La cible-clé ce sont « les Droits de l’homme ». Leurs succès ont changé les droits des individus en tout autre chose. La prise en considération du champ des Droits de l’homme (DH) est réveillée depuis l’Est et la Pologne alors qu’à l’ouest, on cultive la culture du narcissisme mettant fin à l’idéologie de la nouvelle gauche. L’auteur voit surgir une rupture qui affecte les recours à la religion, la tradition et l’Histoire. La sortie de la religion vient en 1970 de franchir une ultime étape qui explique la radicalisation fondamentaliste et universaliste de l’idée démocratique. Mais cela a eu lieu en même temps que la perte d’appui sur la tradition. Il y donc à travailler à une anthropologie démocratique en même temps qu’à une nouvelle psychologie liée à la découverte de l’inconscient jusqu’à ce que là aussi il y ait rupture. Vu que la démocratie ne crée pas toujours les conditions de sa permanence, il y a lieu d’en appeler à l’éducation. Quant à la CEE (devenue UE) elle est le lieu même de l’embardée la plus spectaculaire d’après la chute du Mur. Embardée anti-politique comme dépassement du politique au profit d’un espace juridique et économique. Soit une suite d’articles qui corrigent des livres vu les controverses qu’ils ont provoqué. Ainsi du désenchantement du monde, de transmettre apprendre, de l’inconscient cérébral.
Chapitre 1 : les Droits de l’homme ne sont pas une politique (juillet 1980)
Ce mouvement vient de l’Est. Ce mouvement, à rapprocher chez nous du mouvement de Mai 68, est un voile sur un vide. Un vide abyssal de ce qu’il souffre d’un déficit d’imaginaire grave le rendant incapable d’envisager l’avenir. On appellera cette période qui s’ouvre : l’après totalitarisme.
À l’Est la mise en avant d’un manque de respect des DH cache un problème : que la société une fois libérée du totalitarisme communiste n’en reste pas moins une société d’injustice et d’inégalité, bref d’aliénation…car là-bas les contestataires sont de fait les privilégiés. C’est de la destruction du totalitarisme communiste qu’il s’agit de se préoccuper car l’avenir se doit d’être préparé pour le jour où le château de cartes s’écroulera.
En France cela passe par le travail de dissolution du PCF et de l’appareil bureaucratique qui y oppose un blocage infaillible. Et c’est ici que le mouvement des DH se pense comme une gauche hors de la gauche. L’oblitération de l’avenir et d’un avenir surtout différent s’est accompagné de la conviction cynique que, quoiqu’on fasse, toujours il y a récupération du mouvement et in fine on retombera dans les logiques d’oppression…d’où le renoncement à un point de vue social d’ensemble. Le mouvement ouvrier a créé le capitalisme moderne d’aujourd’hui et les syndicats y ont oeuvré bien plus que les capitalistes. Pour aller au coeur du problème, il faut penser la constitution d’une société à partir d’individus parcellisés. Au départ on a l’individu et les DH. Si bien que les réponses sont venues du contrat et du marché. L’antagonisme des dualismes (individualisme/société) est un leurre car il n’y a d’individu que façonné par une société. C’est donc du rôle de l’Etat qu’il y a à parler car si l’individu exige le respect des DH, il ne voit pas assez l’énorme appareil d’Etat que cela nécessite. L’Etat bureaucratique aliène l’individu illusionné libre vu qu’il a ses DH. On avance à grands pas vers la domination totale.
Chapitre 2 : Fin de la religion (janvier 1984)
Ce qui fait tenir ensemble une société c’est l’instance du religieux. Il n’y a pas de nécessité trans-historique mais il y a eu choix d’une forme qui a assumé l’être-en-société. En Occident le religieux a développé dans l’Histoire les potentialités structurelles de ce choix. Ce sont les sociétés primitives qui témoignent de l’essence du religieux. Le religieux relève du constitué et d’un im-pouvoir institué. Donc d’un choix…reste pourtant que la réflexivité qu’il faut pour se rapporter à soi-même repose sur un soi sans personne pour le supporter. Il y a donc un soubassement jusqu’à présent impensé à la notion de sujet et donc au fond du fonctionnement d’une société. L’essence du religieux est donc d’être contre l’Histoire et la division collective.
