Banner background

L’inconscient cérébral


Auteur du livre: Marcel Gauchet

Éditeur: Seuil

Année de publication: 1992

Publié

dans

par

Étiquettes :


L’advenue de la société des individus émancipés se traduit en profondeur par la ruine des fondements de la possession de soi. L’homme délié de l’assujettissement au collectif est l’homme qui va devoir se découvrir intérieurement asservi. L’épreuve des limites de la conscience est au coeur de la métamorphose des mentalités au 19ème s. A la base de la révolution dans l’idée de sujet que marque autour de 1900 l’émergence de l’inconscient, ce sont les développements de ce double processus d’inclusion de la folie et de redéfinition de l’individualité que l’on retrouve. Cela correspond à l’advenue brutale d’une forme inédite de réflexivité qui ne passe plus par l’unité mais par la division. C’est l’apparition de la névrose , sans oublier l’interaction féconde entre traitement moral et hypnose : la psychothérapie. On saisit un point d’application électif de la recomposition des repères de la personne concrète sous l’effet de l’individualisation. Celle-ci atteint un degré critique sur tous les plans , économique, politique ou privé : de la famille, du salariat, mais également de par le nouvel espace-temps, de la ville, du voyage, des communications et des masses.

Chapitre 1 : Penser le pensable

Inconscient, sujet, histoire. Il y a au moins 3 inconscients. Un inconscient philosophique chez Hartmann, Schopenhauer et Nietzsche. Un inconscient héréditaire dans le darwinisme social et dans la psychologie des foules. Et l’inconscient neurologique … C’est par l’inconscient héréditaire (avec la notion de dégénérescence) que l’exploration systématique du passé s’est imposé comme explication de la pathologie. Mais par l’inconscient cérébral, on devra montrer la disparition subversive opérée sur la volonté dans l’économie du fonctionnement subjectif. Il y a donc à situer des effets de culture (un signifiant nouveau), de réel (suite à une explication imaginaire comme le concept de dégénérescence), en un mot de pensée. Le problème de la méconnaissance de l’inconscient cérébral ne pose pas qu’une question de savoir, il nous pose une question de méthodologie : que faire de ce savoir une fois qu’on l’a acquis ? N’existe-t-il pas en deçà du cercle des idées explicites, un travail souterrain du pensable où résiderait le vif de l’interaction des données et des oeuvres les uns sous les autres et que ce serait le travail de l’historien des idées de le reconstituer ?

La première réticence à introduire l’inconscient cérébral comme précurseur de l’inconscient tout court est d’ordre idéologique. Et ce contre l’interprétation organiciste, en raison de la concurrence entre disciplines psychiatrique et neurologique, vu la stratégie d’autonomie professionnelle utilisant la psychanalyse. Mais il y a surtout une raison qui relève de l’embarras de méthode et de l’obstacle intellectuel. Comment parler d’influence s’il n’y a pas de lien patent de contenu à contenu ? C’est méconnaitre l’impact anthropologique, le choc des faits. Soit de par l’introduction du signifiant inconscient en raison du rôle de la philosophie et de par  l’introduction de l’histoire à l’intérieur du sujet en raison du courant darwinien, il y a délimitation d’une zone qualifiée par les notions de mémoire, sexualité et enfance. Car dans l’enfance se rejoue la genèse même de l’espèce. Mais ce qui modifie les rapports de la psyché et du corps c’est surtout à un autre choc décisif qu’il faut l’attribuer : soit de l’introduction d’une rupture du primat de la conscience vu le rôle des neuro-sciences.

Le réflexe saute à l’assaut de l’avenir. Cet avenir s’ouvre en Angleterre. En 1833 HALL et MÜLLER relisent le concept de réflexe, fixé au 18ème s. par Prochaska. Hall substantive le réflexe sous les espèces de l’arc réflexe. Müller promeut la fonction réflexe de la moelle comme fondamentale dans le décentrement au coeur de ce qui pouvait subsister de centre. Car très vite dans la seconde moitié du 19ème s., les médecins vont mettre à mal la séparation cerveau-moelle.  LAYCOCK affirme le principe général que les centres à l’intérieur du crâne constituant un prolongement de la moelle, à identité de structure correspond une identité de fonctionnement. Ce faisant il s’appuie sur une philosophie de la nature soucieuse de l’unité du mental et du vital ainsi que de la continuité dans l’évolution de l’inférieur vers le supérieur. Ce faisant il est influencé par les expériences mesmériennes faites sur les hystériques. En 1850 Laycock va étendre le modèle pour rendre compte des phénomènes de sommeil jusqu’au délire, le somnambulisme et la folie. Une dispute s’engage alors avec CARPENTER qui parlera des phénomènes magnétiques pour fonder le concept de cérébration inconsciente (à travers les mécanismes d’adoption).

