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La marionnette et le nain


Auteur du livre: Slavoj Žižek

Éditeur: Seuil

Année de publication: 2006

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Chesterton va nous servir de guide : la séparation du fils d’avec son père doit se refléter en Dieu même. Le Christ c’est Dieu abandonné par lui-même, c’est ça le christianisme. Une perversion du nom de Dieu !

La perversion du christianisme se lit dans la figure de Judas. On y voit le passage d’un nom propre à un nom commun (tout traître est un judas). À l’inverse de l’aufhebung hégélienne, Judas ne s’est pas dépassé en se surélevant, il reste coincé dans la passe (une impasse existentielle radicale). Le judaïsme voit le christianisme se détacher en la figure de Paul et ce, beaucoup plus qu’avec Pierre que pourtant Jésus avait choisi pour être le socle de son Eglise. On peut supposer que sans Paul celle-ci eut été toute autre. L’universel est trahi au nom d’un point d’exception singulier : le Dieu des juifs est destitué au profit d’un Dieu incarné, mais mis en poche.Chesterton insiste sur le poids décisionnel de la rupture paulinienne.

Chapitre 1 : quand l’orient rencontre l’occident

Schelling montre que l’éternité est une donnée de la proto-réalité, soit une source d’énergie inépuisable. Mais pour lancer une institution incarnée, l’Eglise, la temporalité est nécessaire, pour ancrer les idées dans la réalité. Il nous faut donc creuser la notion d’incarnation à l’aune de cet événement de l’apparition de Dieu dans le Christ. 

Chesterton va nous servir de guide : la séparation du fils d’avec son père doit se refléter en Dieu même. Le Christ c’est Dieu abandonné par lui-même, c’est ça le christianisme. Une perversion du nom de Dieu !

La perversion du christianisme se lit dans la figure de Judas. On y voit le passage d’un nom propre à un nom commun (tout traître est un judas). À l’inverse de l’aufhebung hégélienne, Judas ne s’est pas dépassé en se surélevant, il reste coincé dans la passe (une impasse existentielle radicale). Le judaïsme voit le christianisme se détacher en la figure de Paul et ce, beaucoup plus qu’avec Pierre que pourtant Jésus avait choisi pour être le socle de son Eglise. On peut supposer que sans Paul celle-ci eut été toute autre. L’universel est trahi au nom d’un point d’exception singulier : le Dieu des juifs est destitué au profit d’un Dieu incarné, mais mis en poche !

Chesterton insiste sur le poids décisionnel de la rupture paulinienne. Son inspiration critique vient du bouddhisme. Un autre orient donc que celui qui intéresse les juifs, à savoir les religions païennes initiatiques (égyptiennes).

(Zizek illustre souvent ses propos avec des références culturelles : 

Le regard de Bouddha s’interprète chez CS Lewis dans un poème « Surpris par la joie ». Il justifie la subordination à la machine sociale militariste du Japon de 1930 : il ne faut pas confondre le monde transcendantal du « sans forme » avec le monde temporel de la forme ni ignorer l’unité fondamentale entre ces 2 dimensions.

Le film de Charles Vidor « Rhapsodie » illustre un autre aspect. Qu’est ce qu’une preuve d’amour ? Prouve moi que je suis tout pour toi ! Trahis moi au nom de ta mission révolutionnaire !)

Une dialectique intérieur extérieur doit se laisser travailler par un regard décalé, par le vide, par la parallaxe, par une trahison. La décision est purement formelle : c’est une décision de décider sans avoir une conscience claire de ce que le sujet décide. C’est un acte non psychologique, subjectivé dans l’après-coup. En termes bouddhistes, l’acte est le contraire de l’illumination. C’est le geste par lequel le vide est troublé et par lequel la différence s’introduit dans le monde. 

Pour une dialectique un / multiple, il faut aller plus loin avec le travail du négatif chez Hegel. Ce travail consiste à revenir à une réalité phénoménale qui est au-delà du néant, à un quelque chose qui donne corps au néant, à travers l’expérience du réel par quoi on s’attache à l’illusion. La leçon de la Trinité c’est que Dieu coïncide pleinement avec l’écart entre Dieu et l’homme, c’est que Dieu est cet écart, écart qui sépare Dieu de Dieu, l’homme de l’homme également, puisque le voilà fils de Dieu. L’affirmation de l’altérité conduit à l’identité (l’un) comme étant ennuyeuse. Il ne faut pas réduire l’Autre à l’un mais accepter que le signifiant binaire (S2) soit toujours manquant . Hegel dit que la Terreur est inévitable car le monde transcendantal est en guerre avec lui-même. L’absence de forme destructrice doit apparaître.(Zizek tient une position décalée par rapport à Hegel avec des apports de Lacan et de sa logique signifiante. Il y a donc des écarts et des écarts d’écarts).

Chapitre 2 : le roman de l’orthodoxie

Chesterton sert de fil au chapitre mais Zizek prend ses distances à certains moments pour aller chercher Hegel

L’opposition extérieure entre  la loi (juive) et sa transgression (chrétienne) se transforme en opposition interne à la transgression elle-même (entre Paul et Pierre), entre les petites transgressions particulières et la transgression absolue qui apparait comme son contraire, c’est à dire l’imposition de la loi universelle.

