Celui qui est par contre responsable de la « mort » de la métaphysique sévit au 18ème : à savoir KANT. Après lui pourtant se lèveront des défenseurs de la métaphysique comme FICHTE, SCHELLING, HEGEL et ceux qui ne les oublieront pas comme BERGSON et Jean WAHL rappelant les questions qui échappent à la science et qui sont les questions de l’être et du sujet. Au 18ème la science moderne a pris conscience d’elle-même et entre en conflit avec la métaphysique venue de PLATON, à travers le Moyen-Âge, comme philosophie première : l’être en tant que tel, est ; en découleraient les conditions de l’existence, les divers genres de causes et Dieu comme condition suprême de l’existence de tous les autres êtres (l’âme, le monde). La science qui s’occupe de problèmes (découpés en différents objets) ne peut rendre compte du mystère ontologique (le sujet). Et ce qui comptera finalement c’est la science !
Chapitre 1 : introduction. la métaphysique, son évolution et son âge d’or
Ceci dit l’âge d’or de la métaphysique est à retrouver dans le passé : au 17ème avec DESCARTES, LEIBNIZ et SPINOZA. Et ce chapitre se fixera sur LEIBNIZ.
PLATON démontre la nécessité d’un savoir au-delà du savoir scientifique, à partir d’une critique de la méthode déductive, qui est celle des mathématiques. Les axiomes de départ n’y sont pas des principes, des points de départ absolument sûrs et fondés. C’est la dialectique qui est le savoir qui s’élève au faîte de la connaissance : l’essentiel est la démarche, préalable à la déduction, qui écarte les hypothèses des sciences pour s’élever jusqu’au principe (le Bien). NIETZSCHE aurait descendu PLATON en flammes dixit HEIDEGGER mais c’est mal comprendre la portée de sa charge ; en tout cas NIETZSCHE a toujours conçu dans la suite du platonisme et affirmé une morale qui décide de la totalité de l’étant…jusqu’en politique car le Bien est collectif.
ARISTOTE a cherché des déterminations plus cohérentes devant la relative impasse où PLATON était arrivé (ce dernier avait transmis un plan de programme que les suivants ont dû concrétiser). La dialectique n’est pas une démonstration. La dialectique ne peut que préparer à la science. Les principes deviennent des hypothèses. C’est à une science première qu’il revient d’étudier les axiomes dans leur signification universelle, cette science première c’est la philosophie. Le principe qu’elle dégagera c’est le principe de contradiction. Le Bien de PLATON devient ça : il est impossible que le même appartienne et n’appartienne pas à quelque chose en même temps et sous le même rapport. C’est un principe, de ce qu’il est non hypothétique et qu’il découle de la nature même de l’être : ce qui appartient d’abord à l’être c’est d’être non contradictoire car l’être est, le non être n’est pas. Il y aura 3 autres définitions de la métaphysique : science de l’être en tant qu’être, science de l’essence et théologie. L’être désigne l’unité de l’existence et la multiplicité de ce qui est.
DESCARTES veut fonder les sciences et pour ce faire en passe par la métaphysique. Dieu et notre âme recèlent tous les fondements de la connaissance. Depuis ARISTOTE la métaphysique est science de Dieu et des idées. Mais la méthode cartésienne est celle de PLATON : soit la déduction des conséquences à partir des principes. Alors qu’ARISTOTE propose de chercher et non pas d’engranger des vérités établies, la métaphysique cartésienne est la racine à partir de quoi les sciences peuvent développer leurs certitudes ; cette métaphysique est une théologie. Elle doit établir que l’évidence est la marque de la vérité. L’existence de la pensée est le premier principe ; je pense c’est la vérité première. L’être est saisi sous la détermination de la pensée. C’est au nom d’une foi qu’il affirme extérieure à la connaissance que DESCARTES identifie l’infini au Dieu chrétien (dont la présence à la pensée sert à déréaliser l’objet). Tout chemin direct vers le monde semble coupé, mais le chemin qui conduit à Dieu reste ouvert. Je ne puis réduire à moi-même l’idée de Dieu ; la réalité objective de cette idée dépasse ma réalité formelle : je n’en puis donc être la cause et la cause de l’idée de Dieu ne peut être que Dieu.
La métaphysique de SPINOZA est celle du Deus sive Natura ; un élément de transcendance y est maintenu dans la distinction entre nature naturante et nature naturée, entre le principe producteur de tout et les choses produites. Là où les méditations métaphysiques de DESCARTES recourent à la méthode de l’analyse, même si la synthèse intervient dans les Réponses aux objections, on sait que l’Ethique de SPINOZA est démontrée more geometrico. SPINOZA se démarque.
LEIBNIZ critique DESCARTES et SPINOZA. L’interprétation cartésienne de la nature des principes est différente de l’interprétation d’ARISTOTE. ARISTOTE fonde la métaphysique sur les vérités de raison, DESCARTES sur les vérités de fait. Mais LEIBNIZ réhabilite ARISTOTE. Il ajoute le principe de raison suffisante : rien ne se fait sans raison, tout ce qui est, est rationnel. LEIBNIZ reproche à DESCARTES d’ignorer dans son « je pense » qu’il y a une grande variété dans nos pensées et pour rendre compte de cette diversité, qu’il doit faire appel à quelque cause en dehors de lui. Chaque pensée est une expression du « je pense » mais aussi toute pensée est pensée de quelque chose. Pour rendre compte de la variété des apparences, il faut quelque chose d’autre que la pensée. Pour le développement d’une pensée scientifique, DESCARTES fait appel à la volonté de Dieu et affirme que la liberté de Dieu est absolue. LEIBNIZ, lui, conçoit la volonté de Dieu comme une volonté législatrice dirigée par la raison. Par rapport à la Création, Dieu est parfait, il est la substance primordiale, la seule qui existe par son propre droit. Toutes les autres substances sont de simples possibilités dont l’actualisation dépend de lui. Dieu n’est pas l’âme du monde et le monde n’est pas une émanation de la nature divine. La Création est ex nihilo. Le possible n’est que la condition sine qua non de l’existence. Ce qui n’est pas possible (est impossible) n’existe pas ! Et Dieu fait surgir l’univers là où il n’y a rien d’existant, par l’efficacité de sa volonté. Il faut que la raison suffisante ou dernière soit hors de la suite : mais LEIBNIZ tient en même temps que Dieu est l’unité suprême, monade infinie différente seulement en degré et non en nature de la monade finie. Dieu est atteint à la fois par la voie a priori et par la voie a posteriori (étant l’omega de la recherche des principes). Et ces 2 voies se rejoignent apportant chacune un complément de preuve : LEIBNIZ prouve l’existence de Dieu à partir des principes de raison suffisante et de contradiction ; il le démontre en faisant référence aux vérités nécessaires et aux vérités de fait (il n’y a aucune contradiction à ce que le monde n’existe pas). Sur base de cette logique, LEIBNIZ innove, invente le calcul différentiel. L’idée d’infini est plus simple que l’idée de fini ; il n’y a pas à tirer l’idée de Dieu à partir des perfections rencontrées dans les êtres finis. L’infini quantitatif est un faux infini, le véritable infini est qualitatif : l’infinité surpassant tout nombre des monades qui constituent le monde, reflète l’infini divin. Le monde est une série dont aucun élément n’explique la totalité. Et Dieu est la raison de cette série. Les preuves de l’existence de Dieu sont le chemin de gestation du calcul infinitésimal. Relisant ANSELME, l’exigence d’exister peut être identifiée à la limite à l’existence elle-même : dans la tendance à s’actualiser. Progressant par l’analyse des autres preuves (articulées au mouvement, à la contingence, à l’harmonie préétablie, aux vérités éternelles), LEIBNIZ peaufine son travail d’inventeur autour de la notion de radix possibilitatis. L’infini véritable c’est le parfait, l’infini identifie à l’absolu le fait de rejoindre l’un. Et comment concilier cette unité avec la multiplicité des attributs (toute puissance, sagesse, bonté) ? il est naturel que la réponse nous échappe ? suivant DUN SCOT, LEIBNIZ se refuse à considérer le passage à l’infini comme un saut dans l’inconnu. Malgré la distance du fini à l’infini, l’analogie est réelle entre les attributs divins et les facultés de la nature. LEIBNIZ contre SPINOZA a voulu concilier déterminisme universel et liberté. Il faut y voir une tendance à passer à la limite du côté d’un prolongement du mouvement qui caractérisera la modernité jusqu’au positivisme.
Chapitre 2 : Platon, précurseur de la métaphysique
Est-il légitime d’attribuer à PLATON une conception métaphysique des premiers principes du devenir (causes) ? Avant lui, il n’y avait pas de métaphysique. La philosophie avait essayé de dégager rationnellement un ensemble de « conceptions » ; ces conceptions restaient prisonnières soit du primat de causes matérielles, soit d’une ontologie de l’être un. C’est contre ça que surgit une ontologie portant sur la multiplicité et sur la hiérarchie des êtres intelligibles en tant que causes premières de la nature et des êtres en devenir. La critique de PLATON est sans appel. Les présocratiques en restèrent à des explications fondées sur les sens ; les physiologues (ARCHELAOS, EMPEDOCLE, ANAXAGORE) sont encore empêtrés dans la mythologie. PARMENIDE est perdu par une logique déficiente.
L’ontologie platonicienne développe le premier aspect d’une métaphysique : face aux objets sensibles, aux qualités sensibles des objets, aux qualités morales des êtres humains, il faut admettre des choses en soi, des qualités en soi qui soient les principes éternels de l’existence des choses, des individus et de la présence des qualités en ces individus ; il faut considérer ces êtres et essences formelles comme des réalités permanentes et exemplaires, dont ce que nous représentent nos perceptions n’est qu’apparence fuyante. Les premiers dialogues préfigurent donc une ontologie des formes.
Mais c’est dans « Le banquet » et « Phédon », que PLATON rentre de plein pied en métaphysique : la beauté en elle-même et par elle-même est éternellement jointe à elle-même par l’unicité de la forme. Comment ? C’est par la réminiscence d’existences antérieures à notre existence actuelle que se dégage le principe épistémologique du fondement ontologique : une connaissance ne s’explique que parce qu’on a eu l’occasion de connaitre auparavant la réalité dont se rapproche l’objet vu. Allant plus loin encore face à l’altération (diminution, composition) qui s’oppose à l’identité à soi et à la simplicité, l’égal à soi de chaque chose, le beau en soi, le réel en soi est-il susceptible d’un changement quelconque ? la métaphysique se précise et affirme que les réels en soi sont intelligibles en soi. Se réfugiant du côté des notions ou bien des formes, l’ontologie des multiples réels en soi, celle des qualités, des nombres, des choses envisage désormais les causes intelligibles immobiles qui fondent « tout » ce qui devient. Les réalités sensibles participent des réels intelligibles en soi. C’est par la présence, la communication de l’idée que le réel sensible est ce qu’il est ; ces relations de participation n’existent pas seulement entre les choses sensibles et les réels intelligibles, elles existent aussi entre les formes.
Pour cerner la différence entre jugement vrai et faux, existera une science de la communication des genres (l’être, le repos, le mouvement, le même et l’autre), cette science est la dialectique. Prenons le mouvement : le mouvement est mais il est autre que l’être, autre que le repos, autre que tout ce qui n’est pas, c’est-à-dire autre que l’Autre (du coup l’attribution n’est pas une identité, elle signifie l’immanence en tel sujet d’une certaine forme qu’il a reçue). C’est ainsi que l’autre ou le non-être pénètre toutes les essences. L’être est lui-même non être en tant qu’il n’est « pas tout » ce qui, participant de lui, est autre que lui. L’immobilité de l’être ne pourra désormais plus être retenue. Car comment l’être qui est totalement être pourrait-il ne pas posséder l’intellect ? Le réel intelligible n’est pas un monde mort ; la puissance d’agir et de pâtir ne caractérise pas seulement le plan du devenir. Connaitre et être connu sont indispensables pour appréhender ce qui est totalement être : la conséquence est que vie, âme et pensée ont place au sein de l’être universel. La dialectique discerne quelques types d’emboîtements de ces essences plus particulières.On trouve ça dans « La Politique ». Mais une autre question surgit : peut-on trouver dans des hiérarchies ontologiques un être unique suprême ? Le Bien dépasse la réalité essentielle en majesté et puissance : au-dessus des êtres intelligibles PLATON admet une idée une, cause première de ces causes que sont les êtres, principe des principes. Les dialogues dans « Le Sophiste » et surtout « La République » répondent que le Bien n’est pas un genre mais le principe de la multiplicité des genres. C’est l’ontologie toute entière qui se présente comme antérieure à tout savoir (Aristote prendra le contrepied). L’existence des choses en devenir et de leurs qualités est de l’ordre de l’apparaître, dès lors il n’est de savoir vrai que le savoir ontologique. C’est par référence à ce savoir divin aussi bien qu’ontologique que se peuvent envisagées les connaissances vraies de l’âme, de la justice et du divin. C’est l’opposition métaphysique entre causes nécessaires et causes divines qui est le socle véritablement explicatif de la structure générale du cosmos. Dans « Le Philèbe », il y a une explication métaphysique des saisons et de l’usage des plaisirs à partir des 3 causes qui gèrent les limites, l’illimité, le mixte et … la cause démiurgique. Après la réalité matérielle de l’univers, la métaphysique traite de l’âme, des vertus et de Dieu. Principe de vie et même de vie immortelle, l’âme s’appréhende comme s’appréhendent les formes, saisies en leur contrariété mais néanmoins unes. L’âme n’admet jamais en elle le contraire, la vie n’admet pas en elle le contraire qu’est la mort. De façon métaphysique le caractère plus haut que ou invisible (comme au-dessus du visible) oppose l’âme au corps car l’âme garde toujours son identité. Il y a parallélisme entre l’essence de l’âme, les vertus de l’âme et l’essence de la cité juste. Tout se tient. Quant à Dieu, le démiurge est pouvoir ordonnateur, bien réel, intermédiaire par l’agir avec la matière.