GRIEZINGER, en dehors de l’Angleterre, et dès 1845, combine lui aussi une incitation spéculative venue de la philosophie romantique de la nature, avec une incitation causée par l’échec de l’anatomie pathologique quant à la paralysie générale. Formes complexes et mécanismes élémentaires n’obéissent pas à des lois différentes. Les tensions vers un but associées à des représentations claires sont des mouvements psychiques débouchant sur une organicité des maladies psychiques. Si la folie repose en grande partie sur des perturbations survenues dans des actes réflexes normaux au niveau des troubles sensori-moteurs, il est facile d’admettre que la vie de la psyché dans sa sphère élevée n’est pas pour cela toujours atteinte par la maladie. Ainsi le paradoxe d’états qui mêlent de spectaculaires désordres avec le maintien des plus hautes fonctions. Il est important de retenir une définition de l’hystérie qui fait une part belle à la manifestation épileptique. La périphérie est convoquée pour éclairer le centre. Griesinger part en sens opposé de celui de Laycock lequel se base sur l’hystérie pour en tirer argument quant à la folie.  Le problème de la genèse de l’intelligence  à partir d’une conversion réflexe de la sensation en mouvement permet de localiser un élément, le moi, comme abstraction intégrative organisée de par le renforcement des associations ordinaires autour de grands complexes d’idées toujours plus solidement enchaînées. Le moi ainsi constitué se définit fonctionnellement par sa double capacité d’assimilation et de rejet. Cette distanciation créée par le conflit est précisément ce que la folie remet en cause. Elle procède au plus profond de causes organiques internes qui induisent une perversion du sentiment de soi-même jusqu’à produire la naissance d’un autre moi. Et ceci a un effet retour sur l’inconscient philosophique. HAMILTON disputera avec Carpenter et Laycock autour de la théorie des états de latence mentale (somnambulisme). Laycock lui opposera « l’action cérébrale inconsciente ». Il faut bien voir que la résistance d’Hamilton tient à un rejet de Leibniz qui menace trop l’espace de la métaphysique. L’opposition Laycock-Carpenter est aussi philosophico-théologique : de l’accord de la science et de la religion. Que l’esprit agisse inconsciemment ou consciemment cela ne change rien à son mode d’action. Laycock reproche à Carpenter de réintroduire l’âme cartésienne avec l’idée d’un pouvoir d’auto-détermination, alors que la conscience n’est pas antécédente mais coïncidente des fonctions cérébrales excitées sur le mode réflexe. Laycock en appelle toutefois encore à une cause plus générale mais le mal est fait. Dans son époque Laycock se bute à tous ceux qui empreints du dualisme cartésien entendent s’en tenir au point de vue de Hall. Survient alors JACKSON. Celui-ci va relancer Laycock en s’appuyant sur la théorie de l’évolution introduite par SPENCER : il y a une unité de composition des phénomènes de l’esprit et une continuité de leur développement. Par conséquent toute formation mentale se laisse ramener à la sensation et au mouvement. Si la doctrine de l’évolution est vraie, tous les centres nerveux doivent être de constitution sensori-motrice. Suite à l’influence de BAIN, Jackson s’attaque aux problèmes de l’aphasie comme face motrice opérant au niveau de l’articulation de ce trouble du langage. Puis en vient à l’épilepsie qui est encore davantage une réduction à un état automatique. On touche au domaine de la psychologie de l’association. En 1870 arrivent 2 avancées scientifiques majeures : la théorie des localisations et l’étude de la mémoire comme faculté de nos états inconscients.

Chapitre 2 : Le jeu des modèles

L’idéal de la toute conscience cesse d’être l’horizon de la pensée de la conscience. Malebranche et W Godwin sont dépassés. Le nouveau champ interprétatif est irréductiblement conflictuel  soit qu’on voie le pouvoir conscient dépérir ( ou qu’on décrète le pouvoir conscient illusoire) soit qu’on admette la réalité du pouvoir de la conscience dans le cadre d’une conception génétique et dynamique où elle est puissance gagnée contre son Autre (mais habitée par lui). L’impact darwinien est sensible théoriquement chez Jackson qui avance le modèle de la patho-genèse en termes de dissolution (contre l’évolution). Ce qui était automatique devient conscience en partie aux dépens de l’automaticité primordiale  qu’elle contrôle de haute lutte. Ceci est loin de la hiérarchie cartésienne des substances pensantes par rapport aux sensations corporelles. La question est devenue celle d’un partage de fonction à l’intérieur d’une même sphère et de l’application en retour des fonctions de niveau supérieur sur les fonctions de niveau inférieur. On définit différentes strates de la vie psychique ; on conçoit les modalités de leurs interrelations.

