Deux événements font démarrer ce siècle : la prise de Grenade et la découverte du nouveau monde. Et puis les qualités unitaires de ce peuple – une ethnie, une religion – sont à la base du sens de la tradition, du goût pour la résistance contre les idées nouvelles qui agitent les sens dans le reste de l’Europe.
Chapitre 1 : ce siècle dure un siècle et demi
Il démarre fin du 15ème siècle et se termine au milieu du 17ème. Il commence avec Christophe Colomb et va jusqu’au temps de Murillo et Calderon. Si on le compare au grand siècle français, ce dernier ne dure que 75 ans et ce sous l’égide de Louis XIV…alors que Charles Quint et Philippe II tiennent une place discrète car la renommée du siècle d’or ne leur doit pas grand chose. Le socle du siècle d’or c’est la religion. La différence avec la France c’est aussi qu’en France on a une conscience nationale lorsque l’Espagne de Ferdinand et Isabelle émerge à peine d’un chaos où chaque province a été arrachée à l’envahisseur arabe. La leçon à tirer en Espagne, c’est celle d’un peuple qui par les seules forces de sa tradition, de son intelligence et de sa foi, malgré le faible appui de ses princes, voit surgir de ses rangs une suite d’hommes illustres qui la place en éclaireur dans la marche de la civilisation moderne. C’est à la source espagnole que l’Europe du 16ème et 17ème siècle s’est abreuvée. Ce peuple a des traditions et une fierté qui ne le dispose à aucune servitude et la liberté, l’audace de langage de philosophes comme Vivès (ou dans les Cortès provinciales ou encore dans les droits des corporations artisanales) en témoignent. La démocratie espagnole est la plus ancienne du monde. Ici la Réforme n’a pas mordu parce qu’une solidarité fantastique a uni tous les penseurs du moment au plan politique : le droit à l’autonomie locale va de paire avec un sens patriotique aigu pour le pays, pour la patrie. En Espagne, l’apothéose d’intelligence est, dans tous les domaines, au service de la foi. Mais quand celle-ci perdra de son impact et que l’aveuglement de la Cour choisissant des dépenses somptuaires plutôt que d’utiliser les fonds à construire un Empire (ou du moins une grande nation) videra les caisses de l’Etat, alors le siècle s’éteindra.
Les gouvernements des rois catholiques puis de Charles-Quint et Philippe II purgent l’Espagne des tares des deux siècles précédents, dans les domaines de la moralité publique (la criminalité), de la justice (la vengeance et le formalisme) et du pouvoir (la spoliation). Dans le reste de l’Europe, on ne se remettra pas de si tôt des excès de l’Empire et de l’Eglise. Mais c’est surtout dans le domaine de l’intelligence qu’éclate la richesse de ce siècle. Ici on a puisé dans les belles pages du Moyen-Âge des 12ème et 13ème siècle qui fut l’époque d’une grande culture andalouse d’influence surtout juive. L’élan vient de Lulle, Maïmonide, Jean de Séville et se poursuit avec Vivès, Louis de Grenade, Louis de Léon, Thérèse d’Avilla, Jean de La Croix, Lainez, Melchior Cano, Ignace de Loyola, Molina… les poètes ne sont pas en reste avec les romanciers et nouvellistes mais leur heure viendra après celle de la sculpture et de la peinture comme si c’est dans le déclin de l’impact de la foi que sous Philippe III le théâtre avait pris ses aises. Sous Philippe IV on est débarrassé des contraintes religieuses et le domaine profane triomphe dans tous les arts.Si on compare une telle floraison à la Renaissance italienne, il y a des divergences frappantes. Jean d’Aragon (15è) et Philippe II (16 è) ont tenté d’attirer à la Cour des artistes italiens pour embellir l’Escorial et ils ont envoyé de jeunes artistes espagnols prometteurs en Italie mais l’impact joua seulement sur la forme et les procédés. La Renaissance italienne est trempée de paganisme dans un culte de l’Antiquité. L’Espagne de par son histoire d’invasions arabes ou juives a résisté contre la Réforme, la dépravation des moeurs, le matérialisme, les jouissances faciles, l’exaltation de la chair et des sens. Philippe II a régné sur 1/3 de l’Europe, sur la moitié de l’Amérique et une partie notable de l’Afrique. L’explosion de la pensée s’y produit dans le moment où l’Espagne politique devient grande.