Chapitre 3 : Aristote, fondateur de la métaphysique
PLATON n’aurait fait qu’un metaphénoménisme car il n’a pas assez étudié l’être en tant qu’être. La nouveauté du projet est de montrer que sous la dénomination de sagesse, chacun entend communément ce qui traite des causes et des premiers principes. La sagesse est une science qui a pour objet certaines causes et certains principes. C’est à bon droit qu’on peut estimer plus qu’humaine sa possession, c’est une science que Dieu posséderait, c’est une science des choses divines. Et tout ça est à opposer aux autres sciences que sont la physique et la géométrie. ARISTOTE ne veut pas de cette opposition. La première chose à faire est de remettre en place les 4 causes utilisées par la physique (le changement selon le lieu, la quantité, l’altération, la génération et la corruption). Cette quadruple recherche du pourquoi amène à considérer que les causes se disent en 4 sens : la substance formelle ou quiddité, la matière ou substrat, le principe d’où part le mouvement, la cause finale. L’erreur est le fait de n’avoir retenu qu’une seule cause.
Un second volet consiste à travailler la question de l’être en tant qu’être. Qu’est-ce à dire ? l’étude de cet être en tant qu’être ne se réduira pas à un aspect car il s’agit d’une étude universelle de toutes les parties de l’être. L’être c’est la substance et tout le reste en tant qu’il soutient un rapport avec la substance. L’être que l’on étudie en tant qu’être comprend les parties de l’être que forment les genres des sciences particulières. L’être se dit en plusieurs acceptions mais toujours relativement à un principe unique. ARISTOTE envisage donc une classification des sciences particulières. À côté des sciences pratiques (techniques) et poétiques, il y a 3 formes de sciences théoriques : sciences physiques, mathématiques, théologie. La physique porte sur des réalités non séparées de la matière et mobiles, la mathématique porte sur des réalités non séparées de la matière mais immobiles, la théologie porte sur des réalités séparées de la matière et immobiles.
Revenons avec l’ « Organon », au 2ème objet, à l’être étudié en tant qu’être et aux substances séparées. Les anciens étaient embarrassés car ils ne voulaient pas faire se coïncider l’un et le mutiple, l’être par soi et par accident, l’être en acte et en puissance. Pour sortir de l’impasse, la réalité de l’attribution détermine une nouvelle distinction des sens de la copule est dans la proposition. Ces modes de l’attribution déterminent autant de catégories, de façons d’attribuer le prédicat à un sujet. L’ attribution implique : outre les distinctions être par soi ou par accident, être en acte ou en puissance, la distinction des catégories d’être (le quoi, le quel, le combien, le où, le quand). Il y a ici une affirmation déconcertante à propos de l’être considéré comme vrai : le faux et le vrai ne sont pas dans les choses mais dans les pensées. La liaison dans la pensée pour être vraie doit-elle exprimer une liaison entre les choses ? Être dans la vérité pour le jugement humain consisterait-il à dévoiler une vérité plus fondamentale, que l’on pourrait appeler ante-prédicative ? ces questions ont touché HEIDEGGER et BRENTANO. C’est dans la proposition qu’on trouve le lieu de la vérité ou fausseté.Il y a un autre aspect de la science des premiers principes ontologiques, les axiomes. Ceux que reconnaissent les sciences comme la physique et la géométrie sont les mêmes que ceux que dégage la science qui étudie l’être en tant qu’être : les principes de contradiction, tiers exclu et identité. Ces principes sont métaphysiques, ils n’énoncent pas les lois formelles de la pensée ni non plus les lois logiques mais les lois ontologiques de l’être. Question de remettre la logique et les syllogismes à leur place. La métaphysique trouve son aboutissement et son couronnement dans la théologie : théologie du dieu astral qui se complète par la théorie du premier moteur. Les astres dieux prennent la place des idées platoniciennes. Le ciel visible est le ciel intelligible : l’ordre est réel mais il ne se donne toutefois que de loin à notre intuition. Cet ordre est transcendant. Quant au premier moteur, il est possible de l’atteindre par une démarche régressive non pas tant comme condition du mouvement que comme condition de l’éternité du mouvement. Le premier moteur est là-bas et pourtant il n’est pas dans un lieu. Le langage physique est inadapté pour exprimer la réalité transcendante du divin. PLATON dans « Les lois » suggérait que les astres pouvaient être soumis à une âme incorporelle (l’âme du monde) qui les dirige par certaines autres forces tout à fait admirables (d’où l’importance de la contemplation). ARISTOTE assimile ces autres forces à une expérience familière, celle de désirer et d’aimer. Et Dieu agit comme cause finale.
Chapitre 4 : questions de métaphysique au Moyen-Âge et à la Renaissance
Etienne Gilson a tendance à ramener le Moyen-Âge à la pensée de St THOMAS (Exode 3,14, je suis celui qui suis). Or il y a toute une tradition derrière DENYS l’AEROPAGITE qui christianise l’héritage néoplatonicien (Moïse entre dans la nuée dans le même mouvement ascendant que la remontée de l’esprit au-delà de l’être et de l’intelligence et passant par les nuits mystiques). La Renaissance commence avec NICOLAS de CUES accroché à la même tradition. En fait la notion moderne de la métaphysique est formulée par WOLFF (fin 17ème) en suivant la scolastique médiévale tardive et LEIBNIZ : elle oppose la métaphysique à la philosophie pratique, elle divise la métaphysique entre ontologie, cosmologie, psychologie rationnelle et théologie rationnelle. Pourtant pour les auteurs du Moyen-Âge et de la Renaissance ces divisions wolffiennes ne marchent pas vu qu’ils sont moins sensibles aux différences, leur préférant les interférences entre problèmes spéculatifs et pratiques. Les auteurs médiévaux et renaissants développent leur quète de la vérité en ne répondant pas uniquement à la question de l’être mais également aux questions du bien, du temps, de la liberté, de la place de l’homme dans l’univers, de sa destinée eschatologique. En fait la question de l’être, de l’essence et de l’existence est au centre de la tradition engendrée par AVICENNE, DUNS SCOT, SUAREZ et …WOLFF.
Au commencement on a BOECE et sa question est celle du temps (le rapport à l’éternité) au cœur du problème de l’être. Au commencement il y a l’intuition de l’éternité : ce qui caractérise l’éternité c’est de posséder d’un seul regard simple et bienheureux tout son être en un présent sans division avec quelque passé ou avenir. L’éternité c’est le total simul. La version pratique de cette intuition dit que l’homme ne sera bienheureux qu’en participant à la béatitude du Souverain Bien Divin (car l’être et le bien c’est tout un). Où a-t-on encore de la liberté dans cette destinée eschatologique ? Prenons simultanément un homme qui marche et le soleil qui se lève : nous voyons l’action de l’homme comme libre et la montée du soleil comme un mouvement nécessaire ; mais Dieu voit dans le regard simple de son éternité les futurs contingents en un présent qui ne diminue en rien leur liberté ; ce dernier regard ne nous est pas accessible (sauf à s’en approcher au sommet hiérarchique des modes de connaissance – sensation, imagination, intelligence, intuition). Après BOECE, CASSIODORE protège la philosophie dans les murs de son monastère ; ses successeurs BEDE, ISIDORE de SEVILLE tentent de sauver l’héritage de la culture latine dans des encyclopédies orientées au service des Ecritures. Cet héritage servira à nourrir l’enseignement des arts libéraux (trivium, quadrivium). Ici on est moins soucieux de l’être que de l’âme (école de vie spirituelle) qui a comme seule grandeur de s’efforcer à la vertu et à la recherche de connaissances. JULIEN POMERE contemporain de CESAIRE d’ARLES dira que la vie contemplative est par essence la vision dont jouissent les bienheureux. Par grâce les contemplatifs peuvent toucher et goûter à la béatitude suprême même si cette jouissance est imparfaite (ici pour compenser on part sur le côté plus spéculatif) ; par contre pour ceux de la vie active, il y a la morale. GREGOIRE le GRAND développera toute une série de figures allégoriques pour éclairer le peuple sur la voie de la vertu et de l’amendement des mœurs. Si on touche à la métaphysique c’est dans la mesure où Dieu est la seule béatitude et elle est accessible seulement aux bienheureux qui la verront face à face dans leur vie d’après la mort.
La Renaissance carolingienne doit tout à JEAN SCOT ERIGENE(et FREDEGISE de TOURS). On part de la question de savoir si le rien est quelque chose ou pas. Comme tout nom signifie quelque chose, le rien signifie quelque chose et sa signification est ce qu’il est, une réalité existante : et c’est sur cet appui que les Ecritures rapportent que la création est faite ex nihilo. Le rien devient une sorte de matière première. Rebondissant sur les notions de ténèbres et de lumière, faisant ainsi place à la négativité (la division), la Bible dit : les ténèbres couvraient l’abîme ; et elle dit que la nuée est lumineuse. Ce thème de la lumière vient de PSEUDO DENYS l’AREOPAGITE, de MAXIME le CONFESSEUR et de GREGOIRE de NYSSE. C’est par division que tous les êtres sortent du un et cet un dont sort la nature c’est le Dieu chrétien, le père des lumières. À partir de cette source incréée de toute lumière, la nature est divisée : créer pour Dieu c’est se faire connaitre dans des théophanies manifestant hiérarchiquement son illumination ; quant à la nature qui est créée et qui crée c’est les idées archétypales que Dieu forme en son verbe qui sont à l’origine de toutes les essences créées. Le statut de ces idées est complexe car, subsistant en Dieu, elles sont éternelles mais étant créées en Lui elles ont un commencement dans le temps. Cette métaphysique distingue causalité de temporalité. La division ce n’est pas une scission qualitative ni quantitative, c’est une manifestation de Soi-même par laquelle Dieu se découvre en même temps qu’il met au jour sa créature. Pour l’homme l’ultime division est celle de l’âme et du corps qui surgit au moment de la mort ; à ce moment le trajet de la grâce entame un retour vers sa source divine qui aboutira lors de la résurrection des corps. Ce développement s’enrichira avec GROSSETESTE et ROGER BACON.
Juste avant la Renaissance du 12ème il y a ANSELME de CANTORBURY qui poursuit la filière entamée par BOECE et inspirera ABELARD, BONAVENTURE, NICOLAS de CUES et MARSILE FICIN. Il faut rendre compte des vérités métaphysiques atteintes grâce à la foi. On peut produire des preuves de l’existence de Dieu. On sait qu’elles sont développées dans le « Proslogion » mais c’est le « Monologion » qui nous intéresse. Car elles ne sont pas centrées sur l’être (quelque chose tel que rien de plus grand ne peut être pensé) mais sur le Bien Suprême. La liberté de la créature s’inscrit dans la rectitude de la volonté voulue par elle-même, là où St THOMAS privilégierait plutôt l’intelligence sans l’intuition. On est ici dans une métaphysique de l’être participé selon l’intuition de la suprême béatitude de BOECE. Au 12ème on croise BERNARD de CLAIRVAUX qui développe la métaphysique de la liberté dans des termes liés aux prégoratives de l’amour…, la liberté est consentement (dixit ABELARD). Ici s’ajoute une visée eschatologique. L’audace métaphysique tient dans l’affirmation que l’homme par essence est à l’image de Dieu. Mais pour atteindre aux degrés suprêmes de la liberté, il aura besoin de la grâce et même de la gloire où l’homme atteint des sommets où il s’affranchit de sa condition (mystique).
