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La Malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique


Auteur du livre: Frédéric Lordon

Éditeur: Les liens qui libèrent

Année de publication: 2013

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De quoi s’agit-il ? Rien de moins que d’une menace sur la notion clé du phénomène démocratique : la souveraineté. Et donc du rôle d’un Etat dont une des prérogatives est la création monétaire. Une théorie est sous-jacente selon laquelle la dévolution du pouvoir est affaire d’ajustements institutionnels : le pouvoir est un effet de la configuration des structures et celles-ci sont le produit de politiques publiques.

Première partie : impasses de l’Europe

Chapitre 1 : teratologie politique

Le point de départ du chapitre est l’histoire de la déréglementation internationale des marchés des capitaux.

Au départ de cette histoire, on est dans un contexte d’inflation chronique propre aux années 1970. À ce moment, il y a eu 1) un renversement de situation en faveur des créanciers et 2) l’éviction de l’Etat des fonctions attachées aux banques centrales (BC) ainsi que de son rôle d’emprunteur grâce à des obligations dans le financement des déficits. À partir de 1980 les USA expérimentent une politique de déficit budgétaire permanent et d’insuffisance de l’épargne domestique, impliquant que c’est le reste du monde qui paierait la folie US.

En France la loi de 1986 répercute une volonté allemande d’interdire les restrictions aux mouvements des capitaux non seulement entre Etats membres de l’Union européenne (UE) qu’avec l’extérieur. Et cela porte atteinte au Traité de Rome. On est dans la période de la commission Delors-Lamy face à Hans Tietmeyer à la tête de la Bundesbank. Ce dernier avoue qu’il s’agit d’un test chargé de vérifier la solidité du système appelé « serpent monétaire » (SME) car quand on fera l’euro, l’Allemagne redoublera son emprise en imposant l’exposition des politiques économiques nationales à la puissance normalisatrice des marchés financiers mondiaux. Après coup la crise des dettes souveraines apportera la preuve de la folie US.

Est-ce que la sociologie et la philosophie politique peuvent éclairer la raison pour laquelle les Etats nations ont accepté de céder leur souveraineté aux marchés des capitaux internationaux ? On voit ici qu’il y a eu apparition d’un tiers au contrat social : il y a un intrus dans l’idée que le corps social est le seul bénéficiaire légitime des politiques publiques, en contrepartie de son accord de cession à l’Etat de la souveraineté qui appartient au peuple. (Exemple avec la politique des retraites en 2010 sous Sarkozy quand il s’est agi de conserver la notation AAA pour que la France puisse accéder au marché des capitaux). C’est Polanyi qui argumente le mieux que toute atteinte portée au principe du contrat social menace le corps social au même titre que l’avait fait la décomposition individualiste en lien avec le premier libéralisme.

Le modèle européen des règles surajoute un autre fléau

C’est là la première caractéristique du néo-libéralisme dans sa variante dite de l’ordo-libéralisme allemand. Il est faux de croire qu’il y a dans le projet européen une dimension constructive orientée vers la constitution d’un Etat Fédéral Européen.

Après Foucault, l’analyse des institutions passe de la logique de tout permettre sauf ce qui est interdit (définition négative) à une positivité : l’inflation de la juridicisation augmente la productivité des dispositifs institutionnels. On passe du pouvoir normalisateur à la bonne gouvernance. On veut activement la mort de l’Etat. La financiarisation au pouvoir cherche l’accaparement de ce pouvoir pour les seuls créanciers, d’où les règles de l’équilibre budgétaire pour rendre la dette soutenable et garantir le non défaut ; d’où la lutte contre l’inflation pour préserver la valeur réelle des actifs. Il faut bien voir que ce mécanisme des règles accapare l’opinion des gens, en les focalisant sur des seuils qui agissent comme des transgressions menaçant l’édifice. La suppression dans le système des règles de tous les degrés de liberté appartenant à une souplesse vitale est génératrice de réactions amplifiées par des acteurs spéculatifs. Agir discrétionnairement est le propre de la souveraineté. Mais l’UE n’en veut pas car il est inadmissible que le peuple décide contre les intérêts du capital. Derrière les cris d’orfraie, il y a le cynisme d’une manoeuvre qui veut laisser vide la puissance publique afin de laisser la place aux puissances privées. On touche ici au legs de la Révolution Française : c’est extrêmement dangereux et on voit monter en puissance l’extrême-droite. Sauter au dessus du non au Traité de Rome en 2005 est le pas cynique de trop.