Chesterton utilise  Hegel pour dénoncer ceux qui ont une critique pseudo-révolutionnaire de la religion. 

Ils commencent par dénoncer la religion comme une force oppressante qui menace la liberté humaine. Mais dans leur combat contre la religion, ils sont conduits à abandonner la liberté elle-même, sacrifiant ce qu’ils voulaient défendre. 

Et on peut dire pareil des défenseurs de la religion, des fanatiques qui commencent par attaquer la culture sécularisée avant de finir par abandonner la religion elle-même. 

Et on peut dire pareil des combattants du libéralisme impatients d’en découdre avec le fondamentalisme anti-démocratique, impatience où ils finiront par sacrifier l’essentiel en renonçant à la liberté et à la démocratie du moment qu’ils puissent combattre la Terreur. 

Et l’on peut dire aussi que si l’on essaie de préserver la sphère intime de la vie privée contre les attaques de l’échange public aliéné instrumental / objectivisé, ce sera la vie privée elle-même qui se transforme en sphère marchandisée totalement objectivisée.

(Zizek illustre le travail de M Duras dans « La vie matérielle » pour montrer que la parade est de réinventer la nouvelle collectivité). 

Ce que le bouddhisme occidental n’est pas prêt d’accepter c’est que la victime fondamentale du voyage vers le moi fut ce moi lui-même. Faisons appel ici à Adorno pour qui la victime fondamentale du positivisme ce ne sont pas les notions métaphysiques confuses, ce sont les faits eux-mêmes : la poursuite acharnée de la sécularisation, le tournant vers notre vie dans le monde transforment cette vie elle-même en un processus anémique abstrait. 

Hegel lui rappelle l’union dialectique des contraires : la monotonie est la plus grande des particularités, la répétition exige l’effort créatif le plus élevé.

Chesterton dit que la leçon chrétienne fondamentale des contes de fée est contenue dans la doctrine de la joie conditionnelle. Il s’agit d’introduire un élément étranger dans le Droit qui nous rappelle que le Bien universel auquel nous accédons n’en est pas moins contingent. Cendrillon se plaint de ce que tout s’arrête à minuit  mais on pourrait lui rappeler qu’elle est allée au bal avant minuit. 

Prenons la Tchécoslovaquie dans les années 70-80, on y vivait heureux pour 3 raisons. Les besoins matériels étaient tous satisfaits moyennant des pénuries survenant dans l’approvisionnement de façon temporaire. Le fait de disposer du Parti comme un Autre offrait l’occasion de l’accuser de tous les maux si bien que personne ne se sentait responsable. Et puis l’ailleurs existait, l’occident est à la frontière et on peut s’y rendre de temps en temps. Cet équilibre a été rompu par le désir ; c’est le désir qui a poussé les gens à venir gratter le mur, plongeant par conséquent dans un système où ils ont perdu le bonheur. Le bonheur n’est pas une catégorie de la vérité, dit Badiou, mais une catégorie de l’être, simple et comme telle confuse, indéterminée, incohérente. Le bonheur est une catégorie du principe de plaisir, dit Lacan, et ce qui le mine c’est l’insistance d’un au-delà du principe de plaisir. 

Pour Lacan, le bonheur repose sur l’incapacité, le refus du sujet de se confronter totalement aux conséquences de son désir. La chose la pire qui puisse nous arriver serait d’obtenir ce que nous désirons officiellement (mais que nous ne voulons pas réellement). Le WISSENTRIEB est sérieusement à nuancer avec le « je ne veux pas en entendre parler ». La connaissance du savoir de l’Autre a un statut paradoxal : comment se fait-il que l’économie psychique d’une situation change radicalement non pas quand quelqu’un apprend directement un secret mais quand il finit par savoir que l’autre (supposé ne pas savoir) était au courant depuis le début et faisait semblant pour sauver les apparences.

Habermas triche avec le test de Huntington (que ferais-tu si tu savais quand tu vas mourir ? Ou si je demandais à un autre de le savoir à ma place et de me tuer à mon insu à la veille fatidique ) quand il dit que le devoir éthique est de protéger l’autre de la souffrance en le maintenant dans l’ignorance. Ce faisant il ne parle pas d’éthique mais de bonheur. L’éthique renvoie à la liberté.

Chesterton a pour but de sauver la raison en s’accrochant à son exception fondatrice ; privée de cette exception la raison dégénère en scepticisme auto destructeur. 

Lacan répond à la doctrine de la joie conditionnelle avec sa logique de la castration symbolique.

Chesterton renverse l’idée selon laquelle le paganisme antique fut affirmation joyeuse de la vie alors que le christianisme impose un ordre sombre. En fait pour lui c’est le contraire qui est vrai : derrière l’apparence trompeuse de la culpabilité et du renoncement, il y a la joie infinie. Le christianisme propose un stratagème détourné permettant de satisfaire nos désirs sans avoir à en payer le prix.

Lacan n’est pas d’accord et il rappelle que l’objet doit être perdu pour être retrouvé sur l’échelle inversée du désir régulé par la Loi. Ici réside la limite de Chesterton et la limite de la solution perverse. Avec l’entrée dans la modernité on ne peut plus se reposer sur le dogme établi, il n’y a plus d’Autre. La perversion est une stratégie pour s’en passer (en fixant artificiellement une limite que nous prendrions au sérieux) par une tentative désespérée visant à  codifier la transgression (Sade).