Juste avant la Renaissance du 13ème il faut parler des arabes. Car eux ils ont des encyclopédies différentes et complètent la source de la tradition néoplatonicienne et surtout enrichissent notre connaissance d’ARISTOTE. L’accent que AL FARABI (et les achirites) introduit est celui de la toute puissance divine mais plus important encore il dissocie les notions d’essence et d’existence. L’existence n’est pas inscrite dans l’essence des choses par nécessité sauf en Dieu ; pour le reste c’est par accident que l’existence est attribuée à l’essence. AVICENNE dans cette avancée fait passer la distance ontologique entre possible et nécessaire : Dieu est l’être nécessaire, toutres les autres essences ne sont que possibles. Ce monde d’essences possibles n’est pourtant pas suspendu qu’à la seule volonté libre du Dieu créateur, il se déploie hiérarchiquement. Le système des sphères emboitées transfère une première intelligence mais la transforme au passage de sphère en sphère et cela jusqu’à la lune dont l’intelligence constitue l’intellect agent qui est commun pour toute l’humanité. C’est elle qui rayonne les formes intelligibles que les intellects possibles de chaque (tout) homme seront disposés à recevoir via leur imagination (AVERROES). Cette conception autour de la notion d’intellect est originale pour nous : puisque l’intellect agent est immuable et toujours en acte, il ne peut être proprement humain (ceci ne plait pas à St THOMAS) car l’abstraction implique au-delà de la psychologie une cosmologie. GUILLAUME d’AUVERGNE et ROGER BACON adoptent cette vision en le référant au Dieu illuminateur d’AUGUSTIN. St THOMAS prend la tangente et situe l’intellect agent dans l’âme humaine ce qui est suffisant pour que l’intellection soit totalement le propre de l’homme tant qu’il reste dans l’ordre naturel et pas surnaturel. Par contre il concède à AVICENNE que l’essence peut être conçue sans que l’on ne sache rien de son existence. Les preuves de l’existence de Dieu sont revisitées pour se passer de la distinction essence-existence : s’il est un être qui soit son propre subsistant, il sera unique ; tous les autres, tributaires d’une cause pour recevoir leur existence dépendront de cette cause première unique, seul acte pur d’être. La nouvelle métaphysique tourne autour de la notion d’acte d’être. Acte composé chez les créatures, acte pur chez le Créateur. Du coup la notion d’être ne peut plus être qu’analogique ; l’être se dit de plusieus manières car le Dieu acte pur est aussi le un ineffable et transcendant ; St THOMAS est aristotélicien à condition de reconnaitre sa dette du côté des sources néoplatoniciennes arabes. Le 13ème se complète des apports de ECKHART et BONAVENTURE. Ce dernier dit que la métaphysique où l’intelligence appréhende Dieu comme être n’est pas la plus ultime des étapes de l’itinéraire de l’esprit vers Dieu. Par la syndérèse, la métaphysique s’ouvre à une théologie naturelle des attributs divins mais celle du Bien (tradition boécienne) fait découvrir non moins rationnellement la Trinité. Avec le temps les accents des ordres dominicain et franciscain éclateront dans 2 courants radicalement séparés, l’intellectualisme et le volontarisme. Quant à ECKHART, il pense l’intellection comme déiformité ou déiformation puisque Dieu est intellection et non pas être. Si BONAVENTURE place dans l’amour (sis dans la volonté) la sanctification ultime, ECKHART fait passer outre l’intellectualisme : le néoplatonisme voit en Dieu une pure intellection supérieure à tout être ; l’être est le créable et la distance ontologique passe entre lui et un Dieu qui est pure intellection, il en résulte une mystique de l’anéantissement visant à recouvrer l’archétype intellectif que la créature a en Dieu avant sa création.Au 14ème, DUNS SCOT se retrouvera dans le camp franciscain et GUILLAUME d’OCCAM dans l’autre. Au siècle suivant NICOLAS de CUES reviendra du second vers le premier : c’est un va-et-vient entre PLATON et ARISTOTE. Avec peut-être la recherche d’une troisième voie, à moins que la métaphysique ne s’épuise. DUNS SCOT dit qu’il n’y a pas à rejeter la voie philosophique mais c’est de la source de la puissance absolue qu’on peut dégager tout et même ce qui contrevient à la logique de St THOMAS. Dieu transmet ce qu’il est par révélation, il n’est pas le premier intelligible, il est l’être. Ce concept n’est pas analogique mais univoque. La métaphysique n’est d’aucun secours pour la théologie qui est la science nécessaire et pratique visant l’agir qui conduit au salut. Comme l’être, les natures ne sont ni universelles ni singulières et elles n’en sont pas moins réelles. Ce réalisme irrite OCCAM pour qui seuls existent les singuliers. Selon ARISTOTE en effet, les termes universels n’ont d’existence que de pensée et sont définis de façon floue tant que cette définition n’est pas complétée par la connaissance intuitive du singulier. Il faut donc que cet apport soit possible : la seule présence de l’objet au sujet en garantit la connaissance intuitive. La connaissance intuitive nous fait connaitre l’objet présent comme présent et l’objet absent comme absent. Mais Dieu peut encore me faire saisir comme présent un objet absent : l’empirisme ne va pas sans le scepticisme. C’est tout un jeu de bande, je te cogne et tu me recognes et les oppositions s’émoussent avec l’émergence d’une résultante : les raisonnements de potentia absoluta ouvrent la porte et l’invention d’hypothèses et méthodes appréhenderont à la période moderne les choses qui sont sûres et certaines. NICOLAS de CUES conçoit comme intellectuel le sommet de la contemplation dyonisiaque. L’entrée dans la nuée lumineuse depuis les ténèbres est l’accès philosophique à une docte ignorance, à un dépassement en Dieu des oppositions. Cette coïncidence des opposés peut être saisie par un passage à l’infini entre le cercle et sa tangente, et la connaissance de la Trinité passe par la médiation du Christ. C’est le point de vue d’un philosophe qui se met au point de vue de Dieu. Bascule de regard, traversée du miroir. Quant à la voie de la capacité intellectuelle de l’homme, elle sera prise par CHARLES de BOVELLE en passant par l’approfondissement du libre-arbitre : au cœur de la rencontre créatrice avec Dieu, l’homme n’a aucune place désignée, à lui de l’inventer. Reprenant l’image dans un miroir connaissant toutes les choses, l’homme est en face mais pas comme centre, plutôt comme non lieu partout et nulle part et de là il fait sens.
Chapitre 5 : comment s’orienter dans la métaphysique ?
Qu’est ce qu’une orientation en philosophie ? partons de 2 phrases de WITTGENSTEIN : « un problème philosophique à la forme d’un je ne m’y reconnais pas » ; puis « je montre à mes élèves un immense paysage dans lequel ils ne seraient pas capables de se reconnaître ». …soit un inventaire investigatif des transcendantaux (esse, unum, verum, bonum, pulchrum). La pensée s’oriente sur ces transcendantaux en transgressant le registre des catégories d’ARISTOTE. Dans les transcendantaux, on s’oriente par une méthode qui va de PLATON à LEIBNIZ, SPINOZA, BERGSON, DELEUZE. Cette méthode est triple : la division en arbre, le recoupement des lignes de pensée, la sélection du cas supérieur.
Comment s’orienter dans la métaphysique ? MICHAEL DUMMETT nous sert de guide et part de la notion de philosophie première. Quelle est la 1ère partie de la philo ? Quid du commencement de la philosophie ? ce problème est subordonné à une bonne division de la philosophie capable d’en déterminer les parties, parties que la philosophie appelle ses objets. Lesquels ne sont rien d’autre que les transcendantaux (morale, esthétique, théorie de la connaissance de la vérité….). Y a-t-il une relation de convertibilité (combinatoire) par laquelle tous les transcendantaux seraient convertibles entre eux (verum=pulchrum…) ou bien y a-t-il un ordre naturel à découvrir entre les transcendantaux. La 1ère branche enlève toute pertinence à un problème de philosophie première car rien n’est premier. Mais du 6ème ou 8ème siècle démarre une querelle entre DENYS l’AREOPAGITE et JEAN DAMASCENE qui va traverser le Moyen-Âge bien avant la querelle des universaux. Est-ce que l’être est antérieur au Bien ? Ajoutons au paysage le fait qu’à la fin de la Renaissance avec FRANCIS BACON et DESCARTES un nouveau transcendantal est ajouté avec la question du faux. La connaissance de la vérité sera doublée par la théorie de la connaissance mettant à mal la métaphysique. Toujours historiquement, le 20ème siècle viendra décoiffer KANT par la logique. FREGE et WITTGENSTEIN introduisent une distinction entre logique philosophique et logique formelle. Que dit FREGE ? il cherche à distinguer logique, éthique et esthétique comme le fait Kant à partir des transcendantaux concernés mais ce qui le dérange c’est que c’est fait au prix de l’exclusion de la métaphysique arrimée à l’objet « esse ». Survient alors WITTGENSTEIN qui prend en compte une dimension mystique dans ce qui est le fait de l’être. Surtout l’être est indispensable pour comprendre la logique philosophique. La logique formelle est sous la dépendance de l’ontologie. Avant de parler de pensée, proposition et vérité, il faut parler du monde et de ce qu’est un fait. RUSSELL dira qu’au dessus de l’opposition vrai-faux il y a l’opposition sens-non sens. C’est trop court. WITTGENSTEIN n’a pas peur du non-sens, il ouvre le paysage à la question de la philosophie du langage. La logique formelle est le vestibule de la philosophie mais c’est un vestibule vide, lequel appelle un plein du nom de métaphysique. LEIBNIZ l’avait défini comme registre formel pour le réel : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?
Qu’est ce que la métaphysique ? elle se définit comme science de l’être et de l’un. Et cela vient d’ARISTOTE. L’être en tant qu’être n’est que la moitié de la métaphysique, il faut aussi étudier l’être en tant que multiple (même, autre, en repos, en mouvement). Au côté laconique d’une formulation de l’être en tant qu’être s’oppose le caractère ouvert, indéterminé de l’être en tant que X et dont la variété peut s’étendre à l’infini sans limite à priori. ARISTOTE a décomposé l’être en prédicaments (il y a 10 catégories) et post-prédicaments (prius, simul, motus, habere). Ce dualisme pose la question logique de chercher un principe unificateur en amont. MICHAEL DUMMETT précise alors qu’il y a à chercher le centre de gravité de la philosophie et pour ce faire il s’oriente avec BERGSON : les catégories et les post-catégories d’ARISTOTE s’appliquent à des objets quelconques mais la notion de personne comme identité désigne le sujet qui échappe à cette catégorisation. BERGSON avait entendu HAMELIN et RENOUVIER, qui en partant de la catégorie « relation », ont, eux, sorti les catégories de nombre, position, succession, qualité, devenir, causalité, finalité… et personnalité. Ce qui est un pas de sortie du dualisme. BERGSON prolonge le travail sur 3 axes : intensité, multiplicité, liberté. Le centre de gravité se précise comme centre de liberté afin de rechercher l’unité propre à la métaphysique. Pour BERGSON l’abandon d’ARISTOTE ne rejette pas PLATON. En amont de la table des catégories, il y a un prototype : la sélection de 5 genres. Cela ne se fait pas d’un coup. PLATON avait d’abord cherché à partir de 2 genres : les consonnes différencient des liens entre elles comme possibles ou pas, et cela vaut pour les genres appliqués aux choses quelconques ; les voyelles s’accordent avec toutes les autres, et cela vaut pour les genres appliqués à ce qu’on ne peut appeler choses quelconques. La science s’occupe des choses quelconques. Exemplifiant les genres comme des types, DUMMETT propose : les types être = repos « opposé à » mouvement ; être = même « opposé à » autre. Mais comment sortir de la description des types formels « valant pour des objets quelconques » ? sortir de ça c’est en venir à la question du sujet, par le fameux X comme l’ouverture dans un jeu de rapports et proportions. C’est faux de lire Le Sophiste comme l’affrontement à l’aporie du non être car l’énumération des 5 genres consiste en une double proportion enchaînant 3 rapports : repos/mouvement = même/autre = être/ X. Etre est un numérateur et le dénominateur est-ce le non être ? non c’est un X. PLATON renvoie à réouvrir le dénominateur mouvement (pour répondre de l’objection qui fixe l’être du côté du repos) : la mobilité introduit dans ce qui a « l’absolue totalité d’existence ». Le mouvement s’ouvre comme y invite X sur 4 attributs s’engouffrant dans sa brêche : vivant éternel, logos intelligent, âme du monde, monde animé, mû et agissant qui s’articulent sur une échelle ascendante/descendante (participative). Le Timée fixe l’articulation. La hiérarchie à 4 échelons est obtenue par subdivision d’une division préalable en 2 segments principaux : ((repos (intelligence, vie) – mouvement (âme, mobilité)). Le même et l’autre sont d’abord appareillés au repos et au mouvement puis la hiérarchie binaire dans la formule repos/mouvement se subdivise en hiérarchie quaternaire dans la formule vie, intelligence, âme, mobilité. La participation travaille de façon sous-jacente l’impasse de ARISTOTE qui hiérarchisera le monde sublunaire aux sphères célestes et au premier moteur immobile. Le vivant éternel qui occupe le sommet de cette hiérarchie c’est le dieu de PLATON. Dès lors la métaphysique est déjà chez PLATON une théorie du moi, du monde et de Dieu comme doctrine des idées syllabiques (liant consonnes et voyelles) formant un syllabaire de l’objet dialectique (principe valant des objets quelconques à la personnalité). La mobilité n’est pas sans rapport avec la multiplicité et l’unité (on le verra plus bas avec la notion de hâte). Pour avancer on va rencontrer SPINOZA, WITTGENSTEIN et BERGSON : le théâtre de l’existence part de l’étonnement d’avoir été mis au monde et en vient à des problèmes existentiels (Dieu existe-t-il ? Y a-t-il une vie après la Mort ? Existe-t-il des actes libres ?)