Il y a 2 difficultés toutefois. Quant à la détermination des frontières entre biologique et psychique ; quant à la détermination des parts respectives du facteur structurel et du facteur énergétique. La mise en évidence de la continuité nerveuse disqualifie un certain dualisme et impose un certain monisme. En physiologie le modèle rend intenable le régime d’extériorité de la conscience au corps. En contraignant à concevoir la co-appartenance de l’automatisme et de la réflexion, le modèle relativise la conscience et la volonté. Il oblige à restreindre la conscience claire aux proportions d’une partie d’un ensemble plus vaste.  Pour LANDRY la volonté n’est en réalité qu’une puissance dotée d’une certaine autorité sur le système moteur. Il s’agit donc d’un monisme minimal, celui qui implique l’identité de structure et de fonctionnement des centres nerveux supérieurs et inférieurs. Monisme minimal c’est un peu flou puisque soit le monisme est radical soit on assiste à une reconstruction d’un certain dualisme fonctionnel des instances ou bien un dualisme simplement descriptif admettant l’autonomie des niveaux d’explication tout en postulant l’ultime coïncidence des déterminations physiques et des processus psychiques.

Prenons l’associationnisme.   On a un élément anatomique , l’unité de la connexion sensori-motrice et une continuité de ses éléments ; on a une unité de mécanisme qui lui correspond, soit le réflexe et une continuité du fonctionnement de ses mécanismes du plus simple au plus complexe. La tentation est d’extrapoler jusqu’à une analyse mentale. Il y a assimilation d’un plan à un autre. En fait Jackson et Laycock s’en tenaient à un parallélisme entre les évènements cérébraux et mentaux. Il faudra expliquer l’éclipse de ce courant autour de 1900 et déjouer l’effet-écran. Les constructions ont été repoussées dans l’enfer de la pensée réductrice mais ce qui demeure resurgit aujourd’hui dans le travail de la psychologie cognitive. 

La conscience entre omniprésence et absence, c’est le mécanisme réflexe. PFLÜGER publie en 1853 un mémoire qui prolonge les percées de Hall et Müller sur les fonctions sensorielles de la moelle épinière chez les vertébrés. Ce mémoire établit les lois de l’activité réflexe relativement à la conduction unilatérale, à la symétrie, à l’inégalité de contraction et à l’irradiation. Après cette publication, une controverse d’un demi siècle aboutit au livre de SHERRINGTON : « The intégrative action of the nervous system ». Faut-il faire place à une certaine composante psychique du réflexe, demande Müller ? Hall l’exclut. Pflügger va dans le sens de Hall : là où Hall voyait un mécanisme, il voit la conscience. Le cerveau n’est donc plus l’organe exclusif, la conscience est co-extensive au système nerveux. Elle est mouvement et est divisible. LOTZE va s’opposer à Pflügger en niant une quelconque forme d’intelligence ou de sensation, rapportant les réactions apparemment pourvues de finalité de l’animal spinal à un système de traces laissé intact par la décapitation de l’animal. Le débat du problème de la finalité de l’action réflexe de son orientation vers un but, celui de l’action corticale sur les centres spinaux, va cristalliser le débat sur la conscience selon l’extrapolation de la neuro à la psycho-physiologie. Face à ce fait qu’il y a identité de fonctionnement de tous les centres nerveux, ou bien on doit parler d’omniprésence de la conscience non seulement dans les actes intellectuels mais aussi dans les actes nerveux, ou bien on a omni-absence de la conscience dans les actes nerveux mais aussi dans l’activité intellectuelle.

