’histoire du présent, c’est analyser comment un concept s’est structuré, stabilisé à un certain moment de l’histoire, autour de quelles valeurs, de quelles pratiques ? Il y a à donner de l’épaisseur à un concept comme celui de réputation.Pour finir ce chapitre, il faut parler de la réputation comme signal. Diego Gambetta avance une théorie qui a l’avantage de rassembler les contraintes de rationalité imposées par les explications du comportement stratégique et l’aspect communicationnel de la réputation (qui dit quoi de qui). Sa théorie explique comment exploiter stratégiquement le fait que nos comportements disent quelque chose de nous aux autres. Je veux communiquer une qualité k à quelqu’un. Il est des actes que je peux faire pour signaler cette k au récepteur et en tirer bénéfice. Et ce bénéfice est là que k soit une qualité que j’aie ou pas. L’honnêteté doit être inférée à partir d’autres signes. La théorie du signal fait un tri entre signes honnêtes et malhonnêtes. Un signe n’est pas produit de façon intentionnelle. Ceci dit, les choses se compliquent très vite. Les signes peuvent être exploités en jouant avec. La plupart de nos actions et de nos traits visibles ne deviendront pas signaux. C’est cela notre réputation : la partie des signes que nous émettons et qui est dans les mains du monde social (Bourdieu). L’un des problèmes est la mé-représentation : je peux donner un signal pour indiquer k que je n’ai pas. Dans la théorie des jeux, on va parler de semi sorting equilibrium car les signaux signalent imparfaitement. Les signaux crédibles et honnêtes coûtent tellement chers qu’on ne peut pas les imiter. Mais même là on peut croiser des kamikazes. Finalement c’est le différentiel entre le coût de le produire honnêtement et le coût de le produire malhonnêtement qui donne la fiabilité au signal. La faiblesse de cette théorie c’est la composante sociale fondamentale de la réputation, sa distribution complexe et variée dans une population.

Chapitre 3 : quelqu’un m’a dit – ou et comment la réputation circule

Une réputation est toujours faite de l’opinion des autres. Le préfixe « re » souligne la répétition et donc un phénomène de communication. La réputation est un nuage d’opinions qui se propagent selon leurs propres lois (pas nécessairement connectées aux croyances individuelles de ceux qui génèrent ces opinions). La réputation est une représentation publique des prétendues opinions des autres que nous pensons avoir des raisons de croire. En effet nous ajoutons un certain poids à l’opinion des autres. La réputation c’est quelque chose que nous pensons devoir penser. Il y a deux véhicules des réputations : formelles et informelles. Dans ce chapitre on aborde les réputations informelles. Cette catégorie regroupe les rumeurs, les commérages, les cascades informationnelles ; tout ça a mauvaise réputation car considérés comme l’une des principales sources d’erreurs de nos croyances. Mais est-ce si sûr ? Il faudrait mieux connaître leur structure et leur forme. Prenons le phénomène dit de l’  « ignorance pluraliste » : tout le monde croit qu’il faut manifester une certaine attitude cognitive jusqu’au jour où l’on découvre que chacun s’est leurré en croyant cette préférence partagée par tous alors qu’elle ne l’était par personne. La réputation n’est pas seulement une opinion, elle est une opinion sur une opinion, une méta-représentation qui nous indique l’opinion qu’il faut avoir sur les autres (Katz, Floyd H Allport). On adopte une attitude car on pense qu’il faut le faire. Pourtant le jugement collectif n’existe pas. Il y va du souci de notre réputation mais aussi d’une contribution à la diffusion de la réputation d’autrui. Il est raisonnable d’adopter publiquement une attitude cognitive lorsqu’on sait que les coûts qu’entraînerait l’aveu de ce que l’on croit vraiment serait trop élevé. Mais au niveau d’un phénomène qui se répand, on se retrouve dans des situations d’irrationalité collective. C’est la dimension collective qui est irrationnelle, pas la psychologie individuelle.

Les cascades informationnelles se produisent lorsqu’un groupe de personnes accepte une certaine opinion sans avoir de preuve de sa véracité (Fabrice Clément, Cass Sunstein). Ici on fait confiance à une certaine intelligence collective. Nous sommes sous influence. Pourquoi est-ce si facile de tomber sous l’influence d’autrui ? Les informations qui circulent sans contrôle dépendent des configurations sociales qui permettent la diffusion de ces informations et de leur souci d’accumuler du prestige en nous amenant à adopter leur opinion. Cette heuristique correspond à un véritable biais pour le prestige (Monica Bellucci se parfume chez Dior) qui peut présenter une certaine stabilité dans l’histoire évolutive de notre espèce en fonction de ses avantages dans les stratégies d’apprentissage. Les techniques sont difficiles à apprendre et à imiter avec art, mieux vaut adopter un modèle en copiant les aspects qui contribuent au succès (et aussi les autres aspects plus gênants). C’est stratégique. Ces phénomènes socio-cognitifs (cascades, rumeurs, ragots) sont dûs à des mécanismes cognitifs et des facteurs écologiques de diffusion de l’information dans l’environnement social, virtuel ou naturel. Pour les cascades, le phénomène est étudié en psychologie de l’influence en usant d’heuristiques dans l’inférence probabiliste : less is more, voilà un principe qui peut donner des conclusions solides. Avec moins d’informations et des raisonnements moins précis, on arrive à des conclusions valables. Imite la majorité ! Dans des circonstances écologiques malheureuses l’application de ces heuristiques est utile (Joseph Heinrich, Francisco Gil-White, Herbert Simon, Gerd Gigerenzer).