Quid des divisions de la métaphysique ? n’oublions pas la méthode de WITTGENSTEIN. La métaphysique se subdivise en 2 parties principales : l’ontologie et la métaphysique de l’existence. L’ontologie se subdivise à son tour entre ontologie catégoriale (le point de vue de la science) et ontologie structurale. La première est la science des acceptions de l’être, la seconde est la science des déterminations de l’être (ce qui rend le point de vue de la science possible). La métaphysique de l’existence fait un avec le système de l’existence comme science des problèmes existentiels et se subdivise elle aussi entre philosophie de la nature (monde) et philosophie de l’esprit (moi, Dieu). Nos guides sont maintenant MEINONG et NICOLAÏ HARTMANN : on peut subdiviser l’ontologie entre essence et existence. LEIBNIZ avait dit que le monde des essences est celui sur lequel porte la querelle des universaux et le monde des existences pose le problème du principe d’individuation. C’est FREGE qui oriente dans l’être avec sa théorie des 3 royaumes : un tilleul, une tristesse, un théorème. En faisant jouer l’opposition platonicienne entre visible et invisible et en faisant jouer l’opposition cartésienne entre privé et public, FREGE montre que ces 2 oppositions ne se recouvrent pas. Bien sûr PLATON a une autre opposition entre sensible et inteligible, si bien que FREGE fait place à 2 dichotomies décisives : entre matière et mémoire (BERGSON) ; entre monde et espace logique (WITTGENSTEIN). La question de l’être comme question de la vie frappe tout le genre humain. Le labyrinthe de l’un ne parle qu’aux philosophes. FREGE en tire une leçon méthodologique : pour répondre à des questions sur la liberté, il faut parfois passer par le problème de l’infini. Mais ce qui importe c’est qu’avec les questions de nécessité sont liées les questions sur la liberté de l’homme et la justice de Dieu. On revient à l’introduction du chapitre, au problème du commencement à l’intérieur de la métaphysique. Partir de Dieu (SPINOZA) c’est prendre en compte la distinction platonicienne entre visible et invisible. SEXTUS EMPIRICUS avait signalé que les principes des êtres sont cachés et invisibles, HERACLITE avait pointé que la nature aime à se cacher. Si ça renvoie à la physique, cela vaut à fortiori pour la métaphysique. FRANCIS BACON répète que c’est la gloire de Dieu de cacher et que c’est la gloire du roi de trouver. Dieu joue sans malice à se cacher pour être trouvé. SPINOZA part de Dieu mais le plus vite possible. Cette urgence intérieure à la métaphysique est ce qui constitue le problème prioritaire décidant de l’orientation de toute la philosophie. SCHOPENHAUER creusera cette question de la hâte puis DELEUZE. Mais le premier c’est SPINOZA. C’est lui qui minimise l’écart entre différence et identité. SCHOPENHAUER distingue entre ratio essendi et ratio fiendi, entre ratio cognoscendi et ratio agendi, soit la quadruple racine de la raison suffisante. DELEUZE fait lui une différence entre ratio et ordo : il y a un ordre des raisons et il faut faire attention à la différence entre raison de connaitre et raison d’être, entre ordre analytique et synthétique. SPINOZA s’il part de Dieu ce n’est pas dans un procès synthétique supposé tout fait, il y a à passer par l’analyse. Le concept de Dieu n’est pas tout fait car en lui il y a tous les concepts définis auparavant. Et c’est donc d’une construction de Dieu qu’il s’agit. C’est le concept d’expression qui va permettre le plus vite possible de passer à une manifestation immédiate de Dieu (on saute au dessus des échelles de PLATON). DELEUZE commence à la différence libre car c’est elle qui donne son objet à la répétition complexe. Tout se joue en termes d’ontologie structurale comme dans les mille et une répétitions de la mémoire chez BERGSON. Les vibrations de cette répétition complexe n’est autre que la clameur de l’être comme univocité de la nature. Par conséquent c’est l’ontologie catégoriale et la métaphysique de l’existence qui définissent les enjeux derniers. On est passé d’identité à différence et puis de différence à répétition mais la différence est laissée libre pour que la définition de Dieu qui commande tout passe par des définitions plus élémentaires qu’il faut bien poser (selon la méthode réductrice de RENE THOM dans son traitement des catastrophes sur un plan de travail qui dégage les structures en jeu) pour parvenir à la définition-clé qui oriente la philosophie.
Chapitre 6 : la métaphysique de Spinoza
C’est dans le Traité de la réforme de l’entendement (TRE) que SPINOZA propose sa recherche d’un vrai Bien qui puisse lui conférer la jouissance d’une joie souveraine, parfaite et permanente et qui puisse se communiquer. Le but de SPINOZA est donc de définir une éthique, pas une métaphysique. Il s’agit de réfléchir sur la conduite de la vie et pas sur l’existence de Dieu ni l’immortalité de l’âme. Toutefois parce que le philosophe recherche un Bien véritable, l’éthique doit être fondée avec rigueur en s’appuyant sur la nature véritable des choses. Et donc c’est l’effort pour connaître cette réalité fondatrice qui conduit SPINOZA à élaborer une doctrine de l’être. L’éthique ne saurait être partielle, c’est de la totalité du réel que dépendra l’éthique et ce tout du réel c’est l’être. Cette ontologie est constituée avec rigueur et sans présupposer des futurs contenus de l’éthique. L’ontologie est autonome. SPINOZA ne démarre pas sa réflexion par l’être suprême mais par la substance : doctrine de la substance en même temps que doctrine de la nature. Pour définir Dieu il faut interprêter des mots utilisés par tout le monde, et pas par la tradition : cette doctrine est celle de SPINOZA seul. Le sens des termes relève donc d’une lecture comparative interne.
Quelle est cette théorie de la substance ? il convient d’établir une méthode de la connaissance qui soit rigoureuse et certaine, soit la connaissance réflexive : aboutissant à la théorie de la vérité comme idée adéquate. C’est dans TRE que la méthode réflexive est indiquée. Elle est ensuite mise en œuvre dans l’ontologie (ETH 1) et enfin analysée pour elle-même avant de se déployer dans l’éthique proprement dite. Outre la méthode réflexive (idea ideae) et la théorie de l’idée adéquate, SPINOZA distingue 3 genres de connaissance : l’opinion, la raison et l’intuition. La raison est discursive, l’opinion est sensible et imaginative, l’intuition est rationnelle. Les 2 premiers genres (ou méthodes) opposent 2 voies d’accès à Dieu qui en fin de parcours est l’objet d’un amour intellectuel. Le 3ème concerne l’individu et cette 3ème méthode le relie à la totalité de l’être. Cette 3ème voie affecte l’esprit qui s’ouvre à une sagesse existentielle (le salut). La 2de voie ouvre à la vertu sans que ni Dieu ni l’être n’aient été nommés ; la rigueur réflexive impose l’affirmation logique et existentielle selon laquelle l’inifini englobe toute la réalité car l’infini est un. La substance est unique, éternelle et infinie, cause de sa propre existence et principe de sa propre intelligibilité. Dieu = une substance constituée par une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie. Et cette substance étant le tout infini de l’être, c’est la nature elle-même. L’ontologie moniste de SPINOZA est une ontologie de l’autonomie (rien n’existe en dehors de la substance) et une ontologie du concret : la substance est la nature considérée dans son autosuffisance et dans l’infinité de ses aspects infinis, connus et inconnus. On progresse de la servitude à la liberté dans l’immanence d’un seul monde (un système).
Comment est-ce possible ? rien à voir avec la religion, rien à voir avec l’émanation de PLOTIN, rien à voir avec les sephiroths de la KABBALE. Il s’agit de comprendre le lien, la relation effective et actuelle d’une substance infinie avec les êtres finis qui sont en elle et qui tous ensemble sont elle. La progression de la pensée et la progression du réel (l’un avec l’autre et en même temps de concert) sont des progressions horizontales (cf Rabouin et les maths de RIEMANN). Ceci est possible justement parce qu’on n’est pas dans un système hiérarchisé de niveaux d’êtres. L’esprit humain peut progresser vers la liberté ou l’être parce qu’il n’est pas question pour lui de sortir de l’être et de son être. Au début l’individu, l’homme ne le voit pas et c’est pour rendre possible sa démarche de connaissance que SPINOZA élabore un système rigoureux de concepts définissant la substance. Ces concepts ne s’agencent pas dans une hiérarchie verticale (substance, attributs, modes infinis, modes finis). Ces concepts désignent des modalités contemporaines du seul être qui soit pleinement être, la substance. Même les choses singulières, les individus réels et finis et distincts dans le monde sont des modalités de la substance tout en étant des existences réelles. L’attribut est un aspect de la substance, infini en lui-même mais fini par rapport à la substance : la pensée ou l’étendue sont des aspects réels de la substance, ils n’en sont pas distincts. La substance n’est pas la pensée ou l’étendue, elle est la totalité des aspects infinis que nous les connaissions ou pas. Mais en chacun de ses aspects elle est totalement elle-même.
La première conséquence est que la pensée et l’étendue n’ont pas à communiquer puisqu’elles sont le même être, des aspects d’une seule substance. Chaque attribut s’explique par lui-même et par lui seul puisqu’il est une modification de la substance et à chaque événement dans l’ordre de l’un de ces 2 attributs correspond simultanément un événement dans l’ordre de l’autre attribut. La nature est constituée par ces attributs spécifiques et inifinis mais en tant qu’ils se présentent dans des réalités finies. La substance ne produit pas les attributs, elle est la totalité infinie des attributs infinis et de l’infinité de leurs modifications finies. Sur un plan logique plus restreint, l’attribut ne produit pas les modes infinis (l’entendement ou le mouvement) ou les modes finis (comme une idée ou un corps), il est ces modes. Tout l’itinéraire de L’Ethique commence par la prise de conscience et la connaissance de ces faits. Il se poursuit par la justification de la connaissance rationnelle qui les a mis en évidence ainsi que par la connaissance de l’esprit humain comme corps et idée du corps d’une part, comme désir et puissance d’exister de l’être, d’autre part. Et c’est après avoir tiré toutes les conséquences d’une description du désir comme passivité et servitude ou comme activité et liberté, toujours déployé au sein de la nature unique et immanente et toujours susceptible d’être redoublé réflexivement, que SPINOZA développe son éthique de la joie et sa sagesse de la béatitude.
Mais encore une fois il faut se souvenir que si SPINOZA parle de Dieu, ce n’est pas celui de St THOMAS. Ici la puissance de la causalité immanente est une source active et permanente de la nature et s’exprime par des lois intangibles de cette nature, c’est-à-dire par le déterminisme. Et Dieu qui est libre l’est de ce que son autonomie absolue signe un être qui ne dépend que de lui-même. De la liberté comme autonomie des déterminismes découle la perfection comme accomplissement de l’essence. Parfait et pleinement lui-même par lui-même, Dieu n’a ni devoir, ni mission, ni modèle, ni désir, il est.
L’accès à l’être se fait par le 3ème genre de connaissance. Pour accéder à la pleine connaissance de l’être (et à celle de la liberté de l’esprit humain), il faut passer par la connaissance discursive rationnelle. Il faut d’abord instaurer dans la nature un ordre rationnel conforme à l’entendement afin de pouvoir ensuite saisir le rapport véritable qui unit les êtres finis à l’être par la médiation de l’attribut infini et totalisant qu’est la pensée. De la 1ère démarche va découler l’éthique concrète de la vie active comme accomplissement du désir vrai et amenant à la félicité. De la 2èmedémarche va découler la sagesse (l’amour intellectuel de Dieu). Cette pleine connaissance n’est possible que par une éthique de la joie et de la liberté, bref en appui sur une anthropologie.
La théorie de la nature et de l’équivalence ontologique des attributs permet de mettre en évidence l’unité fondamentale de l’homme comme esprit et comme corps : l’homme est un corps et son idée. L’esprit humain est l’idée de son corps, la conscience du corps ; tout ce qui augmente la puissance des idées augmente la puissance du corps non par une causalité directe mais par l’équivalence des aspects différents d’un seul être. Cet être qu’est l’homme est un dynamisme. Le corps et son esprit sont un seul effort pour exister et persévérer dans l’être. C’est une puissance de vivre. Le Bien sera défini par l’homme …ce qui est une subversion radicale.La vertu c’est ce qui contribue à la recherche de la joie ; il s’agit de réaliser le désir pour échapper à la servitude. Comment accéder à une joie extrême ? Dans l’accès à la béatitude. C’est dans la connaissance du 3ème genre que l’on sent qu’on est éternel. Celui qui se comprend lui-même et ses affects aime Dieu. Plus nous comprenons les choses singulières plus nous comprenons Dieu. La béatitude est la jouissance de l’être. Le but de la recherche (TRE) est désigné comme la voie qui conduit à la liberté et donc à la liberté de l’esprit, c’est-à-dire à la béatitude. L’identification est explicite. Dans cette perspective l’amour intellectuel de Dieu c’est la philosophie.
Chapitre 7 : Kant et la métaphysique
La longue gestation de la philosophie critique aboutit à la « Critique de la raison pure » (1781) avec un double résultat : poser dans ses termes réels le problème de la métaphysique et le résoudre. Le criticisme est le résultat de cette double démarche mais prend l’allure d’un paradoxe : alors que la raison tout naturellement cherche dans la métaphysique sa plus complète satisfaction, la philosophie critique fait du renoncement aux solutions de la métaphysique la condition de cette satisfaction comme réalisation suprême des fins de la raison.
