Il s’agit de prendre ses distances avec la théologie qui a remplacé tout effort de penser en raison par une obligation d’adhésion à la Révélation chrétienne. On n’a plus la moindre idée de la difficulté de ce combat et on constatera qu’au bout de l’effort de la Somme contre les Gentils et de la Somme théologique, STA se consacre à la quête mystique de la béatitude.
Chapitre 1 : une pensée pionnière entre raison et foi
À l’âge de 5 ans ses parents issus de la noblesse l’inscrivent comme oblat dans l’abbaye bénédictine du Mont Cassin. Il y fut instruit dans les humanités, la musique et la religion. Quand il avait 14 ans, l’abbaye fut pillée par les troupes de Frederic II et Thomas (STA) poursuivit ses études des arts libéraux et de philosophie à l’université de Naples (où on développait les sciences naturelles) ; c’est là qu’il tombe sur l’oeuvre d’Aristote. Mais c’est là aussi qu’il croise le nouveau mouvement de pauvreté évangélique représenté par l’ordre des dominicains. Ce courant et celui poussé par Aristote semblent antagonistes mais STA n’y voit pas de contradiction. Il ne veut pas choisir et c’est de là qu’est parti son magnum opus : la synthèse du naturalisme aristotélique axé sur l’étude de la nature et la revendication de la réalité matérielle avec la spiritualité radicale des mouvements proclamant le retour à la pauvreté évangélique du christianisme primitif. À 18 ans il intègre l’ordre des dominicains ; cet ordre est jeune et urbain ce qui ne plait pas à la noblesse. STA quitte Naples pour Rome et de là part pour Paris…mais est capturé par ses frères qui l’enferment un an. Au bout de ce temps Thomas parvient à s’échapper et revient vers Naples où il achève son noviciat. Après ça il est envoyé à Paris où il loge chez les dominicains de la rue St Jacques. On y faisait les premiers commentaires de la Physique d’Aristote. STA y rencontre Albert le Grand qui essayait de concilier le naturalisme avec une spiritualité inspirée d’Augustin.
Thomas fut théologien et philosophe et c’est parce qu’il fut théologien qu’il se consacra à la philosophie. Il ne les confond pas mais il ne veut pas les dissocier. C’est son souhait de parler de Dieu qui l’amène à se dédier à la philosophie. Dans les rapports entre raison et foi, il y a à retenir sa conviction numéro un au coeur du développement de sa théorie : l’être humain ne doit jamais être instrumentalisé par la science ou la technique car le but de la recherche scientifique est de servir l’humain pour qu’il puisse s’améliorer et tendre vers son objectif ultime. L’objectif est si ambitieux qu’il dépasse le pouvoir de la raison humaine. L’homme est apte à appréhender le monde qui l’entoure mais aussi à accéder à la connaissance métaphysique en allant au delà de la physique et comprendre partiellement l’ordre de la nature et ses causes. Mais cela a encore un au delà, une réalité inaccessible vers laquelle l’homme peut tendre uniquement grâce à la foi. Lorsque la raison humaine arrive à ces limites, c’est là que le mystère attend l’être humain : le sens de la vie, le mal, la fugacité de l’existence et la mort, la liberté. Étants par nature non conformistes, le propre des humains est d’essayer systématiquement de passer outre. Et ici ils se fient au témoignage des autres, là où le savoir n’est d’aucune aide. La foi présuppose la connaissance naturelle comme la grâce présuppose la nature et la perfection le perfectible. C’est donc un devoir de la raison de servir la foi.Tout ceci a des postulats : 1) la révélation existe et Thomas y croit 2) il y a donc 2 types de vérité, les naturelles que la raison connait d’elle même et les surnaturelles qui dépassent la capacité de la raison et auxquelles on accède par la révélation 3) la philosophie et la théologie se distinguent donc par leur objet, leurs principes et leur méthode. L’objet de la théologie est Dieu lui même dans la mesure où il s’est manifesté à travers la révélation ; c’est pourquoi ses principes sont les quatre vérités connues par la foi et à partir desquelles est élaboré l’argumentaire rationnel ; puisque la foi est son point de départ sa méthode repose sur le principe d’autorité, d’où la question de savoir à qui se fier ? A l’inverse en philosophie l’argument d’autorité est le plus faible qui soit car cela ne démontre rien. Ici il faut s’appuyer sur des raisonnements qui cherchent la racine de la vérité et permettent de savoir comment ce qui est dit est vrai. Pour Dieu aussi la vérité est comme pour tout le monde. STA navigue entre 2 courants : il y a concordance entre raison et foi versus il y a une incompatibilité entre elles deux. Dans le 1er courant Augustin parle en termes d’unité, STA en termes de distinction et Pierre Abélard en termes de séparation. Dans le 2ème courant Bernard de Clairvaux prône la supériorité de la foi et Siger de Brabant la supériorité de la raison. Thomas constata que certaines questions semblaient se situer aux confins de la raison comme si elles relevaient autant de la raison que de la foi ; ce sont les preambula fidei qui sont des vérités philosophiques mais qui ont été révélées : l’existence d’un dieu créateur et personnel, l’immortalité de l’âme, les principes moraux essentiels, la dignité humaine. La révélation donne un coup de pouce car chez certains pour parvenir à les trouver par la raison cela serait trop long sans l’aide de la foi, même si c’est possible.