Vient ensuite une première nouvelle position dans ce champ conflictuel. Georg Henry LEWES considère la moelle épinière comme un centre volitionnel autant que sensoriel. Là où le critère de la continuité nerveuse avait servi à appuyer l’idée de faire pénétrer le réflexe dans la sphère cérébrale, il le retourne : comment dénier la sensation à l’un si nous l’accordons à l’autre ? Paradoxalement en faisant du caractère subjectivement conscient ou pas des processus un caractère secondaire, la conscience se trouve ramenée à un simple mode de la sensibilité. SCHIFF donne alors naissance à la notion de cenesthésie. Ce faisant il procède ainsi à une véritable assimilation du moi à ses bases corporelles, à la somme des informations émanées de l’organisme. On a des sensations périphériques ou des sensations centrales (extrapolation d’une idée de Fichte). La réflexologie explique comment les impressions périphériques en viennent à composer un ensemble à travers la mise en branle des sensations centrales. Le cerveau n’est pas seulement un centre d’irradiation motrice, il est aussi un centre d’irradiation sensitive. Une sensation auditive peut produire une sensation visuelle, une telle sensation secondaire en produira une tertiaire. Une seule sensation peut éveiller une chaîne infinie de sensations centrales, d’images sensorielles et comme toute notre pensée se meut, elle n’est pas autre chose qu’une série d’images centrales, c’est à dire d’excitations de la terminaison centrale des nerfs sensitifs, il s’en suit qu’une sensation peut produire une série de pensées qui réunies aux sensations primitives doivent constituer la cénesthésie. Ce n’est pas la conscience qui accompagne la pensée car si la pensée présente cessait et n’était pas immédiatement remplacée par une autre …ce qui resterait à l’esprit ne serait que rien. La conscience du moi n’est donc qu’interrompue et son contenu varie et n’est point immuablement identique à lui-même. À travers HERZEN et RIBOT, les idées de Schiff consacrent celles de Griezinger : les transformations morbides de la personnalité résultent d’altérations du sentiment corporel.

Face à cela il y a une deuxième position qui s’affirme. Le déclassement réflexologique du cerveau peut être pensé de 2 manières extrêmes selon les pôles de la dispute Pflüger/Lotze : ou bien en étendant les propriétés de sensibilité et de volonté caractéristiques de l’activité cérébrale à l’ensemble du système nerveux, ou bien en faisant de l’automatisme caractéristique des centres inférieurs la loi véritable du cerveau. Dans ce type de disputes, les adversaires convergent dans l’a-conscience que défend MAUDSLEY. La conscience et l’esprit ne sont pas la même chose, la conscience n’est pas l’esprit mais un phénomène concomitant de ses opérations. Un homme ne serait pas moins bonne machine intellectuellement sans la conscience qu’avec elle. La seule chose supprimée serait le sens intérieur par lequel l’individu auparavant observait ces opérations dans son propre esprit ; quant aux opérations elles continueraient, resteraient ce qu’elles étaient. L’agent continuerait son opération en l’absence de témoin. Herzen va critiquer car une telle position gomme la transition évolutive du simple au complexe et surtout réintroduit dans l’analyse l’élément qu’elle prétend écarter. D’où la proposition d’une solution : la synthèse des 2 opinions rivales. Quelque soit le centre actif, le conscient et l’inconscient coexistent toujours et partout mais ils prédominent tantôt l’un tantôt l’autre, selon une perspective évolutionniste. La conscience correspond à une phase de déchiffrement du terrain cérébral où le comportement cherche. Une fois la réponse adaptative trouvée c’est l’automatisme qui l’emporte de nouveau. FREUD affine : chacune des thèses en présence correspond à un modèle global du fonctionnement psychophysiologique auquel on ôte tout si on ôte une partie. Mais conscient et inconscient valent et règnent de concert comme 2 ensembles cohérents et complets chacun à leur manière. On entre dans une problématique du conflit structurel entre des instances et des principes en opposition sur toute l’étendue de la vie psychique. Il faut la conscience parce qu’il existe un irréductible accrochage perceptif de la réalité qui en justifie la nécessité. Mais elle ne représente le côté subjectif que d’une partie des processus physiques qui se déroulent au sein du système neuronique. Autrement dit il n’est rien de la vie psychique qui ne puisse avoir lieu en dehors de la conscience, contenu et forme étant ainsi à séparer. Et il existe ensuite une tendance générale à l’inconscient en fonction d’un impératif : éviter le déplaisir. Conservation de l’inférieur et domination du supérieur ; conciliation du point de vue abstrait de la conscience comme telle avec le point de vue concret de son contenu en termes de plaisir/déplaisir.En résumé et en regard du monisme intégral de Maudsley ou Lewes, Herzen s’efforce de donner consistance à la différence entre conscient et inconscient, comme phases distinctes d’un même processus. Freud parlera d’une opposition structurelle et dynamique d’instances où la notion de défense devient cruciale. La même opération rétablit une certaine clôture de la sphère psychique sur elle-même qui n’empêche pas de postuler une coïncidence dernière de ces manifestations avec leurs fondements organiques mais qui oblige à se comporter comme si l’on n’avait affaire qu’à des facteurs psychologiques.