Chapitre 2 : d’une impasse, l’autre. TSCG et eurobonds

L’Europe (UE) n’a pas de politique.

Le « 2Pack » et le « Traité sur la coordination et la bonne gouvernance » (TSCG), c’est de la conduite des affaires moyennant une constitution de règles. Ce qui est frappant c’est la Nov-langue utilisée poussant les parties contractantes à soutenir la commission quand elle met à l’index un pays et ce en favorisant la délation : si la commission ne voit pas qu’un pays défaille, elle attend que chaque Etat membre le constatant en appelle à la Cour de Justice chargée de sanctionner le contrevenant. Or on est alors en pleine récession et c’est contre-productif de faire de la discipline budgétaire. 

Le Traité affirme que tout budget est en équilibre et ou en excédent mais jamais en déficit ! On y parle uniquement des soldes structurels, soit le déficit constaté si l’économie est en plein emploi de ses capacités productives. La commission minimise l’écart conjoncturel en parlant du devoir de réduire tout déficit (excès de dépenses publiques) à la schlague ! On peut éventuellement tolérer un déficit conjoncturel temporairement puisqu’il ne peut y en avoir…longtemps.

Il est clair que si la politique est faite de délibération démocratique alors il n’y en a pas.

Comme on ne peut faire de politique, faisons de l’économie : les eurobonds

En 2011 la zone euro affiche un déficit de 4,1% du PIB (règle = 3,5) et une dette de 87% du PIB (règle = 60). C’est mieux que les USA et l’UK. L’Europe pense alors à uniformiser et homogénéiser ses marchés de dettes publiques, car cela calmera la défiance des marchés financiers et on obtiendra des taux d’intérêts avantageux. Mais on ne s’entend pas sur ce qu’on appelle mutualiser les dettes : ce qui est en deçà de 60% ou au delà. La seconde option règle le problème du risque de défaut individuel. Mais l’Allemagne n’est pas d’accord car le montant qui est de 8,6 trillions d’euros pèse trop sur le taux de l’eurobond à créer pour couvrir cette dette cumulée au niveau de toute l’UE. Ce taux est en théorie inférieur à la moyenne pondérée des taux d’emprunts en couverture de dettes nationaux actualisés mais serait supérieur à ce que l’Allemagne obtient sur les marchés pour son seul compte. Plus fondamentalement ce que l’Allemagne n’aime pas dans cette logique de mutualisation c’est son effet centralisateur avec constitution d’une Agence Européenne de la Dette. Et ça c’est l’amorce d’un Trésor Européen. Le jugement des créanciers commencerait à regarder l’Europe comme un Tout par une péréquation de l’évaluation. L’Allemagne s’accrochera au principe « no bail out »…comme clause de non renflouement. En principe l’Allemagne a déboulonné la normalisation des partenaires par le marché. Et en pratique face aux tensions entre les bons élèves et les autres, on a vu apparaitre les opérations de sauvetage à travers les mécanismes de la FESF et plus tard le MES (termes techniques expliqués sur le Net).

Il n’en reste pas moins que la gestion « politique » par les règles ne marche pas. 

 L’Allemagne est et reste aveugle sur tout sauf à ses intérêts. Elle mettra en place les troïkas  (FMI, Commission et BCE) pour mettre au pas les pays qui ne respectent pas les règles, ses règles. On est bien dans un rapport de pouvoir à travers une vassalisation technocratique.

Chapitre 3 : de la domination allemande  (ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas)

Il y a une idiosyncrasie allemande. Mais au moment de la création du projet européen, l’Allemagne ne s’en est pas cachée. Or on a voulu faire l’UE avec elle.

Critiquer l’Allemagne n’oblige pas à glisser dans la germanophobie.