Chapitre 2 : la controverse de l’aristotélisme
STA achève la philosophie à Paris, après Naples. La découverte des oeuvres d’Aristote, par l’école des traducteurs de Tolède, renforce l’idée qu’il y a là une vision du monde qui pouvait se passer du christianisme. Albert le Grand appelé à Cologne, emmène STA. Spécialiste de la nature, encyclopédiste, observateur rigoureux, Albert renverse le point de vue lié à un contexte culturel attaché à l’Idée platonicienne et voulant que la science doit se défaire de tout ce qui est matériel et s’élever jusqu’au firmament de l’intangible. Il y avait à abandonner la caverne du monde sensible. Albert lie ses observations de la nature avec des spéculations théologiques et des commentaires bibliques. Il a précisé et distingué les méthodologies à utiliser dans les différents domaines de recherche. Pour Thomas reconnaitre les merveilles de la création sublime le créateur. STA ajoute que l’étude de la nature a une valeur intrinsèque. Comme il fallait un professeur à Paris, Thomas quitte Cologne pour tomber dans un climat estudiantin très perturbé. Les différents courants de pensée s’élaborent dans une guerre totale. La tendance augustinienne avait eu le temps de façonner les esprits ; ici la philosophie n’avait pas été conçue comme une discipline indépendante, comme un système rationnel en marge de la foi car elle en dépendait. Aussi la découverte d’Aristote cristallisa les oppositions et il n’était pas rare que des individus vivent ces tiraillements en eux mêmes. Malgré les décrets en interdisant l’enseignement, Aristote l’était et une université comme Toulouse se démarquait en affichant sa position audacieuse.
Pourtant la 1ère querelle que STA connut fut d’ordre institutionnel : les professeurs laïques et séculiers refusaient que les frères mendiants enseignent comme professeur à l’université. Thomas se lança dans la bataille avec sa polémique « Contre ceux qui contestent le culte de Dieu et de la religion ». STA ne polémique pas sur son droit mais sur l’enjeu essentiel qu’il dégage de la façade institutionnelle de l’attaque, soit le retour à une vraie pratique religieuse. Dans cet ouvrage Thomas développe avec la plus grande intelligence possible la position adverse mais sans préciser dans ce temps de présentation leurs faiblesses. Thomas articule ensuite sa réponse sous la forme d’un dialogue. La structure interne de chaque question est : après avoir formulé le problème, il explique les difficultés de façon brève mais en soulignant les points essentiels. Et puis il expose sa réponse. Ainsi dans cet ouvrage précis la réponse tourne autour de la charité dans laquelle il insère le devoir d’enseigner car ne pas partager à autrui ce que l’on sait, c’est un manque de charité. Un ordre mendiant qui est par essence caritatif doit enseigner. Mais une fois ce problème réglé, STA bute sur les points de vue des averroïstes versus les anti averroïstes et ici Siger de Brabant sort des rangs : il croit toutefois qu’Averroès reflète les positions d’Aristote ce qui n’est pas le cas. Touchant au rapport raison-foi, l’affirmation de l’existence d’une intelligence spirituelle unique pour l’ensemble de l’espèce humaine implique des effets sur la connaissance, l’immortalité et la liberté car elles ne valent que pour l’espèce et non pour l’individu. Siger soutient en outre que la matière est éternelle mais n’a pas été créée par Dieu. Celui ci existe mais il n’est pas créateur. Chez les franciscains, Bonaventure et Peckham voyaient l’aristotélisme comme une menace mais une fois encore sur base de sa transmission par Averroès. Quant à la question de l’intelligence unique, ils tentent de se rapprocher du mystère de la façon dont Dieu illumine chaque intelligence humaine personnelle pour permettre de s’élever au dessus de ses capacités. Quant au problème de la liberté créée, c’est à dire l’action humaine, ils défendent la primauté de la volonté afin de préserver le libre arbitre. STA face à cela développe une synthèse. Peckham polémique avec lui en lui reprochant d’accorder trop d’attention à Aristote ; l’étude de la nature est une bonne chose mais elle doit toujours représenter une utilité pour la théologie. Ce à quoi STA rétorque que l’étude de la philosophie et des sciences naturelles était importante non seulement parce qu’elle aidait le théologien à éviter de possibles erreurs mais aussi parce que les deux matières sont intrinsèquement dignes d’intérêt. Il n’y a pas à regarder la nature comme symbole de la grandeur divine mais regarder les choses telles qu’elles sont. Aristote ne s’oppose pas à Augustin mais le complète là où il laisse à désirer : en reconnaissant la valeur de la corporalité. Pour Thomas, Aristote, mais pas celui d’Averroès, est compatible avec le christianisme. Et en plus c’est indispensable. C’est justement en raison de sa condition de théologien chrétien que Thomas embrasse presque toute la question de la nature d’Aristote, se servant des concepts physiques qu’il y découvrit comme des outils valides permettant de se plonger dans les profondeurs de la métaphysique et de la