Et la langue des commères ? C’est la plus dangereuse pour notre réputation ? Les ragots sont définis comme des appréciations évaluatives sur les autres en l’absence de ces derniers. L’anthropologie  s’est intéressée à ce qui se passe dans la case-cuisine qui se trouve au milieu des villages de l’île de Nukulaéle dans l’archipel des Fidgi. L’umu, ce lieu est ouvert à tous et fait la jonction entre le village et la plage. C’est donc un espace public mais aussi domestique où les femmes créent leurs alliances et racontent des potins. En fait ce phénomène des ragots est lié aux structures de pouvoir dans la société mais il est faux de dire que cela ne concerne que les femmes car 60% des conversations entre adultes concernent les absents. Par contre c’est vrai que le ragot est un discours politique alternatif : un jeu sur la réputation des autres est capable d’altérer la hiérarchie locale. Ce type de discours est un discours rapporté où je n’assume pas la responsabilité illocutoire de mon acte. Cette incertitude épistémique (on a dit) n’est pas un handicap parce que c’est une construction évidentielle. Ceci est différent de la modalité épistémique qui m’indique le degré de support épistémique concernant la réalité d’un fait : il devrait en être ainsi ! Et pourtant le ragot fonctionne efficacement quand même. Les constructions évidentielles véhiculent l’autorité du monde social, de ce qu’il faut savoir et pas savoir des autres. Elles ont un fort contenu social véhiculant ce que la société pense des autres. En transmettant un ragot, je fais partie d’un groupe et renforce mon lien d’appartenance. Ce n’est pas l’autorité factuelle qui est en question mais l’autorité sociale. C’est la réputation du cercle de référence qui donne l’autorité au ragot : la maîtrise de ce type de discours est le signe des gens du monde qui savent faire circuler les indiscrétions qu’ils veulent chez les gens qu’ils veulent influencer. Certains ont soutenu que le ragot a une fonction de cohésion sociale et de renforcement du partage des normes sociales (Nico Besnier, Deborah Tannen, Max Gluckman, Robin Dunbar).Tout le monde en parle ! Ici il s’agit de rumeur. L’information se répand avec une telle ampleur et dans un intervalle si bref que c’est remarquable. Elles ne véhiculent pas des réputations et peuvent diffuser de l’information factuelle et c’est de cette dernière information que la réputation est indirectement affectée. Le contexte de la guerre est propice à ces rumeurs parce que les gens ont un grand besoin d’informations et ces informations attendues sont liées à leur capacité de redonner du moral et du réconfort. On a besoin de croire à de bonnes nouvelles (Knapp). Dans le jeu du téléphone sans fil la mémoire reconstruit le message dans un sens conventionnel et standard. La rumeur sert les propagandes en confirmant nos peurs les plus inconscientes ; elle produit des émotions fortes. Ceci dit, elles véhiculent à un autre niveau des informations méta-représentationnelles  car elles indiquent par leur forme d’où ça vient. La tache qu’elles laissent vise un certain milieu. Les rumeurs parlent d’elles-mêmes. Nous avons tendance à croire ce que nous savons déjà, à accepter des informations parce que les autres l’ont accepté si bien qu’il y a une place laissée au bon sens. Le temps effacera les traces, les taches, car il y a sans cesse auto-correction (Frederic Battlett).

Chapitre 4 : évaluer l’incertitude

Les réputations sont-elles fiables ? Ici on en vient au deuxième véhicule de circulation des réputations : les réputations formelles. Gatsby est-il à la hauteur de la réputation  qu’il a fabriqué ? Il tombe sur quelqu’un qui décèle la tromperie par rapport au fait de ne pas être allé à Oxford contrairement à ce qu’il prétend (jouant de ce signal robuste). Ainsi les personnes émettent des indices qui peuvent être lus comme des signaux de leur fiabilité mais tout ce qui est derrière l’apparence renvoie à des qualités cachées, émet des signaux qui nous informent de façon plus ou moins fiable sur ces qualités. Oxford est le véhicule d’une réputation formelle parce qu’il est classé haut par les systèmes de notation. Tout le monde sait qu’Oxford est une université prestigieuse et tout le monde sait que tout le monde sait. Les classements qui permettent la coordination de plusieurs individus sur ce que tout le monde pense sont différents et étudiés dans des contextes disciplinaires des plus divers. En économie Keynes prend le concours de beauté pour montrer que pour arriver à gagner, les gens n’expriment pas seulement leurs préférences, ils essayent de deviner les préférences des autres. Plus l’ignorance s’accroit, plus ce mécanisme (celui des jeux de coordination) est crucial. En appliquant ça au marché des prix, l’incertitude qualitative et les asymétries informationnelles sont devenues des enjeux. Un marché dans lequel la qualité est incertaine a besoin de garanties réputationnelles pour les consommateurs. Ces garanties passent par des sceaux d’approbation qui sont des dispositifs de jugement essentiels au fonctionnement du marché vu le déficit d’information lié à la position sur ce marché (Akelrof).

En sociologie il y  a la notion-clé, dans le domaine de l’évaluation, du capital social. On cherche comment la valeur se crée et se stabilise pour compenser les asymétries et dans quelle mesure ce processus de stabilisation de l’évaluation dépend de ces asymétries. La qualité et la valeur ne sont pas des données, elles sont le produit d’un processus collectif de distribution des statuts de différenciation par rapport à d’autres produits, jusqu’à une mise en position d’un produit par rapport à l’autre. Les études de l’évaluation sont aussi un reflet de la multiplication des contrôles et évaluations dans les sociétés néolibérales. Pourquoi ne pas se fier à la loi de l’offre et de la demande, au prix ? Lucien Karpik a développé une théorie dans son livre sur l’économie des singularités. Il plaide pour l’introduction en économie théorique des dispositifs de jugement qui sont des mécanismes et formes d’organisation du savoir censés dissiper l’opacité du marché, à savoir les réseaux, les appellations, les cicerones, les classements et les confluences. Cet apport en économie est en dette de Marx, Weber et Polanyi. Ce dernier développe une explication « située » des relations de marché dans des relations sociales et institutionnelles historiquement déterminées, niant la naturalité du concept de l’homo oeconomicus. Mark Granovetter quant à lui distingue la force des liens faibles, qui insiste sur l’importance des réseaux et de la notion d’enchâssement : il a l’idée que les relations économiques des individus ou des entreprises sont enchâssées dans des réseaux qui leur préexistent. À cela Bourdieu ajoute sa distinction entre capital social et capital culturel. Il n’y a pas d’interaction sociale qui ne soit enchâssée dans un réseau dense de relations qui lui préexistent. Le capital social est l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’inter-connaissance et d’inter-reconnaissance. Le capital social n’est pas objectivable, il dépend des autres. James Coleman a proposé une synthèse entre économie et sociologie : un individu rationnel déploie une stratégie qui n’est pas seulement individualiste. Il prend en compte le capital social ; celui-ci peut se réaliser à travers une variété d’entités qui ont deux éléments en commun. Elles participent de la structure sociale et elles facilitent l’action des agents à travers cette structure : écouter de la bonne musique, fréquenter certains restaurants, jouer au golf. Le capital social est lui aussi productif, il offre des avantages cumulatifs. Les formes du capital social qu’on peut exploiter sont la confiance, la réciprocité, les normes sociales, la circulation de l’information. Le capital social est une motivation à l’action : l’agent veille à maximiser son utilité sociale. 