Il y a dans toute société des invariants symboliques à long terme. Le grand mythe allemand d’après guerre est monétaire comme point d’investissement de substitution d’un sentiment national interdit d’expression patriotique chauvine. Le roman allemand tient l’hyperinflation de  1923 comme matrice du nazisme alors que celui-ci démarre en 1932 dans le contexte de la grande dépression du gouvernement de Brüning (qui était pour une austérité en fait contracyclique).

En 2012 la BCE va se mettre en travers d’un enchaînement fatal à l’UE en raison de la rigidité de Berlin

La BCE met en place le principe de l’  « outright monetary transaction (OMT) ». Elle décide d’intervenir dans les marchés secondaires pour racheter si nécessaire en quantités illimitées des dettes souveraines attaquées. Même en Allemagne il y a des fractures quant à la « politique » à tenir.

En Allemagne on a un pays, et c’est unique, qui intronise dans une église le directeur de la Bundesbank (Tietmeyer à Francfort). C’est en Allemagne que se trouve implantée la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe comme barrage contre la BCE. C’est en Allemagne que deux leaders de cette même BCE s’affrontent (Asmussen-Weidmann). C’est en Allemagne qu’on invoque la monnaie avant la démocratie.

La BCE pour Schaubble n’est pas une institution indépendante qui peut agir de façon non orthodoxe comme la FED aux USA. Au bout du compte l’Allemagne en sort malmenée. En Allemagne il y a à défendre la germanité. En Allemagne il y a l’Etat et puis l’industrie. L’industrie ne suit qu’une logique capitaliste mais l’Etat, lui, est mal placé car il est coincé par son rôle de shérif, réticent, responsable malgré lui, de la fonction de devoir endosser des sujétions policières. L’Allemagne est encombrée par sa propre domination.

Il y a un écrit de Kindleberger qui analyse la situation avec une théorie de la stabilité hégémonique.

Il faut savoir être à la hauteur des devoirs qui vous incombent de fait. Est-ce que le mark peut remplacer le dollar comme hegemon ? L’Allemagne n’a le poids que d’imposer ses vues sur la monnaie. Et la crise en a eu raison. Si elle ne cédait pas, c’était tout le poids qu’elle a, qu’elle perdait. Et pourtant elle voulut garder l’hegemon sans en payer le prix. L’Allemagne ne peut plus penser qu’à elle seule si elle veut soumettre les autres à ses vues. En fait l’Allemagne a peur. Pour intégrer différents Etats, il y a à tenir compte des héritages historiques, des complexions structurelles, des rapports de compatibilité ou d’incompatibilité qui en résultent

Deuxième partie : en sortir

Chapitre 4 : l’éclaireur grec

La situation de la Grèce intenable dans l’UE ne s’explique pas uniquement par une mauvaise tenue de l’assiette fiscale à laquelle échappent ceux qui contribueraient le plus à une politique budgétaire nécessaire. Cela tient surtout à une obligation liée aux règles de l’UE, la condamnant à une politique de récession dans un contexte où il faudrait provoquer une relance et une croissance. L’aveuglement des troïkas condamne à terme l’UE elle-même car d’autres pays sont aussi dans une situation précaire, surtout dans le sud de l’Europe mais pas seulement.

Il y a à penser la Grèce comme un éclaireur et y expérimenter une sortie de la zone euro.

Pour cela il y a à choisir un défaut complet de la dette souveraine, un réarmement de la BC nationale, une dévaluation de la drachme, une reprise en main du secteur bancaire l’obligeant à changer ses politiques commerciales, un contrôle des capitaux. À contrario de ceci, la troïka a travaillé à refinancer les banques grecques, ce qui eut pour effet de surendetter tous les contributeurs de la zone euro dans un mécanisme qui in fine enrichissait les créanciers, à savoir les banques allemandes. On a argumenté sur les pertes possibles de la BCE exposée à la dette grecque par sa politique de rachat ferme sur les marchés secondaires et par ses programmes de refinancement bancaire LTRO chargeant son bilan de collatéraux douteux. C’est faux évidemment puisqu’il n’y a pas à appliquer les règles valant pour les banques commerciales à la BCE : la BCE monétise ses propres pertes.