Chapitre 2 : le legs de la croisade
La Reconquista commence avec la prise de Tolède en 1085 et se termine en 1280 quand les arabes n’ont plus comme territoire que la région de Grenade. Au 11ème siècle la « figure du cid » en lien avec le goût pour la chevalerie commence à façonner l’âme espagnole dans les quelques territoires du nord de la péninsule qui n’a pas été conquise et qui garde des traits des royaumes wisigoths. Le 12ème siècle est un siècle de recul car les Almoravides puis les Almohades reprennent les terres lentement reconquises, dans un contexte de rivalité dans les royaumes du nord. Ce n’est plus la Castille mais l’Aragon qui résiste. L’orgueil castillan finira par se réveiller avec 2 figures royales, Ferdinand le saint et Alphonse le sage (3ème quart du 13ème siècle). C’est avec eux que s’affirme un sentiment national et même l’espoir d’une hégémonie occidentale. Ferdinand le saint est surnommé l’empereur des trois religions, témoignant d’un désir de concorde intérieure et d’un esprit libéral. Alphonse le sage a été le souverain le plus éclairé de son temps. Il ouvre l’université de Salamanque et publie les « tables alphonsines » en astronomie, utilisables pour faire le point en haute mer. Il rédige la première « Chronique générale de l’Espagne », traduit la Bible, le Talmud et la Kabbale. Il reprend le principe des Cortès qui sont des assemblées représentatives créées en Léon. Le secteur de la justice est balisé sous Ferdinand le saint avec le « Fuero Juzgo » wisigothique qui sera le code de référence espagnol jusqu’au 19ème siècle. Alphonse le sage écrit les « Partidas » qui fixe les bases du droit public. La spiritualité n’est pas en reste et les abbayes de Cluny et Citeaux irriguent ces régions, entre autre en ouvrant les « chemins de saint Jacques de Compostelle ». Dans le sud, Tolède est un autre pôle de développement des connaissances sous la houlette des évêques comme Rodrigue Jimenez de Rada. Avec Juan de Séville et Domingo Gonzalès, on voit apparaitre les écoles scolastiques venues d’Italie à l’initiative de Gérard de Crémone. Dans les Cours de Castille et Aragon, la « Chanson de Roland » et la figure du « Campeador » font naitre un sentiment chevaleresque de l’honneur mêlé de charité et de foi, agrémenté de belles manières. L’architecture gothique fleurit dans les cathédrales. La pensée chrétienne s’enorgueillit de grands théologiens ; en Catalogne, Raymond Lulle est un grand philosophe. Dominique de Guzman est à signaler car il crée l’Inquisition. La poésie et la littérature s’écrivent en latin, sauf dans une école catalane sensible au dialecte provençal et s’exalte en Castille avec Alphonse le sage, grand promoteur de la langue espagnole naissante. Il faut aussi faire une grande place à la culture musulmane andalouse qui est excellentissime avec Avicebron, Averroès et Aben Gabirol.
Étonnantes sont les années sombres qui suivent jusqu’à l’arrivée des rois catholiques. Entre deux, cette période du 14ème et 15ème siècles connait 9 rois insignifiants. Si bien qu’il y a d’autant plus à souligner l’importance de la veuve du premier de ces rois ( Sanche le brave) et qui s’appelait Marie de Molina. Pleine de sagesse elle permit de sauver la dynastie in extremis. Le pire de ces rois sombres est Pierre IV dit le cruel. Ainsi va le royaume de Castille, dans une succession de crimes et d’empoisonnements. Quant à l’Aragon, ce n’est pas mieux mais autrement. Ici on va à l’aventure pour conquérir la Méditerranée. En outre ce qu’il faut retenir ce sont les efforts de réconciliation avec les rivaux du royaume de Castille. Et puis il reste la Navarre qui à l’époque est plutôt française.Ce qui laisse d’autant plus frappant le fil qui relie le 12ème et 13ème (appelé « petit siècle d’or ») avec le grand siècle d’or ! Il n’est plus à rappeler l’importance de la foi mais par contre c’est dans cette période que s’affermissent les libertés locales et que surtout la langue de Castille – le castillan – s’impose à l’Espagne entière. La classe moyenne enrichit les rangs des « Fueros » provinciaux et locaux quand il s’agit de grandes villes. On retrouve pour tout ça Marie de Molina qui publie le « Fuero réal » qui fixera les principes de droit public en Castille. De même Pierre III d’Aragonpromulgue le « Privilegio général », une constitution limitant le pouvoir royal ! Dans les mouvements de pensée et les arts il n’y a qu’Alphonse V d’Aragon qui ait su s’entourer d’une cour brillante.
