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La civilisation de la Renaissance en Italie


Auteur du livre: Jacob Burckhardt

Éditeur: Nouveau Monde Éditions

Année de publication: 2017

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Soit un portrait : celui de la mentalité d’un peuple (Volksgeist) et de l’esprit d’un temps (Zeitgeist), l’un et l’autre indissociablement liés dans une civilisation qui est la mère de la nôtre et qui est toujours vivante parmi nous. Dans ce courant de l’histoire culturelle, on voit un lien avec la philosophie de Herder qui donne à la notion de culture un sens national.

Preface de P Boucheron

L’auteur est un historien suisse d’expression allemande. Il est né à Bâle en 1818 dans un bastion conservateur d’une Suisse dont l’imaginaire nationaliste se nourrissait de mystique médiévale. Fils d’un pasteur calviniste, il se destine d’abord à la théologie mais rapidement fait des études historiques à Berlin sous l’influence de Léopold van Ranke (1795-1886) qui essayait de mettre l’histoire au service du nationalisme prussien. Burckhardt produit un premier livre sur Charles Martel qui se nourrit à cette source. Puis il pousse sa recherche dans un effort de conciliation de l’histoire politique et de l’histoire de l’art. Il pose ici le problème de la mutation entre monde antique-monde chrétien à l’époque de Constantin le Grand. Après des voyages en Italie et des études approfondies en histoire de l’art sur la base de documents photographiques, il se consacre à l’étude de l’histoire italienne. Soit ce livre ci.

La civilisation de l’Italie du 14ème au 16ème siècle est le lieu d’émergence de l’individu moderne qui se donne ses propres lois et devient le sujet de son histoire en déchirant le voile médiéval (tissu de foi et de préjugés, d’ignorances et d’illusions) empêchant de voir le monde tel qu’il est. Cette exaltation subjective ne se comprend que dans le contexte de la concurrence politique et idéologique des Etats. 

La première partie du livre en dresse la typologie. Au delà de la variété des régimes politiques, de la commune à la seigneurie en passant par la tyrannie et la royauté, tous ont en commun de souffrir d’un déficit de légitimité qu’ils compensent en rationalisant systématiquement leurs modes d’exercice. Par un darwinisme social, c’est la lutte politique qui crée les conditions d’une individualisation. 

Dans une seconde partie, on relève le désir de gloire qui enfièvre la société et l’essor de la raillerie et du mot d’esprit qui vient s’en moquer. La quête passionnée des vertus de l’Antiquité est la conséquence plus que la cause de ce nouvel imaginaire. 

Les humanistes puisant dans le passé romain font l’objet de la troisième partie et cela les arment dans leur découverte du monde et de l’homme (quatrième partie). 

Cette ambition nouvelle modifie les règles du jeu social par un nivellement des classes : moins la supériorité de la naissance conférait des privilèges, plus l’individu était obligé de faire valoir ses avantages mais plus aussi le cercle social devait se raccourcir, se rétrécir (cinquième partie). Curieusement pourtant le livre se clôt sur le problème des moeurs et de la religion. Entre dépravation morale et sincère aspiration vers Dieu, l’Italie préfigure un mouvement qui se réalisera ailleurs dans la Réforme protestante (sixième partie) à vocation universelle. En concluant, Boucheron prend ses distances par rapport à cette lecture des choses ; des études récentes brouillent les frontières dressées entre le Moyen-Âge et la Renaissance et entre l’Italie et le reste du monde.

Première partie : l’Etat considéré comme une oeuvre d’art

La lutte entre les Papes et les Hohenstaufen a laissé une situation en Italie complètement morcelée avec l’apparition d’une foule de corps politiques. Parmi eux les Etats despotiques sont de 3 sortes, sur le modèle normand de l’Italie du sud et de la Sicile , selon les vues de Frederic II qui a un esprit centralisateur, selon enfin la mode d’Ezzelino qui est un usurpateur sans foi ni loi sévissant dans le Nord Est.

Au 14ème siècle la tyrannie est avisée et par un calcul raisonné le pouvoir produit des hommes et des situations inédites car ils savaient s’entourer de grands intellectuels comme Pétrarque à Vérone chez Can Grande Valle Scala. Mais à l’opposé il y a des tyrans avides de jouir de tout et tout de suite et qui provoquaient des conspirations inquiétant le pouvoir comme les Visconti à Milan.

Au 15ème siècle un grand nombre de petits tyrans ont disparu au profit de plus grands qui les assujettissent. Parfois au travers d’une organisation savante comme à Naples. Mais à côté il y a les condottieri qui tentent de s’établir dans des Etats indépendants. L’illégitimité de la prise de pouvoir ne peut être compensée que par le talent et le calcul. Mais l’impatience et l’avidité des condottieri les ruinera. Surtout dans un contexte international instable où l’appui de l’Empereur est aléatoire pendant longtemps. À la fin du siècle restent 4 grands Etats : Naples, Milan, l’Eglise et Venise.

Le désordre est à son comble dans les principautés de moindre importance. Il faut pointer a contrario la dynastie des Sforza. Les autres sont bien pires : Malatesta à Rimini, Baglione à Pérouse. Il y a des poches +- en paix comme à Mirandole ou Sienne mais c’est rare.

Quelles sont les grandes familles régnantes ? d’abord la maison d’Aragon avec Alphonse le Grand qui se compromettra plus tard avec des marchands mafieux. À côté il y a la maison des Ducs de Milan, de Jean Galeas à François Sforza parce qu’après eux cela se dégrade au point que Ludovic le More les bat et capte la couronne. Enfin il y a 2 autres principautés, Mantoue et Urbino avec les Montefretto. La première s’allie par alliance avec la maison d’Este à Ferrare.

Il y a peu d’adversaires aux tyrannies.

Il y a 2 républiques : Venise et Florence qui règnent dans un esprit rationnel mais sont trompés par la roublardise  et le manque de parole chez leurs sujets. On peut aussi épingler quelques réussites à Pise, Gènes et Sienne.

Il faut parler de la politique extérieure des Etats italiens, soit la France et l’Espagne qui suscitent des demandes d’appui parfois mal éclairés. Car les revirements politiques sont fréquents et au bout du compte c’est l’Espagne qui dominera dans la Péninsule. La guerre est considérée comme un art. Gouverner est un art qui ne passe pas nécessairement par des guerres ; mais certains condottieri assoient leur prestige à travers elles.La papauté n’est pas sans dangers : elle connaitra 2 types de papes et les Borgia font la bascule car ils poussent les excès à un point tel qu’ils écoeurent. Avant les Borgia il y a eu l’exil en Avignon et le schisme d’Occident. L’affaiblissement des papes qui s’en suivent a suscité la convoitise des grandes familles princières. À Rome, Ferrante, Milan, Florence. Il en est fallu de peu à cette époque que les Etats pontificaux deviennent laïques mais l’Espagne et la contre Réforme en décideront autrement. Après Borgia il y a des papes réformateurs de la Curie : Jules II, Léon X, Adrien VI et Clément VII. Ils n’ont rien à voir avec la clique qui les précéda : Nicolas V, Pie II, Pie III, Paul II.

Deuxième partie : développement de l’individu

L’Etat italien est, lui face à l’individu : l’organisation de ces Etats qu’ils soient républicains ou despotiques est la cause principale sinon unique du précoce développement de l’italien. C’est grâce à eux qu’il est devenu un homme moderne. Au Moyen-Âge les 2 faces de la conscience (objective et subjective) étaient en quelque sorte voilées. L’homme ne se connaissait que comme race, peuple, parti, corporation, famille. C’est l’Italie qui déchire ce voile et donne le signal de l’étude objective de l’Etat. Mais à côté se développe aussi l’étude subjective, l’homme devient individu spirituel et il a conscience de ce nouvel état.

Expliquons ce fait psychologique. La tyrannie commence à développer au plus haut degré l’individualité du souverain, du condottiere lui même. Ensuite elle développe celle du talent qu’elle protège (secrétaire, fonctionnaire, poète, familier). L’esprit de ces gens apprend forcément à connaitre toutes les ressources : grâce à des moyens intellectuels leur vie s’élève. Quant aux anonymes qui se résignaient à une servitude plus ou moins volontaire, leur caractère individuel changeait aussi et ce précisément de ce qu’ils ne subissaient pas d’influence politique, poussant alors l’énergie à développer les aspirations des particuliers. Il y avait aussi matière à exploiter  dans ce bouillon de culture généralisé et la concurrence entre eux était de surcroît favorisée dans le contexte des communes très libérales. On peut dire aussi que plus les partis se succédaient vite au pouvoir et plus l’individu avait des raisons pour concentrer toutes ses facultés dans l’exercice de la jouissance de la domination. Mais bien sûr ils n’y arrivaient pas tous, il y a toujours des vaincus quand il y a des vainqueurs, alors ils développaient en réaction leur idéalisme dans les affaires domestiques. Enfin l’exil peut user mais il peut aussi révéler l’homme : le cosmopolitisme qui se développe chez les exilés les plus doués est un des degrés les plus élevés de l’individualisme. À part il y a les artistes qui désormais se veulent libres de toute entrave locale.