Et à l’inverse, dès l’apparition de l’Etat, on entre dans une tension relationnelle et on entre dans l’instable obligé. La sortie de la religion va de pair avec la conscience historique et la production historique. Avec cette sortie il y a institutionnalisation du conflit civil et politique tombant sous le coup de la discussion et de la redéfinition permanente. Pour qu’une société tienne ensemble, il faut qu’il y ait quelque chose de très particulier dans l’établissement de l’homme pour rendre aussi problématique son rapport à ce qui est, et quelque chose qui est possible d’élucider. C’est la dimension des fonctions psychiques qui est convoquée car à l’origine il y a eu un insupportable à se supporter comme sujet.Le cadre symbolique enclenche un processus de transformation interne des rapports sociaux effectifs et des systèmes de croyance chargés de les justifier. Paradoxalement la nouvelle orientation va accentuer la dépendance de l’homme par rapport au divin. Il n’y a qu’en Occident que le développement d’une religion de la transcendance (et sa dualité) a trouvé sa forme. Ce qui nous ramène au problème de la réflexivité à l’oeuvre dans le social. Le moment crucial c’est quand la jonction s’opère car c’est l’heure du choix où le rassemblement de la puissance subjective dispersée produit l’Un séparé d’un dieu-sujet à distance du monde. L’incarnation dans la figure du prêtre intercesseur du Christ au coeur de sa communauté emporte un hiatus alimentant la séparation du royaume qui n’est pas de ce monde d’où l’autonomisation virtuelle de ce dernier. Ceci dit le vrai changement va venir de l’extérieur de l’Eglise dans la sphère du pouvoir temporel.
Chapitre 3 : un échange avec Paul Valadier de la Revue Esprit à propos de la religion (novembre 1984)
Valadier sj regrette des préjugés rationalistes, puis s’attaque à l’analyse de la religion car elle accumule les a-priori. Il critique une prétention à cerner par la sociologie l’essence de la religion. Surtout il pointe l’omission grave de toute référence à la religion juive. En fait pour le jésuite le religieux est une instance non réductible au social.
Dans sa réponse Gauchet réinsiste qu’il n’y a pas à lire le phénomène historique, dégagé pour ses conséquences sur la religion, avec les yeux de la foi. Il n’y a pas de souci qu’un individu croyant maintienne sa vie en référence à sa croyance. Pour le croyant dire qu’il n’y a pas d’Autre est une vérité inaudible. D’accord mais… le sens de l’analyse est de rejeter une objection du style « comment, dans les sociétés primitives, peut-on avoir le pressentiment de l’Etat qu’il n’y a pas encore » car la scission politique est là d’entrée de jeu. Et surtout reconnaître une fonction déterminante à la religion au sein du dispositif social n’implique pas de réduire le religieux au social. L’intérêt de la polémique est dans la reconnaissance de Gauchet d’avoir accentué un aspect (la réalité sociologique) : il y a à reconsidérer l’articulation (nécessaire à l’enracinement anthropologique) entre organisation subjective et formes du lien social.
Chapitre 4 : croyances religieuses, croyances politiques (lié au ch. 3) (mai 2001)
Ici on clarifie la méthode…en regard de celle de Valadier. C’est ce dernier qui ramène les points de son argumentation dans le contexte de la révolution des DH. Aussi la question devient alors avec lui de définir la notion de l’idéologie comme discours à opposer à la religion.
Le moment clé (entre 1750 et 1850) c’est le basculement du temps social du passé vers l’avenir. L’idéologie va être le discours de la société sur elle-même et elle a trois composantes. L’épreuve de vérité de la révolution des DH, l’ouverture de l’horizon historique et l’incarnation de la puissance collective du faire et de se faire dans l’industrie, ont contribué à ce changement.