À un premier niveau, la métaphysique se présente à l’université comme matière d’un enseignement sur son histoire ; LEIBNIZ et WOLFF découpent cette matière en cosmologie, psychologie, théologie rationnelle et ontologie. La théorie générale des êtres se complète de la connaissance rationnelle du monde, de l’âme et de Dieu. Ces objets sont métaphysiques parce que suprasensibles. À la différence des objets de l’expérience commune, ils sont transcendants et leur mode de connaissance est dit transcendantal, du fait que les objets de la cosmologie, psychologie et théologie naturelle sont des objets de la raison pure. La méthode et les objets sortant des limites de l’expérience, la métaphysique est une connaissance par concepts rationnels purs, les idées transcendantales. Le même raisonnement s’applique à la cosmologie, à la psychologie et à la théologie rationnelle. Mais la métaphysique existe aussi comme réalité historique confondue avec l’histoire de la philosophie issue des grecs. Kant associe toutes les écoles métaphysiques au même usage de la raison qu’il nomme l’usage dogmatique. Pour fixer l’âge dogmatique de la métaphysique, le kantisme en résume le projet théorique par l’opposition phénomène-noumène. La métaphysique se définit à partir de sa fin : la science des objets suprêmes c’est devenu la science suprême de tout objet. La métaphysique donne son but et sa méthode à la philosophie toute entière : dogmatiquement elle ne saurait s’accomplir que comme science de l’être en soi de toute réalité. La critique doit d’abord se livrer à l’examen des conditions de possibilité de tout savoir qui pourra légitimement se présenter comme science : comment des jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ?
Cette reconsidération de ses fondations revient à faire de la métaphysique un problème pour la philosophie elle-même. L’approche historique n’est qu’un aspect du problème. Loin d’avoir atteint son objectif de savoir univoque, la métaphysique échoue dans des antinomies relevées dans la «Dialectique transcendantale». La philosophie en subit le discrédit quand il s’avère que la métaphysique n’atteint pas son objectif. Le rejet de la métaphysique, KANT l’attribue à HUME ; mais la critique menace l’empirisme si cette philosophie se fait dogmatique à son tour, en niant ce qui est au-dessus de la thèse de ses connaissances intuitives, allant jusqu’à prétendre connaitre la nature en soi. Si c’est vrai de dire que tout le réel connaissable pour nous est nécessairement sensible, il ne faut pas dire que le sensible est l’unique réalité …car là il (Hume) se contredit en renforçant la prétention ontologique de la métaphysique générale. KANT montre que la guerre entre idéalisme et matérialisme a pour origine la méconnaissance des fins de la raison quand il y a réduction de la raison à l’entendement (usage expérimental de la raison). L’intérêt théorique en pâtit mais aussi l’intérêt pratique si on prend en considération le problème de la liberté vs. déterminisme comme pertinent.
L’histoire de la philosophie devient un champ de bataille intériorisé comme conflit de la raison avec elle-même. La raison tend par une disposition originaire de sa nature à sortir des limites de l’expérience et ce parce qu’aucune connaissance simplement empirique ne la satisfait. La mesure de ce besoin est donné non pas par les objets de l’expérience mais par les idées de la raison : idée d’un sujet absolument un, d’un monde entièrement achevé, d’un être suprême qui contient la totalité de la possibilité des êtres ; la raison aspire à l’inconditionné. Mais attention au dogmatisme qui pousserait dans l’illusion de croire que ces antinomies pourraient être connues en soi. Ce ne serait qu’apparence transcendantale. L’apparence dialectique résulte de ce que nous tenons les conditions subjectives de la pensée pour des conditions objectives des choses. Paradoxalement ceci est quand même une avancée car quoiqu’aucun objet empirique ne puisse jamais leur correspondre, les idées transcendantales donnent accès à un savoir des fins que poursuit la raison. La forme de ces fins, à savoir l’idée en tant que pure activité, est exigence d’achèvement et de complétude : il faut pousser jusqu’au bout le travail de l’entendement, de l’usage expérimental des concepts et alors se pressent une méthode qui serait compatible avec la science de l’expérience.
La limitation de toute science conceptuellement objective au seul domaine de l’intuition sensible n’interdit nullement à la métaphysique d’être une science. La raison n’a pas à être bornée car la raison appartient au domaine des phénomènes et au domaine des noumènes. Sans cette double appartenance la raison ne pourrait être un juge, ce qui consiste à prendre l’objet en 2 sens. Par conséquent quand la raison dépasse les limites de l’expérience c’est son propre usage expérimental qu’elle outrepasse. Posant la science expérimentale comme la limite de son usage objectivement possible sur le plan théorique, elle peut à la fois remplir et dépasser cet usage. La possibilité de la métaphysique est sa critique même, la métaphysique naissant de sa propre mort. Le criticisme de la raison pure (CRP 1781) se propose de faire la preuve qu’une métaphysique non dogmatique sur le plan théorique est possible…c’est ce que fait le texte « Les prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science »(1783). Ceci fait on peut alors entrer dans les spécifications quant à la morale et quant aux fins : « fondements de la métaphysique des mœurs » (1785), « critique de la raison pratique » (CrP 1788), « critique de la faculté de juger » (CFG 1790) qui affirme la prééminence de l’intérêt pratique sur l’intérêt théorique. Une signification peut alors être donnée aux idées transcendantales qui donne satisfaction à la raison. La CRP et les prolégomènes sont centrés sur le projet de satisfaire à l’idée que la métaphysique est possible comme science ; la CrP montre comment l’intérêt pratique de la raison donne sens aux idées transcendantales que sont la liberté, l’immortalité de l’âme et l’existence de Dieu ; la CFG examine le passage de la physique à la métaphysique. C’est depuis les « Prolégomènes » qu’un besoin est dégagé et se traduit finalement dans le besoin propre de notre façon de juger, de rattacher notre destination d’êtres finis et mortels à une destination infinie. La priorité de la CrP sur la CRP hiérarchise les intérêts respectifs des 2 critiques et fonde la question de l’espérance et d’une foi rationnelle possible. La métaphysique de la nature fonde la scientificité de la physique, la métaphysique des mœurs fonde le caractère vertueux de tous les devoirs orientant les droits. La triple philosophie critique peut se nommer transcendantale de façon non dogmatique. Source d’apaisement.
Les conflits spéculatifs en effet sont nombreux quand on touche à la morale, la religion, le droit et la politique. Ces champs sont infestés d’illusion. À la question « que puis-je savoir », l’empiriste répond qu’il est possible de connaitre empiriquement les mœurs car les hommes suivent leurs intérêts. Mais cela ne répond pas à la question de la raison du « que dois-je faire » car ce qui doit ne découle pas de ce qui est. De même c’est au nom d’une idée (celle d’un gouvernement juste) que peut être jugé injuste un gouvernement despotique. Mais quelle signification donner à une telle idée à laquelle ne correspond aucune expérience ? une telle signification ne peut être que métaphysique. Une expérience transcendante est un non sens théorique, il faut donc convenir qu’une solution théorique est impossible et donner satisfaction à la demande rationnelle d’un fondement des devoirs, de façon pratique. En son for tout homme en général sait qu’il a devoir d’agir pour des motifs non sensibles et désintéressés. Voilà l’impératif catégorique.
Est-ce à dire que la raison ne peut et ne doit trouver de satisfaction que dans le domaine des idées ? une satisfaction pratique ne resterait-elle pas purement idéelle si nous ne participions pas réellement dans le monde tel qu’il est et par notre nature d’êtres finis, à l’espérance d’une expérience possible qui dépasse effectivement l’expérience sensible ? une telle espérance révèle une demande de métaphysique (car le peuple a besoin de croire en Dieu). Pour être subjectif ce besoin n’en est pas moins réel. La CFG s’y consacre et analyse nos jugements sur la beauté et sur la finalité : c’est l’analytique du sublime. L’imagination essaie de donner l’intuition d’une grandeur infinie et elle subvertit les conditions de la connaissance en voulant se représenter ce qui est irreprésentable. L’expérience du sublime ne peut aboutir mais ce qui est réellement éprouvé est la sublimité de cette visée qui révèle comme sublime dans notre sensibilité notre destination morale. La beauté naturelle fait apprécier que le sensible signifie le suprasensible ; en effet nous comprenons le langage des symboles. La dernière partie de la CFG examine la théologie en convertissant l’amour fanatique de Dieu en respect de l’humanité où chacun et chaque religion tolère en l’autre l’origine morale de sa foi.Peut-on dire que la métaphysique est enterrée par KANT ? HEGEL et NIETZSCHE reviendront sur cette question.
Chapitre 8 : Hegel, Bergson et le sens de la métaphysique
La métaphysique n’est ni la science de l’être en tant qu’être ni la science des premiers principes mais la science du tout, à partir de la réflexion de l’absolu sur lui-même et de l’intuition de la durée. Chez HEGEL la métaphysique est inéluctable et il l’appelle « Logique ». Cette métaphysique déploie le monde des idées qui est le fondement de tout le système. La pensée spéculative suppose cette autonomie de la pensée en elle-même en tant qu’elle se donne la réalité effective comme monde des idées. La philosophie a en tant que telle une réalité effective qui manque aux faits naturels comme aux événements historiques. C’est grâce à la philosophie que la nature et l’histoire acquièrent une réalité effective qu’ils n’ont pas par eux-mêmes. Platonicien HEGEL ne réduit pas la métaphysique à l’ontologie car le concept d’être est un concept vide proche du néant et c’est le passage de l’être au néant qui compte. Ce passage par le négatif peut être appelé devenir en ce qu’il peut ainsi amorcer la dialectique de la pensée pure. Cette dialectique passe de l’être à l’essence pour aboutir au concept. HEGEL écarte la distinction inutile entre métaphysique générale et métaphysiques spéciales. La « Logique » est la métaphysique pure et la « Phénoménologie de l’esprit » la métaphysique appliquée confrontée à la réalité humaine dans l’esprit subjectif (anthropologie, psychologie, phénoménologie) et dans l’esprit objectif (la « philosophie du droit »). Mais l’esprit n’a conscience de lui-même d’une façon plénière que dans l’esprit absolu (art, religion, philosophie). Seul le christianisme a appris à l’humanité le sacrifice de soi de l’absolu en montrant Dieu mourant sur la croix comme un voleur. Cette autonégation de Dieu dans le Christ est ce que la métaphysique doit comprendre comme la négativité (et de la négation de la négation comme dépassement du négatif). La métaphysique de HEGEL est taillée à un pointure supérieure à la nôtre, aussi faut-il faire un pas de recul avec BERGSON : adopter une démarche progressive.
BERGSON prend un autre point de départ : il pense la métaphysique comme science de l’esprit. Il faut placer la métaphysique sur le terrain des faits et fixer à la métaphysique un objet expérimental, objet que la connaissance scientifique n’atteint pas : l’esprit. Ceci dit HEGEL avait une meilleure définition de la science car elle ne met pas la philosophie sur le même pied que les sciences exactes. BERGSON a essayé quelque chose mais il a produit de l’art. L’art est en lui-même uneforme de connaissance, il n’y a pas que le savant qui fasse œuvre de savoir. La science est appréciée pour son utilité pratique par ses conséquences techniques. L’art apporte des connaissances profondes. Le terme d’esprit a une extension aussi grande que chez HEGEL. Nous ne pouvons pas penser en termes matériels notre vécu, notre rapport à nous-mêmes, notre conscience, notre âme. La dualité esprit-matière se repense dans une dualité intériorité-extériorité plus profonde que la dualité sujet-objet. Pour BERGSON intériorité et extériorité renvoient à des pôles d’observation ; l’observation intérieure a pour objet la durée. Toute philosophie repose sur une intuition fondamentale. (Chez HEGEL c’est l’intuition du mouvement dialectique de la réalité totale). Il apparait que la métaphysique n’est pas seulement affaire d’intuition mais de décision. La décision c’est que la raison est capable de poser et résoudre les grandes questions que l’homme se pose ; mais c’est un long chemin, un grand détour…alors que l’homme veut des réponses immédiates.
Qu’est ce que l’intuition métaphysique ? c’est penser la durée. L’intuition est une impulsion, c’est un effort constant contre la tendance naturelle de l’intelligence qui est de fixer des coupes instantanées et de construire des concepts fixes. L’effort d’intuition est un sursaut de la volonté pour s’arracher aux habitudes, cela n’a rien à voir avec l’effort intellectuel qui est lié à la difficulté de traverser différents plans de conscience, d’aller chercher des souvenirs lointains pour les mobilisrr dans l’action présente afin qu’ils concourent au succès d’une entreprise. Mais l’effort d’intuition sera toujours un effort car il faut pousser l’intelligence hors de chez elle. Cette décision métaphysique prend la forme d’un effort vigoureux d’analyse qui est nécessaire pour trouver le moi fondamental et la durée qui l’anime. La décision a la forme de la dernière entreprise à tenter, aller chercher l’expérience à sa source, retrouver l’immédiat avant qu’il ne se transforme en utile. Le retour à l’immédiat lève les contradictions. Un même principe, la conscience, régit la vie et la matière. Ce principe se tend dans la vie jusqu’à la vie spirituelle et se détend dans la matière ; celle-ci est la détente de la conscience universelle. Il y a une coïncidence possible de notre petite conscience individuelle avec quelque chose de ce principe. La décision métaphysique est l’intuition même, torsion par laquelle la volonté de la vie se retourne sur elle-même et par laquelle notre volonté individuelle la voit et coÏncide avec elle en un effort douloureux. Nous apprenons alors que l’intuition est un acte libre qui dépasse notre individualité pour saisir le pur vouloir, le courant de la vie qui traverse la matière. De ce centre de force inaccessible part l’impulsion qui donne l’élan c’est-à-dire l’intuition même. Avec l’acte moral des héros et la ferveur religieuse des grands mystiques s’accomplit la dimension d’impulsion qui vient de l’intuition. Décider de philosopher ce n’est pas décider de métaphysiquer ; la 1ère décision fait confiance à la raison mais la 2ème implique une expérience spécifique.