Chapitre 3 : La pensée, le langage et la foule

Sur des terrains annexes, la loi de l’innovation est la dispersion. SETCHENOV témoigne de la difficulté de passer du simple au complexe et en tire une division en 2 catégories : celle des actions réflexes pures et celle des actions réflexes mêlées d’un élément psychique, le déplaisir qui arrête ou renforce les mouvements réflexes. D’où 3 sortes de mouvements involontaires : la pensée correspond à un phénomène d’arrêt du mouvement, les passions correspondent à des réflexes psychiques à fin renforcée. Il y a un mensonge constitutif de la pensée à elle-même lorsqu’elle se pense comme cause. Après Betcherev et Pavlov, KOSTYLEFF introduira les idées freudiennes en France. « L’interprétation des rêves » reconnait le processus d’une régression sensorielle lequel trouve dans la psychologie objective c’est-à-dire dans les conditions du fonctionnement des réflexes une base physiologique qui répond à toutes les variétés du rêve.  La notion subjective de l’inconscient correspond à une réalité. Comme à la place de l’esprit il faut savoir lire le mécanisme des réflexes cérébraux, et à la place du moi le complexus central de ces derniers, derrière l’inconscient il faut savoir reconnaitre les réflexes dont les voies sont tracées dans le système nerveux du cerveau mais dont la reproduction ne dépend pas du complexus central neuro-psychique de l’individu.  

LUYS dès 1874 s’intéresse avec Charcot, Dumontpallier et Burcq, à l’hystérie et au somnambulisme. Il a une analyse des opérations du langage articulé qu’il faut décomposer en une série de temps successifs qui s’enchaînent les unes et les autres comme toutes les manifestations réflexes similaires et comment dans son évolution régulière l’influence de la volonté et de la personnalité consciente est loin d’avoir un rôle aussi actif qu’on ne leur accorde. Le langage relève d’un automatisme. Soit 3 périodes d’incidence, de propagation intra-cérébrale, d’émission ou de réflexion, soit une triple caractérisation des actions réflexes types : involontaires, automatiques et inconscients. Le somnambulisme s’explique comme des actes fatalement enchaînés qui se déroulent suivant des lois établies et des rapports contractés de longue date et des actions nettement réflexes qui évoluent en ce sens qu’elles sont les reflets d’une impression antérieure incidente +/- bien conservée à l’état de souvenir, qu’elles sont coordonnées et la traduction fidèle d’une incitation satellite primordiale et qu’elles s’accomplissent en dehors de la personnalité consciente.  Les sujets en état d’hypnotisme sont-ils de purs automates ou leurs actes témoignent-ils d’intelligence ? Place à la notion d’imitation avec les apports de BRESLAU qui affirme que les hypnotisés sont des automates imitatifs. JANET s’y opposera. 

Avec Luys on assiste au passage d’une réflexologie théorique à une problématique à la fois clinique et expérimentale de l’automatisme. L’intérêt de son livre «  L’activité réflexe du cerveau ou l’inconscient » est de rattacher via les lois de l’imitation l’inconscient à une psychologie des foules : c’est par ce canal de l’imitation que Luys est amené à parler du caractère involontaire, inconscient et automatique des manifestations collectives. Il n’en est pas moins frappant de voir surgir de la sorte l’inconscient des foules via les tendances imitatives inconscientes qui sont au fond du coeur de toute créature humaine, et au bout de l’inducteur décidément fécond qu’aura représenté l’activité réflexe du cerveau. CHARCOT y fait une allusion favorable dans un texte qui relate avec RICHER une spectaculaire expérience de suggestion par les sens musculaires chez les hystériques hypnotisés en phase cataleptique. Il y a aussi l’article sur le délire par BALL et RITTI : il existe un certain nombre de phénomènes de l’activité cérébrale qui constituent ce qu’on a appelé la cérébration inconsciente et se distinguent des  phénomènes cérébraux conscients et volontaires en ceci qu’ils s’accomplissent automatiquement. Il y a aussi EXNER dans le laboratoire de Brucke qui tire les conséquences linguistiques en parlant comme Schiff de l’impropriété de notre langage usuel à propos de l’individualité, une langue qui ne permet pas de parler d’un processus idéationnel sans le personnifier. Le traducteur à l’oeuvre pour dégager le sens de cette langue est SOURY (proche de Maudsley, traducteur de HAECKEL grand vulgarisateur de Darwin, traducteur de Hartmann le philosophe). Il propagera la psychophysiologie en France mais il est aussi un doctrinaire du nationalisme. L’inconscient c’est le pouvoir sans limite des absents qui ont fondé la race. La critique de l’illusion subjective ce peut être également le moyen de donner un fondement au culte des morts et de la terre où ils ont vécu et souffert. La science du cerveau aura compté parmi les composants les plus corrosifs dans un chaudron bien mystérieux.