Hegel prête le flanc aussi à une lecture perverse, si on le comprend mal : l’Absolu joue un jeu avec lui-même, il commence par se séparer de lui-même, il introduit l’écart de la non reconnaissance de lui-même afin de se réconcilier avec lui-même. Il « oublie » Kant. Pour ce dernier, la solution de Chesterton  (recours à un obstacle préétabli contre lequel nous pouvons affirmer notre liberté) n’est plus possible.  Notre liberté s’affirme comme autonome, toute limitation est entièrement posée par elle-même : la perversion sadienne apparait comme le résultat du compromis kantien, du choix que fait Kant d’éviter les conséquences de son avancée. Kant est un bourgeois à ne pas déranger !

L’éthique de Lacan dans le livre 7 est le lieu sans issue de la passion du réel (ne pas céder sur son désir, c’est aller du côté de G Bataille). Il faut bien aller regarder au-delà du compromis kantien : le fait que l’excès absolu est celui de la loi même. La loi déstabilise à travers les sommations du surmoi : jouis ! D’où l’angoisse qui surgit. Il faut faire une différence entre l’objet et l’objet cause (le désir n’est pas la jouissance) : une femme se plaint de se sentir coupable de rencontres infidèles. Si on ne lui fait pas la morale, elle n’aura plus le sentiment de transgresser et l’habitude des rencontres infidèles lui passera. L’efficace de la manoeuvre (psychanalytique) tient à la chute de l’obstacle de la loi morale. Peut-on désirer l’obstacle comme tel directement ?

Chapitre 3 : le réel du christianisme

Commençons par le fort-da mais à contre-pied : ce n’est pas la mère (absence) qui est symbolisée, c’est au contraire, d’elle, qu’il faut se déprendre car sa jouissance étouffe (mais qu’est ce qu’elle me trouve ?). il y a une différence entre le désir de l’autre et la jouissance de l’Autre. Le désir ne peut se développer que dans la mesure où l’Autre reste un abîme indéchiffrable ; la jouissance au contraire signale  une proximité excessive et suffocante de l’Autre à mes dépens. La jouissance de l’Autre est le droit qu’il a de jouir de moi en tant qu’objet sexuel et cet Autre c’est la mère préoedipienne. La castration symbolique fait que cette jouissance est dépassée en jouissance phallique localisée (c’est à dire une jouissance sous la condition du désir). 

Mais attention de bien comprendre avec Badiou et non avec Boothby : le 20ème siècle, pour ce dernier, a essayé une expérience directe du réel comme opposée à la réalité sociale quotidienne. Cette passion du réel nous confronte à l’impossibilité ontologique de situer à l’intérieur du même espace de réalité nos interactions quotidiennes ordinaires et les scènes de jouissance véritables. C’est l’expérience du sacré qui permet de lire ces transports comme autre chose qu’une sorte de rage (comme une chienne).

Badiou rappelle que le réel s’approche aussi par soustraction (ce qui n’est pas par purification). Il ne s’agit pas d’arracher des pelures afin d’approcher un noyau. Il s’agit de partir du vide, de la réduction de tout contenu déterminé et essayer ensuite d’établir une différence minimale entre ce vide et un élément qui fonctionne comme son représentant. 

On peut faire référence à Rancière de « La mésentente » dégageant la « fonction » de la part des sans parts. La politique implique un court-circuit entre l’universel et le particulier : paradoxal élément singulier qui apparait comme représentant de l’universel mais déstabilisant l’ordre fonctionnel naturel des relations dans le corps social. Cette identification de la non-part au tout, c’est le geste élémentaire de la politisation. Cet élément surnuméraire manque de toute propriété différentielle qui spécifierait sa place dans l’édifice. C’est précisément ce manque de différence fonctionnelle spécifique qui en fait une incarnation de la différence entre le lieu et ses éléments. 

Ceci peut se lire dans le passage de Kant à Hegel, le passage c’est la tension entre les phénomènes et «  la chose », impliquant une incohérence, un écart entre les phénomènes eux-mêmes. 

Pour Hegel, la réalité non conceptuelle est une chose qui émerge dans le développement conceptuel, se trouvant pris dans une incohérence et cessant d’être transparent à lui-même. Les multiples incohérences de perspective entre les phénomènes ne sont pas l’effet d’un impact de la chose transcendante ; au contraire la chose n’est qu’une ontologisation de l’incohérence entre les phénomènes. Ce réel est précisément le leurre suprême. Hegel va dire que le réel est « pas tout ».

Contre cette vision du réel ontologisé, il faut souligner que le réel de Lacan n’est pas un autre centre (plus vrai), c’est plutôt l’obstacle à cause duquel chaque centre est toujours déplacé, manqué. Où en est-on si on réalisait que la réalité quotidienne illusoire est un voile qui ne cache rien d’autre que l’idée que nous nous faisons de la chose horrible derrière le voile (moins que rien donc).