Dans les applications qui nous intéressent, celles qui permettent d’évaluer le capital social des autres, ce qui est important c’est la manière dont le capital est construit et perçu au-delà des motivations des agents. Les effets de réseau ne sont pas linéaires, ils peuvent créer des distorsions. L’un de ces effets est dû au rapport entre l’efficacité de l’imposition d’une norme sociale et la structure ouverte ou fermée du réseau. Un réseau fermé facilite la circulation de l’information sur A depuis les interactions entre B, C, D, E. Et le capital social est une ressource plus efficace pour modifier la réputation de A. Un autre effet est l’effet Matthieu. On donnera à celui qui a et à celui qui n’a pas on enlèvera même ce qui reste. La probabilité qu’un article déjà cité plusieurs fois le soit à nouveau est bien plus grande. Les relations de déférence que les acteurs ont les uns avec les autres distribuent les statuts à l’intérieur de la structure sociale (un labo où il y a un prix Nobel attire les crédits). L’aller-retour entre réputation collective et réputation individuelle est crucial en économie. Jean Tirole précise que la réputation individuelle est augmentée par l’appartenance à un groupe réputé (tel vin et l’appellation AOC). Mais les effets sont complexes car un collectif réputé qui accueille des membres de moindre réputation peut perdre la sienne. Les structures sociales sont dynamiques et c’est dans ces dynamiques qu’on acquiert sa réputation. Il faut regarder les filtres, la façon dont ils se construisent et dont ils sont perçus. Il y a à rapporter des traditions sociologiques différentes (Evaluation and Valuation Studies) ainsi que celles du capital social, en montrant qu’elles sont liées par la question fondamentale sur la manière dont la réputation se crée depuis le positionnement social d’un acteur par rapport aux autres. Cette valeur créée reste incertaine car ne dépendant pas seulement du positionnement mais aussi de la façon dont il est perçu. Car même celui qui par rapport à Gatsby sait que son positionnement est usurpé ne contrôle pas le réseau social où il y a aussi ceux qui n’ont pas cette analyse et continuent donc à lui accorder leur confiance.

Notre savoir sur les autres et les choses est tributaire des traditions structurées par un ensemble de dispositifs réputationnels plus ou moins efficaces par lesquels nous essayons de nous orienter. Un sujet épistémique compétent est capable d’intégrer ces indices dans sa recherche de l’information. On évalue le monde pour le connaitre. La vie sociale est enchâssée, toutes ces relations donnent des indices de réputation plus ou moins fiables. Notre vie sociale est la trace informationnelle de qui nous sommes. Les autres regardent nos actions pour obtenir des informations sur nous. L’information et le lien social vont de paire pour rendre compte de la révolution du web.  Ce lien puissant entre connaissance et réputation est essentiel ; il y a 3 facteurs qui influencent la fiabilité des dispositifs : la structure de ces relations, les nombreux effets et formes de jugement que l’on peut introduire dans la structure, la connaissance de ceux qui se servent des dispositifs réputationnels pour extraire de l’information.

La réputation dépend donc de la structure sociale. L’avantage informationnel d’avoir des liens sociaux forts est un atout économique car nous pouvons nous fier à nos interlocuteurs, réduire le coût des transactions, développer une familiarité et un ensemble d’attentes qui structurent les actions des autres et des nôtres. Nous devenons plus prévisibles pour les autres lorsque ceux-ci le deviennent pour nous. La réputation s’accroit à mesure qu’elle avance. Les réseaux sociaux ne sont pas homogènes. Les liens sociaux informels ont tendance à s’organiser autour d’un nombre de « zones à haute densité », des agrégats dans lesquels l’information circule bien mais entre lesquels il y a des trous structurels où l’information ne circule pas.

Les hiérarchies sont partout. Elles sont formelles ou informelles. Bien que la position hiérarchique dans la structure signale la qualité, les différences de qualité initiales contribuent à la configuration de la structure hiérarchique. La hiérarchie n’est pas imposée seulement par le haut ni dépendante de la performance de chaque individu isolé. Elle est le produit de l’interaction entre les individus. Le statut est un nombre cumulé d’actes de déférence. Les acteurs peuvent accorder de la déférence aux autres autour des attributs ou qualités qui ne sont pas immédiatement utiles pour eux. Je peux allouer de la déférence y compris par des qualités qui ne m’intéressent pas immédiatement (comme de reconnaitre quelqu’un dans une classe qui est plus intelligent que moi). Ceux qui sont destinataires d’actes de déférence plus nombreux ont un statut plus haut. Mais si quelqu’un avec un statut plus haut s’assoie avec un autre de statut moindre, ce dernier s’élève alors que l’autre s’abaisse. Il y a une relation dynamique complexe entre les statuts, leurs qualités et leur capital social. Plus le capital social est incertain et les qualités difficiles à déterminer, plus les actes de déférence seront marquants et permettront d’attribuer de la valeur aux acteurs. Les marchandises et les idées sont soumises aux mêmes incertitudes que les acteurs sociaux.

 Comment chiffrer une marée noire ? Karpik décrit les dispositifs de jugement qui permettent de réduire l’incertitude portant sur la qualité. Ces dispositifs fournissent des informations qui incorporent déjà une évaluation. Ce théoricien analyse les dispositifs propres au marché des biens singuliers, marché caractérisé par de fortes asymétries informationnelles et des distributions collectives de croyances enchâssées dans des traditions qu’il appelle « complexes culturels ». Ces dispositifs (classements, indicateurs) envahissent aujourd’hui notre vie cognitive, sociale et politique. Quelle est l’objectivité de ces classements ? Ce n’est pas par rapport aux informations qu’ils donnent mais par rapport aux traditions, aux complexes culturels, aux rumeurs qui font que tout le monde pense de telle manière dans un groupe d’individus. Les classements sont en passe de devenir les nouvelles traditions contemporaines, un nouveau savoir commun.