Nietzsche ouvre la métaphysique de la psycho-physiologie.  NIETZSCHE entreprend de remettre en cause le « ça » résiduel qui lui apparait excessif par rapport à la réalité. Ce « ça » freudien comporte une interprétation du processus et ne fait pas partie du processus lui-même. Nietzsche présente ce « ça » comme un surcroît de complexité du fait de poser 2 questions au lieu d’une. Il oblige à considérer les rapports de dépendance entre un système de pensée et les supports concrets et scientifiques sur lesquels il prétend +/- métaphoriquement faire fonds. Le point est globalement connu : on sait sa dette au cours des années 80 envers la science et singulièrement envers les théories biologiques de son temps. Nous nions qu’il existe une volonté, nous nions la conscience en tant qu’unité et que faculté, nous nions qu’il y ait pensée car il nous manque et ce qui pense et ce qui est pensé. La psychophysiologie comme doctrine une fois qu’elle est définitivement démodée et que ses auteurs sont oubliés, certaines de leurs formulations favorites n’en vont pas moins surnager et se transmettre au travers de leur ré-orchestration nietzschéenne voire faire figure de pointe extrême de l’audace spéculative, en l’ignorance complète de leur substrat d’origine. Contournement de la conscience au profit de l’organisme (voire de l’organique), contournement de la propriété personnelle au profit de toutes les générations passées, on voit d’emblée s’ouvrir 2 voies qui produiront leurs fruits 10 ans plus tard. Il faut reprendre tout ce qu’on a appris sur la mémoire : elle est la foule de tous les vécus de toute vie organique qui continue à vivre, elle s’ordonne, se forme par action réciproque, est en proie à des luttes intestines, mais simplifie, concentre et transmue en une multitude d’unités… D’où de l’autre côté la dés-identification qu’autorise la perspective de pareille présence-absence du passé. Entre la première prise de contact avec les données dé-subjectivantes de la psychophysiologie et les fulgurations sans appel des dernières années, Nietzsche s’est informé dans le domaine. Probablement ainsi est-ce au travers de Ribot que les thèses d’origine pflügérienne quant à la divisibilité et à la multiplicité de la conscience sont parvenues jusqu’à Nietzsche mais elles peuvent avoir pris d’autres canaux tellement elles étaient dans l’air.  

Notre conscience à l’étage le plus haut tient habituellement les autres sous clef, croit-on …mais la plus petite créature organique doit avoir de la conscience et de la volonté. On entend là un écho de la perspective évolutionniste développée par un naturaliste comme Perrier et aussi par Ribot relativement à la formation d’une conscience coloniale par coopération des consciences locales. Dans les pas de Wilhem Roux, Nietzsche transporte la lutte sélective à l’intérieur même de l’organisme, entre ses différentes parties. Les multiples êtres animés qui composent le corps se combattent naturellement puisqu’ils sont dans une hiérarchie instable. « Illusoirement, à quelque titre, réellement unifiée, toute la difficulté est dans le discernement de l’articulation de cette illusion et de la réalité que recouvre bel et bien néanmoins l’existence d’une totalité ». Simplement ce qu’il s’agit d’éviter c’est l’assimilation de cette totalité à une donnée spirituelle alors qu’elle présente en fait toutes les propriétés de l’organique qui pour une part nous demeurent inconscientes. Si Nietzsche se trouve très proche du renversement qui fait de la cénesthésique la base de la personnalité, jusqu’à souligner le caractère constamment transitoire et fluctuant du sujet, il manifeste en même temps une permanente réserve. Il s’agit par un côté de préserver le rôle spécifique de l’intellect comme moyen d’illusion responsable ce ces synthèses conceptuelles et autres identités imaginaires dont le moi représente le parfait exemple et il s’agit par un autre côté de laisser à la pluralité subjective la possibilité de jouer et de s’exprimer au plan éthique contre l’égoïsme qu’implique l’adhérence aveugle à la cohésion fournie d’un corps. Loger dans l’étendue du corps le pouvoir de coordination qui s’expose sous forme d’unité de la personne, c’est admettre que ce qui se passe dans la conscience n’en livre au mieux qu’un aspect sommaire. La personnalité consciente, écrit RIBOT, ne peut donc pas être une représentation de tout ce qui se passe dans les centres nerveux, elle n’en est qu’un extrait. Trait remarquable il en prend pour illustration la contrainte de la pensée consciente à s’ordonner dans le temps contre la simultanéité de la pensée du corps. La critique du moi insécable ordonnateur et toujours déjà donné se prolonge nécessairement en critique de cet autre fantôme métaphysique qu’est la volonté. La volition n’offre qu’un cas extrêmement compliqué de la loi des réflexes. Le « je veux » constate une situation mais ne la constitue pas , il est en lui-même dénué de toute efficacité pour faire agir. On peut évoquer les suggestions de Schiff relatives à la façon dont le travail réflexe de la mémoire compense les variations et les interruptions de la conscience du moi pour nous persuader de sa permanence omniprésente, dans une rétrospective constructive que nous prenons à tort pour une introspection ouvrant sur une certitude immédiate. Le monde phénoménal ne nous apparait comme cause qu’après qu’elle a agi et que son effet a été élaboré.  Tandis que je vois, « ça » voit déjà autre chose. La conscience de l’unité  est en tout cas quelque chose de fort inaccompli et souvent mal assuré , comparé à l’unité réelle invétérée, incorporée et opératoire de toutes les fonctions. Physiologiquement superflue, la conscience est née de la pression du besoin de communication. Ce pourquoi, loin d’être un moyen de connaissance et de compréhension individuelle, elle est par excellence la part du non individuel, du grégaire, du moyen, du commun en chacun de nous, un instrument de généralisation, de superficialisation, de falsification.