La religion ne disparait pas mais perd sa fonction politique et dans le nouveau contexte elle va évoluer et se transformer de deux façons : la pensée religieuse va être lue dans le prisme de la science sociologique naissante comme une idéologie jusqu’à oublier ses présumées racines théologiques ; et la croyance individuelle entrainera une relativisation de cette position comme une opinion tolérable dans un espace pluraliste. Mais de son côté et en confrontation avec le phénomène religieux, l’idéologie aussi évolue et se développe en affirmant l’aspect immanent du religieux. L’ Histoire n’est faite que de ce que ses acteurs y mettent. Ainsi en 1848 un acte de rupture révolutionnaire fait entrer dans la période de la religion séculière qui aboutira à la création de nouveaux instruments pour imposer la vérité de l’idéologie dans une foi dans un salut terrestre.
Chapitre 5 : l’école à l’école d’elle-même : contrainte et contradictions de l’individualisme démocratique (novembre 1985)
L’école est l’institution typique de la modernité démocratique. Notre hypothèse c’est que la crise de l’école est à replacer dans son contexte social-historique fondamental : à savoir l’individualisme dans une société d’individus. Une société d’individus est une société spécifiquement travaillée par une difficulté à se représenter pratiquement comme société. L’englobant collectif se rappelle à notre souvenir. Comment donner corps à un fantôme ? Comment prêter visage et chair à une obligation que tout conspire à rendre infigurable ? Et c’est à l’école que cela se voit.
Il y a eu deux grandes époques : la prépondérance de l’héritage holiste a méconnu des finalités individualistes ; puis une évolution inverse centrée sur les appétences et les capacités comme expressions de sujets singuliers a voulu tout réinventer. Mais aujourd’hui on ne peut plus penser l’individu contre la société car on a besoin d’une école qui apprenne… qu’on ne fonctionne comme individu qu’à condition de posséder en profondeur sa société. À l’époque des mouvements migratoires, l’idée d’un relativisme culturel devient caduque car on ne peut plus croire dans l’efficace des valeurs universalistes ayant force assimilatrice (les slogans en appelant aux DH sonnent creux). Devenir citoyen en français est la seule voie mais elle est coûteuse en termes de dépossession/acquisition.
Le thème de l’enfance est ambigu car la question est de savoir s’ils sont des individus. Depuis 1789 l’enfance devient problématique. Car bien grandir est une tâche pour l’affaire publique, relevant d’une responsabilité collective. L’enfant devient le représentant vivant de l’avenir au sein du présent. Et cela engage tout l’être-ensemble. La dignité de l’acte d’apprendre, c’est de rechercher et stimuler la créativité infantile à la source d’une puissance radicale de création véhiculée par l’activité libre du sujet. Et c’est à l’école de faire fructifier cette graine car elle sera celle qui dévoile le dire vrai du sujet. Dans tout ce mouvement, on peut sentir les deux époques, mentionnées plus haut, dans la pédagogie autour du rôle de l’autorité versus l’autre pôle qui est la liberté sous la poussée de la notion d’égalité. Là dessous il y a l’idéologie socialiste. On voit bien que cela déborde l’école car c’est toute institution qui devient i-représentable sous le coup de butoir d’une série d’actes de dissolution. Et là on en arrive à parler des rapports de la jeunesse avec le fait scolaire. Le poids de l’adolescence s’accompagne de la sécession de la culture des jeunes.