Il y a donc un entier développement de la personnalité ; peut-être que ce n’était pas le but mais c’est un fait que plusieurs étaient parvenus alors à un développement harmonieux de l’intelligence. Et à une perfection relative vue l’époque pleine d’incertitude, laquelle affaiblit tout homme peu ou prou. Mais encore une fois il y a eu à cette époque quelques figures qui atteignaient à l’idéal de l’homme universel. Spécialement à Florence avec Dante, Alberti et Léonard de Vinci.

De la gloire moderne, parlons-en ici : à ce développement de l’individu correspond un nouveau genre de signe extérieur. En Italie toutes les classes sont égales devant la tyrannie ou la démocratie. On y voit pointer une société homogène appuyée sur la littérature. À cette époque l’Antiquité devient accessible, par exemple, les textes de Cicéron qui sont pleins d’idées de gloire. On couvrait les poètes de lauriers (Dante, Pétrarque), on se déplaçait pour honorer les figures illustres du passé sur leurs tombes et les florentins ont voulu faire du Duomo un panthéon. L’étude de la topographie (science naissante en lien avec les noms des lieux) cherche à sortir de l’oubli les gloires locales. On fait des biographies comme l’entreprend Vasari sur les peintres. On n’oublie pas les hommes de science, les jurisconsulte et les médecins. Boccace dans son Amorosa visione, Petrarque dans le Triompho della fama dessinent des assemblées idéales en s’inspirant de Cornelius Nepas,  du faux Suétone, de Valère Maxime, de Plutarque, de St Jérôme. Paul Jove, poète philologue, sait qu’il distribue la gloire, l’immortalité ou l’oubli. C’est ici que l’on croise la figure hors norme de Machiavel dans ses Histoires florentines. Il y épingle les panégyriques publiés à tort pour célébrer des usurpateurs qui ne poursuivaient pas la moindre vertu, trop soucieux qu’ils étaient de préserver leur nom. La raillerie et le mot d’esprit n’ont pas attendu Machiavel pour se moquer de quiconque essaie de se hisser au dessus des autres sans en avoir l’envergure. Il y a toutefois des excès par jalousie et la pure méchanceté de l’Arentin est abjecte. On peint ici deux espèces qui se font entendre à Florence : l’uomo piace vole et le bouffon.

Troisième partie : la résurrection de l’Antiquité

Dans des observations préliminaires, le livre fait la part belle à l’histoire de la culture intellectuelleCe n’est pas l’Antiquité seule mais son alliance intime avec le génie italien qui a régénéré le monde d’Occident. Ce n’est guère visible en littérature mais dans les arts plastiques on voit bien l’indépendance des deux courants. Quant à l’Occident, libre à lui de ne pas subir la vague de l’Antiquité, du moins s’il veut conserver les acquis de la science médiévale. On voit ce qu’il en a été ; en effet à côté de l’Eglise ferment d’unité, il y a apparition d’un nouveau milieu intellectuel et il est irrésistible. Le seul reproche qu’on pourra lui faire c’est d’avoir été exclusif : il fallait choisir son camp entre les anciens et les modernes. En nuançant, l’Antiquité avait imprégné le Moyen-Âge via nombre de véhicules dont l’art roman et ce depuis Charlemagne. Mais il y a une différence entre le Nord et l’Italie. Cela se voit en Toscane dès le 10ème siècle. Si on précise que la Renaissance n’est pas qu’une imitation mais une régénération, alors la date pivot c’est le 14ème siècle. Il a fallu pour cela des circonstances particulières dans les villes italiennes : la réunion et l’égalité effective de la noblesse et de la bourgeoisie, la formation d’une société qui cherche à cultiver son intelligence et qui en a les moyens. Le développement ne vient pas à travers un simple empirisme, il y faut un guide. Depuis la chute des Hohenstaufen, l’Empire a renoncé à l’Italie et le St Siège se fixa à Rome. Des familles s’étaient imposées moyennant des violences et l’illégitimité. L’esprit de la nation cherchait un idéal durable et nouveau : grâce à l’esprit de l’Antiquité les italiens se sont sentis supérieurs aux autres nations.

Rome c’est la ville aux ruines célèbresElles inspirent à Giovanni Villani sa vocation d’historien ; le regard change et ce n’est plus celui d’un pèlerin. Pétrarque met l’accent sur un autre point de vue que celui de Villani. Pendant la période des papes d’Avignon, le vandalisme dans la ville a été fatale à de nombreux vestiges anciens. Pogge est le premier historien à lire les ruines sans en rajouter par l’imagination ou des références à la chrétienté. Et puis vient le règne pontifical de Nicolas V, que renforce celui de Pie II en faveur de l’archéologie éclairée. Rapidement se développent les collections d’antiquités et rapidement aussi se répand une mode « à l’antique » dans des mascarades qui n’ont pas grand chose à voir avec la vérité dans leurs reconstitutions. Les mascarades se généralisent dans les pontificats de Paul II, Sixte IV et Alexandre VI. Cependant grâce aux fouilles on est arrivé à mieux connaitre l’ancienne Rome, loin de tous ces fatras.

Les auteurs anciens ont été propagés, surtout les plus connus ;  les poètes, les historiens, les orateurs, les épistémographes latins étant les plus célèbres. On avait des traductions latines de certains textes d’Aristote, Plutarque et quelques auteurs grecs qui influencèrent Boccace et Pétrarque. Ce n’est qu’au 15ème siècle que commence l’ère des découvertes, la création systématique des bibliothèques et ce par la multiplication des copiesNicolas V est à l’initiative de la création de la bibliothèque vaticane. À Florence, Niccolo Niccoli  dépense une fortune pour acquérir des livres et quand il fut ruiné, les Médicis lui ouvrirent leurs caisses : Ammien Marcellin, Cicéron, Lucrèce, Pline s’installent dans ces murs. Il faut citer 2 autres bibliophiles qui explorèrent les abbayes d’Allemagne du sud (Guarino et Le Pogge) où on trouve d’autres livres de Cicéron, Quintillien, Silius Italicus, Manilius, Lucrèce, Valerius Flaccus, Ascon, Pedianus, Columelle, Celse, Aulu-Galle, Stace, Frontin, Vitruve, Priscien. À Venise on constitue une bibliothèque avec l’aide du Cardinal grec Bessarion. Il y a une bibliothèque à Urbino grâce à Frederic de Montefeltro, avec le concours de Vespasiano. Ici on invente les catalogues qui se généraliseront pour d’autres bibliothèques comme Pavie et Oxford. Il faut évidemment y trouver des ouvrages des grands penseurs chrétiens du bas et haut Moyen-Âge. Mais on trouvera les modernes (Dante, Boccace) et les humanistes ainsi que d’excellents livres de médecine. L’époque des copistes sera précieuse car les plus importants comprennent le grec. Il y en a eu des bons et des moins bons, la qualité se trouvant toujours chez les moines. À l’époque de Nicolas V, les copistes sont allemands et français, bref des barbares ! La calligraphie était essentielle en ces temps là puis surgit l’invention de l’imprimerie qui décupla l’expansion de ces écrits. 

À mesure que progresse l’étude des langues et de l’Antiquité, on voit se développer la critique des textes. Le grec fut porteur de grandes acquisitions dans le domaine des sciences et ici Florence est vecteur essentiel de diffusion. Les italiens étaient évidemment sensibles au latin. Le grec aussi fut étudié chez les hommes du nord : Agricola, Reuchlin,  Erasme, les Estienne, Budé). Il y avait aussi l’impact des colonies de savants grecs exilés en Italie comme Jean Lascaris. Cet apport cessa quand les turcs achevèrent d’asservir les grecs. L’importance du grec est donc limitée au règne de Léon X. Il faut rappeler autre chose aussi : à côté des études classiques on s’intéressa aux études orientales ; on croise à Florence Giannozzo Manetti qui connaissait l’hébreu et la science juive. L’arabe était important en médecine grâce aux traductions de Hieronimo Ramusio de Venise. Il faut signaler le Pic de la Mirandole car il n’est pas fasciné par la mode de l’Antiquité et veille à réveiller le souvenir des scolastiques ce qui est important en philosophie.