Chapitre 4 : Un réflexologue inconnu : Valéry

« Mon idée-image capitale a été celle du fonctionnement appliqué à la psychologie. Et quant à la teneur de ce fonctionnement, il réaffirme et se confirme en parallèle : le réflexe est la notion capitale commune à l’observation en physiologie et à celle en psychologie. » Aux êtres fantomatiques qui peuplent le théâtre mental, Valéry substitue partout le point de vue du mécanisme et du mouvement, et d’un mécanisme qui se peut ramener à un rouage élémentaire. Dégager, du peu que l’on sait sur le corps, des conditions pures, des restrictions simples de façon à les retrouver dans la pensée, c’est en quoi la recherche de la théorie des réflexes s’avère la voie royale. Généralement réducteur, ce réflexe deviendra chez Valéry complexificateur. L’originalité sera de passer du réflexe à l’acte complet. Dès 1901 Valéry parle de créer une notion plus adroite que celle d’inconscient. Le problème est de contourner les illusions de la présence et de la propriété personnelle. Dans ce qu’on pourrait pompeusement appeler les philosophèmes de la réflexogenèse, nous voyons reparaitre les formules et les tours destinés à rendre l’impersonnalité foncière de ces processus que nous nous obstinons à nous approprier quand ils ne font que nous traverser.  

VALERY réactive un procédé de langage solidement éprouvé, à savoir la neutralisation de soi par l’objectivité de la 3ème personne. Pourquoi dire : j’ai rêvé, quand il faudrait dire : il a été rêvé. Mais l’essentiel n’est pas du côté de l’inconscient. Valéry est un grand théoricien de la conscience. L’opération centrale consiste dans une dérivation de l’un en deux : de la matrice primordiale du réflexe pur sort un second registre qui fonctionne différemment et produit d’autres effets tout en obéissant au même patron (tout en étant une extension du premier). « Je vis que tandis que les réflexes ordinaires sont composés de 2 éléments successifs incomparables dont l’un est toujours antérieur et l’autre toujours conséquent, les relations psychiques sont dans les deux sens. » Au couple mot-sens correspond le couple sens-mot tandis que le couple douleur-cri n’est pas doublé d’un couple cri-douleur. Il y a donc un domaine de possibilités grâce auquel le langage peut être créé. S’il est une idée fondamentale dans la psychologie de Valéry c’est assurément cette assimilation du psychique à un espace virtuel en perpétuelle recréation.  L’état naissant du réfléchi est réflexe. L’esprit n’existe qu’en acte. Tout ce qui est esprit est réponse. Si je veux dessiner exactement un objet, acte nécessairement conscient, ce que je veux est de l’ordre d’un réflexe. L’acte essentiel et le plus fréquent est de se retrouver. Cet acte se confond avec l’esprit même. Il est réflexe…le dehors commence au dedans et le commerce avec le dehors n’est concevable que sur le fond de cette extériorité intime. Être seul c’est être avec soi, c’est toujours être 2. Sans quoi, sans cette division ou différence interne, jamais nous n’aurions commerce avec autrui car ce commerce consiste dans la substitution d’une voix ou d’une audience étrangère à la voix ou à l’audience de l’Autre qui est en nous et fait le second membre de chaque pensée. La relation fondamentale de la conscience est comme entre 2 pôles dont l’un peut être ou de moi ou de toi, l’autre étant nécessairement de moi. Peut-être la pensée par là se montre-t-elle avoir été peu à peu dégagée, inculquée par la société au sens le plus simple du terme. Le sûr est que la pensée consciente c’est-à-dire exprimante/exprimée se propose sous la forme d’une correspondance entre parler et entendre, donner et recevoir, subir et agir. Il y a échange.