Chapitre 3 : l’aube des rois catholiques
Tout part en 1492. Mais cette fortune trouve son origine dans le mariage , 23 ans plus tôt, entre l’infante Isabelle, soeur du roi de Castille et l’infant Ferdinand, fils héritier du roi d’Aragon et Navarre. Les premières années de ce règne en commun (mais sur 2 royaumes distincts) se passe à étouffer l’esprit de révolte des Grands et la turbulence des assemblées locales. Si Grenade fut l’oeuvre de Ferdinand, le voyage de Christophe Colomb est dû à l’initiative d’Isabelle. Son excessive dévotion à laquelle se mêlait une secret romantisme s’enflammait à l’idée d’entretenir des rapports avec un potentat mystérieux qu’on appelait le Grand Khan. Derrière elle ce sont surtout deux juifs convertis qui appuient le projet : Louis de Santangel et Jean Cabrera. La découverte de l’Amérique va imprimer à la puissance espagnole un essor inouï. Un horizon s’ouvre à l’expansion d’un peuple déjà tout pénétré de sa supériorité raciale, de son éminence spirituelle, de la force de ses armes et qui se tiendra désormais pour investi d’une sorte de mission divine. Dans le concret la première tâche a été de réprimer l’esprit de révolte et les actes de brigandage : les souverains créent un corps de garde civile, la « sainte Hermandad » . Une autre mesure est « l’Inquisition » qui au début cherche à combattre les séditions des Maures et des juifs. Avoir fait de l’inquisition un rouage de l’Etat avait aussi pour but de freiner le zèle des gens d’Eglise du style de Thomas de Torquemada. Hélas il sévira toute sa vie et c’est seulement à sa mort qu’Isabelle décréta que seules les fausses conversions seraient passibles de poursuite. Mais entretemps les juifs avaient été chassés à nouveau (Albert le grand et Thomas d’Aquin en sont aussi responsables avant les espagnols car depuis le Moyen-Âge ils ont stigmatisé les juifs en raison de leur philosophie qui menaçait la spiritualité chrétienne comme source de déviation insidieuse). Dans un souci de fixer l’unité de la culture et de l’orthodoxie nationale aussi solidement que l’unité politique, le couple royal a préféré se couper de cette élite intellectuelle et commerçante. Une autre tâche de ce règne a été la réorganisation de la « Mesta », société d’éleveurs de moutons dont la laine enrichira une bourgeoisie paysanne conservatrice beaucoup plus docile que la bourgeoisie des villes. Un grand personnage est à signaler près de la famille royale : Pierre Gonzalès de Mendoza, grand administrateur et grand mécène qui eut comme héritier à sa mort Ximenès de Cisneros.