Quel avenir la pensée de BERGSON offre-t-elle à la métaphysique ? la vraie philosophie morale comme la vraie philosophie politique sont d’abord une philosophie et une métaphysique, et puis ensuite sont une morale et une politique. La philosophie de BERGSON est une philosophie de la conscience et de l’esprit. Du coup on retirera de BERGSON la nécessité de penser les problèmes de la durée ; la durée c’est ce qui échappe aux sciences exactes. L’intuition de la durée implique une décision métaphysique, on ne peut pas philosopher sans risque, seule la réalisation de la philosophie peut fournir la preuve de la validité de l’intuition. On s’engage en conscience. Mais qu’est ce donc que l’esprit ? la matérialité de la pensée s’impose-t-elle comme une évidence ? la liberté n’est pas vécue par tout le monde de façon pleine et entière, il y a des degrés dans l’expérience personnelle qu’on en fait. BERGSON nous aide à penser la réalité comme stratifiée en niveaux différents. Le sensible est indifférent comme tel et il parvient à la différenciation en de multiples niveaux de spiritualisation. De même le rapport de l’âme et du corps n’est pas un rapport de substance à substance mais un rapport différent pour chaque état de conscience selon ce qui est engagé. Quand nous nous arrêtons et que nous méditons, nous sommes dans un état où la part de l’esprit domine ; la conscience n’est pas plus une réalité monolithique que le monde. Il semble qu’au niveau du tout nous pouvons observer des niveaux différents de tension (la conscience) et d’extension (l’étendue matérielle) alors qu’au niveau de la conscience nous sommes face à des niveaux de profondeur variable. La tension désigne la durée intérieure, l’extension signifie la dispersion ; il n’y a donc pas coïncidence entre le pôle du rêve et le pôle de l’action. En fait la différence des niveaux de conscience (comme celle des niveaux de réalité) doit être pensée en durée et non plus selon une vision spatialisante.
Et Dieu ? c’est le problème métaphysique le plus important avec celui de l’âme. On devrait parler de 3 voies ; en tout cas la 3ème est celle de l’origine de la force de l’esprit. BERGSON pense Dieu en termes d’énergie : d’où vient que des hommes sont des transmetteurs d’énergie pour les autres ? d’où vient que l’énergie propre de l’esprit est la matière en mouvement et transforme la vie des hommes hors des habitudes du fonctionnement ordinaire de la société ? On voit ici une convergence à l’œuvre dans un autre ordre des faits qui est celui de l’expérience mystique. Ignace de Loyola est un transmetteur d’énergie. La méthode de BERGSON est de chercher l’inexplicable là où il est pour proposer une solution métaphysique. Il faut prouver la réalité de l’esprit par l’impossibilité d’expliquer la vie intellectuelle et spirituelle de l’homme …par les neurosciences pour pouvoir penser la réalité de l’âme comme force créatrice, comme foyer de volonté, d’intelligence et d’affectivité. L’âme est la conscience réduite à son essence c’est-à-dire ce qui la sépare de la conscience animale immédiate ; c’est le noyau qui est enveloppé dans un moi. La multiplicité des âmes est autant de foyers d’être qui implique un pôle d’unité, Dieu. Mais pas question de lier la philosophie à une révélation divine.On retiendra : que nous ne jouons pas notre vie au même niveau uniformément ; il y a des instants privilégiés ; que la différence des niveaux de réalité ne doit pas être arrêtée en des stades car cette différence est dynamique : c’est un mouvement soit dans le sens d’une différenciation, soit dans le sens d’une unification ; toute philosophie qui veut rendre compte des choses de l’esprit met le problème du temps au centre de l’analyse, il y a un caractére inéluctable et irréductible du temps pour la conscience, pour la relation à l’autre et pour le discours et la narrativité. Ceci sera approfondi par HUSSERL, LEVINAS, RICOEUR.
Chapitre 9 : la fin de la métaphysique et la mort de Dieu
PLATON écrit « Le Parménide » pour cerner la manière dont nous pouvons connaître ce qui est connaissable. ARISTOTE laisse aussi entendre un arrière-fond (une rumeur) sur cette question : la philosophie est bien une tentative de connaitre l’être en soi… mais l’être se dit de plusieurs manières. Pour un historien il s’agit de suivre un tracé et d’épouser une courbe. Mais le support est la courbe elle-même qui s’invente dans son mouvement. Ces trajectoires demeurent comme des chemins que l’on peut emprunter dans un ordre qui n’est pas une logique ni une finalité en sens unique, pas même chronologique, bref plus proche d’une architecture baroque dilatée et ramifiée.
La métaphysique est une parole sur quelques points de repère pour s’approcher du débat central. Dans la métaphysique classique il s’agit de fonder des schémas de pensée qui assurent le développement des autres dimensions de la connaissance. La métaphysique s’exprime dans le cadre d’un genre démonstratif spécifique qui répond à des requisits propres. Après coup la philosophie essaie de se préoccuper des fins dernières pour tracer des pistes de recherche qui ouvrent et débordent le système à titre d’hypothèses. Il existe une vraie tension entre le projet d’objectivité et de connaissance vraie du raisonnement métaphysique et l’intégration de toutes les idées dans un ensemble. Mais ces concepts ne sont pas nés de rien, chacun d’eux occupe une certaine position dans une tradition. La métaphysique travaille à l’élaboration d’un certain nombre de concepts. Il convient de revenir à leur définition stricte. Un concept est un produit de la raison, ou de l’entendement, pensée et langage indissociablement. L’analogie ne rend pas compte suffisamment de l’étroitesse de ce lien. En définissant la métahysique comme un discours, le concept d’une chose est sa représentation. En métaphysique aucun concept n’échappe à cette situation, pas même le concept de Dieu.
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Derrière l’apparente unité du langage se dissimule une pluralité de sens. Le mot dieu n’est pas univoque. DESCARTES est auteur d’une confusion car il propose comme évidente pour tous une formulation qui ne l’est pas du tout. Il donne de Dieu 2 attributs : la transcendance absolue qui le rend incompréhensible, la création ex nihilo. Ces 2 attributs qualifient un certain concept de Dieu qui n’est même pas reçu par toutes les métaphysiques. Le concept de dieu ne donne pas Dieu en personne. Il est indispensable de maintenir la différence entre un objet visé et un objet atteint. Le concept de dieu reçoit un sens précis selon le rôle qu’il assume dans les systèmes métaphysiques. La compréhension de la métaphysique oblige à accomplir un double travail : chercher à analyser la fonction dieu et ensuite se demander s’il existe des règles permettant de comparer les systèmes. Il existe une recherche des influences qui montre qu’un système est explicable d’une part dans sa structure propre, d’autre part dans ses liens avec tous les autres.
Le concept de dieu tient une place privilégiée : cette fonction est-elle structurelle ?, en tout cas il n’est pas un concept comme les autres (mais il est aussi un concept comme les autres) puisque fondement du système, mais non pas comme un pur inconnaissable X mais comme ce qui suture le système, comme ce qui le boucle. Il fonctionne comme source, comme passage à la limite et il assure la validité et règle l’usage des autres concepts. C’est à partir de lui considéré comme norme que les concepts régionaux et locaux peuvent être élaborés. Cela met en cause la notion de système : il faut distinguer un esprit systématique et un système proprement dit c’est-à-dire une totalité englobante qui n’admet pas d’extériorité. En ce second sens, la métaphysique n’est pas un système. Alors qu’il y a un système chez SPINOZA et HEGEL, le « Deus sive natura » et le « Savoir absolu » sont bien immanents au discours mais les discours ne sont pas l’être et ils ne sont donc jamais acquis. En ce sens ils ne sont nulle part ailleurs que dans les œuvres de SPINOZA et HEGEL comme des perspectives à long terme. La transcendance n’est pas verticale mais horizontale posant des problèmes d’interprétation mais interdisant de considérer l’ensemble comme complètement clos sur lui-même. Bef dans cette distance horizontale c’est là qu’il y a une place pour la métaphysique.
On peut reprendre les principales relations entre le dieu de la métaphysique et le Dieu de la Révélation : a) l’accord naïf (ANSELME), b) le dépassement avec changement de niveau (PASCAL dit que la raison est impuissante sur les questions de salut), c) le parallélisme de DESCARTES (mais est-il tenable ?), d) l’harmonie philosophico-théologique (LEIBNIZ), e) la naturalisation de Dieu (SPINOZA). Toutes ces péripéties intellectuelles sont frappées de plein fouet par KANT. Refusant toute possibilité d’assurer la métaphysique sur des bases, sur un fondement, en lien avec l’origine. KANT est l’initiateur d’une nouvelle conception de la philosophie en termes de territoire, de frontières, de limites à la raison, qui établit une juridiction destinée à examiner les prétentions des autres disciplines à la connaissance. KANT ne marque pas la fin de la métaphysique dont le projet correspond à une exigence irréductible mais la fin de la métaphysique classique. Coupée de son objet au sens spéculatif, l’intention métaphysique va le retrouver au niveau de la raison pure pratique, c’est-à-dire de l’éthique et de ses postulats conclusifs.NIETZSCHE en mars 1882 écrit le paragraphe 125 du Gai Savoir : avec le titre L’insensé, ce texte renvoie à Psaume 14 (13) verset 1 pour dire que le langage devient insensé car le monde est retourné au chaos, ce qui implique la perte de tous les points fixes et donc une apesanteur existentielle et une angoisse mêlée de culpabilité d’avoir tué Dieu. Assumer les conséquences d’un tel crime suppose la reconnaissance de ce que cet acte possède aussi de grandiose : le successeur de dieu c’est l’homme pleinement homme car libéré de ses entraves où Dieu le retenait. Juste un problème : l’insensé n’est pas écouté des hommes car on ne le comprend pas…sur 3 points. 1) la lutte contre PLATON c’est la lutte contre le christianisme qui est un platonisme à l’adresse du peuple. 2) la métaphysique de PLATON à HEGEL repose sur un abus de mots et une manipulation frauduleuse du langage. Dans l’intention métaphysique, il y a en effet une collusion impure entre philosophie, éthique et politique. Le dieu des philosophes masque un prête-nom d’un Dieu moral. 3) Au 20ème siècle on a un « après KANT » selon toutes sortes de tentatives éclatées de la métaphysique. Elle n’a plus d’objet, de méthode, de sujet ni de finalité. Et de tout ça que reste-t-il ?
Chapitre 10 : la critique positiviste de la métaphysique
Le terme métaphysique a plusieurs acceptions. L’atitude positiviste rejette la métaphysique dans son approche théologique, rejette la métaphysique dans son caractère absolutiste. Mais en revanche sur la connaissance des principes des sciences et de l’action, il y aura entre positivistes des accords et des désaccords. La critique d’AUGUSTE COMTE s’appuie sur la philosophie de l’histoire et est fondée sur un schéma de développement s’appliquant à l’individu et la collectivité. Dans ce schéma la métaphysique est un état intermédiaire du développement de l’esprit dont rend compte la loi des 3 états. La métaphysique est caractérisée par une tension entre théologie et science. Il faut bien voir que la loi des 3 états n’a de sens que combinée avec une classification des sciences : l’ordre est décroissant vers le moins positif depuis mathématiques, physique, chimie, biologie jusqu’à sociologie. La philosophie positiviste est agnostique et pragmatiste puisque la science est un outil utile à la société industrielle…et là il devient dogmatiste. Il fonde une religion qui trouve l’objet de son culte dans l’adoration des grands hommes qui ont réalisé l’humanité en étant de grands hommes de science. Cette erreur tient pour BERGSON au manque d’engagement de ce sceptique qui passe à côté de la connaissance par manque de fidélité à son intuition et par facilité se rabat sur le mécanisme de la représentation où il y a adéquation signe = objet. Le seul jugement que tolère le sceptique c’est le jugement d’apparence.
CARNAP développe un positivisme logique qui présente la théorie de la signification sous le signe de la nature. Dans son naturalisme, la critique de la métaphysique est radicale de ce que la métaphysique n’aurait aucune signification, aucun contenu cognitif. Suivant les règles de l’informatique, un énoncé a une valeur cognitive si l’on peut déterminer son critère de vérité par l’observation directe ou par les relations de réductibilité à des énoncés dits protocolaires (c’est-à-dire finalement aussi à l’observation). La vérité s’atteint par vérification, la pensée est clarifiée par la logique. Le sens d’un énoncé est la méthode de sa vérification. Les énoncés doués de sens sont soit analytiques soit synthétiques : les premiers sont vrais en vertu de leur forme et ne disent rien sur le réel mais sont vrais de ce qu’ils découlent des axiomes et des règles du système formel, les seconds sont vrais empiriquement et donc vrais par leur lien avec les énoncés protocolaires. CARNAP a 6 thèses pour cerner la signification : nous ne pouvons pas parler en dehors du langage ; différentes structures de langage répondent à différentes fonctions ; l’adoption d’une structure enveloppe un engagement ontologique sur les entités qui sous-appartiennent au parcours de valeur des quantificateurs ; comme nous ne pouvons pas parler en dehors du langage, l’ontologie n’a pas de pertinence en dehors de la théorie que nous adoptons ; en raison de ce qui précède, les théories différentes sont indépendantes et leurs quantificateurs existentiels le sont aussi car à chaque théorie correspond une notion différente de la réalité ; des considérations pragmatiques légitimes peuvent être évoqués au sujet de l’adoption d’une théorie, d’un point de vue extérieur à la théorie en question, bien que d’une façon non extérieure à toutes les théories.