Au 14ème siècle il y a déjà un humanismeMais a-t-il fait fondre l’esprit antique avec l’esprit moderne ? Les prédécesseurs sont les clercs errants du 12ème siècle qui sont des poètes habités d’un esprit libre. Mais ceux qui propagent alors les idées de l’Antiquité pourraient regretter que les suivants fussent les humanistes. En effet au début à Florence, tout le monde avait droit au débat, savaient lire, même les femmes. Les premiers textes de Dante étaient connus là bas par les ouvriers. Mais à partir de 1400 l’humanisme étouffe ce mouvement culturel. On attend tout désormais des enseignements de l’Antiquité. L’érudition s’accompagne d’un respect de l’autorité. On sacrifie le droit municipal au droit romain. C’est ça qui plait aux tyrans. D’où va venir le changement de balancier ? De Dante, Pétrarque et Boccace qui expliquent la littérature en italien. Il faudra longtemps pour qu’on découvre le Decameron car ce sont les textes en latin qui sont à la mode. Tout le monde est convaincu que l’Antiquité est la source même de la nation italienne, son premier titre de gloire. Cet état d’esprit, on le doit à la première génération de poètes philologues ; leur couronnement symbolique se faisant dans des cérémonies où les empereurs attribuaient des lauriers : par exemple, pour le savant florentin Zanobi della Strada. Au 15ème siècle les papes et d’autres princes ne veulent pas rester en reste.

Dans les universités et les écoles, l’influence de l’Antiquité sur la culture y trouve véhicule à son expansion. Dès le 14ème-15ème siècle elles se multiplient. Au début il y avait 3 chaires pour le droit canon, le droit civil et la médecine. S’y ajouteront peu à peu des professeurs de rhétorique, de philosophie et d’astronomie. La chaire de rhétorique était ambitionnée par les humanistes. Le métier de professeur n’était pas stable, et pullulaient les lieux où n’importe qui diffusait des cours. Ce n’est que sous Léon X que de l’ordre est imposé dans les universités. En deçà il y avait les écoles latines où on apprenait en plus la lecture, l’écriture et le calcul ; on y initiait à la logique ; ces écoles relevaient de l’autorité non de l’Eglise mais de la municipalité. L’éducation des enfants en vue d’un accès aux études supérieures concerne d’abord les familles princières comme les Vittorino da Feltre à Mantoue. Mais certains mécènes ouvraient les portes à des pauvres : Guarino de Vérone fut appelé à Ferrare par Nicolo d’Este. Commencent à être rédigés des traités sur l’éducation, un peu partout en Italie. Ils essaiment en Allemagne grâce à Sylvius Aeneas.

Les promoteurs de l’humanisme parmi les noms cités deux paragraphes plus haut sont décisifs à l’époque de transition qui marque le commencement du 15ème siècle car alors l’humanisme prend un caractère pratique pour la vie de tous les jours. C’est à des gens comme Niccolo Niccoli, Gianozzo Manetti que s’adressent les princes. Vespasiano écrit un livre sur ce courant qui aura un grand retentissement. À Florence du temps de Côme et Laurent de Médicis, Marsile Ficin ouvre une école avec Bartolommeo Valori, Donato Acciajuoli, Pierfilippo Pandolfini, où il met en avant la philosophie de Platon. Pic de la Mirandole les fréquentera. Quelle place a donc l’humanisme à la Cour des Princes, entre tyran et philologues ? Parmi les princes séculiers du 15ème siècle, c’est Alphonse le Grand, roi de Naples, qui montre le plus d’enthousiasme pour l’Antiquité. Il passa les rênes de son royaume en Aragon à son frère et se consacra au royaume d’Italie. Il prit à son service Georges de Trébizonde, Chrisoloras le jeune, Laurent Valla, Barthélemi Facio et Antoine Panormita qui devinrent ses historiographes. Quant à lui il ne cessa de lire Tite-Live, Vitruve et se coupa du monde. À la Cour de Rimini Sigismond Malatesta lui ressemble.

Que veut dire reproduire l’Antiquité ?  Féru d’épistolographie et de discours latins, l’humaniste est indispensable tout autant aux républiques où il apporte son concours à la rédaction des lettres ainsi que dans la rédaction de discours publics et solennels. Pour un bon style, il faut être un bon latiniste, peu importe qu’il soit de noble extraction. Ainsi à la Cour de Florence, les humanistes viennent d’Arezzo, ville sujette, Leonardo Bruni, Carlo Marzulppini et Benedetto Accolti y sont appréciés. Le Pogge vient de Terra Nuova. Les plus grands emplois étaient aux mains d’étrangers car à Florence on veut s’entourer des plus grands penseurs d’où qu’ils sortent. Les Cours papales feront de même en s’attirant les talents de Giannozzo Manetti et de Charles Arétin, de Blondin de Forli, et Lorenzo Valla. Les 2 célèbres secrétaires de Leon X, Pierre Bembo et Jacques Sadolet deviennent illustres entre tous. 

Mais toutes les chancelleries n’écrivaient pas avec élégance, ainsi à la Cour de Milan. On cherchait ses modèles dans les recueils de lettres de Cicéron ou Pline. Dès le 15ème siècle apparaissent les traités d’épistolographies et des formulaires de lettres latines produisant un essor de la grammaire. À côté des lettres latines, le 16 ème siècle produit aussi des modèles de lettres en italien. Ce genre plus moderne est porté à un énorme rayonnement par Bembo. 

Au dessus de l’épistolographe il y a l’orateur. Tout le monde était passionné pour la parole vivante et l’image du Sénat romain était dans toutes les têtes. L’éloquence s’est complètement émancipée de l’Eglise où elle avait trouvé refuge au Moyen-Âge, l’éloquence latine mais aussi italienne. De nouveau l’origine de l’orateur n’a pas d’importance. Jeronimo de Costello à la Cour de Borso à Ferrare accueille Frederic III et Pie II. Sylvius Aeneas prêche à la fête de St Ambroise devant l’archevêché de Milan. Il y avait beaucoup d’occasions pour l’orateur de parler en public. Dans les rapports d’Etat à Etat les négociations étaient doublées de moments où il y avait des discours. Les enfants de la maison Sforza étaient formés en ce sens et ont développé des discours devant le grand Conseil de Venise. Mais toutes les occasions politiques comme le renouvellement de hauts fonctionnaires sont bonnes à prendre. À Florence les condottieri payèrent leur tribut à l’éloquence s’ils voulaient accéder à un pouvoir durable. Évidemment à l’enterrement d’un prince ou au mariage d’Anne Sforza avec Alphonse d’Este par Filelfo. Il y a aussi les rentrées académiques où les professeurs font des discours. Pour les avocats les discours étaient adaptés aux compositions de l’auditoire. 

Un genre à part : les harangues aux soldats avant la montée au combat comme le fit Frederic d’Urbain. Machiavel est pour beaucoup à Florence dans les discours aux milices florentines où l’on parle de patriotisme. On en arrive aux prédications lors du carême par Bernardin de Sienne. Bref l’heure des humanistes durera jusqu’au 16ème siècle lequel amènera la diminution radicale des privilèges qui leur étaient accordés. Si on descend sur la nature et le contenu des discours il faut suivre les règles établies par Bruno Casini. Pour l’éloquence comme pour le reste la mort de Léon X et le Sac de Rome inaugurent l’ère de la décadence.

Venons en aux traités en latin et à l’histoireLes traités sont empruntés directement à Cicéron et ce n’est pas ennuyeux ! Le siècle qui brisa les entraves du Moyen-Âge avait besoin d‘être initié aux doctrines de l’Antiquité sur les questions de morale et de philosophie. Cela transite par ces documents ; grâce à eux la langue devient plus riche et plus variée. Comme genre littéraire ces ouvrages font circuler nombre de lieux communs. Mais grâce à ça, peu à peu, l’originalité prend le pas sur l’initiative, jusqu’au temps de Bembo et Luigi Cornaro. À côté il était inévitable que l’humanisme s’empare de l’histoire ; cela y perdit le côté vivant, rien de comparable avec le travail de Villani. Avec Léonard Aretin et Le Pogge tout devient terne et conventionnel et ce en raison d’un souci de plaire à leurs lecteurs. Mais le lecteur ne s’y trompe pas et préfère ce qui sort à Ferrare ou à Bologne et encore plus ce qui sort en italien. On devra attendre le 16ème siècle pour voir s’ouvrir une filière d’historiens italiens importants, P Jove et Bembo. À contrario pour toucher les savants il faut parler en latin et ce encore pendant longtemps. Les historiens n’étaient pas attendus sur le Moyen-Âge et pourtant il y a des exceptions : Matteo Palmieri, Blondus de Forli.