théologie. Mais en même temps et à côté Thomas est un penseur original, à distance de la pensée aristotélique. Il emprunte à Augustin et aux néoplatoniciens (Proclus, Denys l’Aréopagite) : le concept de participation et de degrés d’être ; à Avicenne : la distinction entre essence et existence. Mais là où surtout il est original c’est avec sa théorie de l’actus essendi. Ceci dit c’est avec les propres outils d’Aristote qu’il ouvre ce dernier aux mystères de la création et du caractère contingent de l’être créé. Le monde est créé et il est donc contingent. L’existence est un cadeau de Dieu et ceci révolutionne les trois grands thèmes de la métaphysique : Dieu, le monde et moi. Chaque être humain existe parce que Dieu veut qu’il existe. On ne peut penser le monde de STA sans l’ajout à Aristote des notions de contingence, participation et dépendance. Seul Dieu est éternel, les créatures pourraient ne pas exister. L’univers n’est pas autosuffisant car la contingence rend dépendant et chez l’homme, la raison de son existence, il doit la recevoir de l’extérieur. La dépendance entraine donc la participation. L’être, pour les créatures, est reçu. Les créatures possèdent l’être mais ne s’identifient pas à lui. Elles relèvent de l’être comme les autres perfections dans la mesure de leur essence. Le monde raconte l’existence et la perfection de Dieu, il est la manifestation visible des perfections invisibles.
Chapitre 3 : l’être en tant que perfection ultime
Pour devenir magister, Thomas doit commenter les Sentences de Pierre Lombard. Il instaure à cette occasion une disputatio avec tous les philosophes de ce temps, récoltant d’eux tout ce qui peut l’aider à penser la vérité des choses. En parallèle il écrit « De l’être et de l’essence », texte court mais précieux. Ainsi que « Sur les principes de la nature », répondant à la demande de ses frères en difficulté de compréhension. Il faudra encore 18 mois pour intégrer le Consistorium magistorum. Il exerça à Naples, Anagni et Orvietto où il rencontra Guillaume de Moerbeke qui avait découvert des textes authentiques d’Aristote. En Italie il signa encore « la Somme des gentils » et le début de « la Somme théologique » depuis Rome et Viterbe.
Thomas va s’atteler à la tâche de dégager clairement les concepts aristotéliciens fondamentaux. Et d’abord les concepts d’acte et puissance. Pour Aristote il s’agit d’expliquer le mouvement. Le concept d’acte éclaire le concept de changement et le fonctionnement physique du monde sensible. Mais aussi de se plonger dans les problèmes de la connaissance, des causes de la substance, de la finalité de la vie morale, de l’existence et des attributs divins. L’acte et la puissance, tout comme l’être, ne peuvent être définis mais ils peuvent être décrits. L’étant en puissance est à l’étant en acte ce qu’un dormeur est à une personne éveillée. Être en acte est à être en puissance ce que la perfection est à l’imperfection. La puissance est capacité mais elle est aussi privation. Elle n’est pas seulement possibilité mais indétermination et limitation. Nous sommes en puissance tout ce que nous ne sommes pas véritablement mais que nous pouvons devenir. Le changement se définit pour Aristote comme l’acte de l’étant en puissance dès lors qu’il est en puissance. Changer est une activité inachevée, elle est une durée qui a lieu entre deux extrémités. Au point de départ se trouve un sujet potentiel, un sujet capable d’acquérir quelque chose qui lui fait défaut mais qui n’a pas encore commencé de se transformer. Au point d’arrivée du changement se trouve le même sujet mais déjà transformé, qui possède déjà cette caractéristique qui lui faisait défaut. Thomas distingue dans ce processus 2 éléments : le sujet et la forme. Il manque au sujet une propriété, une forme ; une fois que le changement s’est produit, il l’a acquise. Lors de tout changement, il faut que quelque chose reste, que quelque chose apporte de la continuité au processus. Sans cette continuité, il n’y a pas de changement mais il y a une nouvelle réalité. L’autre dimension est la privation : la forme fait défaut au sujet, forme qu’il peut acquérir. La privation n’explique pas l’acquisition postérieure de la forme mais en est une condition. Pour que le changement que représente l’apprentissage de la musique soit mené à bien, il faut un sujet dépourvu de cette connaissance mais capable de l’acquérir. La puissance est non-être mais ce n’est pas un non-être absolu. La puissance n’est pas seulement une possibilité, elle est quelque chose de réel. La puissance est distincte de la privation, l’enfant deviendra musicien mais pas son chien. C’est cette réalité présente chez l’enfant mais pas chez le chien qu’on appelle puissance. La puissance c’est une véritable forme d’être et non pas un simple concept. Il ne s’agit pas de la plénitude de l’être en acte mais ce n’est pas non plus l’une des infinies privations qu’on peut attribuer arbitrairement à tout sujet. La puissance fait partie de la réalité du sujet, lui appartient, fait partie de son être et est aussi réel que les propriétés qu’il possède en acte.