Ce qui forge réellement malgré tout une construction cohérente réside dans la conception d’une transcendance automatique du moi, en quelque sorte. La conscience est en fait un travail de dégagement. Le moi est le pôle vide dont l’institution et la ré-institution permanente ré-ouvrent le champ indéfini de l’expérience possible, en distinguant l’esprit de son propre état. Le moi est ce qui surgit pour nous débarrasser du non-moi, qui peut tout aussi bien être le moi immédiatement précédent. Cet acte d’évacuation du second membre est la plus nette image de l’acte même qui définit le moi, le réflexe central qui repousse quoi que ce soit… Le zéro est là pour signifier le peu de consistance intrinsèque de ce moi qui est réaction et relation pures, par l’évidement de son contenu, par sa pure disponibilité. C’est une question de dédoublement. Il faut tout simplement concevoir l’application au dedans du soi de cette puissance in-discriminée d’oppositions qui constituent le moi. Elle est source d’un procès général qui est un procès d’objectivation dont l’objectivation de l’autre en soi, de soi comme autre, n’est qu’un cas de figure particulier. D’où ces doubles de moi-même sur lesquels je bute en permanence ou mieux ces termes complémentaires inséparables comme voir/être vu ou, et surtout parler/entendre, entre lesquels se répartit mon expérience. C’est dans l’essai d’une logique à base réflexe que « Monsieur Teste » a pensé trouver le remède à la fiction que le sujet est pour lui-même.

Conclusion : L’insistance et l’oubli

L’âge d’or du modèle de l’arc réflexe et de la psychophysiologie dont il justifie les promesses se situe entre 1870 et 1900. Après, le spiritualisme et en tout cas un idéalisme reviennent en force jusqu’à produire la psychiatrie existentielle. HUSSERL réinvente le point de vue transcendantal contre le psychisme. BERGSON met en forme une protestation contre une vue atomiste et mécaniste de la vie mentale, contre la version matérialiste de l’histoire du vivant. DURCKHEIM assoit les emprises des représentations collectives de l’individu contre l’épiphénoménisme : il y a l’épaisseur propre du règne psychique. Il y a réorientation des « Sciences du Vivant », dans la biologie néo-vitaliste de Hans DRIESCH et l’éthologie du milieu de VON UEXKÜLL. La physiologie s’appuie maintenant sur des modèles de « Dynamique des systèmes ». En psychiatrie il y a remise en question et en cause des postulats de « l’associationnisme ». La récupération de cerveaux lésés ébranle les théories de la localisation strictes et réclame une approche globale. En neurophysiologie le concept d’action intégrative de Sherrington se voit opposé à la considération du mouvement réflexe comme un comportement, une réaction du Tout organique à une modification de son rapport au milieu. Le freudisme est d’abord un produit de la réaction globaliste. 

OR il y a lieu de lire ici l’ombre portée du mouvement réflexe. NIETZSCHE passe  ici mais sans la physiologie. S’il est une leçon définitive du holisme, c’est la dislocation du monisme brutal pour lequel la physiologie équivalait une psychologie. PAVLOV en prend un coup même avec sa théorie de l’inhibition. VALERY montre bien qu’il est nécessaire de prendre en compte une dualité de niveaux comme cet acte de pensée qui restaure la consistance d’un monde des signes par rapport au domaine de l’automatisme. Il y a la même démarche chez FREUD. Ce qui est acquis c’est un partage entre inconscient et conscience, la dernière étant relativement autonome, fermée parce que défendant sa clôture en repoussant l’intrus. Freud ajoute un surcroît de dynamique (qui lui vient de DARWIN) à la conception chère à Jackson d’une articulation hiérarchisée des fonctions mentales-cérébrales. Pour rappel Jackson avait déjà rajouté à la vision de Spencer quant à la stratification de niveaux de différenciations de complexité croissante. Il avait ajouté l’idée d’un contrôle dynamique du haut vers le bas. Freud invente un niveau énergétique qui lui vient de sa clinique de la neurasthénie lue comme une défense. Aujourd’hui il y a un malaise par rapport à l’inconscient car il est devenu incontournable de prendre en compte la tension dynamique produite par le refoulement pour fonctionner, indispensable dans l’apprentissage et le jeu de la mémoire. L’inconscient cérébral mobilise toute possibilité d’expérience actuelle