Levi-Strauss décrit le village des Winnebago : la moitié du village se le représente comme un aménagement en cercle autour d’un centre alors que l’autre moitié sépare de haut en bas par son milieu, un demi village à gauche de la ligne de départage et un autre demi village à la droite de cette ligne. Ces 2 places différentes (plus ou moins au centre ; à gauche ou à droite) ne sont rien d’autre que des tentatives s’excluant mutuellement de faire face à un antagonisme traumatique à soigner, par l’imposition d’une structure symbolique équilibrée. L’intervention du réel prend ici forme d’une anamorphose. Le réel n’est pas la distribution effective dans les 2 perspectives mais le noyau traumatique qui déforme l’une et l’autre des 2 perspectives, qui déforme la vision qu’ont les membres de la tribu de l’antagonisme effectif. 

Le réel de Lacan est du côté de la virtualité contre la réalité réelle. Il n’y a pas de trauma sauf fictionnalisé. Prenant l’exemple de la douleur infinie de la torture, elle n’est plus la douleur du corps réel mais la douleur causée par une réalité virtuelle dans laquelle j’évolue : à quand un siège de cinéma sur lequel on serait branché pour sentir des émotions plus vraies que celles de la réalité. On passe outre de la perception (attachée à la notion de perspective). 

Si on prend Hegel avec Lacan (ou après Lacan), le réel est simultanément la chose à laquelle il est impossible d’accéder directement et l’obstacle qui empêche cet accès direct. Le réel est le passage de la première au second : cette antinomie radicale qui semble empêcher notre accès à la chose est la chose elle-même. 

Adorno dira que notre société d’aujourd’hui est l’antagonisme irréconciliable entre la totalité et l’individu.

Notre attitude à l’égard du vide est ambigüe, elle est marquée par l’attirance et le rejet : ou bien le vide c’est ce à travers quoi il faut passer mais d’une certaine façon c’est à travers quoi nous sommes déjà passés.

Lacan distingue ici le lien entre pulsion et sublimation créatrice, créative. Pour que la création puisse avoir lieu, la négativité absolue (d’être relative à elle-même) de Hegel doit accomplir son travail de faire le vide et préparer l’espace pour une création. 

Il s’agit du passage du judaïsme au christianisme : le Christ est l’homme sans qualité; il est plus qu’homme pour autant qu’on puisse dire qu’il est kat’exochen (l’homme comme tel, l’homme sans traits particuliers). Comme pour Rancière à propos de ceux qui n’ont pas de place  particulière dans l’ordre social et qui représentent l’humanité comme telle dans sa dimension universelle. 

(Le partage de midi (Claudel) : midi est la fine limite entre avant et après, le vieux et le nouveau, le réel et le symbolique, entre dieu père chose et la communauté de l’esprit.)

Le premier choix d’Adam fut un choix forcé. Pour Hegel, le 1er choix doit être celui du péché et la différence entre universel abstrait (le péché originel) et universel concret (le salut par la croix). L’universel abstrait c’est Kant : l’universel c’est la loi morale fonctionnant comme un sollen abstrait « de ce qui devrait être ». Hegel souligne combien la véritable universalité s’actualise dans la série des déterminations concrètes perçues par le point de vue abstrait de l’éternellement comme obstacle à la pléni-réalisation de l’universel. Hegel va même plus loin avec sa différence entre le pénis dans sa fonction urinatoire et sa fonction d’insémination : le paradoxe est que le choix de la génération est le plus sûr moyen de le manquer : il n’est pas possible de choisir directement le vrai sens, il faut commencer par se tromper et faire le mauvais choix. La lecture est spéculative après toutes les répétitions, comme effet d’après-coup de la première lecture erronée.

(Dans «  From Atlantis to the sphinx », Colin Wilson dégage l’idée que le dépassement de la limite de la position occidentale trouvera sa force dans l’imagination. Le problème n’est pas d’avoir oublié l’ancienne sagesse antique mais de ne pas avoir assez rompu avec elle). 

Le problème de la Chute n’est pas qu’elle soit une chute mais un qu’elle soit en même temps le salut (que nous prenons par erreur comme une chute). Le mal réside dans le regard qui perçoit le mal. Il faut rappeler la notion de Hegel à propos du jugement spéculatif qui devrait être lu 2 fois. Pour atteindre sa vérité, nous ne devons pas passer à un autre jugement mais relire le même jugement en y incluant notre position d’énonciation. Le véritable universel concret est le mouvement de la négativité qui divise l’universel de l’intérieur, le réduisant à l’un de ses éléments particuliers, l’un de sa propre espèce. C’est seulement à ce moment là, lorsque l’universel perd la distance d’un contenant abstrait et entre dans son propre cadre, qu’il devient vraiment concret.

Kierkegaard dit : le mal est le bien en devenir. C’est à travers son incapacité à livrer sa véritable référence dans la réalité qu’un poème dépasse sa particularité pathologique et acquiert un impact artistique universel.

Chapitre 4 : de la loi à l’amour, aller-retour

Il y a une différence entre la pulsion de mort et le principe de nirvana. Le néant et le niveau le plus bas de l’énergie ne coïncident plus : il est moins coûteux pour le système de persister en quelque chose que d’être, dans le néant, la dissolution de tout ordre. C’est cette distance que soutient la pulsion de mort ; et si nous n’étions vraiment vivants que lorsque nous nous engagions avec une intensité excessive qui nous conduit au-delà de la simple vie. C’est ici la différence entre l’hystérique (Hy) et l’obsessionnel (Ob) pour qui la catastrophe serait qu’il lui arrive vraiment quelque chose. C’est aussi la différence entre Lénine et Staline.