Dans « de l’être et de l’essence » Thomas s’attaque à l’intelligibilité de l’étant, à la détermination dans la manière dont l’être humain peut comprendre ce qui existe. Avicenne et Aristote ne se posent des questions que sur l’ordre du cosmos et l’origine de cet ordre mais pas sur l’origine de l’être même. Pour Thomas l’être est la première chose que conçoit l’intelligence humaine. L’être désigne ce qui existe. Qualifier quelque chose d’être, c’est en parler seulement comme existant sans le caractériser d’une quelconque façon. Toutefois l’être humain ne se contente pas de la simple constatation de l’existence, il désire savoir ce qui existe, le comprendre ; il s’intéresse donc à l’essence de l’étant. Dans sa tentative de penser ce qui est réel, Avicenne sépare l’essence de l’existence. L’essence est la nature d’une chose. Connaitre l’essence de quelque chose, c’est savoir ce qu’est cette chose. L’essence désigne ce qui ne peut faire défaut à une chose pour qu’elle soit ce qu’elle est. L’essence répond de la question : qu’est ce que ceci ? l’essence est ce que représente la définition de la chose. Et ceci ne révèle pas son existence. L’existence est subordonnée à l’essence, elle en est différente et n’en fait pas partie, elle peut se produire ou pas. L’existence est un accident, soit juste un état possible de l’essence. L’essence présente une certaine réalité indépendante du fait d’exister. Thomas n’est pas d’accord. Dire que l’essence existe déjà avant de recevoir l’existence c’est un oxymore. Dans les étants créés bien entendu, l’être n’est pas inclus dans l’essence même, il n’en fait pas partie mais se produit sur elle de l’extérieur. L’être est d’une certaine façon reçu. Mais l’existence n’est pas un accident. Une essence déjà réelle ne peut pas recevoir l’existence ou pas. Avicenne est essentialiste et sa philosophie s’en tient à la contemplation des essences…soit une série d’abstractions qui attendraient dans l’antichambre de l’existence. Or pour Thomas l’essence ne possède aucune réalité sans l’être. L’essence n’est rien en elle même avant la possession de l’être. Il n’existe aucune forme de préexistence ou d’existence diminuée. Tout comme l’être, l’essence se réalise uniquement à travers l’étant. Thomas précise que tous les étants qu’il rencontre dans son environnement existent mais ne sont pas l’être. Ils possèdent l’être, ils l’ont mais ne le sont pas : constat de finitude. Posséder l’être de manière contingente et limitée, participer à l’être signifie que les étants finis sont créés. La dépendance est consécutive à la participation (on a la formulation inverse de celle du chapitre précédent). Il y a un être suprême.
L’essence se constitue en tant que telle lorsqu’elle possède l’être. Cette notion est celle de l’être en tant qu’acte. L’être n’est pas la même chose que la simple existence, il n’est pas la présence dans le monde, ce n’est pas seulement l’être-là, c’est également une actualité radicale et première dont l’existence est un dérivé. L’étant fini est une essence possédant l’être. L’essence ne renseigne pas sur l’être mais le reçoit. Toutefois l’être ne se superpose pas à l’essence, il est l’actualité la plus intime qui soit, celle qui compose toute entité. L’être est le plus parfait qui soit, la perfection parmi les perfections , ce qui se compare à toutes choses en tant qu’acte, reçu et participé. L’être est l’acte des essences mêmes. L’être est la perfection ultime, première et fondamentale, celle sans laquelle aucune autre n’existerait. Dans l’étant, rien n’est antérieur à cette perfection. Thomas à partir du concept aristotélicien d’acte (perfection) affirme que l’être est acte, acte premier. Toute actualité comparée à l’être est dérivée. L’être entretient le même rapport avec l’essence que l’acte (perfection) avec la puissance (limitation). L’étant est constitué d’essence et d’acte d’être. Intrinsèquement l’être n’implique pas la limitation mais seulement la perfection. C’est l’essence qui le détermine et le limite. L’essence va exprimer le type d’être. Les étants créés sont finis car l’être en eux est reçu dans une essence qui le limite : ils participent de l’être de manière finie. Quant à Dieu il est Ipsum esse subsistens ; l’être par essence car être en acte est perfection, plénitude. S’il existe un être qui soit acte pur c’est l’être infini.
L’être est identifié au bien puisque l’existence des créatures s’explique par un acte d’amour libre de Dieu, puisque tous les étants existent parce que Dieu dans son infinie bonté a voulu qu’ils existent, alors l’être même quoiqu’il soit possédé de manière limitée est un bien. Et le bien est diffusif. Cela permet de comprendre le motif de la création. Les créatures participent de ce Bien absolu dans la limite de leurs possibilités. Il s’agit d’une participation par ressemblance qui caractérise tous les étants finis qui sans être totalement bons sont bons malgré tout. La participation est le marqueur d’identité de toutes les créatures : elle est être et non être. Elle est un certain être et un certain non être ou plutôt un être non absolu mais un être. Il semble évident que l’être humain ne possède pleinement ni le bien, ni la beauté, ni l’intelligence mais il les possède. Voilà pourquoi les limitations propres aux étants créés ne supposent pas un mal. La finitude est un bien, quoique limité. La réalité entière est un bien. Le Bien est identifié à l’être. L’étant dont l’essence ne limiterait pas l’être mais le posséderait pleinement serait identifié au bien lui même. Le problème de l’existence du mal est appréhendé comme une privation du bien dû. Ici Thomas rejoint Augustin pour qui le mal est absence de bien (influence de Mani, repris par les cathares). Thomas martèle qu’il n’y a pas d’incarnation du mal. Dire que quelque chose est mauvais c’est dire qu’il ne possède pas toute la plénitude qui correspondrait à son essence.