L’actuelle crise de la pédagogie tient à la rencontre d’une limite interne quant à l’articulation de la dimension individuelle et collective. L’égalité scolaire, ce serait alors une coexistence dans le respect mutuel….mais là on bute sur une limite car à la sortie de l’école, le marché sanctionne celui qui n’a pas le pré-requis du travail en entreprise où l’on juge encore selon les mérites. C’est ici que Gauchet développe une réflexion sur ce qu’apprendre veut dire ; car il faut en même temps préciser ce qu’on entend par savoir et les voies de son accès. Le projet de réforme est ambitieux parce qu’il confronte à une nouvelle conception du Temps et de l’Histoire. Fini les humanités qui transmettaient la culture des Anciens. Aujourd’hui on est dans un monde compétitif (qui n’a rien à voir avec le cadre soft des compétitions sportives pleines de fair-play). Nous avons à trouver ces moyens savants et ces pratiques de distance dans la description de la langue qui rendent capables parce qu’ils accroissent la liberté consciente des sujets à l’égard des contraintes. L’explicitation des inégalités en devient objective : en effet le problème est dans la capacité de lire, écrire et compter à la sortie de l’enseignement primaire ; faute de ce bagage suffisant le secondaire voit grandir le phénomène de décrochage scolaire, symptôme d’une auto-évaluation négative du sujet incapable de retenir le sens de ce qu’il lit, incapable d’écrire de façon correcte ce qu’il pense et incapable de dépasser le degré de l’arithmétique en intégrant la dimension de l’abstraction nécessaire en algèbre.
Chapitre 6 : le niveau monte, le livre baisse (lié au ch : 5) (novembre 1996)
La baisse du niveau dans la vente de livres est simplement un retour à la normale. Par contre le chiffre alarmant c’est la baisse de niveau de l’exigence universitaire.
Chapitre 7 : pacification démocratique, désertion civique (mai 1990)
Ce qui est sapé c’est la capacité d’action de la société sur elle-même, matérialisée dans l’Etat. Et ce qui l’a mise en échec c’est l’Histoire matérialisant par l’économie l’i-maitrisable puissance génératrice du devenir. On ne peut plus croire dans la fin de l’Histoire, et cela prive les acteurs d’un axe, d’un angle d’attaque pour leurs actions. L’anarchie du marché a désaxé notre foi dans l’avenir. Il faut réinventer ce qu’il en est de la puissance publique car ce qui vient de mourir, c’est la bureaucratie rationnelle. Il va falloir reconstruire un appareil de décision et d’exécution. Le problème central c’est la réflexion autour de la redéfinition des conditions de concrétisation d’un dessein collectif.
Mais le lot de désintérêt du politique vient d’ailleurs. On n’a plus deux camps en face à face mais des individus tiraillés entre des intérêts contradictoires. Le conflit des groupes d’âge finira par sauter aux yeux parce que les vieux coûtent chers sans plus rien produire. Chacun sait qu’il vieillira bientôt d’où une paralysie. Le ressort de l’implication s’est enrayé car la réversibilité des positions rend la lutte insoluble. La seule vérité qui fait consensus c’est l’idéologie des DH mais cela ne produit que l’évidence de la contradiction des doctrines appliquées. Les mentalités sont en retard par rapport à l’importance du problème. Qu’est ce que cette chose bizarre à laquelle nous nous rallions tous mais qui nous échappe. Notre régime de liberté permet de maîtriser le destin mais ne se connait pas lui-même.
Chapitre 8 : sous l’amour de la Nature, la haine des hommes (lié au ch : 7) (mai 1990)
L’amour de la Nature s’appuie sur la haine des hommes. C’est l’espèce humaine qui pollue. Dans un contexte hyper-individualiste, l’autre est par essence de trop. La recherche des contemporains pour la pureté de leur environnement vaut comme symptôme d’un grave mal de vivre en société.