Qu’est ce qui influe sur la construction d’une réputation ? Les asymétries informationnelles, la nature formelle ou informelle des dispositifs, le poids de l’autorité, la robustesse d’une réputation dans le temps, c’est à dire son rapport avec la tradition. Toutes ces variables influencent notre manière de connaitre le monde par le biais de la réputation. Croiser les différentes dimensions de la réputation (asymétrie, formalisation, autorité) permet d’affiner le raisonnement. Origgi construit un schéma composé de 2 axes (horizontal, vertical) qui en se coupant à angle droit délimitent 4 zones (2 au dessus de l’axe horizontal et 2 en dessous, ces 2 régions se divisant à leur tour en 2 par l’axe vertical). Des valeurs + et – sont attribuées en considérant les 2 axes comme des droites ayant par croisement un point 0. Conventionnellement ce qui est au-dessus du zéro est positif sur l’axe vertical et ce qui est à gauche de l’axe horizontal est négatif. Par conséquent la zone supérieure droite est significative par cumul des +.

Encore faut-il maintenant nommer les axes en orientant les droites vers le haut et vers la droite. Soit sur le premier schéma le croisement du poids de l’autorité par rapport à l’asymétrie informationnelle : signalant la valeur des experts comme cumulant ces deux variables. Le second schéma croise le niveau de formalisation et le poids de l’autorité en signalant les agences de notation. Le troisième croise la résilience dans le temps et le poids de la réputation pour signaler la réputation des médecins.Ces 3 schémas sont un exercice de clarification intellectuelle : mettre en relation des axes pertinents au long desquels il est fécond d’étudier la réputation. La manière dont on peut connaitre à travers la réputation dépend de la valeur que ces variables assument dans ces différents domaines.

Chapitre 5 : le paradoxe du meilleur spécialiste ou les heuristiques de la réputation

Le médecin x est le meilleur spécialiste, voilà qui est décisif comme avis pour mes choix. Remettre en question ce critère touche à un registre délicat (remuant nos valeurs et attachements intimes) car la déférence et la loyauté sont impliquées et les critiquer produit de l’humiliation. Les mécanismes qui font qu’un médecin jouit d’une meilleure réputation qu’un autre sont complexes car il y a des facteurs structurels mais aussi des biais cognitifs (les réactions émotionnelles, les tendances psychologiques). 

Devant un expert on est d’abord vulnérable et il est raisonnable de tolérer un peu de vulnérabilité car c’est ça faire confiance, soit remettre quelque chose de précieux à quelqu’un en se fiant à lui. Ceci sous-entend que pour cela on peut estimer sa compétence. Or cette dernière dépend de sa réputation. Le saut dans la confiance implique toujours un mélange d’émotions, d’engagements, de raisons, d’heuristiques, de normes et de pratiques auxquels nous adhérons sans y penser. Et ce n’est pas toujours qu’on utilise de façon appropriée ce mélange. Pour aider à faire le tri parmi ces usages, il y a besoin d’une véritable épistémologie de la réputation, une boite descriptive et normative pour classifier les heuristiques que nous utilisons de facto et en même temps d’établir quelques critères pour distinguer les règles d’inférence qui nous amènent à une attribution de confiance raisonnable. L’épistémologie apprend à naviguer dans l’information sociale malgré de nombreux biais et distorsions. Il y a 7 mécanismes en jeu dans le don de sa confiance à quelqu’un et nous allons les aborder l’un après l’autre.

Les inférences sur la fiabilité du locuteur sont immédiates et rapides parce que fondées sur l’information préalable dont on dispose et parmi ceux-ci il y a les préjugés. Nous ne cessons de classer les informations dans des fichiers mentaux (des types). Or le problème c’est l’importance des biais influencés par les cultures locales. Mais les choses sont plus subtiles le plus souvent car notre sens commun nous permet de nous ajuster aux situations sociales, d’organiser des attentes réciproques, de ramener de l’inconnu à du connu. En psychologie il y a un biais fondamental d’attribution ; nous avons tendance à attribuer les causes d’une action au caractère de la personne plutôt qu’à la situation. Pour donner notre confiance et évaluer la fiabilité du locuteur, on se fonde sur l’évaluation d’indices réputationnels qui n’est pas justifiée en elle-même. Un bon médecin habite un beau quartier. Nous avons des attentes et notre crédibilité y trouvera son compte ou pas.

Les inférences sur le contenu de l’information renvoient à ce qui est dit et comment cela est dit. C’est l’art du marketing  que de véhiculer des messages qui rassurent sur la fiabilité de l’émetteur. La théorie argumentative des raisonnements affirme que la structure logique des arguments est un indice de leur crédibilité. On a aussi tendance à accepter une information qui confirme ce que l’on sait déjà ou qui se présente de la manière qui ressemble à la nôtre.

Quant aux normes sociales et la déférence à l’autorité, c’est beaucoup plus important et plus difficile à contrôler. Notre vie mentale est habitée par un grand nombre de croyances que nous ne comprenons que partiellement mais qui néanmoins structurent notre sens commun et qui sont difficiles à remettre en question. Cela remonte à l’enfance très souvent. Dans le cadre d’un rapport à l’autorité que nous ne sommes pas en mesure de questionner sous peine d’être exclu du groupe, la validité d’un énoncé ne peut être établi indépendamment des réseaux sociaux qui en assurent la production : on ne peut pas se repérer dans un domaine de savoir sans déférer à autrui, aux pratiques, aux maîtres, au sens commun qui structurent le paysage épistémique de ce domaine. Notre sens commun est structuré par les relations d’autorité que nous ne pouvons pas remettre en question sous peine de perdre notre identité sociale.

Les indices réputationnels sont distribués socialement. Qui sont les personnes centrales d’une conversation à la pause-café d’un colloque. Cette information peut être détectée de façon informelle mais en règle générale, on utilise des dispositifs de jugement (comme Gault et Millau, un prix Goncourt).

Quant aux signaux robustes ? Ce sont les autorités auxquelles nous faisons confiance qui font des signaux quelque chose de robuste.

Les réactions sont émotionnelles  et les engagements, moraux. Notre mesure des autres se construit à partir d’un mélange de rationalité et de sentiments. Notre confiance peut précéder les calculs de risque. Le sentiment de sécurité relève d’une mise en suspens de la défiance par rapport aux motivations des autres. Je ne sais rien de toi mais je me sens à l’aise avec toi : quelle est la légitimité de cet abandon ? Cela renvoie à une attitude optimiste à l’égard de la bienveillance et de la compétence des autres. Ce n’est pas nécessairement raisonnable et cela se fait au travers de jugements rapides fondés sur …l’expression faciale. Et parfois nous nous sentons obligés de faire confiance à certaines personnes. Si je donne ma confiance, est-il légitime que j’attende la même chose en retour ? On sait qu’existent des unreal loyalties : nous croyons devoir quelque chose à quelqu’un. L’impossibilité de distinguer entre les dimensions épistémiques, cognitives et morales de la confiance que nous accordons aux autres, est au coeur de la question de la légitimité des heuristiques de la réputation. Distinguer entre une dimension normative et descriptive de nos heuristiques n’est pas évident. 