Qu’en est-il de la latinisation générale de la culture ? (Nous ne pouvons pas suivre les humanistes dans les sciences spéciales. Il faut renvoyer à des historiens de la philosophie des sciences). Le latin comme langue de la culture est une évidence mais le poids de l’Antiquité y est cependant variable. Le latin sera le véhicule de pas mal d’idées modernes surtout quand on abandonne Cicéron pour s’enrichir du latin des comédies de Plaute et de Térence. Il y a eu des dérives quand on abusait d’une source privilégiée, par exemple le cicéronisme ou le vitruvianisme n’ont plus rien à voir avec les auteurs sources.

La poésie néo-latine est le plus beau titre de gloire des humanistesC’est la poésie qui caractérise l’humanisme. L’admiration de l’Antiquité explique le choix du latin en poésie par rapport à l’italien. Mais l’imitation qui en résulte n’est pas exempte de déchets ; seules sont appréciées les oeuvres originales, les créations. Ce qui réussit le moins c’est l’épopée à partir de légendes et histoires de l’Antiquité. Il y a des lecteurs qui aiment Scipion l’africain et les deuxièmes guerres puniques. Le développement du mythe antique, le comblement des lacunes politiques qu’il renferme sont les plus productifs. La poésie italienne s’empare de cette veine. Dans la foulée on invente de nouveaux mythes purement imaginés où l’épopée se drape d’éléments pastoraux. À travers ces mythes on voit que les dieux antiques remplacent les figures allégoriques et sont un élément de la poésie libre, une sorte de beauté neutre qui se prête à mille combinaisons variables et variées. On recroise Boccace et Bembo. On voit aussi naître de volumineux poèmes épiques dont le sujet est religieux avec Gyraldus, Vida, Sannazar. Tout ceci est très baroque et l’on sent combien cela tente de faire pare-feu à la vague grandissante de la Réforme. 

Pour revenir à l’histoire, les biographes développent une ligne du temps et se centrent sur un prince ; cela n’évite pas des excès de flatteries mais parfois on y trouve une perle sous forme de poème. Par exemple l’épisode de la chasse de Léon X à Polo par Adrien de Corneto. C’est d’autant meilleur qu’on évite le panégyrique, le pathétique ou les généralités, ce qui entraine un effet comique non voulu. Par exemple le poème de Hercule Strozza à la mort de César Borgia. Finalement l’usage des vers s’est généralisé car on aimait. Le sentiment du style porté à sa plus haute puissance est un passage obligé pour frapper le lecteur, capter l’attention du public. Il y a même des ouvrages didactiques qui tentent d’ouvrir ce secteur de la littérature aux débutants ainsi par Pier Angello Manzolli. On terminera avec la poésie lyrique qui est aussi à la mode que l’épistolographie dans un autre domaine. On sort des accents lyriques pour tomber dans la période dite de la post-Renaissance. Ce qui surtout apparait antique c’est une foule de poèmes écrits en vers élégiaques ou en hexamètres, ce qui est de rigueur pour exprimer le patriotisme.La décadence de l’humanisme se produit au 16ème siècle quand la Contre-Réforme les accusera d’hérésieMais c’est surtout l’imprimerie qui les fit disparaître. Quand l’opinion se rend compte que les humanistes sont moins nécessaires, elle les dénigre très rapidement. Mais ce sont les humanistes eux-mêmes qui sont les premiers responsables de leur décadence car ils se détruisirent entre eux ; ils n’ont jamais eu l’esprit de corps et pouvaient être odieux. Le plus souvent il suffisait d’être médisants car la vie privée des humanistes n’était pas très morale. Les vrais savants en ont fait les frais. Piero Valeriano rapporte nombre de suicides, des coups de « justice », fomentés dans le secret par les tyrans, qui déguisèrent des meurtres en faux suicides. Il fallait un sacré caractère pour survivre comme Gasparo Contarini qui déniche le moine français Urbano Valeriano de Bellune ou Fabio Calvi de Ravenne mais aussi Sabellicus dont le maître obscur était Pomponius Laetus. Les académies auront été les dernières à lancer les derniers feux des humanistes.

Quatrième partie : la découverte du monde et de l’homme

Les italiens ont beaucoup voyagé. La découverte des contrées lointaines a commencé par les croisades. Ls italiens avaient des flottes et des intérêts commerciaux en Orient. Mais ils avaient surtout les instincts propres aux peuples en bord de mer. Les musulmans en face avaient déjà dégagé les routes découvertes depuis longtemps. Et dans l’Océan atlantique les italiens du port de Gènes découvrent les Canaries ; les italiens ne sont peut-être pas les premiers mais ils sont dans le coup à 100%, n’oublions pas que C Colomb est génois. Mais il n’y a pas de navigation au long cours sans des progrès en cartographie, géographie, et cosmographie (la terre est ronde). Il faut signaler la curiosité scientifique de gens comme Sylvius Aeneas dans ses rencontres avec des peuplades étrangères en Ecosse et Alpes tyroliennes ; on s’intéresse aux paysages, aux métiers, aux constitutions politiques car c’est là des repères nécessaires pour se lancer vers l’inconnu. Et l’Antiquité là-dedans ? Les observateurs italiens ne les attendent pas pour se faire une idée du monde mais seront confortés par des textes anciens ce qui les encourage, faisant de l’Italie une nation avec une longueur d’avance.

La science de la Nature en Italie est l’affaire de tout un peuple à la différence d’autres nations qui comptent certains savants mais qui sont des exceptions comme Gerbert de Reims ou Roger Bacon. Dante en témoigne quand il fait écho des connaissances de son temps, par exemple l’astronomie. Avant qu’on ait des horloges c’était là une connaissance capitale. L’Eglise fut toujours tolérante et même pour des sciences fausses comme l’astrologie. Il n’est pas non plus sûr que l’Inquisition s’en est prise aux sciences de l’observation. De toute façon l’Antiquité libère les esprits ; on ne dira pas la même chose de l’humanisme qui s’en prend à l’empirisme. Fin du 15ème siècle, les italiens, au croisement de toutes les influences, sont les premiers en mathématiques et sciences naturelles. Partout on voit des livres sur les découvertes dans les études comparées sur les plantes et les animaux. Les princes créent des jardins réunissant espèces et variétés de plantes rares. On fait des jardins botaniques. Mais il y a aussi entretien d’animaux étrangers en vue de leur observation scientifique. Apparaissent des ménageries dans les Cours des princes. Dans ce temps des collections, s’approfondissent la botanique et la zoologie. Il y a des progrès dans l’élevage de chevaux dans des haras. Il y a même des ménageries d’êtres humains.

On découvre la beauté de la Nature. Les italiens sont les premiers à admirer la beauté de l’homme. C’est en plein Moyen-Âge que l’amour naïf de la nature extérieure renait avec les troubadours, chantres de l’amour mais cela manque de profondeur. Même les moines errants de la période échouent sur ce point. C’est Dante qui arrive le premier à faire sentir un paysage quand il produit de l’effet. Pétrarque renforce le sentiment du beau quand il monte sur le Mont Ventoux. Mais il ne fait pas un tableau de ce qu’il voit, il marque l’émotion ressentie en décrivant qu’il s’assied sur un rocher et….lit un passage des Confessions de St Augustin à son jeune frère ! 

Au 15ème siècle l’Italie reçoit une leçon des peintres du nord, par exemple de Van Eyck. Bien nécessaire, tout en précisant que le goût éclairé des paysagistes italiens les préservera de l’imitation servile. On retrouve Sylvius Aeneas car il est le premier qui ait joui des splendeurs des paysages italiens et qui les ait décrit avec l’enthousiasme des détails, comme dans la vue du sommet du Mont Albano. Ce sont là des jouissances essentiellement modernes et l’Antiquité n’y est pour rien. La floraison de la poésie latine multiplie les preuves de la généralisation de cet esprit italien. Ce n’est pas chez les poètes lyriques qu’il surgit mais chez les épistolographes et chez les auteurs de dialogues. Dürer sert de repoussoir pour faire valoir Tito Strozza faisant comprendre que d’un côté on a un peintre réaliste qui se laisse aller à faire des tableaux de genre et de l’autre un poète habitué à idéaliser et user de l’appareil mythologique et qui descend dans la réalité parce qu’un besoin intérieur l’y pousse !