Chapitre 9 : les mauvaises surprises d’une oubliée : la lutte des classes (lié au ch : 7) (mai 1990)
Est peuple, électoralement parlant, qui se sent dépourvu de représentation et dépourvu de prise sur la décision politique et qui éprouve sa légitimité par la négative d’un « ce devrait être nous mais ce sont eux ». La fracture sociale rend compte d’un sentiment d’insécurité. En regard la justice et la police submergées ont baissé les bras. L’individualisme prend les habits de l’évitement et de la méfiance à l’égard d’autrui. Si la gauche veut un programme, qu’elle s’occupe de redonner un corps concret à la puissance protectrice à la base de notre régime de liberté.C’est des failles du processus démocratique que se nourrit le mécanisme de dissociation qui détourne des fractions croissantes de l’électorat de la scène officielle en politique. C’est une demande de plus de démocratie qui s’exprime ici de travers. Le raisonnement de Gauchet passe ici par l’insécurité par rapport à une délinquance en hausse, puis une fixation sur les phénomènes d’immigration. Là où dans le temps on avait un conflit de classes, aujourd’hui les gens de pouvoir se ressemblent et donnent au peuple le sentiment croissant d’un abandon.
Chapitre 10 et 11 : essai de psychologie contemporaine
I : un nouvel âge de la personnalité (avril 1998)
Dans cette Histoire du présent, il y a à reparler de la nature de l’individualisme contemporain, et de ses rapports avec la personnalité d’aujourd’hui et ses pathologies, pour en venir au problème de l’inconscient. D’un point de vue anthropologique , l’abandon du modèle autoritaire dans la famille et à l’école, la révolution sexuelle et l’entrée en force de la psychanalyse sont des facteurs conjugués qui introduisent un nouveau régime du rapport à soi et du rapport social. De l’affrontement on passe à l’âge de l’évitement.
Qu’est ce que d’être d’un sexe et quid de l’autre sexe dont on n’est pas ? Qu’est ce que l’enfant que je ne suis plus mais que je continue de porter de façon ineffaçable en moi ? Qu’est ce que devenir adulte ? En quoi la mort vers laquelle je vais est la mienne ? Pour répondre il y a lieu de prendre en compte la dés-institutionnalisation de la famille. La captation et la concentration du lien social se fait dans l’Etat séparé de la société civile. L’apaisement vient de la dissolution entre un formalisme longtemps maintenu et sa dé-formalisation irrépressible.
Qu’est ce que la dé-socialisation sinon l’apprentissage adaptatif, le processus d’incorporation des us et coutumes, des règles qui assurent les liens de la coexistence collective. En profondeur elle est le processus par lequel on apprend à se regarder comme « un parmi les autres » et comme n’importe qui aux yeux des autres. Apprentissage de l’abstraction de soi, de l’objectivité et de l’universalité mais en se mettant au point de vue du collectif. Ce détachement n’est plus acquis par les familles recomposées d’aujourd’hui. Et cela crée en réaction une curieuse adhérence à soi. Sous-jacent il y a l’idée que le lien est déjà donné et qu’on n’a pas à l’instaurer. Le droit c’est ce qui remplace les formes. On préfère aujourd’hui l’explicitation des règles.
Gauchet parle des trois âges de la personnalité. On part de la personnalité traditionnelle appuyé sur la transmission de normes collectives intégrées dans une assignation symbolique d’un statut avec une forte capacité d’indépendance dans le cadre. Alors grandit l’esprit critique car chacun se sent fort de l’expérience de participation au « contien » de la collectivité.
On appelle le deuxième âge la personnalité moderne, soit l’individu bourgeois entre 1700 et 1900. Il y a place à l’inconscient vu qu’on est à l’âge d’or de la conscience et de la responsabilité. L’autorité fait place au droit et à la culpabilité car le sens du devoir (la volonté) ne tergiverse avec le désir qu’à ce prix. On a une idée claire de la citoyenneté et du bien commun.
Le troisième âge est caractérisé par une diminution de la structuration par l’appartenance. L’individu peut vivre sans souci du collectif. Fini le sentiment de dette car l’individu est déconnecté du symbolique avec ou sans inconscient (Surmoi). Ce qui compte c’est d’être soi-même, à entendre comme « ne plus être contraint à rien ».