Chapitre 4 : la connaissance en tant que plénitude de l’être
STA passe des années à Rome à développer une pédagogie pour les novices de l’ordre des dominicains. Mais à Paris qu’il a quitté pendant 7 ans, la situation est redevenue tendue à l’université. Il y publie « sur l’éternité du monde » et « sur l’unité de l’intellect contre les averroïstes ». Le premier titre s’en prend à Bonaventure et Peckham et par eux aux averroïstes : le monde a eu un début, il a été créé dans le temps, la matière ne peut pas être éternelle, il y a eu création. Pour dire ça, Thomas est obligé d’admettre que c’est une vérité de foi. Aucun argument rationnel ne permet de démontrer que le monde a été créé… mais c’est une faute de logique d’en conclure que le monde est éternel parce qu’on ne peut rien démontrer. Ici Thomas rejoint Maïmonide. Dans le deuxième texte STA revient sur le mono psychisme des averoïstes et repris par Siger de Brabant (et Boèce de Dacie) comme une thèse d’Aristote. Thomas veut saisir ce qu’affirment les philosophes pour se rapprocher de la vérité (et non pour plaire à des collègues). La connaissance humaine le laisse admiratif. Grâce à la connaissance, l’être humain limité et minuscule comme il est, est capable de transcender ses limites entitatives (point d’opposition à Suarez) et décrire l’ordre de l’univers tout entier. Par la connaissance c’est comme si celle-ci élevait l’être humain à un niveau supérieur, quasi divin mais il ne faut pas -comme le pense Aristote- que ce soit un intellect distinct qui connaisse. STA affirme que c’est lui-même qui connait et il faut respecter un paradoxe que l’homme de chair et d’os vit cet acte merveilleux.
La connaissance est une réalité que possèdent certains étants mais pas tous. Seuls les plus parfaits connaissent. On ne peut se représenter ce qu’est l’être humain sans se le représenter comme connaissant. La connaissance est un degré d’être, c’est la manière ultime de posséder l’être. Parler de connaissance c’est parler de plénitude de l’être. Définir l’essence de la connaissance c’est décrire un niveau de perfection. L’être humain est un sujet apte à connaitre, il y est essentiellement destiné mais est, en principe, privé de toute spécification de sa faculté. L’être humain connaissant est vide de contenu. Il a donc besoin d’une faculté lui permettant de les recevoir et de s’emparer de ce qu’il ne possède pas. D’où la nature réceptive de la sensibilité. L’esprit humain ne possède pas d’idées innées. C’est ce manque initial de contenu qui rend nécessaire la connaissance sensible qui va fournir des contenus. Un connaissant parfait dont l’intellect posséderait déjà toutes les idées n’aurait pas besoin de sens. Sens et intellect ont besoin l’un de l’autre ; ils font partie du processus de la connaissance qui chez l’être humain est sensitive-intellectuel. (Il y a ici un schéma du processus)
Comment peut-on penser l’universel si on perçoit le particulier ? Les formes dans la nature n’existent pas séparément : elles agissent toujours dans une substance concrète, quant à elle formée par telle forme et telle matière. Connaitre c’est abstraire cette forme et la comprendre dans son universalité. Une fois que les sens extérieurs ont saisi les propriétés sensibles qu’ils reçoivent des choses, les sens intérieurs qui sont eux actifs (pas seulement réceptifs) produisent l’image qui est immatérielle. L’intellect agent opère sur ces images en leur ôtant ce qui leur reste de particulier, soit un processus d’abstraction. Cet acte illumine les images et les élève au rang de l’intelligible en acte. L’intellect possible ou intellect patient dont l’objet est l’intelligible, peut alors le penser. C’est là qu’intervient l’unité entre l’intellect et l’intelligible d’où surgit le concept. Le concept ne permet pas à l’intellect de s’unir à l’objet : il nait comme expression de l’intellect et de l’intelligible, comme effet de la plénitude de l’acte dans lequel le connaissant et le connu sont Un. Ces concepts appartiennent à un langage intérieur. Ce sont eux qui permettent de nommer les choses. Les concepts formés par l’intellect et universels servent à penser des choses concrètes. L’intellect retourne vers l’image sensible reconnaissant en elle la manifestation particulière de son concept universel.Les concepts sont universels parce qu’ils sont immatériels. L’universalité est une propriété logique qui découle de l’immatérialité. Les concepts universels représentent des choses concrètes ; c’est en cela que la connaissance est mystérieuse. Tout le Moyen-Âge a buté sur la querelle des universaux qui a fini par créer 4 écoles : le nominalisme radical (Roscelin de Compiègne), le nominalisme modéré (Guillaume d’Ockham), le réalisme radical (Jean Scot Erigène et Guillaume Champeaux), le réalisme modéré (Pierre Abélard et STA). Pour Thomas les universels sont réels dans la chose comme forme d’une matière, ils sont également réels dans la pensée qui abstrait cette forme et la possède sous forme de concept.