Le voyage de Christophe Colomb est possible grâce à un réveil de la pensée après des siècles obscurs. La connaissance scientifique s’est enrichie de la cosmographie andalouse. La cartographie est due au travail de Jacques Ribès et Valseca. Sans oublier l’expérience de Henri le Navigateur ! Si on ajoute l’apprentissage des mathématiques et de l’astronomie, si on ajoute les acquis dans l’art du pilotage, la construction nautique, la connaissance des marées et des vents, C Colomb accumule des savoirs de pointe. Mais de l’Allemagne, l’Espagne s’enrichit aussi des bienfaits de l’imprimerie. En art c’est l’architecture qui est en un, avec le style flamboyant. En philosophie l’humanisme ouvre des portes à des lectures profanes qui prennent leur liberté par rapport aux cadres de l’Eglise. Cela transparaît dans le théâtre de Fernand de Rojas, auteur de Célestine la tendancieuse. Il y a à bien voir que l’esprit du siècle d’or saura mêler réalisme et foi, licence et dévotion. Cela donnera le genre picaresque.À la mort d’Isabelle, Ferdinand se reprend des envies par rapport à l’Italie. Avec la force et la ruse, sorte de Machiavel, il agrandit son gigantesque patrimoine. Il est passé maître dans les mariages « étudiés ». Ainsi l’infant Don Juan, à la mort de Maximilien d’Autriche -Habsbourg empereur d’Allemagne- son jeune fils, sa soeur ainée Isabelle de Portugal, et enfin Michel le fils de celle-ci, meurent au profit de Jeanne la cadette, héritière de Castille et Aragon. Mariée à Philippe le Beau, elle s’annexe par Marie de Habsbourg sa mère -en tant que fille unique de Charles le Téméraire- les possessions de la Maison de Bourgogne. Ferdinand va parcourir le monde méditerranéen depuis Naples jusque Tripoli, et par conséquent s’éloignât de l’Espagne confiée à Cisneros en qualité de régent. Mais Cisneros gouverne si bien que les finances s’assainissent, les nobles sont bridés, le clergé « réformé », l’inquisition modernisée. Il crée l’infanterie ; il fonde l’université d’Alcala. Il fait traduire la Bible …bref il donne naissance à la culture espagnole.
Chapitre 4 : l’Espagne impériale
Même si c’est caduque, on suit un jalonnement chronologique. Et ici on se centre sur le règne de Charles Quint. Il est à la tête d’un territoire immense (Aragon, Castille, Bourgogne, Autriche) et ses victoires vont peu en changer les frontières. Il ne cessera de croiser François I son rival. Le premier geste de son règne c’est la « diète de Worms » où il réaffirme le catholicisme face au protestantisme. Mais de nombreuses guerres à répétition le lanceront sur des champs de bataille encore peu structurés par des Etats modernes. Les papes n’y arrivent pas et leurs terres sont convoitées par les 2 seuls Etats du moment. En même temps c’est sous son règne qu’il annexe le Mexique, le Pérou et le Brésil. Ses rapports avec la France se clôturent dans une succession de « traités de paix » (Cambrai, Nice, Crespy, Vaucelles) qui sont bafoués à la première des provocations. On a beaucoup critiqué le manque de souci de Charles Quint pour l’Espagne et son manque d’affinité avec ce peuple or il a en commun avec lui l’esprit de croisade et le goût de la chevalerie. Le siècle d’or lui doit des réformes dans le domaine des lois, des moeurs, de l’économie et de la guerre. Il est moins remarquable pour la diversité et la richesse de la pensée que ne le sera son fils. Mais l’un et l’autre ont un enracinement essentiel dans la tradition religieuse. Charles Quint est un mélange de froideur allemande et d’orgueil espagnol ; il n’ a comme seul souci que l’expansion de sa puissance. Mais on ne peut nier la bizarrerie de sa dévotion, une curieuse avarice et à table une voracité maladive. Sa politique est plus occidentale que nationale ; il est dans l’esprit du Moyen-Âge et c’est ainsi qu’il fait une place aux femmes dans la tradition de l’amour courtois (Marie de Hongrie, Eléonore, Marguerite de Savoie) mais il leur ouvrira aussi les portes de l’université (Béatrice de Galinda, Luca de Medrano, Françoise de Lebrija).