En passant rappelons qu’il n’y a dans l’économie et le social que des ancrages institutionnels : le système monétaire lié à l’étalon or n’est pas plus réel qu’un autre. Les instances de l’UE ont décidé que la Grèce ne pouvait pas faire défaut car il s’en suivrait un événement catastrophique pour la BCE, aliénée à la dette grecque par sa politique de rachat. Soit une idéologie monétariste.

La sortie de la Grèce de la zone euro est-ce une catastrophe ?

Ceci ne dit rien sur la réaction de l’opinion de la finance qui pourrait être soulagée de la disparition d’un poids mort. On ne sait pas ce que serait la réaction des pays en même difficulté dans la zone euro ; on pourrait avoir une libération collective. En fait la BCE enrayera ce processus potentiel. 

Ceci dit, le mal est dans le fruit. Et cela date de la crise des subprimes car notre système bancaire est infesté de produits dérivés pourris importés depuis les USA. Il a fallu séparer les dettes nationales en deux et refuser de payer la part pourrie. Mais il aurait fallu que les intérêts souverains soient équivalents à ceux que les BC accordent aux banques privées pour les tenir à flot et diminuer de 20 à 40% de PIB la dette publique au moins. On a décidé plutôt de mettre à genoux des populations entières en refusant ses appels à la solidarité, pour accorder tout aux créanciers et aucun droit aux débiteurs de vivre dignement. On mesure bien ici que faire défaut est un acte politique.

Ce qui mettrait à mal les banques privées commerciales 

Exact. En effet elles sont infectées par les dérivés pourris et tout assainissement réel de leurs bilans les appauvrira, ce qui par ricochet touchera aux fonds de pension et au secteur des assurances. Mais c’est quand certaines banques ou toutes vaudront zéro que l’Etat les rachètera. Les nouvelles BC nationales injecteront ensuite la liquidité dans les banques nationalisées. 

Reste la question des dépôts des petits épargnants qui ne seront garantis qu’à hauteur d’un certain plafond légal. Pour les titres on peut penser à un système de compensations des pertes.

Pour avancer sur cette voie politique, il faut nettoyer les têtes à propos de la différence entre BC et banques privées. La création monétaire n’est pas inflationniste en soi. La restauration des dépôts s’inscrit au passif des banques et y reste, cela ne coûte pas d’argent. La seule contrainte c’est la liquidité pour servir les déposants qui font des retraits. Attention aux « runs » tout en sachant que ce phénomène peut être contrecarré si la BC garantit la liquidité des banques et que l’on empêche la spéculation. Contre les arbitrages  des plus fortunés pour maintenir leur pouvoir d’achat international sur leurs encaisses monétaires menacées par la perspective d’une forte dépréciation, on peut utiliser temporairement le dispositif Corralito qui interdit l’accès des déposants à leurs fonds. Un contrôle des capitaux doit empêcher de faire partir à l’étranger le cash des entreprises.

Reste le gros problème de la baisse de cash-flow des banques. Il faut travailler sur le déséquilibre actif/passif car c’est avec ce dernier que la banque fait des opérations, dont elle attend un return qui ne viendrait pas en période de chaos. Pour rappel l’Islande a alors refusé d’honorer le service de créances acquises sur elle par des investisseurs internationaux. Vu les effets systémiques des crises engendrées de pays à pays, la simultanéité vaudra réciprocité. Quant aux passifs bancaires résidents ce sont des prêts interbancaires compensables ; pareillement avec les assurances. Évidemment les banques doivent se contenter de faire des crédits à l’économie réelle. Les ratios de solvabilité liés au système néolibéral d’avant crise n’auront plus de raison d’être.

L’Etat n’a pas vocation à jouer les banques en son nom. II s’agit de transformer le pôle public unifié du crédit en un système socialisé du crédit dans lequel les banques retrouvent autonomie et localité. En lien avec l’invention d’un syndicat des parties prenantes en phase avec des bassins économiques locaux. Soit une démocratie locale du crédit. La production coopérative appelle ses conditions de possibilités spécifiques. Le peuple oublié fait retour. L’Europe de la paix inventée par les instances de l’UE fait la guerre, comme machine de destruction du social. Il faut refaire l’Europe et sans l’Allemagne.

Chapitre 5 : la possibilité du national

La gauche supporte longtemps que l’Europe sociale tarde à venir.