Sur base de ce qui précède on classera les nouvelles pathologies : en troubles de l’identité ; on questionnera le rapport à l’autre (aux autres) soit qu’on les a perdus et c’est l’angoisse ; soit qu’on en ait peur et c’est l’évitement ; et puis il y a des pathologies sur l’axe de l’agir et ici on passe de l’acte expressif vers l’acte de rupture d’avec soi et ce sont les passages à l’acte qui ne relèvent plus de la logique de l’inconscient.
II : l’inconscient en redéfinition (août 1998)
Lacan en propose une explication. La folie nous habite tous. Le sujet n’est pas un donné car on ne cesse d’osciller en raison de l’humeur entre exaltation et dépression, euphorie et angoisse. C’est un réseau de polarité qu’il s’agit de reconstituer entre être absent au monde (l’objectivité réclame la disparition du sujet) et être au centre du monde (qui du coup peut être investi par l’agir). La normalité s’appréhende dans l’oscillation entre deux pôles quasi fous (manie et mélancolie). Mais la folie proprement dite, c’est un clivage où les deux pôles sont objets de l’oblitération d’un pôle devant l’impossibilité d’osciller de l’un à l’autre (schizophrénie et paranoïa).
Pour Gauchet cette explication est boiteuse. L’articulation du cognitif et de l’affectif est au coeur de la question. Freud n’apporte rien dans le domaine de la pensée qui n’a rien à voir avec l’inconscient. Pour Freud l’articulation de l’affect et de la représentation se fait par la pulsion. Mais les avancées des études aujourd’hui s’inscrivent dans une perspective parlant d’inconscient cérébral et qui s’oppose à la psychanalyse. Le cerveau avance selon des bifurcations non linéaires qui correspondent à des interdictions et à des inductions selon une logique de bits (0-1), les affects constituant les noeuds d’échange d’information mais échappant à l’analyse. Gauchet parle ici du courant cognitivo-comportemental.
Mais il y a une autre approche, celle de Castoriadis, privilégiant la dimension génétique. Les schémas d’indifférenciation/différenciation, fermeture/ouverture sont faux. Il y a une ouverture primordiale de la psyché sur la réalité, différenciation originaire de l’individualité qui coexiste avec la fermeture hallucinatoire et l’in-distinction des frontières personnelles. L’imaginaire n’est pas privé mais social. La société et ses processus sont en lien structurel avec la psyché personnelle. Ouverture et différenciation (le stade du miroir de Lacan est abandonné) sont moins des données inaugurales qu’elles ne sont à l’oeuvre comme des dimensions actives, d’emblée en concurrence avec le sens de la différence et la passion du réel. Il n’y a pas d’indifférenciation primitive. On a affaire à une dialectique des deux dimensions personnel/social entre lesquelles s’insinue un processus de construction dont les étapes sont autant de compromis entre ouverture et fermeture. La fonction signitive (legein) s’articule avec la fonction du faire (teuchein). Nous restons pour une part essentielle enveloppés au dedans du langage dont nous avons l’usage par le dehors. Ce processus susceptible de rater se passe de nous (autisme). Aussi restons nous dans une incertitude inguérissable. C’est ici qu’il faut placer l’expérience fantasmatique de séduction dont on sait (mais on feint de l’ignorer) que le sexuel reste de l’ordre du séparé. La théorie de la sexuation est en butte encore et toujours par rapport à l’être fou, l’être d’affect, l’être d’enfance. La théorie se repense sans cesse nécessairement car elle est relancée par les énigmes du réel.