Chapitre 5 : le mystère de Dieu à la lumière de la raison
Le 6 décembre 1273 à Bari, Thomas fait une expérience mystique qui arrête la rédaction de « la Somme théologique ». Convoqué au Concile de Lyon, il s’arrête à l’abbaye du Mont Cassin où on lui demande d’éclairer sur la question : comment concilier la prescience divine avec l’existence de la liberté humaine. Thomas publie « Réponse à Bernard Aiglerio abbé » : l’être humain étant libre, comment Dieu peut-il savoir comment celui-ci va agir à l’avenir ? On lui posa ensuite une autre question quant à la connaissance humaine de Dieu. Sa réponse fut sa dernière intervention avant de mourir : en dépit des progrès de l’être humain, la connaissance de Dieu est inépuisable car l’essence divine nous est inconnue. STA fonde sa théologie sur 3 principes : la confiance dans la raison humaine, la conviction que l’être humain tend vers une finalité surnaturelle, mais qu’il ne peut atteindre par ses propres forces. De ces principes sortiront « la Somme des gentils » et « la Somme théologique » arrêtée à la question 90 de la 3ème partie .
C’est dans cette dernière que Thomas se pose la question de l’existence de Dieu. En effet cette existence n’est pas évidente or STA considère que la théologie est une science (et en tant que telle doit répondre aux exigences d’Aristote) ; la science doit se fonder sur l’évident et comme l’existence de Dieu n’est pas une évidence, on ne peut parler de science à cet égard…. Sauf que Thomas introduit une distinction entre ce qui est évident en soi et ce qui est évident pour nous. Une affirmation est évidente en elle-même si le prédicat est inclus dans le concept même du sujet. Le triangle a 3 côtés. Quiconque comprend ce qu’est un triangle ne peut douter qu’il a 3 côtés. Mais il est possible que quelqu’un ne saisisse pas ce qu’est un triangle et alors l’affirmation n’est pas évidente. Si quelqu’un n’arrive pas à appréhender parfaitement le concept du sujet, alors cette personne n’entendra pas qu’il inclut nécessairement le prédicat. Dans ce cas une affirmation évidente en soi ne le sera pas pour cette personne particulière. Aussi si nous parvenions à connaitre parfaitement l’essence divine, nous nous rendrions compte que la proposition Dieu existe est évidente en elle-même. Cependant étant donné que l’être humain ne peut connaitre Dieu de façon adéquate, il n’est pas à même de saisir ce qui, en soi, n’est pas évident. Ainsi pour que la théologie soit une science, il faut démontrer à nous-mêmes ce qui, en soi, n’est pas évident. Contre Anselme, Thomas précise : s’il nous faut démontrer son existence, nous ne pouvons faire comme s’il s’agissait d’un prédicat d’une essence, pour la simple raison que nous ne connaissons pas son essence. Bien que son existence est évidente en elle-même, elle ne l’est pas pour nous. Bien que l’existence de Dieu ne soit pas évidente quoad nos, elle peut être d’une certaine façon connue grâce à ses effets sur l’ordre naturel.
Selon sa méthode, STA présente deux objections majeures à l’existence de Dieu : 1) si sur deux contraires l’un est infini, il annule complètement l’autre. Or Dieu est un bien infini, d’où il n’y aurait pas de mal…mais on voit bien que le mal existe (il n’est pas annulé face à ce soi-disant infini). 2) ce qui peut être accompli par des principes en petit nombre ne se fait pas par des principes plus nombreux. Or ce qui est naturel a pour principe la nature et ce qui est libre a pour principe la raison humaine ou la volonté. Il n’y a donc nulle nécessité de supposer que Dieu existe. Dans sa réponse, STA développe 5 voies dont la nature est le point de départ et qui permettent de s’élever jusqu’au créateur. Dans chaque voie, le point de départ est une donnée de l’expérience, un aspect de la nature qui pose un problème à résoudre. La seconde étape est la résolution du problème posé au départ en y appliquant le principe de causalité. L’étape suivanteconsiste en l’application successive du principe de causalité suivi d’un constat : il est impossible de procéder jusqu’à l’infini dans cette succession de causes subordonnées. À la quatrième étape, il y a l’affirmation conséquente d’un principe incausé sur lequel repose la totalité de la série causale et qui explique en fin de compte le problème pris pour point de départ. La cinquième étape est l’identification des termes des 5 voies au Dieu chrétien. Les 5 voies traitent : 1) du mouvement, 2)de la cause efficiente, 3) de la contingence, 4) du degré de perfection, 5) de la finalité.