La découverte de l’homme passe par sa description dans la poésie. À la découverte du monde la Renaissance en rajoute une plus grande : la découverte de l’homme en son entier. Nous avons vu que la période a développé l’individualisme et les initiatives mais surtout a mis les mots sur ce phénomène. L’apport des auteurs antiques pousse à la réflexion, à la prise de conscience de l’élément humain en tant que tel, l’homme en général. Et cette faculté de le reconnaitre est de cette époque et est italienne. 

Cette révélation de l’âme d’un peuple ne va pas être simple à prouver mais c’est le sens de toute cette partie du chapitre ! Aristote rappelle qu’il ne suffit pas d’observer correctement, il y faut en plus une poésie hors pair qui fait sentir l’homme en son entier, révélant l’essence au-delà des caractères extérieurs qui la distinguent. Au 14ème siècle  les grands poètes sont des moralistes et ils commencent parfois à faire des tableaux de la passion. Au 13ème siècle les troubadours italiens ont développé une forme importante, les versi scolti, vers de 10 syllabes sans rime. Cette forme est une sorte d’absence de forme où on fait passer le ressenti d’une passion vraie en s’appuyant sur la force de l’idée plus que sur les moyens matériels en possession du poète qui sait son métier. Il y a à côté de ceci une autre découverte formelle : le sonnet qui s’imposera avec Pétrarque. Cette forme est d’abord venue en soutien des élans lyriques mais le sonnet servira dans tous les autres domaines. 

Le sonnet devient le condensateur poétique des italiens, les seuls de tous les peuples qui sachent produire dans le monde du sentiment les images les plus nettes. À partir du sonnet, les italiens ne cesseront de faire des progrès aboutissant à Dante : il est le premier poète à ne pas ignorer qu’il l’est, il est le premier à ne plus s’éviter lui-même, il est le premier poète à pénétrer dans la profondeur de son être. C’est le premier artiste parce qu’il lie la forme et le fond. Après Dante, la poésie avancera avec des moments de recul mais le principe vital deviendra immortel. La culture précède toujours l’art plastique et contribue à le faire naitre. Il faudra un siècle pour que la vie de l’âme arrive dans la sculpture et la peinture à un niveau comparable à ce qu’avait fait Dante. Pétrarque et surtout Boccace prennent honorablement le relais. 

L’Eneide n’explique pas tout, les italiens trouvent en eux même la source de leur émotion. Pourquoi les italiens ne tiennent-ils pas si bien leur place dans le domaine de la tragédie? En Italie il n’y a personne qui arrive à la hauteur de Shakespeare. L’auteur met en cause le courant de la Contre Réforme et l’occupation espagnole même si le drame dans sa perfection est toujours un fruit tardif de toute culture ; en Italie l’heure où le drame aurait pu surgir passera rendant impossible de rattraper le retard. L’analyse plus approfondie montre que le besoin du théâtre n’intéressait personne étant donné la multitude de spectacles par ailleurs. Les planches recevaient les mystères et les scènes religieuses. Plus que la qualité intrinsèque de la pièce, c’est la magnificence des costumes qu’on vient chercher. Les comédies étaient beaucoup plus populaires que les drames et elles ne cessèrent que quand les princes en eurent marre d’être l’objet de railleries comme cible privilégiée des humoristes. 

Le seul genre qui restera et représentera la nation italienne c’est la commedia dell’arte, truffée d’improvisations que tout le monde aimait ; on y croise Pantalon, Polichinelle, Arlequin. Le peuple conserve, depuis le Moyen-Âge et les troubadours, les cycles de légendes et ils ne cessent d’enrichir cette masse d’images et de récits faisant gonfler sans cesse l’imaginaire, instance centrale de la culture. À côté les poètes seront du côté non du peuple mais des humanistes lesquels rejettent le Moyen-Âge. Pour comprendre la poésie et ses règles, il faut être éduqué. Mais ce n’est pas dans ces frises léchées qu’il faut aller chercher des perspectives profondes ni des plans multiples. L’infinie variété et les nouvelles surprises c’est chez Bojardo qu’on les trouve. Unique voie pour échapper à la vague des humanistes et pour arriver à une poésie narrative indépendante. Pulci et Bojardo triomphent dans le genre épique mais dans le goût populaire. Pour ne pas trop caricaturer l’analyse, d’une part il y avait épuisement de la veine et a contrario en prenant l’Arioste chez les classiques, la poésie allait trouver des perles nouvelles modernes dans certains fragments un peu comme par hasard. La contre Réforme triomphe, ne l’oublions pas !

En biographies, les italiens sont les premiers à développer l’art de fixer les portraits de leurs hommes illustres en dehors du commun. Le sentiment de l’individualité nait chez celui qui lui-même est sorti de sa race pour devenir individu. En même temps cela apparait avec l’idée de la gloire. Le premier récit original est celui de Dante par Boccace. Puis Ph Villani écrira les vies des florentins illustres. Toujours à Florence il y a Giovanni Cavalcanti qui excelle dans ses portraits. Machiavel, Niccolo Valori, Guichardin, Varchi, Francesco Settori s’inscrivent dans la suite. Il y a d’autres villes d’Italie où on a des biographes comme Côme avec Paul Jove et Naples avec Tristan Caracciolo. Les italiens font aussi le portrait des grands de ce monde en dehors de chez eux. Quant à l’auto biographie elles est faite par Girolamo Cardano à Milan ou Luigi Cornaro.

Parlons des peuples et des villes. À côté de la peinture des individus se forme aussi l’art de juger et de peindre des populations entières. La topographie nait comme en parallèle de la biographie avec Brunetto Latini et Jovianus Pontanus.

Des peintures de l’homme extérieur sont faites sur base de critères italiens pour reconnaitre objectivement la beauté et la laideur physique. Ces critères doivent beaucoup aux canons de l’Antiquité. Trouve-t-on une théorie de l’idéal ?  Firenzuola a des pages formidables pour décrire la beauté féminine. L’oeil juge sans appel de la grâce. La philologie donne tout un vocabulaire pour être nuancé et précis dans le jugement.Des peintures de la vie active sont le fait de Sylvius Aeneas quand il raconte les régates sur le lac de Bolsena. Chez les Médicis on a de magnifiques descriptions de tournois. Les militaires sont forts pour donner des descriptions de la vie réelle dans les campagnes. Il ne faut pas oublier la vie champêtre car en Italie le paysan est un homme à part entière, à égalité du citadin. On retrouve Jovianus Pontanus, Battista Mantavano. La différence des classes a disparu. Le chapitre se termine sur Pic de la Mirandole.

Cinquième partie : la sociabilité et les fêtes

Revenons sur le nivellement des classes. La Renaissance est la contrepartie du Moyen-Âge pour ce qui concerne la modification de la société. La base n’est plus la même car pour les hautes relations sociales, il n’y a plus de différences de castes mais une classe cultivée pour laquelle la naissance et l’origine n’ont plus d’influence sauf si elles sont jointes à la fortune et aux loisirs qu’elle assure. Ce qui unifia en un tout indifférencié les différentes couches de la société dans le sens du monde moderne, cela a été la réunion des nobles et des bourgeois au 12ème siècle dans une certaine communauté d’existence ; les nobles ici ne tirent pas des casseroles de préjugés. Les tyrans renforcèrent la tendance et Dante y rajouta le goût pour la poésie et la littérature. Finalement la résurgence des modèles antiques entraina alors la disparition de l’idée de noblesse. Sauf à suivre les humanistes derrière Aristote qui change le sens en accordant le titre de noble à quelqu’un d’une grande supériorité morale et intellectuelle, le philosophe. Niccoli décrit alors la situation de la noblesse à Naples, Rome, en Lombardie et à Venise. Le courant s’inversa dans une recherche à nouveau des titres dès que les espagnols font entendre leur désir de plus de considération pour les cours princières orgueilleuses de leur nom. Touchant même la Florence de Côme. Mais ici cependant comme le goût de la culture concernait vraiment tout le monde, cela suscita des railleries de la foule moqueuse. Les Médicis se savent de basse extraction mais ils veulent gommer ça, par exemple dans le faste des tournois. Ceci dit et malgré la mode des cavaliers, la vie de la noblesse en Italie ne pouvait se retirer à part du reste. L’auteur maintient malgré les contre arguments que la Renaissance italienne a toujours considéré le roturier. Il n’y a pas de raison de lui refuser l’audience et le respect s’il est cultivé, lui donnant le titre de gentilhomme. Et le courtisan ?