Peut-on réduire Paul à un simple mélange d’excitation morbide et de renoncement ascétique (Lénine) ? l’agapé paulinienne n’est-elle pas précisément une tentative pour rompre le cycle morbide de la loi et du péché qui se soutiennent mutuellement (Staline) ? Il y a 2 excès: l’excès de la vie sur elle-même (Hy) mais aussi la négation morbide de la vie s’attaquant à la 1ère définition de l’excès (Ob). Dans la 2ème occurence on se trouve dans un état d’urgence qui coïncide avec l’état normal. 

Depuis 2001 la politique des USA à l’intérieur consiste à habituer les citoyens à vivre quotidiennement avec la menace d’une catastrophe suspendue au-dessus de leurs têtes et ainsi d’introduire un état d’urgence permanent, comme une stratégie de l’Etat visant à contrôler le niveau nécessaire d’excitation. Les non-morts sont ceux qui ne sont pas morts mais qui ne sont pas en vie et continuent à nous hanter : n’est ce pas angoissant que la prohibition du meurtre porte sur les morts. Il faut souligner que le surmoi de la loi universelle ne dit pas ce qu’il ne faut pas tuer. Et si l’interdit portait sur les morts ! 

Ceci revient à savoir pour quelles raisons acceptons-nous de perdre la vie.

Le Christ sur la croix nous rappelle que nous ne vivons pas éternellement (seul le St Esprit, dans la communauté des croyants accède à l’éternité). Le doute de Jésus touche à sa foi en Dieu. L’inter-passivité nous bénéficie car nous sommes dispensés de douter, le Christ s’en charge pour nous et nous, nous pouvons nous appuyer sur lui. Il n’a pas douté beaucoup, il y en a donc un qui croit vraiment (y a d’l’un). Mais encore plus profondément le Christ est peut-être notre supposé ne pas croire. Et nous pouvons transposer sur le Christ le doute qui nous assaille et récupérer ainsi la fonction de croire.

Il y a 2 façons de lire la relation de la mort du Christ et le péché : de façon légaliste, il y a une faute pour laquelle il faut payer et le Christ le fait ; nous sommes ses débiteurs / de l’autre façon, les hommes sont libérés du péché en partageant la croix du Christ, en mourant à la chair. Adam et le Christ sont des personnes collectives dans lesquelles les gens vivent ! Laquelle des 2 versions est la bonne ? Il faut revenir à la logique du choix forcé et choisir l’interprétation sacrificielle pour arriver à la participative. La lecture sacrificielle est celle dans laquelle le geste du Christ apparait à l’intérieur de l’horizon dont le Christ voulait triompher ; mais nous n’entrons à l’intérieur de l’horizon dans lequel nous mourons pour lui, où nous nous identifions avec lui, qu’en vivant à l’intérieur de l’horizon de la loi où la faute appelle expiation et où le péché a un prix qu’il faut honorer. Le passage est insensible quasi car l’implication dans le respect de la loi morale entame un processus d’énonciation (je fais mienne cette loi qui m’assujettit et c’est ça être libre) aboutissant alors à se retrouver participant à la mort du Christ qui y affirmait cette même liberté. 

Dans un mouvement dialectique, l’amour et la grâce coïncident avec leur contraire radical, avec le fardeau insupportable d’une loi kafkaïenne irrationnelle. 

L’amour apparait comme le nom, voire le masque, d’une loi infinie, une loi qui ne cesse de dire non à tout, au tout. Et on revient à Staline qui savait tout et qu’on aimait comme le chef qui sait. Agamben s’attaque au passage du surmoi hyperbolique à l’amour proprement dit (pour autant que ce passage ait lieu). Y a-t-il aussi de l’amour au-delà de la loi obscène ? En jouant sur la question de genre entre le tout, sa partie et le reste. Ce reste n’est rien d’autre que l’élément en trop qui donne corps au genre, soit une détermination réflexive sous la forme de laquelle le genre se retrouve lui-même à l’intérieur de son espèce.

L’universel qui accède à lui-même (l’homme nazi) est posé « en tant que tel » dans l’écart séparant un élément  particulier non pas des autres éléments mais de lui-même (le juif). En politique le problème est que l’agent singulier de l’universalité radicale est le reste lui-même, celui qui n’a pas de place particulière dans l’universalité officielle fondée sur l’exception. 

Signalons une autre voie, sous-entendue chez Badiou, explicite chez Zizek : celle du pas tout. Mais cette voie sort du cadre, sort de l’espace de la jouissance phallique, régi par le Nom du père.

Agamben et St Paul renvoient à une dimension kafkaïenne de la distance par rapport à la loi. Ils interprètent l’opposition de la loi et de l’amour comme une opposition à l’intérieur de la loi elle-même, comme une opposition entre une loi positive faite de devoirs d’interdictions précises et la loi kafkaïenne inconditionnelle qui en tant que potentialité pure ne peut être exécutée ni même traduite en lois positives, mais demeure injonction abstraite faisant de nous tous des coupables précisément parce que nous ne savons pas de quoi nous sommes coupables. Il faut donc corréler la culpabilité inconditionnelle du surmoi et la grâce de l’amour, soit 2 disproportions (la petitesse de mes fautes au regard de l’exigence surmoïque, le peu de mérite à recevoir la grâce). 