Mais STA montre en toute franchise une disproportion : la raison démonstrative ne l’a pas amené au Dieu chrétien. Les dénominations – premier moteur immobile, cause première, être nécessaire, être parfait, intelligence ordonnatrice- sont des approximations de ce que nous appelons Dieu. Pour STA ces cinq voies ne permettent de connaitre que l’existence de Dieu mais pas son essence, ni son mystère, et encore moins son message. La foi est alors nécessaire et elle se définit comme l’acte d’un intellect qui admet la vérité divine sous la pression de la volonté, cette dernière étant mue par la grâce de Dieu. Quant au véritable moteur de la preuve c’est ceci : si en fin de compte l’on souhaite parvenir à l’existence d’un terme qui est réel et non un simple concept, il est impératif que le point de départ soit réel. (Schéma du travail de la preuve dans chacune des 5 voies).Après avoir réglé la question de l’existence de Dieu, deux nouveaux problèmes surgissent. Est-il possible d’accéder à la connaissance de sa nature divine et si oui comment l’exprimer en langage humain ? Les preuves de l’existence de Dieu ont commencé à dégager quelque chose de son essence, son réel. Pour approfondir 3 outils sont employés. La nature même de Dieu en ce qu’il est, ni le catholique ni le païen ne la connait mais l’un et l’autre la connaissent dans la mesure où elle est au terme des voies de la causalité, de l’éminence et de la négation (passant par la création, l’élévation des perfections à un niveau infini et le refus à Dieu de tout ce qui est propre aux êtres limités). La définition métaphysique de Dieu, sa nature formelle, c’est Ipsum esse subsistens, cette faculté typique à la divinité d’exister d’elle-même, du fait de sa propre essence et non de quelque chose survenu ou provoqué par un agent extérieur. Par conséquent l’essence de Dieu est l’être lui même, elle s’identifie à l’être. L’être est acte et perfection infinie, limitée uniquement lorsqu’elle est reçue dans une essence potentielle ; ipsum esse est la perfection infinie. Thomas en déduit les attributs de Dieu qu’il classe en 2 catégories : entitatifs (qui décrivent l’essence divine telle qu’elle est en soi) et opératifs (qui décrivent l’essence divine telle qu’elle se manifeste dans sa façon d’agir). Du coté entitatif, les attributs divins sont : la simplicité (pure de quelque composition que ce soit), l’unicité (soit l’absence de multiplicité), la perfection (qui englobe la bonté), l’infinitude (qui est une immensité sans limites). Du côté opératif, les attributs divins sont : la science, la vie, la générosité, l‘amour, la justice, la miséricorde ainsi que les puissances (créatrice, conservatrice, gouvernante). D’où la pertinence de la lecture d’Etienne Gilson, je suis celui qui suis définit bien la nature divine…mais Thomas préfère quant à lui nommer Dieu simplement Dieu. Car l’homme ne peut se mettre à genoux par crainte.
Chapitre 6 : l’être humain, une unité de corps et d’âme
Selon la théorie de l’hylémorphisme d’Aristote, la substance est composée de matière et de forme. Tout en conservant l’immatérialité et l’immortalité de l’âme, STA précise que chez l’être humain, l’âme est la forme du corps. L’être humain n’est donc pas qu’une âme (ce qui est le cas chez les néoplatoniciens et les manichéens) mais l’association d’une âme et d’un corps. Tout le monde peut en faire l’expérience, chacun sait par expérience que c’est lui-même qui pense, l’être humain n’est pas un pur esprit. Le corps appartient à l’essence de l’être humain. Thomas défend la dignité et la bonté du corporel. Pour ce faire il s’appuie sur le créationnisme, mépriser le corps c’est mépriser le créateur. Puisque le corps est bon en lui-même parce que voulu par Dieu, le corporel tout entier l’est aussi : les facultés sensibles, la sexualité…En dernier lieu Thomas va chercher un argument dans son « Commentaire de l’évangile de St Jean » : Dieu lui-même s’est fait chair. Néanmoins STA va plus loin que l’hylémorphisme en échafaudant une théorie métaphysique de la personne et de la dignité personnelle. La personne n’est pas évidente, STA emprunte le concept de personne à la théologie trinitaire d’un univers régi par amour. L’amour est la raison suprême, le don parfait et le sens de l’existence. La dignité repose sur le fait que l’homme est une personne car l’homme est une image de Dieu. Dignité, liberté et amour sont dans l’être humain parce que le créateur est personnel, libre et qu’il crée par amour.