Les raffinements extérieurs de la vie comptent plus vu que la supériorité de la naissance conférait moins de privilèges si bien que l’individu était obligé de faire valoir ses avantagesLe cercle social par contre se rétrécissait. Il en résulte que les hommes s’affinent et que pour jouer un rôle brillant dans la société, il faut posséder toute une science. L’homme est considéré d’un point de vue extérieur, les objets qui les entourent, ses habitudes journalières, tout cela est plus parfait, plus beau, plus raffiné en Italie. Nulle part on attachait autant de souci pour la toilette et à Florence chacun créait sa mode. À Venise il y a des costumes prescrits pour les hommes et d’autres pour les femmes qui cherchent à apparaitre toute autre que ce que la nature les a faites : changement de teint, modification de certains traits du visage, parfums, hygiène, propreté. À la moitié du 16ème siècle apparait une école de politesse avec le florentin Giovanni della Casa, appelée il Galatea. Le tact est un devoir social, signe d’éducation. En Italie tout concourt à assurer le bien-être, le confort moderne avec l’usage des voitures, des buffets et étagères pour la vaisselle, d’efforts en menuiserie et décoration.

Il y a la langue qui est considérée comme base de la sociabilité. Au Moyen-Âge, la noblesse avait sa langue de « cour » (curiale) qu’on s’appliquait à faire servir auprès de tous les gens cultivés et dans l’écrit. L’idéal c’est l’expression claire appliquée au discours comme on l’avait pratiqué chez les arabes et les grecs. Mais en Italie le problème c’est le morcellement du pays, il n’y a pas d’unité, il n’y a pas de langue italienne. Dante met en valeur le dialecte toscan. Cette langue au point de vue social avait une grande valeur car elle complétait le bagage de l’individu, obligeant à une réserve et une retenue même dans les circonstances vulgaires, conservant la dignité même dans les moments de passion. Ce dialecte sera important au niveau national car il soude ensemble tous les hommes cultivés du pays. Et comme la langue n’est pas l’attribut de la noblesse ou de toute autre classe, le plus pauvre des citoyens y avait accès. Venise, Milan et Naples l’adoptèrent au moment où la littérature écrivait ses plus belles pages. Elle véhiculait un style qui épousait tous les mouvements de la pensée. Le Cortigiano autorise les gens qui ont de grandes choses à dire à inventer leur langue car elle est mobile et changeante, bref vivante. Encore une fois il faut qu’elle soit autorisée par tout le monde. Pas de nécessité non plus à adopter le langage toscan seulement, place aux mots qui viennent d’Espagne et de France s’ils disent mieux les choses. La langue devient le souci de chacun, tout le monde voulant bien la parler. Machiavel est pour beaucoup dans cet apurement de la langue par rapport à des toiles d’araignée qui s’accumulent parfois du fait qu’elle traine dans toutes sortes de coins. On renonçait à suivre l’idéal s’il devient chimérique, on cherche à se rendre maitre de la grande langue générale. Et c’est cette langue qui était la base de la sociabilité.

Quelle est la forme supérieure de la sociabilité ? Elle se crée et s’impose dans des sociétés ou cercles. Le rôle des dames y est très important. Le cercle se choisit une Dame parmi l’assemblée où il y a beaucoup de dames. C’est là que se dégage une forme de sociabilité. Au commencement du 16ème siècle, cette forme est belle et régulière, elle repose sur une convention tacite qui s’inspire du but à atteindre et de la convenance. Dans les cercles peu raffinés aussi, il y avait des statuts et des admissions en forme. Les réunions régulières de corps aussi nombreux rendent possible la représentation de comédies. Les réunions non régulières se mettaient à suivre les lois éphémères établies par la Dame la plus considérée (règne de Pampinea). Les dames qui en avaient les moyens, devenant l’âme de ces sociétés, deviendront célèbres : Isabelle de Gonzague à la maison d’Este, Julie de Gonzague-Sforza, la princesse de Bentivoglio, Blanche Ragona, Cecile Gallerano, Camille Scarampa et surtout Vittoria Colonna. Pour dresser le tableau de ces sociétés à Florence, il faut parler du cercle de Politien. Mais il y eut aussi des cercles qui sont des clubs politiques, ayant toutefois un côté poétique et philosophique.

Qu’est ce que l’homme de société accompli ? Ici on revient sur la figure du courtisanCastiglione en décrit les traits. La « Cour » est plus faite pour lui qu’il n’est fait pour elle. On ne peut rien faire d’un tel homme dans la Cour, attendu qu’il a les qualités et les allures d’un prince accompli et sa supériorité naturelle suppose un être indépendant. Le mobile qui le meut n’est pas le service d’un prince mais le souci de sa propre perfection. Le courtisan refuse les missions dangereuses si elles ne lui offrent pas d’occasions de grandeur et d’éclat. Ce qui l’attire c’est l’onore. Au physique il excelle dans les exercices chevaleresques, il s’épanouit dans une Cour où règne une émulation. L’homme de Cour doit être familier de tous les jeux nobles : la danse, la monte des chevaux, la connaissance de plusieurs langues, il doit être versé en littérature et avoir un certain degré de virtuosité dans les arts plastiques et la musique. Et de surcroît ses talents ne doivent pas le distinguer de trop car il ne faut en rien que sa supériorité soit gênante pour les autres. Plus précisément dans la Cour de Frederic de Montefeltro, on cultivait la bonne grâce et la composition musicale, la maîtrise d’instruments de musique récemment inventés en Italie : (le chant), l’orgue, le clavecin, le luth, la lyre, le violoncelle, la harpe, la cithare, le cor et le trombone. Il y a partout des orchestres amateurs qui se constituaient parfois en corporations, en académies.

La situation de la femme est l’égale de l’homme. Elle a la même éducation (études littéraires et philologiques) et peut tenir sa place dans les conversations où l’antiquité avait beaucoup d’importance. Elle s’intéresse à la poésie italienne, peut écrire des canzone, des sonnets, des improvisations, ainsi la vénitienne Cassandra Fidèle sans oublier Vittoria Colonna.  Il ne faut pas croire que le contenu de leurs créations est mièvres, on peut les croire produites par des hommes. Du temps des condottieri, les femmes italiennes ne cherchaient pas à être connues et couvertes de gloire. Les femmes d’alors devaient s’imposer à des hommes de valeur et les contenir dans de justes limites quand leurs tendances autoritaires d’un sexe dit fort éclataient bruyamment. On disait d’elles qu’elles avaient l’esprit viril, une âme virile comme Catherine Sforza, Clarice de la maison des Médicis. De telles femmes pouvaient entendre des nouvelles grivoises comme celles de Bandello. À côté de la décence et de la gravité, sourd la conscience de l’énergie de la beauté et d’un présent plein de vicissitudes redoutables et tout ceci prend parfois un ton impudique, contrepoids à la retenue qui parfois est un défaut. Les jeunes filles étaient par contre tenues à l’écart de cette société.

Quant à la vie domestique ? L’infidélité conjugale n’entraine pas la dissolution de la famille. Au Moyen-Âge la constitution de la famille était un produit des moeurs régnantes, conséquence des instincts nés du développement des peuples, résultat d’une manière de vivre liée à la condition et à la fortune. La chevalerie laissa la famille intacte. C’est la Renaissance qui essaie de régulariser la famille. En ceci aidée par une économie savante, une architecture rationnelle, l’éducation, l’installation des services comme chez Agnolo Pandolfini. Il est clair qu’une fortune considérable en biens-fonds stabilise la richesse de la terre ; de même on fait fortune  par les revenus d’une affaire industrielle comme le tissage de la soie et le travail de la laine. La femme apprend à être une maîtresse de maison, régentant une armée de domestiques avec fermeté et douceur (autorité) afin de fidéliser les gens à leur maison. Il y a ici aussi un impact de l’amour  de la vie champêtre car la sécurité n’était pas trouvée qu’en ville. Le citadin se dotait d’une villa dès que la prospérité matérielle et la culture de l’esprit firent des progrès suffisants dans le peuple. La même propriété produit tout ce dont elle a besoin : blé, fourrage, vin, huile, bois, et on y est beaucoup plus libre que partout ailleurs.