La réputation a des caprices. Il y a des heuristiques irrésistibles et des illusions inévitables. Norbert Elias a étudié un village qui voyait augmenter sa population de migrants qui s’installaient dans un beau quartier. Ce double indice crée de l’incertitude. Les deux relations qui caractérisent notre vie en société sont l’échange et la déférence. Les relations d’échange sont égalitaires au contraire des relations de déférence. Un acte de déférence envers quelqu’un n’appelle pas sa réciproque. L’incertitude quant au statut tient à ce que le transfert de statut au travers des liens sociaux est incertain. Nous nous appuyons sur tout et rien.

Origgi raconte qu’elle demande dans un colloque à faire un selfie avec l’orateur phare dans cet événement culturel. Elle poste le selfie sur sa page Facebook. Une proximité perceptible, physique ou virtuelle entre deux personnes qui ont un statut différent est systématiquement surestimée sur le web. Un enjeu dans une publication scientifique dans une revue de prestige, c’est les noms qui signent l’article (l’authorship). Tout ceci est plein de biais et de distorsions. Pour se repérer il faut se demander d’où viennent les normes qui règlent la proximité dans un domaine donné.Être publié dans une maison d’édition prestigieuse, c’est ce qui est arrivé à un certain écrivain et de surcroît il reçut un grand prix littéraire. Ce qui dans un premier temps lui profitait a fini par le plonger dans une grave dépression d’avoir été propulsé dans un statut trop nouveau. Ce chapitre n’a pas cessé d’étudier les biais, illusions et distorsions qui construisent notre idée. Pour s’en sortir, il faut vérifier les raisons de l’inclusion d’une personne dans une liste et les mécanismes d’inclusion/exclusion. La réputation dépend non seulement de réseaux mais de réseaux perçus (via les médias). Ainsi il faut apprendre à dégager la responsabilité épistémique de nos heuristiques. Le monde de la réputation est très souvent dessiné pour nous faire subir les effets de distorsion que la perception des liens sociaux met au jour chez nous. il y a à apprendre à se méfier du premier jugement émis par nos sens sociaux.

Chapitre 6 : l’homme comparatif : statut, honneur et prestige

Il s’agirait donc d’un jeu avec les autres. Qui monte ? Qui descend ? Qui domine qui ? Qui dit quoi de qui ? La réputation est un jeu que les êtres humains jouent depuis toujours, un jeu de crédibilité. Si l’on veut sauver un brin de rationalité dans les motivations qui nous poussent à agir, il faut attribuer à la représentation et pas seulement à l’intérêt, le rôle de mobile de l’action. C’est le deuxième ego, le moi social qui prend les décisions. Mais en quel sens la réputation peut-elle être une motivation ? Quelles sont les théories en sciences sociales susceptibles de développer des modèles d’action dans lesquels la réputation est une variable indépendante ? Dans les théories morales, les individus n’agissent pas moralement parce qu’ils sont motivés par l’amour de la justice mais en fonction de ce que les autres pensent d’eux. Dans les théories économiques, certains font de la réputation une ressource limitée et affirment qu’il existe une demande pour cette ressource qui contraint le comportement des acteurs.

Mais d’abord quelle est l’ontologie de cet homme comparatif dont l’action dépend de ses relations avec les autres ? L’homme comparatif rapporte les résultats de ses actions à ceux des autres ou à une échelle normative de valeur. La valeur (morale, économique, épistémique) se crée à travers les écarts qualitatifs contextualisés. La valeur se crée entre les choses ou entre les personnes, elle est un produit autonome de l’échange comparatif et n’a pas d’autre finalité : on crée de la valeur pour créer de la valeur. On ne peut pas la réduire à d’autres grandeurs comme l’utilité, la rareté, le travail. Elle est la trace cognitive, la génération d’opinions que toute interaction produit et qui structure la perception que nous avons de nous et des autres. L’être humain perçoit le monde hiérarchiquement (Karl Mannheim, sociologie de la culture). Nos mécanismes perceptifs sont conçus pour percevoir les écarts qui créent le caractère saillant du percept. L’homme comparatif construit son objectivité dans les écarts. Les écarts sont inscrits dans les milliers de réseaux sociaux qui tissent la réalité et permettent de tirer de l’information du monde. Il n’y a pas de réalité ultime au delà de l’interconnexion des événements. Depuis Hobbes, c’est dans l’écart des valeurs que les choses prennent un sens et que l’information se constitue et il n’y a pas d’objectivité qui pourrait se passer de cette dimension comparative. André Orléan dans l’étude de la valeur en économie montre que la valeur se trouve recherchée pour elle-même en tant que pouvoir d’achat universel. La notion de valeur doit être autonome et jouer dans toutes les sciences sociales. Dans la sociologie des marchés Lucien Karpik revient avec l’homo singularis. Pour lui l’acteur économique choisit sur la base d’une rationalité axiologique (Max Weber) en essayant d’ajuster ses comportements sur les opinions exprimées et agrégées sur la qualité des produits. La qualité prévaut sur le prix. Ici toutefois le marché est complexe sur le plan informationnel ; on doit choisir en utilisant plusieurs critères. La singularité est saisie dans l’écart d’où l’importance des classements et recommandations. 

Lorsqu’elle nous concerne, nous pouvons essayer de mesurer notre réputation aux yeux des autres en tentant de saisir leurs manifestations d’estime à notre égard. Pour Philip Pettit et Geoffrey Brennan, il y a élaboration d’une économie de l’estime en tant qu’attitude évaluative, dans une dimension comparative et une dimension directive. Attention toutefois aux efforts qui cherchent explicitement à avoir de l’estime car cela est contreproductif quand c’est perçu comme un calcul. L’estime est la monnaie du désintérêt. Pourtant il y a bien des situations où des groupes de personnes doivent se coordonner autour de certaines normes sociales qui ne sont pas évidentes dans leur culture. Dans ce modèle l’estime souffre de ce qu’elle est une quantité linéaire or elle ne l’est pas, elle se répand par réseaux. Ce n’est pas fréquent que les manifestations d’estime et de mépris agissent comme des heuristiques (nous informent sur les normes partagées dans une société). De plus allouer de l’estime à d’autres n’est pas une opération morale neutre. La plupart de nos allocations d’estime dépendent des autorités compétentes à nos yeux. L’estime est le résultat d’une évaluation collective dont les normes sont sujettes à pression sociale.