Ceci sera critiqué d’abord par POPPER. La signification n’est pas un critère de démarcation satisfaisant. Tous les cygnes sont blancs ; toutes les idées sont indépendantes du monde sensible. Pour faire une distinction entre ces 2 propositions, il faut pouvoir les falsifier. L’observation d’un cygne noir disqualifie la 1ère proposition mais une proposition métaphysique est infalsifiable ce qui ne veut pas dire que cet énoncé est faux…mais ce qui est clair c’est qu’il n’est pas scientifique. Cependant POPPER signale que la théorie générale des idées ne se comprend que dans un contexte où vient d’être découvert les nombres irrationnels (provoquant une crise dans l’atomisme et le pithagorisme). La philosophie de KANT baigne dans le contexte des inventions de Newton : une loi universelle de la science de la nature est un énoncé qui figure parmi les plus susceptibles d’être sévèrement testés (pour tout x) ; …mais formulée sous forme de négation d’un énoncé existentiel (il existe un x qui ne s’inscrit pas sous la loi universelle), la négation de cette négation (il n’existe pas de x qui se porte en faux par rapport à la loi universelle exprimée) n’est pas testable. Il existe une machine à mouvement perpétuel (on ne l’a pas encore découverte mais dans le futur il est possible qu’elle existe). On ne peut pas à la fois considérer que les énoncés exprimant des lois sous la forme du 1er principe de la thermodynamique de Planck sont significatifs et que leur négation ne l’est pas…Il existe une réalité à explorer et cette réalité peut être décrite de façon vraie ou fausse en même temps, c’est selon on donne du temps au temps ou pas.QUINE développe à son tour une critique. Le fondement de toute théorie de la connaissance est la définition de l’engagement ontologique. Une théorie admet tels objets si l’affirmation de l’existence de tels objets est nécessaire pour rendre la théorie vraie. Il y a 2 définitions de la métaphysique : dans un 1er sens on assimile la métaphysique à l’ontologie (puisque toute théorie scientifique suppose un engagement ontologique, il y a une dimension métaphysique dans la science) ; dans un 2ème sens si la métaphysique se définit par une connaissance ultime et irréductible à l’expérience, alors QUINE s’approche de CARNAP contre POPPER. Aucune connaissance est qui ne soit révisable : entre 2 théories générales on ne jugera de la véracité de l’une par rapport à l’autre que par le degré d’engagement qui lui est consacré. Un changement de son fusil d’épaule est possible et dépend du crédit accordé à une nouvelle théorie. Par rapport à CARNAP, QUINE se démarque sur le problème de l’ontologie. Dans les 6 thèses de CARNAP, QUINE rejette la 2ème et la 5ème. Il rejette la croyance que les énoncés puissent être individuellement vérifiables. Il est inexact que l’on puisse isoler les théories scientifiques dans la définition de l’ontologie. La vérité dépend du langage adopté et de faits extralinguistiques. Les quantificateurs et les négations logiques (c’est-à-dire permises en raison de l’engagement ontologique dans la théorie de référence) sont sortis de la syllogistique d’ARISTOTE. La frontière entre analytique et synthétique ne peut être claire : tous les célibataires et seulement eux sont non-mariés. Aucune question relative à la vérité n’est jamais purement interne en raison du contact des théories avec le monde. Et parce qu’il n’est pas possible de fixer les frontières des contenus empiriques des théories, il y a impossibilité de fixer de manière univoque la référence des termes d’un langage. L’engagement ontologique de QUINE s’observe dans sa croyance dans les mathématiques. Il a foi en elles pour fonder une position holiste contre CARNAP : les mathématiques font tenir toutes les théories scientifiques comme un tout. Mais Einstein trouble le jeu puisqu’il n’arrive pas à faire tenir ensemble sa théorie de la relativité générale(RG) et sa relativité restreinte (RR) avec la mécanique quantique (MQ). Et cette situation redonne la main à CARNAP qui est pour le pluralisme des théories.
Chapitre 11 : le roman moderne et la crise de la métaphysique
Le sommet de la métaphysique dans sa pleine assurance c’est chez LEIBNIZ. Après lui il y a une lente déconstruction en plusieurs étapes. Ici l’article s’appuie sur SCHOPENHAUER pour qui le goût de la spéculation métaphysique s’inscrit dans la constitution mentale de l’être humain. Il est par contre illégitime de prétendre ériger à partir du point de vue de l’homme une quelconque doctrine rationnellement satisfaisante sur l’essence intime du monde en général. SCHOPENHAUER a une thèse : la crise ouverte au cœur de la métaphysique dans l’espace philosophique post-kantien produit un ébranlement spéculatif engendrant des effets de mutation, de déplacement, de vacuité mais aussi de renouvellement dans le devenir des formes littéraires dans le roman moderne. Il n’y aurait pas à fermer la porte à la métaphysique fort de la distinction phénomène-noumène, mais à une difficulté près, il faut produire une incursion dans les choses en soi. C’est le corps souffrant et désirant qui constitue le lieu, le vecteur de cette expérience métaphysique. L’énigmatique essence de toutes choses s’appelle le Vouloir vivre qui se manifeste dans les phénomènes de la nature et ce par un effort pathétique pour persévérer dans son propre être. La métaphysique est possible mais elle n’est pas un savoir subordonné au principe de raison suffisante, elle est possible en tant qu’exploration reconductible du Vouloir vivre en tant que celui-ci est lui-même sans fondement. Il est sans raison. L’étonnement d’être-là est l’expression de la définition de l’homme comme animal métaphysique. Ceci débouche sur la pensée rencontrant la mort. Elle instruit le besoin métaphysique car il existe au cœur de cet étonnement comme une mise à l’écoute des tribulations du Vouloir vivre. Une expérience métaphysique est possible et nécessaire comme exercice de déchiffrement de l’expérience intra-mondaine portant sur l’extériorité et sur l’intériorité qui a à voir avec les efforts du Vouloir vivre pour se donner une contenance. Le Vouloir vivre désigne le monde comme présence insondable et acharnement de la vie à se perpétuer dans une incompréhensible frénésie désirante.
Marcel Proust dans « du côté de chez Swann » développe une théorie de la mémoire et de la connaissance qui doit beaucoup à ce philosophe (et aussi à BERGSON) : on retrouve la question du désir. Le Vouloir souterrain et obsessionnel se manifeste en tous les êtres par un effort douloureux, une poussée vitale incompréhensible et tyrannique, destructrice. Le croisement du temps et du désir est aussi une aporie de « La Recherche » du négatif jusqu’à la séquence tardive de l’anamnèse comme retour hallucinatoire. Entre une sensation, un désir et un souvenir, il y a permutation circulaire, métamorphose : que le désir viene se fixer sur un objet, qu’il mette en œuvre une cristallisation érotique, cela ne fera qu’exacerber les mécanismes destructeurs qui en taraudent les fondations. Et si on prend l’œuvre du côté du temps perdu c’est nihilisme et déprime jusqu’à l’anamnèse du temps retrouvé, il y a inversion de la coloration du cheminement : il est important de se mettre à écrire, cela en vaut la peine. Derrière le flux des apparences se tient l’ordre ontologique d’une pérennité.
Franz Kafka nous installe dans la crise du sens et la prolifération des signes. Plus que de proposer une métaphysique, l’écriture renvoie le lecteur à un besoin de métaphysique dans une rhétorique de l’interpellation et de la déception. Milan Kundera relève une composante essentielle de cette œuvre : le pouvoir dont la logique est impénétrable. De ceci on peut tirer comme une métaphysique irréelle de ce que cette littérature révèle les possibilités de l’homme dans l’immanence de ses comportements. Le lecteur est plongé dans les pérégrinations du Vouloir, il connait l’étonnement, l’ennui, la révolte, la fièvre spéculative, l’étonnement de nouveau. Glissant de la tragi-comédie à la bouffonnerie.
Dino Buzatti tire de SCHOPENHAUER que les êtres ne seraient nullement disposés à accorder leur être-au-monde et qu’ils recouvrent d’illusions cette vérité perturbatrice. Le temps ne cesse de nous mettre à la question comme un fil d’araignée emprisonnant dans sa toile. Dans « Le désert des Tartares », le fil du temps devient durée, mûrissement de toute une vie, raison d’être d’un artifice littéraire auquel il s’identifie comme surgissement d’un récit métaphysique dans sa capacité de susciter chez le lecteur l’étonnement, résonnant sur fond de tragédie antique. Le temps est machine infernale. Dans ce roman il y a un décalage entre le début et le moment où l’auteur écrit : alors commença l’irréparable fuite du temps, comme un contretemps le désert tout autour spatialise l’idée du vide du temps : s’y crée le mythe des envahisseurs. Du coup et partout on voit des signes annonçant qu’à l’horizon arrive la question du Mal sous la forme d’un délire collectif. Finalement l’homme qui tente d’habiter cet univers apparait grotesque dans ses efforts par rapport à un destin capricieux, idéologique, malin.Si la raison classique échoue, il faut désormais penser au bord d’une défaillance considérable. Et cette tâche est en même temps un risque radical. L’étonnement dont nous parlent les philosophes à juste titre n’est pas justiciable d’apaisement. La crise de la métaphysique dévoile les espaces d’une ontologie sans fondement assignable et l’on y voit parfois surgir des objets inclassables, incongrus, opaques, ces entités métaphysiques à part entière que sont les formes littéraires.
Chapitre 12 : Heidegger et la métaphysique
Au début du 20ème, les philosophes voient en BERGSON quelqu’un qui ressuscite la métaphysique face à la puissante machine de guerre des néo-kantiens positivistes. En 1927 sort « Sein und Zeit » qui va parler d’oubli de l’être et d’une métaphysique déconnectée de sa source. La métaphysique de HEIDEGGER nait de façon ambigüe puisque c’était comme s’il y avait un dévoiement de la pensée occidentale. La rencontre de l’œuvre avec la métaphysique c’est comme si pour la 1ère fois quelqu’un remontait à l’origine dans l’œuf présocratique. Son ombre portée parle d’une gloire que l’on doit aujourd’hui à nouveau dévoiler et déployer. Comme phénoménologue HEIDEGGER se décale de KANT et NIETZSCHE en voulant permettre un accès véritable, ce qui suppose une métamorphose de l’homme par la libération de son dasein. Ce qui est ambigü c’est que HEIDEGGER parle aussi de surmonter la métaphysique et de se rapporter à nous-mêmes comme êtres finis. La finitude est la condition de l’existence authentique. HEIDEGGER en vient à reprocher à PLATON et tout ce qui s’en suivra d’avoir laissé un héritage que maintenant il nous faut détruire si on veut remettre la métaphysique sur ses pieds. Il y a une histoire de la métaphysique à revoir et la parcourir c’est la réaccomplir. Ceci n’est possible que par l’accomplissement d’une transcendance qui est le fait de l’existence humaine. « L’analytique existentiale » c’est le travail herméneutique d’un homme conscient du rôle que l’histoire lui fixe par rapport à la tradition, d’un homme qui s’élève au-dessus du lot pour détruire la métaphysique. L’homme qui dans l’histoire sait assumer son dasein ici et maintenant opère alors une échappée vers l’être par delà l’étant. Butant sur le néant, cet homme largue les amarres.
Chez HEIDEGGER, PLATON est toujours envisagé avec ARISTOTE ; on parlera de platonisme. La frontière passe entre prolongement ou fidélité ou trahison. En quoi la métaphysique se trouve-t-elle instituée par (dans) PLATON sous-couvert d’anonymat ? il y a 2 réponses : du fait de la différence thématisée entre l’être et l’étant (le Beau et les belles choses), la philosophie est l’incitation à détourner le regard fixé sur l’étant pour le tourner vers l’être ; du fait de la différence entre sensible et intelligible (topoï), on entre dans la métaphysique proprement dite vu qu’elle invitera la philosophie à délaisser le sensible et ses miasmes morbides y compris le corps. La métaphysique c’est aller au-delà des ombres dans le mythe de la caverne. L’institution de la métaphysique c’est là où (topos) le pouvoir de transcender l’étant se trouve compris comme faculté d’accéder à l’intelligible, au supra-sensible. HEIDEGGER force vers la 2ème réponse, la philosophie de PLATON c’est du métaphénoménisme, il faut l’apport d’ARISTOTE dans un élan qui épouse ce qui est déjà amorcé sans le dénaturer. HEIDEGGER trouve chez ce matérialiste la confirmation que la philosophie de PLATON dans le platonisme c’est une métaphysique onto-théologique. Cette tradition passe par le Moyen-Âge jusqu’à KANT qui devra l’assumer dans un débat entre dogmatisme (LEIBNIZ et WOLFF) et scepticisme (HUME). L’« engagement » de KANT c’est de recevoir la métaphysique comme un problème.