Or c’est dès le début que la CECA et la genèse d’un marché commun ont reporté ce projet aux calendes grecques.

La propriété de non ergodicité propre aux trajectoires dites à « path dépendance »* fait que l’UE s’est progressivement enfermée dans une configuration institutionnelle durcie autour des principes néolibéraux au point que la doctrine est devenue consubstantielle à la structure (processus d’urne)*. Mendes France met pourtant en garde en 1957 devant l’Assemblée nationale.

(*) ce raisonnement de mathématique statistique s’applique au fait que le projet européen sort petit à petit d’un champ ouvert à des corrections de trajectoire pour se trouver coincé par ses choix précédents dans une idéologie qui lui fut imposée de l’extérieur.

Il faut lire la période 1945 à la lumière du fordisme soit un protectionnisme sur les marchés de biens et services, avec contrôle direct des investissements directs à l’étranger, restrictions à la liberté d’établissement, encadrement très strict de la finance, limitation rigoureuse des  mouvements internationaux des capitaux. 

On a alors une croissance de 5% l’an et le plein emploi. Ce qui explique le fait qu’on est leurré par la doctrine de la mondialisation, car la raison de cette idéologie est de contourner les pôles de souveraineté étatique tels qu’ils régnaient en ces temps-là. 

Aujourd’hui, la solution nationale a pour propriété que les structures institutionnelles et symboliques de la souveraineté sont là déjà et donc sont toujours réactivables.

L’idée que la seule politique économique possible doive tourner le dos à la relance keynésienne pour favoriser les stratégies de type « désinflation compétitive » est acquise en France dès 1983. L’UE s’est constituée sur ce répondant des oligarchies dans plusieurs pays européens. C’est le néolibéralisme européen qui remplira les cerveaux socialistes par défaut car un vide a surgi dans la suite de la défaite du programme commun. Là où l’intelligentsia française de gauche est déboussolée, l’Allemagne sait où elle va et s’appuie sur les lignes de force héritées de son histoire. 

Il est moins simple de faire bouger un système de gouvernement comme l’UE qu’un État nation. Le retour au national a pour vertu de déconstitutionnaliser le problème mais pour ça il faut sortir de l’Union. L’européanisme trouve dans la gauche des relais d’idées autour de la crainte que revenir à une économie nationale plongerait dans une guerre des changes au risque de dévaluations successives. Rappelons que de 1945  à 1985 les rapports monétaires n’ont pas été hors contrôle. 

On peut aussi construire une monnaie commune permettant de dévaluer plutôt que de demander aux salariés de supporter les déséquilibres des rapports. Bien sûr cela réclame un processus ordonné de négociations politiques. La concorde ne peut pas exister dans le capitalisme. Il jette les uns contre les autres dans des rapports de concurrence entre entités économiques.La dichotomie coopératif/non coopératif renvoie à l’opposition distordu/non distordu en matière de concurrence. On admet l’imposition de tarifs pour corriger les déséquilibres dans les structures socio-productives. On accepte le protectionnisme pour sauver le bon niveau de salaires au prix de l’inflation. On dira « coopératif » pour dire « faire cavalier seul au départ en pariant que cela fera tache d’huile « .

 

Chapitre 6 : excursus : un peuple européen est-il possible ?

La gauche européaniste le croit.

Venons en à Spinoza

Un corps collectif composé d’une plus grande variété est plus riche en manières d’être affecté et en pouvoirs d’affecter, et c’est ça la puissance. Mais à propos des ensembles politiques aujourd’hui, trouver l’optimum défini par la maximisation des bénéfices de variétés sous contrainte de cohérence d’ensemble, c’est une vraie question. Et elle est à résoudre avant de se lancer dans une expérience supranationale comme une fédération. 

Les conditions ne sont pas réunies quand le médium scolaire a viré en formation professionnelle et quand il n’y a pas de service militaire obligatoire ni d’obligation fiscale commune. Normalement c’est l’Etat qui contraint. Cela existe dans les États nation mais l’Europe n’est pas un État (fédéral).