Y a-t-il des biens symboliques autres que l’estime et qui peuvent fonctionner comme motivation de l’action ? Pour Anthony Appiah les révolutions morales s’expliquent par l’émergence d’un code d’honneur partagé par des pairs. Le duel en UK, les pieds bandés en Chine, la traite des noirs africains (USA) montrent qu’il y a deux formes de respect : comme reconnaissance et comme évaluation (déférence). Il y a révolution quand il faut donner du respect aux victimes de la pratique morale en question et gagner de l’honneur en reconnaissant cet honneur. Il faut donner de l’honneur comme respect et gagner de l’honneur en en donnant. Ceci dit il est difficile de préciser le lien entre moralité et honneur. Le port du voile est une norme neutre mais pas partagée dans toutes les cultures. En France on se demandera comment le partage d’un code d’honneur pourra décider de la portée morale de la norme en question : si je décide de continuer à porter le voile car je partage un code moral qui me prescrit d’agir ainsi, je vais aller contre le vouloir de ma famille républicaine. Ce sera alors de l’intérêt de mon honneur de continuer à porter le voile. Si l’honneur joue un rôle, il faut prendre en compte les cascades réputationnelles, les asymétries informationnelles ainsi que les effets des réseaux sociaux et de hiérarchie.

L’honneur n’est pas un code, il est le sentiment d’une relation. Il faut comprendre que la façon dont l’honneur et la réputation se structurent est éminemment dynamique et dépend de chaque interaction. La réputation est une propriété contextuelle dans notre société. Expliquer l’honneur comme motivation ne peut se réduire à ajouter une dimension culturelle et symbolique à l’explication rationnelle de l’action. L’honneur est le produit d’interactions sociales qui créent les positions hiérarchiques. L’honneur est le sentiment lié aux avantages immédiats d’avoir une position dominante dans une hiérarchie. La réputation en est un avantage à long terme.L’honneur et la réputation émergent des dynamiques de positionnement dans les hiérarchies sociales. Ces dynamiques sont au fondement de notre capacité à exprimer des jugements positionnels : qui est meilleur par rapport à qui. Les hiérarchies sociales que ces jugements font émerger ne sont ni complètement méritocratiques ni complètement construites (et imposées par les structures qui confèrent les rôles sociaux). Elles émergent par cumul d’actes d’estime et de reconnaissance. Mais alors pourquoi les hiérarchies ne font-elles pas émerger des dictatures ? La dynamique des actes de déférence qui distribue l’honneur, le prestige ou la réputation exigent la réciproque (Roger Gould, R Merton). Ceux qui sont en haut doivent rendre la pareille car nous aimons reconnaitre ceux qui nous reconnaissent.  Pour Appiah l’harmonisation des codes d’honneur entre deux groupes qui ne se reconnaissaient pas avant s’explique par le fait que nous tendons à estimer ceux qui nous estiment. Le besoin de réciprocité est une stratégie de cognition sociale, un feed-back depuis la société sur nos choix d’évaluation. Attention donc aux cercles vicieux créés par les « sociétés d’admiration mutuelle » qui bétonnent les murs séparant les initiés et les marginaux. Ces sociétés inscrivent des normes non écrites d’appartenance comme les citations académiques.

Chapitre 7 : information et réputation, l’intelligence collective du web

Dans ce chapitre Origgi veut détailler son épistémologie de la réputation dans le domaine central de la vie cognitive, l’information. Lorsqu’on entre en contact avec un nouveau domaine de connaissance, ce sont les opinions des autres qui déterminent notre accès aux faits. Aujourd’hui on est même passé de l’âge de l’information à celui de la réputation où l’information n’a de valeur que si elle est filtrée, évaluée, notée par les autres. La réputation ici est un phénomène d’intelligence collective ; c’est le savoir des autres qui nous informe et c’est la façon dont l’autorité de ce savoir est construite qui nous donne confiance pour l’acquérir par le biais d’autrui. Avec la capacité de web.2 à rassembler l’information socialement répartie afin d’obtenir des résultats intelligents, l’idée d’intelligence collective est entrée dans une ère nouvelle. Cependant une préoccupation suscitée par ces systèmes d’intelligence collective (Google, wikipedia, Amazon, e Bay, tripadvisor) est que notre contrôle sur la manière dont l’information est traitée, est faible et que les capacités individuelles et institutionnelles d’intervention sur le dessein du processus d’évaluation et de la collecte d’informations sont très limitées. En ce qui concerne le design de la connaissance et des pratiques épistémologiques sur le web, ce n’est pas évident. Et cela vient du fait que le web a été regardé comme une technologie révolutionnaire dont l’effet immédiat était de faire éclater toutes les procédures légitimes existantes d’accès à la connaissance, en offrant à ses usagers une nouvelle liberté intellectuelle.

James Surowiecki évoque, dans son livre « la sagesse des foules », les différentes manières de capter la sagesse collective. Ici existent des systèmes de réputation en usage sur le web. Ces systèmes fonctionnent en vertu de leur manière très spéciale d’articuler d’un côté les choix individuels et les préférences filtrées collectivement et de l’autre côté les actions humaines et les processus ordonnateurs. Ici il y a à faire des remarques sur le rôle de la hiérarchisation de nos pratiques épistémiques. Sur le web l’information prend de la valeur pour autant qu’elle est filtrée car il y a passion de la hiérarchisation sous-jacente. Il y a ici une liste à faire des conditions nécessaires à la caractérisation d’une foule sage. Il y en a 4 : a) la diversité d’opinions, b) l’indépendance, c) la décentralisation, d) l’agrégation. Ce à quoi il faut ajouter la présence d’un moyen de classement. Ce dernier point est en lien avec une question épistémologique de la valeur épistémique de ces hiérarchisations, c’est-à-dire de la manière dont leur production et leur usage d’un groupe changent la proportion entre les vérités et les erreurs produites par ce groupe et individuellement de la manière dont une conscience des hiérarchisations doit affecter les croyances d’une personne. Le contrôle de l’heuristique et des techniques qui sous-tendent cette dynamique d’information peut ne pas être visible. Le statut épistémique de ces hiérarchisations produites collectivement ouvre une série de questions épistémologiques : a) pourquoi faire confiance à ces hiérarchisations et doit-on leur faire confiance ?, b) pourquoi devrions-nous supposer que le filtrage collectif des préférences produit des résultats plus sages sur le web ?, c) quelles sont les heuristiques et les biais des systèmes de collecte d’informations sur le web dont les gens devraient être conscients ?