Les fêtes ne sont possibles que parce qu’il y a une vie en commun de toutes les classesÀ l’origine les fêtes publiques sont de 2 sortes : les mystères et les processions. 

Des premières évolueront d’autres genres : la farce, le drame profane, le pantomime, les chants et les ballets. Les secondes prenaient l’allure de cortèges costumés dont dériveront les mascarades et les carnavals. En Italie ces fêtes publiques  relèvent d’un véritable art (science) de la fête, d’allure allégorique. L’âge d’or des fêtes publiques c’est au moment du triomphe de l’esprit moderne. Les florentins s’organiseront par quartiers car tout individu a le goût de la représentation dès qu’il est un peu cultivé : dans l’aptitude à inventer un masque complet et le pouvoir d’en soutenir le rôle, le personnage s’exhibe sous l’influence des peintres et des sculpteurs. S’ajoute la parfaite intelligibilité de la poésie ; dans les déclamations elle prenait des accents lyriques. On comprenait les figures mythologiques, allégoriques et historiques. Le Moyen-Âge avait été le temps des allégories (le monde idéal suscite des figures) : figures de l’amour, de la chasteté, de la mort et de la renommée. Cela se détériorera avec des rajouts superfétatoires. Les italiens se distinguent des autres peuples surtout en valorisant leurs figures historiques qu’ont chanté les poètes et immortalisé les artistes comme Pétrarque et Dante. 

Revenant sur les mystères, l’auteur décrit les échafaudages, les procédés mécaniques, tous les savoir-faire dans tous les métiers. Cette magnificence dans la mise en scène a été funeste au drame profane. L’essor du mystère sera freiné par le développement excessif de la partie matérielle du spectacle. Il ne faut pas croire que seules les occasions religieuses justifiaient la mise en scène des mystères, comme à la Fête-Dieu. Il y allait d’occasions profanes dans les grandes cours princières où on cultivait les réceptions dans une volonté de surprendre et de surpasser ce qui a déjà été montré. Ainsi lors du passage par Rome de la princesse Léonore d’Aragon pour épouser Hercule de Ferrare. Les pantomimes représentent Orphée, Persée et Andromède, Cérès, Bacchus et Ariane. Les statues étaient jouées par des vivants qui chantaient accrochés à des arcs de triomphe, comme pour le mariage d’Annibal Bentivoglio avec Lucrèce d’Este à Bologne. Cela se produit tout autant à Venise, Milan où Léonard de Vinci crée des ingénieries très spectaculaires comme des machines volantes. En revenant sur les processions, l’auteur s’attarde à la constitution des cortèges. La caractéristique c’est la présence des chars, des voitures, des vaisseaux qui sont de source païenne. Il pouvait se faire que le caractère profane prenne le dessus en substituant la procession par un cortège de personnages travestis. Tout ceci venait des romains, l’Eglise le récupéra en liant la théologie au symbole. Mais il faut bien dire que les triomphes profanes étaient les plus nombreux : la victoire de François Sforza rentrant à Milan, celle d’Alphonse le Grand entrant dans Naples. Les lois de l’allégorie sont contraignantes et même les florentins qui sont chaque fois appelés comme les maîtres en cérémonies, s’y plient. La poésie n’attendait pas de grands événements pour louer les princes. On voit Borso de Ferrare honoré dans un cortège organisé par la poétesse Cléofe Gabrielli de Gubbio et on en trouve trace sur une fresque qui immortalise l’événement. On va plus loin quand on en vient à faire des fêtes uniquement pour représenter le triomphe d’Auguste contre Cléopatre ce qui évidemment ne manque pas de retombées sur l’organisateur, ici le pape Paul II à Rome. Borgia, lui, fit célébrer le triomphe de Jules César et comme les turcs menaçaient, on en profite pour faire défiler les turcs enchaînés. On en vient sous Léon X à célébrer les âges de la vie ou les âges du monde rappelant l’âge d’or de Saturne et son retour. À l’époque des tributs que les villes sujettes devaient apporter à leur suzerain, ce sont de tels spectacles qui sont offerts. Allusion à Venise et à son carnaval autour du Bicentenaire lors des fêtes des Sempiterni en 1541. Rome ne resta pas en reste et inventa les marches aux flambeaux. Florence supplanta Rome en se nourrissant de littérature pour animer ses événements.

Sixième partie : moeurs et religions

Ici on va parler de moralité. Il est impossible de déterminer la valeur d’un peuple parce que les défauts d’une nation ont une double face qui les fait paraitre des qualités. Pour l’auteur, un peuple a un caractère et même une destinée, faits de qualités naturelles et d’autres acquises, mais qui au cours de l’histoire se fondent et se refondent par l’apport entre autre des dons intellectuels en voie de généralisation, comme chez les citoyens de  Florence. Quand la nation italienne approcha d’une ruine politique irrévocablement décidée, des penseurs ont pensé la chose par la dégradation des moeurs et de la référence religieuse. Serait-ce dû à l’apport de l’Antiquité qui donc n’a pas été que positive ? Vu que cela s’accompagnait d’une recherche de gloire historique à distance de l’idéal d’une vie chrétienne. 

Au commencement du 16ème siècle, l’Italie traversera une grande crise morale et ce qui y fit barrage pour une certaine part fut le sentiment de l’honneur, un mixte de conscience du bien commun et de l’égoïsme. Celui-ci peut pousser l’individu à de grandes choses tout en se mêlant à de l’ambition personnelle. l’auteur s’appuie ici sur les Aphorismes de Guichardin, mais chez Rabelais aussi, on trouve cette croyance dans la bonté naturelle de l’homme qui sera la grande idée du 18ème siècle, conduisant la France  à la  Révolution. En tout cas la dégradation de la moralité est accélérée par un recours à l’imagination, colorant qualités et vices.

Parmi ces vices, pointons la passion pour le jeu et les rixes qui s’en suivent, ainsi que les vengeances quand l’excès fait du tort, lequel est vécu comme injure au nom de la famille. Face à cette injustice, la justice des tribunaux ne fait pas le poids, d’où l’apparition des vendetta (le tort personnel est au préjudice du mari outragé) entre les grandes familles. Obligeant les moines et la papauté à prêcher la réconciliation. L’opinion publique soutient la volonté de se venger mais seulement si la satisfaction du geste est à la hauteur du préjudice (il n’y a pas d’autre loi que du talion). 

Dans l’autre sens on voit moins de signes que l’imagination illumine les gestes bienfaisants. Les relations illicites concernent les femmes mariées qui prennent l’initiative d’une quête du plaisir. Et la famille n’en est pas démolie pour autant que la fama publique n’en est pas flétrie. Les nouvellistes et les poètes comiques font leurs choux gras de ces affaires. Par contre les poètes lyriques eux chantent la spiritualisation de l’amour ; l’Antiquité déjà parlait de l’union primitive de l’âme au sein de la divinité. 

La femme arrive ingénue au mariage, parfois arrangé, mais elle s’émancipe dans un contexte d’égalité des sexes. L’homme subit la loi du talion et il n’y consent que par prudence car sinon il pourrait être la risée des tiers. Il faut faire passer l’envie de rire et de se moquer de façon préventive sinon quand c’est trop tard, ce sera par le sang versé au bout de la bella vendetta. L’influence espagnole quand elle s’imposera en Italie introduira le poison de la jalousie. Ceci n’a rien à voir avec une Italie pays des libertins où régnait le sentiment d’illégitimité dès lors que l’amour s’adressait à une jeune fille ou une dame inaccessible. En retour ces dames sont devenues célèbres d’être adulées de tous : Julie de Gonzague, Véronique de Corregio, Vittoria Colonna. 

En Italie le crime prend des proportions énormes, il est souvent prémédité, payé et accompli par des tiers. À côté il y a le brigandage où se sont faits quelques noms même dans le clergé (don Nicolo de Pelegati à Figarola). Il y a des brigands qui se sont faits moines pour échapper à la justice comme Masaccio. Il y a des régions reculées où les étrangers ne pouvaient entrer sans être tués. Dans un tel climat les gens ne pouvaient plus s’imaginer qu’un prince ou un chef de famille important survivrait et mourrait de sa belle mort. En effet pour un régicide, tout a été employé, du poignard à la magie. En Italie on aura vu des scélérats qui tuaient pour tuer : Braccio de Mantoue, Tiberto Brandolino, César Borgia, Sigismond de Malatesta.