L’éthique porte sur les actes libres. Liberté et raison sont deux conditions sine qua non pour pouvoir parler d’éthique. Ce sont les actes de la volonté qui sont l’objet de l’éthique. Si pour quelque raison la volontaréité venait à diminuer, la responsabilité morale diminuerait d’autant (par exemple en raison de la violence, de la peur, de l’ignorance et d’une passion). Au moyen des actes volontaires, l’être humain cherche le bien car l’objet même de la volonté est le bien. En soi le mal ne peut jamais être voulu, l’être humain veut le bien et tend naturellement vers lui. Tout bien partiel est insatisfaisant, la soif (le désir) du bien est si radicale que la possession de menus fragments ne suffisent pas à l’étancher (comme les richesses, les plaisirs, les honneurs, le pouvoir). STA ajoute que le souverain bien ne peut non plus être identifié à l’étude des sciences spéculatives ou à la connaissance philosophique de l’essence divine. Le bien universel dans lequel on atteindrait à la béatitude, c’est un amour pour Dieu et une connaissance d’un Dieu in-atteignable par des voies exclusivement rationnelles. Thomas l’associe à la vision de Dieu que gagneront les justes dans la vie future. Le désir naturel de béatitude ne peut être satisfait par des moyens naturels. Le désir naturel de la volonté est la connaissance de Dieu mais la raison fourvoie sur cette voie car qui prétend connaitre Dieu connait alors mieux ce que Dieu n’est pas que ce qu’il est. Mais la foi non plus n’est pas adéquate car la foi stimule le désir (nous voulons tous voir ce que nous croyons). Il faut une aide surnaturelle, il faut à côté de la métaphysique, une théologie. Tout ceci est mis à plat dans sa théorie sur la loi morale naturelle. Comment pouvons-nous être certains que nos actes sont dirigés vers leur fin ultime ? Par le biais d’une loi imprimée dans l’esprit humain, telle une participation de la loi éternelle et qui désigne le chemin menant à la béatitude absolue. Quant à la raison qui chez tout être humain régit la volonté et lui indique la manière d’agir, elle n’est pas une législatrice suprême. La raison ne fait que découvrir les règles de conduite en elle-même, en explorant ses inclinations naturelles. Chez l’être humain le bien n’est autre que ce qui sied à la nature humaine. Le devoir humain déterminé par la raison, les principes de la loi morale ne sont pas relatifs, pas plus qu’ils ne restreignent ou entravent le développement de l’être humain. Au contraire ils l’alimentent. Étant naturels, les préceptes de la loi morale libèrent , la morale de STA est théocentrique mais pas hétéronome. Ces préceptes sont fondés dans la loi divine et l’homme les découvre dans son for intérieur car en parfaite harmonie avec sa pente naturelle.
La politique est inséparable de l’éthique. Elle n’est que l’application de celle-ci à l’organisation et au gouvernement de la communauté, c’est l’éthique de la communauté. À l’instar des autres créatures, l’être humain possède sa propre fin. Mais à l’inverse des autres créatures, l’être humain n’est pas ordonné à ses fins par instinct ni par nécessité aveugle ; il doit s’efforcer de tracer sa propre voie en se servant de la raison. Mais surtout l’être humain ne peut atteindre sa propre fin de manière isolée, il lui faut coopérer avec ses semblables. Son essence même fait que l’être humain est social et le but ultime de la communauté politique est la quête de la fin vers laquelle il se sent attiré par nature. La finalité de la communauté politique est la perfection des personnes qui la composent. La preuve ? I’être humain est capable d’exprimer ses idées et ses craintes les plus profondes à travers le langage. À l’évidence nuancer à ce point n’est pas nécessaire pour survivre : le langage humain atteste de la nature sociale de l’être humain : nous avons besoin de vivre en communauté. Or si la communauté est naturelle, le gouvernement l’est aussi. Pour contrer l’individualisme égoïste typique des humains et éviter la désagrégation, quelqu’un doit se charger de penser au bien commun et organiser la communauté à cette fin par delà les intérêts personnels. Le but du gouvernement est de faire en sorte que tous les membres et la communauté voient leur perfection personnelle se concrétiser. Depuis Aristote, le bien commun est un bien collectif englobant le bien-être matériel et spirituel (culture, paix et justice).Un trait propre à STA est de qualifier une dimension de ce bien-être : l’amitié civique. Les êtres humains doivent s’ouvrir aux autres, vivre l’amitié, donner et recevoir de l’amour. L’Etat est fondé sur l’amitié, les humains ont besoin d’amis au-delà des conditions de survie (qui assurent protection et division du travail). La philosophie politique de Thomas est articulée au concept d’ordre d’Augustin et de justice légale d’Aristote. Le gouvernement n’est pas fondé à légiférer contre la loi naturelle sans tomber dans la corruption. La foi chrétienne n’impose pas de façon particulière de gouverner, elle se contente de défendre des principes inaliénables, ceux de la loi morale naturelle. STA affirme l’autonomie des pouvoirs politique et religieux mais ils ne sont pas indépendants car leur but ultime est le même : le gouvernant ne peut violer les principes de l’éthique et de la droite raison auquel cas il empêcherait les citoyens d’atteindre leur perfection personnelle ; il entraverait la finalité que partagent les deux sortes de pouvoir. Le gouvernant doit prescrire ce qui conduit à la béatitude céleste et pour cela il a toute autonomie dans son domaine…sans avoir le pouvoir absolu…car il est subordonné à la sphère religieuse en raison même de la finalité de la politique (sa fin qui est la béatitude céleste).