Le 30 mai 1516, Cisneros proclame Charles Quint « roi d’Espagne ». C’est la première fois qu’un souverain a ce titre. Ce règne va donner à l’Espagne un effet déclenchant pour une floraison intellectuelle et artistique qui ne produira ses fruits qu’après lui. L’éclat de la couronne, le succès des entreprises, l’accroissement de l’empire, l’autorité, la richesse et le faste de la Cour ne font pas oublier que c’est en tant qu’espagnol qu’il fait ce qu’il fait : dans la lutte contre les intrigues de la noblesse, contre les révoltes locales des « communeros ». Il double le cardinal d’Utrecht d’une aide éclairée en la personne de Ignacio Velasco, il s’assure de l’appui des Cortès quand il est candidat à l’Empire, il confie la diplomatie à Hurtado de Mendoza, prend ses conseils chez Fernand de la Vega et Hugues de Moncade Cobos, il fait attention à choisir les précepteurs de ses fils et de son batard favori, Luis de Guijada. Il parle le castillan au quotidien. Il est faux de dire qu’il n’est jamais là en Espagne. Celle-ci, c’est sous son règne qu’elle s’éveille aux forces de l’esprit. C’est bien son orgueil national y trouve son compte : ce peuple a fini par se prendre grâce à lui pour le premier du monde ! Il a rompu alors les limites étroites de la péninsule et a rayonné jusqu’à Bologne, Milan, Paris. Charles Quint a été très cultivé et amateur éclairé en arts et lettres. Il traduit du latin et s’instruit près de Boèce, Josèphe, César et Thucydide.Il est important de souligner dans tout ceci l’esprit de chevalerie sous-jacent. Don Quichotte est teinté d’un esprit de générosité et de charité chrétienne, ce qui se développera en raffinement des moeurs : noblesse personnelle renforcée par « l’institution des 4 ordres mi-monacaux, mi-guerriers appelés Calatreva, Santiago, Alcantara, Montesa » et une section espagnole de la « toison d’or des ducs de Bourgogne». Se trouvent ici développés des rites, des codes, des coutumes d’honneur. La valeur personnelle, la franchise et la générosité au combat, le goût de la prouesse et du danger vont de paire avec la pitié et la compassion. L’héroïsme va jusqu’au duel. De nouveau il faut ajouter le rapport des hommes par rapport aux femmes, le tout teinté d’un accent qui vient de l’Eglise qui commande le respect à leur égard ce qui donnera la galanterie.
Chapitre 5 : l’épopée américaine
La découverte de Christophe Colomb sous Charles Quint prend un caractère plus précis de conquête et d’annexion. C’est maintenant la période héroïque dans un climat porteur où le peuple engendre des « conquistadores » pétris des qualités de courage, intelligence, enthousiasme…Prédestiné ce peuple engendre une croisade soucieuse presque exclusivement d’apostolat. Presque,… parce que Colomb est un mélange de mysticisme, d’homme de science expérimentale et d’un usurier amoureux des richesses. La dimension apostolique est portée par le cardinal de Mendoza et les franciscains guidés par le Père Marcheda, soutenus par les prieurs de la Rabida et de San Esteban, sans oublier le pape Alexandre VI. Dans la foulée du découvreur, il y aura des suiveurs comme Ojeda, Vespucci, Nunez de Balboa, Costereal, Ocampo, Ponce de Leon, Diaz de Solis… et ceci pousse Charles Quint à faire de la colonisation de l’Amérique, une affaire d’Etat. Il sera secondé par Fernand Cortèz et François Pizzaro qui se savent chargés de cette mission séculaire d’étendre la puissance royale. Que ce soit au Mexique, au Pérou, au Chili, c’est le même mélange épique de faits d’armes, de ruses, de trahisons à la parole donnée, tous les moyens étant bons pour la fin ! Charles Quint entendra des bruits d’excès incompatibles avec l’image de noblesse qui convient à l’orgueil de ce peuple comme un contrepoint. Mais ses mises en garde et rappels des limites restent lettres mortes vu les conceptions locales sur ce qu’il y a lieu de faire. Il faut dire aussi que les richesses des trésors aztèques et incas reviennent en grosse partie à la couronne.