On ne s’en sortira pas avec Kant qui invente le droit à l’hospitalité et le cosmopolitisme universel (ius civitatis)

Tout autre est la mise en place d’un agencement institutionnel pour conduire des politiques communes. Pour promouvoir la circulation des personnes, l’Europe en appelle au bon vouloir d’Etats conduits par les maximes de la raison pratique. Rien de concret. À Bruxelles on veut une fédération d’Etats ce qui n’est pas un État.

Spinoza va plus loin que Kant dans son Traité de Théologie Politique : on ne peut se fier à autrui s’il n’y a rien de plus que des promesses, il y faut une utilité. Ou alors une force extérieure : l’enforcement. La force qui tient les parties entre elles en association, c’est l’Etat. La force en dernière instance c’est la puissance de la multitude conçue comme composition des puissances individuelles, mais telle qu’elle s’autonomise pour dominer chacune des puissances individuelles. La potentia multitudinis est au principe d’un effet de transcendance immanente par lequel le produit de composition s’élève au dessus de ses constituants pour les dominer tous. C’est cette potentia que captent les États et d’où elles tirent le pouvoir de régner à travers un mécanisme de dépossession appelé impérium. 

Le contrat social à la Rousseau ne tient pas la route 

En droit des affaires, il y a un argument appelé affectio societatis, affinité personnelle que doivent entretenir les apporteurs de fonds qui s’assemblent pour former une société de capitaux. Par extension on pourrait parler de affectio civitatis ou affectio communalis.

Comme le dit Spinoza la Nature ne crée pas le peuple. C’est l’Histoire.

Il y a à partir de l’affect commun. Cet affect reconnaît  que la complexion passionnelle collective est une articulation de divers et de commun mais surtout une articulation du divers sous le commun. Il y a à passer par un certain rapport de puissance entre affects communs globaux et affects communs locaux.

Il y a à déproblématiser le local. (Chose qui a été faite entre l’Ardèche et Paris). Mais ce n’est pas le cas entre l’Allemagne et la Grèce. Ici il n’y a pas de mécanismes de solidarité sous forme de transferts financiers inter régionaux. Il n’y a pas de solidarité institutionnelle ou instituée. C’est le défaut d’affect commun d’appartenance globale qui conduit à problématiser des contributions privées d’institutionnalisation politique. Pas moyen donc de sauter au dessus de Spinoza. Pour refaire l’Europe, ne pourrait-on avancer sur le chemin d’une revendication active de souveraineté par une communauté, comme opérateur de sa constitution en peuple ? La vision moderne de Spinoza c’est de dégager un affect politique primaire des sociétés, un affect constitutif d’un imaginaire politique européen. On est ici à un rendez vous de l’histoire.Il faut distinguer État et nation. La nation est un produit comme communauté politique à partir d’une revendication première de souveraineté. Il ne faut pas abandonner le paradigme stato-national. À côté il y a au plan de la nation à faire place au désir commun de maîtrise d’un destin collectif. Pour décider en commun il faut la capacité à refaire les regroupements, à retracer les lignes de division, pour substituer aux clivages dominants présents des clivages transversaux. Ici on doit travailler la question de l’acceptation d’une loi majoritaire.

Chapitre 7 : pour une monnaie commune sans l’Allemagne 

L’authentique intégration politique suppose que soient satisfaites les conditions de possibilité passionnelles d’une loi de la majorité européenne même pour l’Allemagne. Sur ce chemin, il faut vider le mythe du couple franco-allemand qui est un mythe français. 

La solution passe par les monnaies nationales, mais pas comme avant l’euro. Il faut tenir à l’œil la spéculation et donc il faut plusieurs mesures. D’abord on doit quitter la monnaie unique et s’inspirer d’un SME rénové restaurant la possibilité d’ajustement des changes en évitant l’instabilité de monnaies nationales séparées. La réforme doit se passer sous une architecture qui institue une monnaie européenne mais en laissant exister des représentants nationaux de l’euro. Les dénominations nationales sont chacune exprimées comme des euro-francs, des euro-lires, des euro-DM, selon une certaine parité avec l’euro qui lui-même reste convertible sur les marchés contre toutes les devises étrangères. Cela a des répercussions sur les euros-dénommés nationalement. Les dénominations nationales sont convertibles entre elles uniquement au guichet de la BCE. Ceci implique que la convertibilité directe entre agents privés est interdite. Il n’y a pas de marchés de change intra européens. Les parités fixes des dénominations nationales par rapport à l’euro peuvent être ajustées selon des processus politiques complètement soustraites aux influences des marchés des changes.