L’excès du surmoi n’est rien d’autre que l’inscription en retour dans le domaine de la loi d’un reflet de la logique d’amour qui abolit ( aufhebung ) la loi. 

Agamben ne répond pas à l’interpellation vers une autre voie. Badiou est nettement plus engagé dans le sens qu’il voit bien qu’il y a une autre voie. Agamben reste en suspens dans le passage.

Ce que l’état d’urgence paulinien suspend est moins la loi explicite qui régit notre vie quotidienne que sa face cachée obscène et non écrite. Nous devons suspendre notre investissement libidinal obscène sur la base duquel la loi sollicite sa propre transgression. Car c’est ainsi que fonctionne la loi juive ! C’est déjà une loi privée de son supplément de surmoi (jouis !). 

L’excès de l’amour pour la loi est-il un mode d’apparition d’une loi-surmoi ?ou la loi-surmoi excessive est-elle la manière dont la dimension d’au-delà de la loi apparait à l’intérieur du domaine de la loi de sorte que le pas essentiel à franchir est le pas menant de la loi excessive à l’amour, de l’amour tel qu’il apparait dans le domaine de la loi de l’amour au-delà de la loi ? Dire que la loi est insurpassable, c’est être d’un point de vue juif. Pour Lacan, seul Spinoza, l’excommunié de sa communauté, tient la position du 2ème point de vue.  

La première épitre aux corinthiens révèle une évidence paradoxale de l’agapé de l’amour par rapport au tout. La charité existerait même si nous possédions toute la connaissance. Mais la charité n’existe que pour des êtres incomplets : même quand il est tout, le champ de la connaissance est incomplet. L’amour est ce rien qui rend incomplet même ce champ complet. Dans la charité je ne suis pas quelque chose mais en quelque sorte un rien humblement conscient de lui-même. L’incomplétude est supérieure à la plénitude. 

Dans le christianisme, l’être aimant est élevé au rang de Dieu mais il n’y a pas de chemin direct conduisant de la soumission à la loi vers le pas tout. Celui-ci ne s’ouvre comme espace qu’à travers la traversée du fantasme. Soit en dehors de la religion. Le problème du judaïsme n’est pas d’être trop attaché à la loi mais de ne pas l’être assez, attaché. Pas tout du sujet est à l’intérieur de la figure de la soumission à la loi : il n’y a rien du sujet qui échappe à sa soumission à la loi.

Et voici de nouveau Hegel : le problème de la loi n’est pas qu’elle ne contient pas assez d’amour mais au contraire que la loi contient trop d’amour. La vie sociale m’apparait dominée par une loi imposée de l’extérieur et je ne peux m’y reconnaitre dans la mesure où je continue à m’accrocher à l’immédiateté de l’amour qui se sent menacé par le règne de la loi. La loi perd son caractère aliéné de force étrangère s’imposant brutalement au sujet, au moment où le sujet renonce à son attachement à l’agalma pathologique au fond de lui-même.

La loi éclaire le fait que l’homme est pécheur, que ce soit parce que son désir coupable le conduit à transgresser ou parce que son désir se déguise en zèle pour obéir à la loi. Comment comprendre sauf à insister sur l’identité absolue des 2 gestes : la chute hors du paradis terrestre est un asservissement aux passions, soit exactement la caractéristique de la dimension de laquelle nous chutons. Le mouvement de la chute ouvre, crée ce qui se perd en elle. Ce mouvement est celui d’un débranchement.

Nous voyons ici que la pensée de Zizek tient plusieurs fils dans sa main : avec Paul mais aussi avec les juifs ; avec Hegel mais aussi avec Lacan ; avec Rancière mais aussi avec Agamben ; avec Chesterton mais aussi avec la littérature, la poésie, la fiction.

Agamben parle de faire comme si. Par la référence à la loi, les juifs de la diaspora maintiennent une certaine distance vis-à-vis de la société au sein de laquelle ils vivent. Alors que les autres lois (païennes) régulent les échanges sociaux, la loi juive introduit à une autre dimension, celle de la justice divine. Cela n’a rien à voir avec le concept païen de justice qui est un retour à l’équilibre du juste milieu. La loi juive rappelle sa position inverse par rapport à celui qui réaffirme le droit comme la puissance du tout sur ses parties. Quand ils débranchent, les juifs maintiennent une certaine distance par rapport à la société où ils vivent, mais pas au nom d’une identité substantielle différente (ceci c’est la position des nazis). Quand un chrétien nazi perd la médiation de la loi juive, il perd la dimension spécifiquement chrétienne de l’amour lui-même. L’amour chrétien vrai a besoin d’une certaine distance qui se nourrit des différences (il n’y a donc pas ici d’effacement des limites ni d’immersion dans l’un). Ceci ne vaut que pour le chrétien qui lie le côté droit au côté gauche du tableau de la sexuation, mais pas pour le juif car de l’intérieur, l’expérience juive est une combinaison de la loi nouvelle qu’il introduit et de l’amour païen, ce qui explique sa tension interne. Et cette tension n’est pas la tension chrétienne car il reste totalement du côté gauche du tableau.

Chapitre 5 : la soustraction, juive et chrétienne

Cela commence par le Cantique des Cantiques. Celui-ci met l’homme face à l’incommensurable de l’amour divin et le poème trouve les mots pour faire passer l’angoisse devant un tel mystère, comme un mode de vie.