Dans un environnement à forte densité informationnelle comme le web où les sources sont en concurrence permanente pour gagner l’attention des usagers et où la vérification directe de l’information n’est pas possible, l’évaluation et les classements sont des outils épistémiques et des pratiques cognitives qui introduisent un raccourci dans l’information. Plus le contenu de l’information est incertain, plus le poids de l’opinion des autres pour établir la qualité du contenu est important. Notre responsabilité épistémique devant ces systèmes réputationnels consiste à être conscients des biais que la formation de chacun de ces systèmes implique. Une présentation détaillée des modes d’agrégation des choix individuels que l’internet rend disponible devrait s’accompagner d’une analyse des biais éventuels que chacun de ces systèmes contient dans son design. Ce qu’internet permet c’est une toute nouvelle forme de collecte qui n’existait pas avant lui. Il a forgé un outil nouveau pour collecter les comportements individuels qui sont susceptibles de servir de fondement pour repenser d’autres formes d’institution dont la survie est liée à la combinaison appropriée des opinions du grand nombre.

Internet ce n’est pas le web. Internet est un phénomène de réseau et le web en tant que technologie précise est rendu possible par l’existence de ce nouveau réseau. Internet est inventé dans les années 60 comme une technologie de commutation de paquets d’information en digitalisant les conversations. Dans les années 70 fut créé l’Arpanet, premier réseau décentralisé qui permet de transmettre un message en le diffusant par le réseau et en le reconstruisant ensuite à l’autre bout. Autour de 1975 fut inventé le mail. C’est sa forme de croissance décentralisée qui a fait de ce réseau un outil si puissant. Internet est un réseau de réseaux qui utilise les connexions préexistantes des réseaux téléphoniques pour faire communiquer des ordinateurs suivant un certain nombre de protocoles (IP, TCP) qui ne sont la propriété de personne. Les protocoles sont communs et gratuits. Quant au web, il a conservé la même philosophie des protocoles ouverts compatibles avec internet (http, HTML). Le web permet à des pages d’être facilement reliées les unes aux autres par la technique de l’hypertexte. C’est un protocole de visualisation qui rend très simple l’affichage de l’information. C’est cette facilité qui a permis la croissance du web.

Qu’est-ce qui rend la collecte des préférences individuelles par le web si particulière ? Le web est une révolution majeure dans le stockage, la diffusion et la conservation de l’information. C’est une invention à comparer avec l’écriture et l’imprimerie.  En effet le web augmente l’efficacité dans l’enregistrement, la sauvegarde, la reproduction et la répartition de la mémoire culturelle. C’est un support de mémoire extérieure extrêmement actif. C’est un moyen de distribuer la mémoire culturelle d’une population en modifiant le coût et le temps de la distribution. Enfin le web rend possible un changement radical dans les conditions d’accès et de sauvegarde de la mémoire culturelle avec l’introduction de nouveaux moyens pour gérer la méta-mémoire. La civilisation c’est une conception de l’organisation et de l’institutionnalisation d’une méta-mémoire efficace. C’est un système de règles, de pratiques, de représentations qui nous permettent de nous orienter utilement dans la mémoire collective. La méta-mémoire n’a pas qu’une fonction cognitive, elle a aussi une fonction sociale et épistémique de fournir une organisation à cette information en termes de systèmes différents de classifications qui incorporent la valeur de la tradition culturelle de ce corpus. Ce qui est exceptionnel c’est que les actions des utilisateurs laissent une trace dans le système qu’il peut immédiatement réutiliser. La combinaison des  traces des différents types d’usage peut être disposé en un classement qui influencera les choix et les actions futures des utilisateurs. Le corpus de connaissances accessible sur le web est filtré par des systèmes qui rassemblent ces comportements dans un classement qui les rend accessibles en tant qu’information filtrée à de nouveaux utilisateurs individuels éventuels.

Le filtrage collaboratif (la sagesse issue des algorithmes) est illustrée par une analyse d’e-business comme Amazon et qui repose sur ceci : les clients qui ont acheté x achètent aussi y. Le couplage de x et y s’effectue en un sens de la base au sommet. La sagesse collective du système vient d’une division du travail cognitif entre les algorithmes qui composent et visualisent l’information et les utilisateurs qui interagissent avec le système.

Une autre classe de systèmes qui réalisent des fonctions de méta-mémoire par des moyens artificiels rassemble les moteurs de recherche comme Google sur base d’un algorithme « page Rank » . Cet algorithme interprète un lien d’une page A à une page B comme étant un vote de la page A en faveur de la page B. Mais subtilité supplémentaire sur le web, il y a des « hubs » qui ont plus de poids que d’autres et ils reflètent en un sens des hiérarchies de réputation qui existent en dehors du web. Le web est un réseau aristocratique, un réseau dans lequel les riches deviennent plus riches. Cela crée un paysage réputationnel. L’algorithme « page Rank » est alimenté par la connaissance et les préférences locales de chaque utilisateur individuel et il les influence en affichant une hiérarchie de résultats qui sont interprétés comme une hiérarchie dans la pertinence. Pour contourner le biais des hubs rappelons ceci : plus l’enchaînement des mots clés est improbable, plus le résultat filtré est correct.

Le filtrage collaboratif de l’information peut parfois exiger une participation plus active d’une communauté que cela n’est nécessaire dans les exemples qui précèdent. Richard Rogers classe les dynamiques du web entre volontaires et non volontaires selon le rôle joué par les êtres humains et les machines dans le feed-back. Un des premiers systèmes de vente aux enchères est le site e-Bay. Ici ce qui compte c’est le système des évaluations positives ou négatives sur la confiance à donner au vendeur (ici c’est la sagesse de l’angoisse de perte du statut).

Le filtrage collaboratif sur le web peut être encore plus volontaire et fondé sur l’humain : Origgi veut parler des communautés de développement des logiciels « open source » comme Linux ou wikipedia.Une autre classe de système de recommandation c’est Tripadvisor. Ici c’est la sagesse issue des connaisseurs. L’auteur va en parler dans le chapitre qui suit.