Actuellement les choses ont commencé à s’embrouiller méchamment. L’organisation du champ psycho-pathologique se complique de ce que névrose-psychose doit faire avec l’intrus de la perversion. Les pathologies narcissiques s’arriment à la religion pour brouiller les frontières entre obsession et paranoïa. Le champ de la perversion est en fait un fourre-tout et la question de l’homosexualité y contamine la notion, comme d’ailleurs toute la question du choix de sa propre sexualité. À côté on a la zone des addictions et cela va jusqu’au mystère de la pédophilie. Toujours est-il que les cures par la parole ne font plus recette et on voit le retour de l’hypnose et du traitement moral proche des thérapies cognitives. L’expérience de l’inconscient n’est plus individuelle, elle est aussi culturelle. La religion a longtemps rencontré le problème de l’altérité. L’inconscient en a pris le relais en recyclant les problèmes de l’invisible, de la vérité et du corps (possessions, prophéties). Un nouvel équilibre se cherche pour basculer dans un approfondissement du religieux sans religion où est rejoint pour la première fois le noyau anthropologique du religieux. On entre dans une période de dé-fonctionnalisation intégrale de la religion jusqu’à un fonctionnement intégralement indépendant de la religion. Ce noyau est actif et trouvera d’autres canaux d’expression ressourcé à ce que Kant appelle le suprasensible. Et le mot d’inconscient est voué à disparaître.
Chapitre 12 : le tournant de 1995 ou les voies de la société libérale (octobre 2000)
Il s’agit de la grève des cheminots pour la pension à 50 ans. La logique des institutions et des statuts bute contre l’esprit individualiste du droit libéral.
Feu le parti de la réforme qu’on a appelé la deuxième gauche et qui dans les années 45-95 réunissait les hauts fonctionnaires, les experts, les syndicalistes et les militants chrétiens. Mitterand a manqué la modernisation. La haute fonction publique a cessé d’être une force d’imagination à un moment où la réforme de l’Etat était plus que nécessaire. Aujourd’hui la société française est en voie d’investir sa confiance dans les moyens privés chargés de résoudre ses problèmes publics.
Il n’y a pas eu de mouvement social sauf que les usagers sont restés calmes face aux dérangements. Chacun est érigé en juge de l’intérêt général et juge du droit de ses concitoyens à défendre leurs intérêts particuliers. La population s’est convertie au libéralisme politique. Cela se traduit par une lassitude, un évitement et une certitude que l’on ne peut rien y changer.Le mouvement de 1995 a frappé aussi l’intellectuel critique. Derrida sort « spectres de Marx » et Bourdieu « la misère du monde ». Il faut voir que la société fait place belle à la critique puisque les libéraux veulent offrir un visage humain. Mais c’est ici que meurt la notion de révolution dans la mesure où tout le monde s’enferme dans ses petits bonheurs privés. c’est l’autorité fonctionnelle reconquise par les DH qui sous-tend la contestation nouvelle manière. On tombe dans des revendications morales où on s’indigne.
Chapitre 13 : quand les DH deviennent une politique (août 2000)
Du triomphe à la crise, voilà l’écart de ce chapitre avec le premier. C’est comme fondements de la démocratie que les DH deviennent la position et la portée de principes de définition demandant de tout reprendre à partir d’eux. Mais depuis 1980 le mouvement des DH a entrainé l’évidement de l’idée même de démocratie. Il y a à remonter vers les années de 1900 à mettre en perspective long terme car en 1789 déjà il y avait deux siècles d’élaboration d’un projet politique qui cristallisera dans les démocraties libérales.
En deux temps le chapitre propose une synthèse de l’histoire de la démocratie. Avoir privilégié l’épanouissement de l’individu de droit, c’est toucher nécessairement à l’élément politique et l’élément social-historique. Il y a trois vagues de la modernité en sous-jacent. La première vague entre 1500 et 1650 entame le mouvement de la sortie de la religion avec des répercussions politiques : la Réforme engendre les Etats-nations. La deuxième vague va consister dans l’explicitation juridique des fondements de la forme politique advenue avec l’Etat souverain. Au 18ème siècle le Droit naturel donne naissance aux contrats entre individus. Mais à partir de 1750 le progrès technique et la dimension historique imposent une dimension culturelle dans l’art, la science et l’industrie. Le moment fécond joue entre 1880 et 1914 sur la question de la laïcité et débouche sur l’articulation compliquée entre démocratie et libéralisme. C’est dans les 30 glorieuses qu’aboutit ce travail de mise au point des principes. Mais quand la croissance se met à battre de l’aide, démarre une poussée puissante d’individualisme qui va casser tous les encadrements collectifs mis en place un siècle plus tôt. Les DH accompagnent comme idéologie cette poussée non prévue. Et là derrière il y a l’affaissement de la dimension hétéronome et une nouvelle étape de la sortie de la religion.