Le judaïsme se défend du christianisme par 2 affirmations : l’angoisse du réel traumatique de la loi de l’abîme du désir de l’autre ne se retrouve que dans le judaïsme (le christianisme dissimule cet abîme au moyen de l’amour) ; loin de n’être qu’une religion de l’angoisse, le judaïsme est aussi une religion de l’amour, d’un amour encore plus intense que celui des chrétiens, à condition de prendre le Cantique des Cantiques comme une métaphore, comme de l’idéologie à l’état pur (l’idéologie étant un atténuation imaginaire d’un réel traumatique, soit l’insupportable rencontre divine avec un visage humain).

Le passage au christianisme se fait avec la figure de Job. Il refuse toutes les explications qui tenteraient de justifier sa souffrance qui est pour lui du pur non-sens. Job dans sa plainte dénonce en fait l’impuissance de Dieu. Dieu avec Job meurt en montrant sa propre impuissance et après ressuscite sous la forme du St Esprit. Job comprend que ce n’est pas lui mais Dieu qui est mis à l’épreuve à travers ses malheurs : aujourd’hui c’est mon tour mais attend demain, ton tour viendra ! Dans le christianisme il n’y a pas d’histoire non dite, il n’y a rien de réservé pour les rites d’initiation. Rien n’est révélé : derrière le rideau du texte public, il n’y a que ce que nous y mettons.

La reconstitution tentée par Freud dans « Moïse et le monothéisme » est une histoire fantasmatique qui hante la tradition juive. On devient membre d’une «communauté » quand on adhère à cette dimension, celle des fantômes non morts qui hantent les vivants. C’est ça qui a permis aux juifs de survivre sans terre et sans tradition institutionnelle commune. Le paradoxe c’est que le judaïsme maintient  son attachement à cet événement traumatique (le meurtre de Moïse) en ne le reconnaissant pas. La scission entre les textes officiels (Torah, Midrash, Talmud) d’avec la Kabbale reproduit la tension à l’intérieur du judaïsme entre la loi symbolique pure et son supplément de surmoi, logé dans la connaissance initiatique païenne. Mais cet attachement n’est pas par rapport aux fantômes de l’obscène (secrète) sagesse initiatique païenne mais plutôt à l’inverse, un attachement à l’histoire de l’impuissance cachée derrière les suppléments obscènes païens classiques.

Et c’est ce secret qui est dévoilé par le christianisme. Le judaïsme nous met, nous chrétiens, face au paradoxe de la liberté humaine : il n’y a pas de liberté en dehors de la rencontre traumatique avec l’opacité du désir de l’autre, privé de la couverture fantasmatique qui me dit ce que l’autre veut de moi. Dans cette situation angoissante – Dieu veut quelque chose de moi, Job, mais je ne sais pas quoi. Je suis renvoyé à moi-même, forcé d’assumer le risque de déterminer librement les coordonnées de mon désir.

Heidegger pointe que l’être pour la mort est à situer dans le passage de l’être à travers la mort individuelle jusqu’à l’historicité d’une collectivité. Pour Rosenzweig, la différence entre chrétiens et juifs c’est que le foyer de l’angoisse qu’ils connaissent tous les 2 est déplacé dans l’intime de leur rencontre avec Dieu chez les chrétiens (protestants), alors que l’angoisse concerne les juifs comme entité collective n’ayant pas sa terre (exil) et menacé dans son existence comme peuple. Si bien que Heidegger n’a pas vu que ce passage à l’historicité d’une collectivité n’est légitime que pour les juifs : Heidegger, du haut de sa chaire de maître en philosophie – dans le prolongement de son acte d’allégeance au Führer pour garder sa place de recteur, légitime à tort, c’est à dire par une imposture, le peuple allemand dans cette dimension de destin. Les chrétiens sont les « vrais » enfants d’Abraham ! Le St Esprit désigne une nouvelle collectivité, soudée non pas par un S1 (fini donc la lecture freudienne de Totem et tabou et de Moïse et le Monothéisme, obsolètes par rapport à la politique depuis une place d’exception) mais par la fidélité à une cause nazie, par l’effort pour traverser une nouvelle ligne de séparation qui court par delà bien et mal, qui traverse et suspend les distinctions du corps social existant. On a ici le rejet de tout communautarisme : l’univers de Heidegger n’est plus celui d’une multiplicité de groupes qui veulent trouver leur voie (voix) et affirmer leur identité particulière, mais celui d’une collectivité combattante enracinée dans la référence à un universalisme inconditionnel. 

La soustraction est au coeur de l’identité juive : les nazis ont voulu les supprimer parce que les juifs sont la part qui n’est pas une part. Ils ne sont pas une nation parmi les autres nations mais un reste, qui n’a aucune place dans l’ordre des nations (il n’existe pas un qui soit en position d’exception dans l’autre ordre : moins que un c’est zéro). Le juif est un reste, un survivant, un dedans dont le dehors a été saisi par le comportement du monde et emporté par lui, …alors que lui-même, c’est à dire ce qui reste de lui, demeure au rivage : en lui quelque chose demeure en attente. Les juifs sont un reste de l’humanité comme telle dans la mesure où elle a été abandonnée par Dieu !