Abordons maintenant la religion dans la vie quotidienne. L’incrédulité italienne est un fait avéré et ce en raison de la dégénérescence au sein de l’Eglise. l’Italie n’a pas réagi comme l’Allemagne et ce en raison de l’Espagne. Cela entraina une résignation par rapport aux excès de la hiérarchie ecclésiastique. Seuls inspirent un peu de respect certains évêques et bon nombre de curés. Les chanoines et les moines sont suspects. On retrouve des traces de ce sentiment général dans la littérature comme les nouvelles de Massuccio qui épingle le jeu des faux miracles pour tromper le peuple naïf. Sont visés autant les franciscains que les dominicains, si bien qu’à la fin du 15ème siècle, leur influence chuta. L’Inquisition s’en ressent et mettra pas mal de bémols à ses ardeurs. Dans les ordres religieux, on distinguera les bénédictins car ils ne s’immisçaient pas dans la vie privée des gens. Il faut cependant mettre l’accent sur l’impact de la littérature dans son rôle critique vu que les grosses institutions de l’Eglise sont très installées dans le tissu social où chaque famille compte un membre dans le clergé qu’il soit moine ou curé. On compte de joyeux auteurs satiriques dans leurs propres rangs (Le Pogge, Bandello) si bien que l’Italie indignée ne l’est pas sérieusement assez pour créer une Réforme. En Italie on peut avoir professé son opposition à l’Eglise toute sa vie et demander l’assistance du curé à l’heure de sa mort. Le prêtre dépravé est quand même un prêtre et sa messe reste légitime. Il y a des courants qui alimenteront la Contre Réforme par des prédicateurs de poids produisant grand effet sur les consciences…mais de façon momentanée. Leurs arguments sont très pratiques car ils menacent les croyants tentés par l’incroyance. On les amènera à la pénitence, dans la crainte inculquée que sinon on serait puni par une maladie ou un malheur dans ses affaires (Bernardin de Sienne, Savonarole). Ils dénoncent l’usure, les modes indécentes, les jeux, les mascarades, les recueils de chansons, les formules magiques. Ces prêches s’attaquent à des contrats frauduleux asservissant les pauvres endettés, contrats établis par des banquiers privés et parfois le Trésor public. Les sermons tentent de réconcilier les familles en guerre et dans les vendetta, au cri de Misericordia lancé par un peuple chauffé à blanc. L’Eglise se fatigue de les contrôler mais la plupart du temps s’y essaie (Fra Jacopo Bussolaro ou fra Francesco de Montepulciano). L’Eglise se dote de moyens pour empêcher le démarrage d’une Réforme qui l’aurait renversée. 

L’état de la foi dans la vie quotidienne se lit dans la fréquentation du culte. L’esprit de pénitence et l’espérance du salut dans les bonnes oeuvres existaient au sein du peuple mais moins chez les gens cultivés. Il y a un côté qui lie le christianisme au paganisme de l’antiquité. Le culte de la madone et des saints dans les corporations est très grand. Le peuple voue un culte aux reliques, images miraculeuses… L’art joue un rôle car on y ajoute une puissance magique qui relaiera même le culte des reliques. La Contre Réforme introduit le culte de la Vierge Marie jusque dans la poésie italienne. En même temps au 16ème siècle on entend l’Eglise se plaindre d’un relâchement des fidèles et une désertion des églises. Il faut des guerres et la peste pour que le peuple retourne se confesser. Il y a à Ferrare un prince qui oblige tout le monde à se confesser.

Quel rapport y a-t-il entre la religion et l’esprit de la Renaissance ? C’est par la culture intellectuelle qu’on peut voir la place du religieux et l’état des moeurs à la Renaissance. Le puissant individualisme italien fait tomber sous le charme de la découverte du monde extérieur et intérieur ce qui rend mondain. Le contact avec les byzantins et les mahométans rend tolérant. Quand on s’ouvre à l’Antiquité, la spéculation intellectuelle règne en maître. Les idées de liberté et de fatalité se mêlent dans un contexte politique où la force est pure, où le droit et le mal triomphent rendant la référence à une divinité protectrice douteuse. Comme on ne veut pas s’en tenir à l’incertain, l’astrologie et la magie font relais. 

Pour les gens cultivés quand ils sont troublés dans leur équilibre harmonieux, ils ont les moyens pour le rétablir. Les notions de péché et de repentir ainsi que l’attente d’une autre vie disparaissent devant l’impérieux besoin de construire cette vie-ci, ici. Chacun se fait sa propre religion et l’intérêt pour le monde et la nature est plutôt neutre par rapport à la religion. Cela le ramènera-t-il vers Dieu ? Les mahométans ont une qualité de vie qui séduit l’Italie ; ils sont généreux, dignes et fiers, ils donnent envie de s’entendre avec eux. L’indifférence par rapport à la religion se lit chez Boccace (et Lessing) quand il parle des 3 anneaux reçus de Moïse, Mahomet et le Christ. On retrouve la même chose chez Luigi Pulci, dans Morgante Maggiore où réapparaissent 2 camps qui n’ont pas plus d’argument que l’autre à imposer. Toutes les religions sont également bonnes faisant de l’italien un déiste. Quand on rencontre à la fin du Moyen-Âge les philosophes antiques, l’Eglise est face à un problème autour de la notion de Providence par rapport au libre arbitre. Les épicuriens (Lucrèce horripilent l’Eglise car pour eux l’âme disparait en même temps que le corps. 

Dans l’esprit des hommes cultivés, l’Antiquité nourrit une vie intérieure qui se passe de l’enseignement de la Bible. Cette liberté devient fondamentale. Cicéron, Sénèque transmettent ces idées. Aristote fait pareil. Il faut parler de ces moines qui restent croyants mais s’impliquent dans la traduction en latin d’oeuvres des philosophes grecs transmis par les arabes. Le camaldule fra Ambroglio, Niccolo Niccoli, Giannozzo Manetti, Donato Acciajuoli, le pape Nicolas V, Vittorino da Feltre, Maffeo Vegio, l’Académie platonicienne de Florence, tous ces gens s’appliquent à tenir ensemble leur foi et leur quête rationnelle de la vérité du monde. Rares sont les gens qui iront jusqu’à l’athéisme raisonné. 

On méprise l’Eglise dans son fonctionnement institutionnel mais on s’emmêle avec un mélange confus d’idées ds anciens parfois contradictoires entre elles. Codrus Urceus , précepteur du professeur de Forli est cette sorte de professeur à Bologne. Les humanistes ont dû flotter entre libertinage de l’esprit et le souvenir du catholicisme reçu dans leur éducation. La vie politique du moment mène les humanistes à une froide résignation face aux caprices de la Fortune. On ne fait intervenir la Providence que parce qu’on ne supporte pas cette situation où le sens se perd. Des gens comme Le Pogge, Tristan Caracciolo, Pierio Valeriano, Francesco Vettori, Paul Jove sont tous +- mélancoliques devant le tableau d’une existence où se trouvent peu de jours heureux. Il n’y a vraiment que certains condottieri comme Giovanni II Bentivoglio pour se vanter d’avoir une vie parfaitement heureuse. C’est pure vantardise et ce qui s’impose au contraire c’est une attitude nettement plus prudente où l’on cherche à ses protéger un peu du risque de passer une vie après la mort. Déistes ces gens croient au royaume des ombres décrit par les anciens.Il y a un mélange de superstitions antiques et de superstitions modernes. Le recul du sentiment religieux creuse un vide rempli par l’astrologie antique et arabe. Mais il y a aussi croyance dans les présages et les prodiges. On croit aux démons en lien avec la magie (on marmonne des conjurations pour s’assurer de leurs bonnes grâces) . Les sorcières créent des philtres d’amour, jettent des sorts et tous les combats pour les éliminer n’ont fait que les renforcer. En miroir il y a le conjurateur qui se réfère au Marteau des Maléfices de Agrippa de Nettelsheim qui aide le quidam à apaiser sa conscience s’il veut projeter un mauvais coup. L’usage des telesmata est géré par les télestes. Toute fondation d’un pont se fait en la mettant sous la protection d’une statue enterrée à cet endroit. Pire est la magie noire dont parle l’Arioste dans sa comédie du nécromant. L’utilisation des cadavres dans l’étude de l’anatomie laisse des restes que recherchent les magiciens. Là où tout ce fatras de croyances disparait, ce n’est que pour laisser poindre un fatalisme loin de l’émergence d’un monde moral.