Le passage de l’individu abstrait à l’individu concret, cela ne sort pas négativement du repli de la référence à la transcendance mais comme aboutissement d’un travail de construction de l’autonomie en deux phases : un travail théorique de mise à plat des hiérarchies héritées de l’Ancien Régime ce qui ne va pas de soi tant que le collectif (les liens d’appartenance) a la préséance. L’éducation et les médias fourbissent alors les armes pour des individus de raison. (À cela s’ajoute l’apparition des « groupes sociaux » et les attraits pour la consommation). Mais depuis 1945 les groupes sociaux disparaissent et on assiste à une éclipse du politique et l’ouverture des économies à la globalisation. Faute de direction claire et globale ainsi que de l’absence de supports sociaux identifiables clairement, l’entente de l’action historique redescend à un niveau individuel. Nous sommes des sociétés qui ont intégré la critique d’elles-mêmes comme un moyen de leur auto-constitution.
Les DH sont la rustine sur un vide car dans une disqualification du passé révolutionnaire et une incapacité à prévoir où l’on va…Il reste un présent et cela suffit. L’idéologie désigne le discours qui succède à la religion au 18ème siècle en substituant une justification immanente à la justification transcendante de l’organisation collective. Ce nouveau discours a deux propriétés : il est pluriel et contradictoire entre passéisme, libéralisme et futurisme ; il est le discours de méconnaissance entre illusion et vérité. Enfin il y a la fonction des idéologies par rapport à la question de l’unité des sociétés car le ciment de la religion manque cruellement. La société et ses systèmes de représentation et de croyances collectives reposent sur le présupposé que l’unité sociale va de soi. Le Droit s’érige en vérité exclusive en refoulant la politique et le social-historique.
Les DH dressent la foi dans le monde qui pourrait être en face de l’inadéquation du monde présent et ils sont plausibles de ce qu’ils partent du monde actuel. Ce qui est grave c’est que cela finit par saper l’idée de chercher des explications. Il faut regarder de plus près les mécanismes de la croyance. L’écart entre le droit et le fait devient injustifiable offrant un espace aux cyniques (le nouveau militant, nouveau journaliste, nouvel homme politique). On en revient à ce que la politique a toujours été : machiavélienne avec une lutte pour le pouvoir entre les appareils et les hommes de pouvoir. On sent pointer une contradiction comme le soupçon structurel qu’il y a un écart entre l’idéal et le réel. L’idéal doit se passer du réel.On mesure dans l’après-coup une perte culturelle immense dans le nivellement par le bas de l’enseignement de moins en moins exigeant par rapport aux besoins de notre économie, comparativement à l’émergence d’un développement en Chine, en Inde et demain en Afrique. Au fond de cette démobilisation des esprits, il y a la difficulté de voir le réel ; le souci de la compréhension du monde commun s’étiole. L’identité des différences est décrétée depuis un présent qui ne s’assume plus comme la clé du passé ou de l’altérité mais qui continue à fonctionner en le déniant. Ces différences sont à l’intérieur du même. Tout est pareil depuis toujours mais il n’y a plus de place pour l’entente de système de valeurs aux antipodes du nôtre. Cela ne laisse plus de place pour l’intelligence de l’exception moderne, pour la mesure de la bifurcation non nécessaire qui a précipité l’avènement du monde de l’individu…Il n’y a plus de place pour la compréhension de nous-mêmes.