Fidèle à son destin, HEIDEGGER retravaille son héritage kantien entre MOSES MENDELSOHN et l’Ecole de MARBOURG et interprète la critique comme non pas un dépassement de la métaphysique mais comme sa refondation. KANT prend ses distances avec l’Antiquité pour réhabiliter le sensible dans « L’Esthétique transcendantale » en jouant sur la différence entre transcendant et transcendantal (transcendance inversée, retournée dans le sens où elle ne dépasse pas l’expérience mais seulement qu’elle la rend possible). Le transport hors de l’étant (PLATON) est rabattu comme rapport (le dépassement de la métaphysique aurait déjà eu lieu). La métaphysique est dépassement vers le monde sensible. Ceci fera naître un être de l’apparaître impliquant que la véritable fonction de la métaphysique sera pratique : le concept de la liberté sert de clé de voûte : la réponse à la 1ère question puis-je savoir ? dépend de la réponse que l’on donne à qu’est ce que l’être humain ? la réponse c’est que l’homme est le roi de la finitude. La métaphysique de NIETZSCHE tel que la voit HEIDEGGER c’est un fantastique raté (une retombée dans le platonisme). HEIDEGGER renvoie dans la métaphysique classique lancée par PLATON, KANT et NIETZSCHE. HEIDEGGER est un séducteur, un charmeur qui se prend pour un poète mais surtout il dévie le sens des mots rendant perversement biaisé toute lecture vierge de KANT et NIETZSCHE. L’interprétation de KANT porte sur son manque d’engagement. L’interprétation de NIETZSCHE c’est que lui a manqué un savoir relatif à l’origine métaphysique de la valeur. Pour NIETZSCHE le sensible est le vrai monde et le supra-sensible un pseudo-monde. Les positivistes et les nihilistes s’y sentiront confortés. Le progrès sans autre sens que la croissance pour la croissance est marqué du caractère de l’être…maintenant que Dieu est mort.Pour HEIDEGGER le technicien est le métaphysicien par excellence de l’époque moderne. Les mots toujours sont changés dans cette langue qu’il baroquise : le technicien c’est un homme moderne auquel la technique fournit l’intelligibilité du monde et est tenue pour transparente : tout le monde peut voir que ça marche. Il faut …être dans le bain. La métaphysique devient une phusis qui ne s’est pas remise d’en être une et qui peine à s’assumer. HEIDEGGER lui l’anoblit dans sa transcendance comme une métaphysique de la mobilité de toute vie humaine. En nous libérant de la métaphysique nous nous libérons nous-mêmes ! la verticalité mute dans une horizontalité. Le vie, le rien, le désert, le néant, dans l’angoisse et l’ennui alimentent la question de l’être que rien d’étant ne peut venir combler. Le projet maintenant est clair : il faut surmonter la métaphysique comme on surmonte une souffrance, comme on fait un deuil en éprouvant en nous-mêmes ce qu’elle a de dépassant. Nous sommes finis. HEIDEGGER va aller tellement loin dans cet élan qu’il va déraper (entraînant avec lui des intellectuels comme BEAUFRET ou LACAN durant trop longtemps).
Chapitre 13 : science et métaphysique, le démon de Laplace
Thèse : la physique et la métaphysique sont 2 moments de la même activité de comprendre : une certaine métaphysique peut être l’antécédent et le prolongement rationnel de la science. Toute théorie physique présuppose ou implique une métaphysique. Par contre on peut concevoir certaines métaphysiques qui soient indifférentes par rapport à la physique. La thèse de ce texte en découle : on va discuter du couple déterminisme-indéterminisme. Au départ de cette « disputatio » il y a LAPLACE (« Essai philosophique sur les probabilités »). S’il est question de connaitre le mouvement des corps, les forces, le passé et l’avenir dans la dynamique de Newton, ce contenu physique est mathématiquement traité (la méthode implique une logique fidèle à des axiomes). Il suffit après de calculer. Le monde newtonien a quelques composants physiques et métaphysiques intéressants dans la dispute de LAPLACE. Le monde matériel est une série de particules qui sont des morceaux de matière solide et les éléments ultimes sont les atomes dont l’état naturel est le mouvement. Dans ce monde l’immobilité n’existe pas. Le principe d’inertie par contre est métaphysique, entendu qu’il existe des forces universelles auxquelles rien n’est étanche tels que la gravitation et l’électro-magnétisme : il est impossible de faire ou d’avoir l’expérience d’un corps non soumis à aucune force pour pouvoir vérifier que sans ces forces son mouvement est rectiligne et uniforme. Si le monde est foncièrement dynamique, la conception substantialiste de la matière (des anciens) est remise en question au profit d’une conception relationniste où la matière en tant que masse devient un rapport entre force et accélération : la masse devient un coefficient. De plus l’inertie fait que le mouvement en ligne droite et uniforme peut se prolonger à l’infini sans aucune direction. Bien entendu sont métaphysiques aussi l’espace et le temps comme tels. En réaction les savants qui campent en face n’aiment pas la métaphysique si bien qu’ils ont développé des théories où l’espace et le temps ne sont plus des absolus.
Les caractéristiques du déterminisme laplacien sont en phase avec Newton. L’avenir du mouvement d’un système est univoquement déterminé par la position et les vitesses depuis l’état initial, lequel est parfaitement connaissable (si pas encore connu). En mécanique classique (MC) tout est calculable à une nuance près : le démon de LAPLACE n’est pas mis en difficulté si on glisse de la causalité à la prédiction à partir des conditions initiales. On parle ici de propriété épistémologique : les lois sont suffisantes pour prédire. Ce petit pas toutefois sort d’une métaphysique de la causalité. Les physiciens aujourd’hui témoignent de résultats depuis la statistique …qui sont flous. Ainsi on n’arrive plus à « calculer » sous condition de la gravitation, les interactions entre plus de 2 particules. Il faut être un démon pour cerner toutes les conditions initiales et calculer les interactions de plein de particules. Il faut être au-dessus des possibilités d’un savant : autrement dit on a ici un déterminisme métaphysique (car on ne lache pas la causalité) et épistémologique (nous pouvons prouver en principe). Pour calculer (connaitre par une méthode mathématique) il faut jongler seulement avec les équations différentielles opérant de façon analytique dans le temps : sous-jacent au calcul il faut donc que le temps, l’espace et les événements spatio-temporels soient continus. Cette continuité est une présupposition métaphysique dont la MC a besoin. Alors quoi ? : 1) il y a monisme dans l’affirmation que les propriétés fondamentales des corps sont les qualités premières (étendue, figure, masse, espace, temps), il y a homogénéisation de la matière en passant par les nombres (porteurs épistémologiques de connaissances) ; 2) il y a dualisme dans l’affirmation que les qualités secondes comme la sensation sont non connaissables, on arrive à des clivages entre les sciences et philosophies scientifiques par rapport à la phénoménologie et l’existentialisme, les arts et la religion. Le monisme ontologique, c’est l’idée que tout ce qui existe est de la même sorte. Si on cherche à cerner l’altération, l’évolution, les phénomènes psychiques et la communication, il faut jouer avec des substances fluides dotées déjà d’une sorte de proto-conscience, seule façon d’expliquer que le cerveau est le siège de la conscience.. Mais si on ne veut pas, il reste l’approche dualiste qui reste disponible…mais ni la MC ni LAPLACE n’y sont intéressés car ils ne sont à l’aise que dans un monde matériel. Le fil du raisonnement jusqu’ici est la continuité physique-métaphysique. L’induction en physique dépend d’une métaphysique surtout quand on parle du réel. la notion de continuité implique que si on enlève la métaphysique à la physique, celle-ci est tronquée et ne portera plus sur le réel. il n’y aura plus de principes et on n’aura plus affaire qu’à des résultats. Le démon de LAPLACE est une intelligence qui pousse la physique à chercher des lois déterministes. La métaphysique peut exiger le déterminisme et évaluer négativement une théorie physique qui ne le soit pas.
Einstein propose d’abord la théorie de la relativité restreinte (RR) : quel est son impact sur le démon de LAPLACE ? Le principe de relativité est une règle méthodologique qui exige que le remplacement d’un référent inertiel par un autre, doit laisser invariantes les lois de la MC et en général toutes les lois de la physique. Ainsi est-on passé du système de Galilée à celui de Lorenz et Minkowski tout en respectant le 1er postulat. Le 2ème postulat c’est que par rapport à un système inertiel, la valeur de la vitesse de la lumière dans le vide remplisse la fonction de limite supérieure absolue : cette valeur est constante et ne dépend ni du mouvement de la source ni de celui de l’observateur. Mais le caractère absolu du temps et de l’espace est supprimé, il n’y a pas de présent pour tout l’univers. Si 2 événements sont du genre espace, on peut en changeant de référentiel faire que l’un précède l’autre ou le contraire ou qu’ils soient simultanés. Pour un observateur installé sur un quai qui communique avec 2 autres observateurs respectivement dans un train qui s’éloigne et un autre qui s’approche, lorsque se déclenche un éclair lumineux sur le quai, il sera « vu » de 3 façons différentes selon la position des observateurs. Il y a relativité temporelle mais la cause précèdera toujours l’effet. Il y a pour tout système dans la RR un passé absolu et un futur absolu. Minkowski joue lui avec l’image d’un double cône pour montrer que ce qui est significatif se limite à l’intérieur du cône de lumière. Celle-ci tient le système dans une cohérence. Voilà qui aide le démon de LAPLACE : par rapport à la MC où tout est calculable, en RR quand ce qui faisait partie de l’avenir fera partie du passé alors le démon pourra rétro-dire, il pourra montrer comment l’avenir était déterminé. La moitié du travail de calcul est allégé mais cela ne veut pas dire que l’avenir est indéterminé et non soumis à la causalité.
La théorie de la relativité générale (RG) est la deuxième proposition d’Einstein. La RR ne concerne que des systèmes isolés, non soumis à la gravitation. Mais si on l’introduit, le champ qui constitue les propriétés métriques de l’espace-temps est complètement déterminé par les masses des corps. Les objets producteurs de gravitation courbent l’espace-temps et la métrique en est affectée pour mesurer le mouvement dans ce champ gravitationnel. La faiblesse de la RR est de privilégier le référent inertiel mais Einstein pensait que les lois devaient être établies et formées par rapport à des systèmes de référence qui soient dans n’importe quel état de mouvement. Si des corps matériels créent dans un référentiel accéléré un champ de gravitation convenable, le référentiel accéléré muni de ce champ de gravitation devient équivalent à un système inertiel. Les lois de la nature décrivent des coïncidences spatio-temporelles. La RG ne facilite pas le démon de LAPLACE. Dans la MC et la RR, le temps, l’espace et l’espace-temps sont un cadre neutre qui transmet telles quelles les influences entre les objets. Mais en RG ce n’est pas le cas. La structure causale déterminée par les cônes de lulière doit à son tour être déterminé. À côté de la métrique il faut ajouter un tenseur pour décrire la distribution de la matière-énergie à travers l’espace-temps.La physique quantique, la mécanique quantique (MQ) rompt la continuité avec des quantas. L’équilibre entre matière et rayonnement passe au niveau atomique (la densité d’énergie rayonnée en fonction de la fréquence du rayonnement émis évolue par sauts). De plus le principe d’incertitude est d’application : il est impossible de mesurer la position et la vitesse d’une particule : le calcul qui le tente bute contre le mur de Planck qui renvoie à des expériences où on éclaire un objet pour le voir : si cet objet est de la taille d’un photon, alors on sort de la cohérence du système. Schrôdinger veut apporter une solution pour de nouveau pouvoir calculer. Et il dégage la fonction d’onde. Voilà l’équation déterministe de l’évolution dans le temps de la fonction si on la connait à un moment donné : cette fonction alors s’effondre à l’instant de son observation comme un arrêt sur image où on perd la vitesse (l’onde) mais on gagne en netteté en termes de position : on peut étudier la particule à loisir. Et puis la recherche quantique avance et réembrouille le travail du démon de LAPLACE. Celui-ci n’aura été satisfait que pour une courte durée car on découvre une propriété nouvelle du comportement de la matière : la non-séparabilité. 2 objets, 2 électrons corrélés (qui ont la même fonction d’onde associée) continuent à s’influencer après séparation : cela revient à une action à distance instantanée. Les informations qu’on peut tirer de la fonction d’onde à un moment sont probabilistes dés qu’on sort des limites de la formule de calcul de Schrödinger. Or pour LAPLACE les probabilités ne font que révéler notre ignorance des vraies causes. Si l’information de la MQ est probabiliste, si la connaissance de l’infiniment petit est floue, il s’en suit que notre démon ne peut pas vérifier le principe de causalité dans l’espace-temps : ici les mêmes causes n’ont pas les mêmes effets. Dans la désintégration atomique l’indéterminisme qui s’en suit est ontologique et sa répercussion est gigantesque : les autres définitions de l’indéterminisme que sont la contingence, le hasard, la rencontre de séries causales ou légales indépendantes, l’ignorance des causes sont-elles encore compatibles avec une vision déterministe du monde ? le physicien de Broglie ne s’est pas découragé comme si avec sa notion de déterminisme scindé il ouvrait une place pour accueillir des variables cachées. Ceci montre qu’au-delà du succès ou de l’échec des inventions théoriques le démon de LAPLACE hante toujours les jours des chercheurs de déterminisme. C’est un idéal increvable qui oriente le travail.