Ce qu’il faut restaurer c’est la possibilité de réajuster dans le calme les changes intra européens.

Cela passe par des mécanismes politiques aboutissant à la recherche d’un accord. Comme on n’est pas dans le meilleur des mondes, on n’échappera pas au fait que les agents économiques non résidents voudront fuir la monnaie dont la dévaluation est anticipée pour que leurs actifs (par exemple en euro-francs) ne perdent pas de valeur exprimée dans leur monnaie nationale (par exemple en euro-DM). C’est là que le guichet est nécessaire. Cela aura des effets sur les taux d’intérêt, puisque fuyant la monnaie du pays devaluateur, les investisseurs non résidents se dégagent de leurs actifs dont les prix connaissent une chute comme les obligations, quand les taux d’intérêt montent en flèche. L’anticipation d’une dévaluation entraine toutefois une modification des taux d’intérêt du marché qui encaissent le choc mais en se découplant des taux d’intérêt de la politique monétaire qui eux peuvent rester inchangés vu qu’ils n’ont pas d’ancrage de change à défendre. Le découplage fait que les taux d’intérêt concernant la politique monétaire devient un outil pilotant la conjoncture d’ensemble en vue de garantir le plein emploi.

Et ici la réintermédiation bancaire est à repenser.

Les habitudes doivent changer car les banques commerciales et de crédit actuellement se financent largement sur le marché obligataire par le mécanisme de REPO. On peut réduire cette pratique par des procédures depuis la BC et les solutions du marché interbancaire. Il y a à reconstituer une sphère du crédit bancaire aussi autonome que possible. Le refinancement des acteurs économiques (entreprises,banques) doit passer par les voies du crédit et pas par celles des marchés des titres.

Il faut en outre renationaliser le financement des déficits publics. Il ne faut surtout pas suivre la voie US dans sa perversité. En effet là on a découragé l’épargne privée,  on a offert des lignes de financement via la finance internationale aux agents ayant besoin d’argent pour financer les investissements. Mais dés la décision prise, ce n’est pas ça qui a joué. Les épargnants sollicités où qu’ils soient pour des investissements qu’ils ignoraient ou connaissaient mal ont entraîné vers des choix à court terme et des profits immédiats. Sans parler de la spéculation au détriment des politiques dans le réel du secteur de la production et des infrastructures. En matière de déficit public il faut favoriser le retour à l’autosuffisance de l’épargne. On peut imaginer des circuits hors marché de mobilisation des épargnes résidentes. La clause hors marché est essentielle puisque le marché secondaire des titres d’Etat est l’instance par laquelle s’exerce le pouvoir normalisateur des créanciers et partant la dépossession de la souveraineté démocratique. L’Etat doit en revenir à l’émission de grands emprunts publics avec l’éventail d’échéances. Il y a à impliquer l’épargnant à attendre les échéances jusqu’à terme. Et cet échéancier doit être varié pour répondre avec souplesse aux possibilités des épargnants dans leur positionnement devant la perte de liquidité. Les banques doivent relancer de façon attractive les livrets d’épargne dont une part serait obligatoirement à destination des titres publics.Il y a à tenir compte de l’inflation dans les moments de surchauffe de l’économie. On est loin du compte.

Les ajustements de change sont à réinscrire dans leurs impacts sur les balances courantes quand elles deviennent problématiques.Un International Clearing Union comme Keynes l’a imaginé en 1944 pourrait obliger à dévaluer une monnaie, à réévaluer une autre quand un certain seuil du déséquilibre commun est dépassé. En deçà de ce seuil le Conseil Européen pourrait modifier les taux de change mais sans que cela se fasse dans l’obligatoire. On a ici un outil de politique des dépenses courantes dont l’objectif est le plein emploi. L’usage des règles joue uniquement à propos des externalités qui apparaissent quand on fait une monnaie commune.

Ici s’arrète la proposition alternative. Le livre s’achève sur une dernière réflexion à propos de l’extrême-droite, qui n’est pas résumée.