Chapitre 8 : experts et connaisseurs, ou la réputation du vin

Ici on entre dans le domaine du goût. La réputation ici ne se fonde pas sur l’information mais sur des jugements subjectifs. Comment se crée-t-elle de façon plus ou moins fiable ? Pour s’introduire dans le monde du vin, nous avons à disposition un certain nombre d’autorités épistémiques. Quand on apprend le b a ba, quand on entre dans un processus d’apprentissage, ce sont les opinions des autres qui déterminent notre accès aux faits. La réputation du vin se présente comme un dispositif de classification complexe et réservé. Cela a entraîné des réactions soi-disant « démocratiques ».

Quoiqu’il en soit les experts occupent une place centrale quant à la définition du bon goût. Hume demandait à l’homme de la rue de s’en remettre au connaisseur. Cet homme à part a un sentiment délicat éprouvé par la pratique et perfectionné par des comparaisons ; il est dégagé d’a priori, de préjugés et de surcroît c’est depuis une communauté de connaisseurs qu’il rend son verdict en tant que verdict commun, partagé et donc objectivé.

Origgi s’en tient à un point de vue épistémologique et tente de comprendre comment se structurent des corpus de connaissance tels que classements, systèmes d’ordonnancement ou de réputations qui guident l’acquisition de capacités discriminantes dans un domaine épistémique particulier. Nous avons besoin d’experts afin d’acquérir une capacité à discriminer et à pénétrer le contenu propre à un corpus particulier de connaissances. En épistémologie il faut garantir la préservation de l’autonomie et la liberté de penser nécessaire à l’acquisition du savoir dixit Kant. Mais Origgi tient compte des inévitables biais de confiance et de déférence qui imprègnent notre vie cognitive. Et là nous cherchons à connaitre leur réputation afin d’acquérir de l’information : a) pour un domaine de connaissance donné, quels sont les processus de construction des systèmes de réputation et des classements ?, b) comment les différents procédés sont-ils utilisés pour obtenir des informations relatives à ce domaine ?, c) comment les individus utilisent-ils ces systèmes afin d’orienter leur jugement ?, d) comment la fiabilité des experts influence-t-elle la pérennité ou la remise en question de ces systèmes ?

La suite du chapitre y répond à partir d’exemples tirés du système de classification français (dans sa différence entre bordeaux et bourgognes) et du système US. En Californie, on a une approche non plus basée sur les terroirs ou les châteaux mais sur des actes de déférence dégageant la réputation pour tel cépage de la Sonoma Valley. Mais ici est apparu une dérive quand le producteur Gallo a acheté sa relation avec le cépage réputé et vendu son vin « Gallo de Sonoma ».Origgi s’arrète aussi sur le cas particulier de Robert Parker dans la mesure où il renoue avec l’expert gentleman de Hume. Il a installé sa réputation en épousant le trait de caractère prisé chez les modernes : il veille à apparaître comme un homme d’honneur désintéressé. Loin de mépriser l’homme de la rue, il lui offre une référence non pas à une autorité prestigieuse mais dans le souci d’une réputation morale (il a plu car il a donné en partage son don et n’en tire pas profit).

Chapitre 9 : la réputation académique ou de la servitude épistémique volontaire

Ce travail est initié par la Fondation Olivetti de Rome grâce à Pasquale Pasquino.

Le monde académique affole ceux qui y travaillent. Pourquoi ? On sait que le critère scientifique d’un travail de chercheur est le mécanisme de contrôle de la communauté scientifique sur les résultats et la méthode qui y a conduit. La science garantit ici un critère qui avère la qualité de sa croissance (la vérité est cumulative). Mais l’académie aujourd’hui ce n’est plus ça ; on y voit à l’oeuvre un parasitage pervers par la loi du marché. Le marché de la science se structure autour de : a) une économie de l’estime et du prestige (pour le kudos), b) une économie de l’argent et c) une économie de la grandeur. Ceci est à lier à la politique de recherche de l’Etat par l’octroi des crédits.

Ou bien c’est la réputation ou bien c’est l’intérêt. On assiste donc à l’enchevêtrement de deux économies du savoir. Pourquoi des universitaires s’acharnent-ils à publier des articles académiques ? Réponses : a) parce que les articles de recherche constituent une façon d’informer la communauté scientifique de l’avancement du travail, b) pare qu’ils représentent le format standard de la communication scientifique, c) parce que ce genre de publication est le seul à assurer au chercheur la réputation, d) parce que les articles de recherche sont une conversation entre scientifiques même si cela fonctionne au ralenti. Origgi critique toutes ces réponses en analysant successivement le rôle de « referee », la question de la propriété intellectuelle et puis la foire d’empoigne sur le marché des brevets. L’effet sur la réputation est bien loin d’une politique scientométrique qui n’est en rien liée à la qualité du travail. La conversation ne peut se satisfaire d’un délai de deux ans entre questions et réponses. La conclusion d’Origgi est sans appel : publier dans les revues est non productif car la perversion du système y a imposé un jeu de citations et un rôle d’impact comme éléments constitutifs d’un marché.Le facteur d’impact biaise le processus créateur de réputation redéfinie comme suit : avoir une influence élevée sur la recherche des autres à travers l’apparition de classements (Science Citation Index, qui deviendra IF) pour servir d’indicateur de productivité. Ceci ne hausse pas la qualité de la recherche mais peu importe. La science est exploitée par les systèmes de production dont on sait qu’ils ont tendance à s’emballer. Les chercheurs se sont résignés à y perdre leur âme. Origgi revient ici sur la question des droits d’auteur qui ne sont pas des droits de propriété sur la Nature laquelle appartient à tout le monde. On asservit le chercheur à une logique d’intérêt qui veut maximiser le profit réputationnel. Or c’est aux antipodes des normes de la science ; on en est venu alors à des disputes entre institutions universitaires pour l’octroi des crédits. Chacune lit les rankings des universités à sa sauce ; à leur dépens. Une bureaucratie à la soviétique a envahi la gestion de la recherche. Mais latéralement ce sont les éditeurs scientifiques qui ont tiré les marrons du feu puisqu’ils font leur beurre sur des articles qui pour eux sont gratuits (la rémunération du chercheur pour ses articles n’est jamais financière puisque toute découverte de vérité appartient à tout le monde).

Chapitre 10 : du bon usage de la réputation en démocratie

Ceci est le dernier chapitre du livre. Origgi signale la présence des mécanismes correcteurs qui revalorisent les motivations à l’action au travers des processus de la réputation. À lire…