Avec Paul, on revient à l’universalité : pour lui les chrétiens sont le reste de l’humanité. Nous, tous, l’humanité entière, en tant que rédimés, sommes considérés comme reste. Mais de quoi ?Hegel a l’idée selon laquelle toute totalité universelle est divisée : en sa partie (espèce particulière) et son reste. Il faut avoir en tête ce qu’est une division qui ne tombe pas juste. La partie dans son opposition à l’universel est l’élément obscène de l’existence : l’existence réelle de la Loi, soit sa puissance opératoire sous l’égide d’un Un qui est exceptionnel. 

Walter Benjamin distingue le langage en général du langage humain qui est toujours particulier. La structure pure du langage est privée des insignes de la finitude humaine, des passions érotiques et de la mortalité des luttes pour la domination et de l’obscénité du pouvoir. Le langage particulier est donc le langage réellement existant … Et il faut pourtant introduire une différence minimale en la concevant par rapport à l’écart qui le sépare du langage comme tel !

Et ça c’est contre la pensée d’Habermas. Insistons. La partie comme telle est l’aspect non rédimé et non rédimable du pêcheur côté universel. Toute politique qui se fonde sur la référence à une particularité substantielle (religieuse, ethnique) est réactionnaire, il est collé du côté homme. Mais la division introduite par la lutte des classes n’est pas la division entre 2 classes particulières du tout mais entre le tout en ses parties et le reste qui à l’intérieur des particularités représente l’universel, représente le tout comme tel opposé à ses parties (il y a plus dans le tout que dans la somme des parties). 

Les 2 définitions du reste sont : le reste comme ce qui reste après soustraction de tout particulier et le reste comme résultat dernier de la division où nous n’obtenons plus 2 parties particulières (éléments) mais un quelque chose, mixte, fait du résultat d’une division qui ne tombe pas juste et d’un rien. 

Dans la perspective de la rédemption ou du jugement dernier paulinien, la partie non rédimée est irrévocablement perdue (avec Paul, le salut concerne tout le monde), jetée dans le néant (personne n’est en reste comme oublié du système). Et il ne reste que le reste lui-même. Ce qui dans le cadre de l’ordre établi compte pour rien – les sans parts -, deviendra tout (chant des révolutionnaires appelé l’Internationale). Ce reste oublie le rien !

Mais qu’est ce qu’on trouve du côté droit du tableau de Lacan sur la sexuation, sinon un appel à «  moins que rien » ? Contre Habermas, il faut faire valoir BenjaminLuxembourg et Agamben. La notion de kairos (événement) est faite d’engagement sur un pari et du hasard d’un coup de dés. Ça c’est féminin et c’est violent car il ne faut pas attendre le bon moment car il n’arrivera jamais. Il faut prendre des risques et se lancer dans des tentatives révolutionnaires parce que c’est à travers la succession de tentatives prématurées (des échecs) que sont réunies les conditions subjectives du moment de l’engagement. L’état d’urgence révolutionnaire s’oppose à l’état d’urgence totalitaire et libéral qui fait la guerre à la Terreur. Nous approchons d’une sorte de fin du temps, prise dans la spirale explosive du capitalisme global. On ne peut déduire l’urgence du temps messianique d’une analyse objective du processus historique. Le temps de l’événement est une sorte de boucle à l’intérieur de ce temps. Il n’y a pas d’événement en dehors de la décision subjective et engagée qui le crée. Dans une authentique révolution, la prédestination et la responsabilité se recouvrent. Le plus dur nous attend le lendemain quand il s’agit de traduire dans un ordre nouveau des choses, cette explosion, et d’y rester fidèles.

Le passage du judaïsme au christianisme se concentre dans le statut du Messie. La chose a eu lieu, nous avons donc à porter un fardeau presque insupportable et à nous montrer à la hauteur en tirant les conséquences de cet acte. Soit l’homme est constamment actif mais c’est l’acte divin qui décide de l’issue. Soit c’est l’arrivée du Messie qui fonctionne comme un signal déclencheur d’activité. On peut dire dans la 2ème occurence, que l’humanité devient le grand Autre détrônant les dieux (Lacan). Dieu a fait un pari , un acte risqué en fournissant un S1 vide et c’est à l’humanité de le compléter avec la chaîne des S2. L’acte divin n’est plus un point final mais il ouvre à un nouveau commencement où c’est à l’humanité de décider de sa signification. C’est nous qui devons aider Dieu : l’exception fondatrice tombe dans sa propre création (Dieu tombe dans l’homme) et c’est ça le non-mystère de l’incarnation.

Ecce homo ! L’homme signale la non coïncidence de l’homme avec l’homme, l’excès proprement inhumain qui trouble l’identité de l’homme.On sent constamment dans cette partie Zizek en lutte avec Jacques Alain Miller : pour ce dernier il est impossible d’achever le trajet jusqu’au « pas tout » (sans doute que c’est pareil pour Lacan). Jacques Alain Miller cale sur « il n’y a pas de x pour qui pas phi de x ». Zizek cherche lui à aller jusqu’à la fin… il faudra relire «  Moins que rien »  pour le voir dépasser le trajet qui dans ce livre reste suspendu. Tout comme Paul, Agamben et bien d’autres mais pas Hegel, lecteur de Lacan.