Certains hommes d’Eglise se firent les défenseurs de l’esprit de charité. La figure du dominicain Barthélemy de Las Casas est rattachée aux indiens car il met en place -contre les commanderies- des organisations d’Etats commandées par des prêtres et des laïcs, pour mettre en valeur des territoires immenses où travailleraient librement des milliers d’indigènes, dans une productivité croissante et ce au profit de la couronne. Pour nuancer le tableau, il faut compléter avec le souci d’un objectif commercial qui les lient à la métropole par mandat. Il y a tout le temps à chercher une formule de production plus lucrative (est-ce au prix de l’esclavage ?) On aura amélioré les conditions de travail et les indiens sont bien nourris et secondés par des noirs achetés comme du bétail en Afrique. Dans des fermes comme Cumana au Venezuela il y a des progrès en agriculture par un travail scientifique d’acclimatation des céréales européennes.L’éclosion scientifique dans les colonies fait passer au second plan les artistes. En Espagne il faut mettre en valeur des chercheurs car ces hommes vivent à la Renaissance et sont pétris d’humanisme poussant toujours plus l’esprit de curiosité. Les expéditions ramènent des faits qui font progresser la cosmographie et l’art de naviguer (Alphonse de Santa Cruz, Pierre Nunez, Jérôme de Chavez, Pierre de Medina). Les mathématiques bénéficient des travaux du cardinal Martinez Guijarra ( André de Poza, Jean de Casamuel). Il faut pointer les progrès en histoire naturelle et chimie (Hernandez de Oviedo, Joseph d’Acosta, Cienfuegos, Alphonse Barbo). De même la physique (et la médecine) sont entraînées dans cette contagion … Perez de Olivapressent le miracle de l’électricité dans ses travaux sur les aimants et le magnétisme. La transmission du son est étudiée, on s’essaie à fabriquer un bateau à vapeur. Arias Montana s’intéresse à la pression atmosphérique. En médecine il y a 3 noms : Gomez Pereira, de Vallès et Michel Servet. On progresse sur l’automatisme de l’instinct animal et on abandonne Gallien. C’est fini de regarder la maladie en fonction de l’influence des astres. On fait des explorations du corps humain et on découvre la circulation artérielle. La science progresse dans les techniques de la guerre avec Pierre Navarro. On crée à Séville un collège polytechnique ( San Telmo). L’université de Salamanque ouvre des facultés spécialisées en astronomie et physique.
Chapitre 6 : la floraison spirituelle
Le mysticisme remonte à St Bernard et puis à Jean Tauler et Gerson. En Espagne il y a une source à aller chercher chez les juifs depuis le 13ème siècle. Prendre les noms de Thérèse d’Avila et Jean de La Croix est donc du parti-pris surtout que Thérèse n’est pas que mystique. Elle est surtout celle qui a réformé le Carmel. Elle écrit remarquablement et est excellente en philosophie (dialectique et scolastique), les cartels fleurissent sous son influence à Medina Del Campo, Valladollid, Tolède, Pastrana, Ségovie, Salamanque et 10 autres ! Elle meurt en 1582 à Albe de Tormès. Jean de La Croix est moins féminin, son écriture est concise et incisive. Elle triomphe en théologie. A son époque des sectes d’illuminés, les « alumbrados » vont lui nuire par amalgame, il ira en prison d’où Thérèse d’Avila le sortira. Il réforme le couvent des Carmes et crée les carmes déchaux.
Les humanistes sont de 1er ordre mais ils sont sous-estimés par les chroniqueurs. Sans doute vu le rôle source des juifs marranes. François de Vitoria est très influencé par Erasme car cet auteur bouscule l’intransigeance de la théologie espagnole. Erasme n’a pas seulement porté sa charge contre la Réforme, il ironise contre la Contre-Réforme tout autant. Vitoria est juriste et écrit sur les conditions de la guerre juste, sur le pouvoir civil, celui de l’Eglise, des conciles. Il écrit un traité de morale international. Louis Vivès professe dans toutes les universités d’Europe. Il écrit en philologie et à propos de l’éducation. Son érudition embrasse tous les aspects de la connaissance dans l’Antiquité en les rendant compatibles avec le cadre de la Révélation et de la foi chrétienne. Moraliste, Vivès est surtout logicien et discrédite la scolastique annonçant le kantisme. Il prône la démocratie. Jean d’Avila étudie le droit, la théologie, les arts, il brille par ses sermons. Louis de Grenade est tout en contraste. Après avoir prêché à l’époque du concile de Trente, il écrit en castillan sur des thèmes qui fâchent l’institution ecclésiale, avec une plume d’une très grande pureté, car il connait les meilleurs auteurs latins en grandissant à leur école. Louis de Leon est un humaniste littéraire, débordant sur la poésie et l’amour de la nature mais aussi la théologie et l’exégèse. La poésie et les textes bibliques lui viennent des juifs marranes. Il écrit en castillan et fera de l’espagnol une langue classique. Il est doué aussi en dialectique sacrée et en droit. C’est un épicurien qui ramène la vie à la lumière de Dieu. Arias Montana a une culture qui s’étend à tout ; il connait 4 langues, il travaille sur la rhétorique, l’histoire de l’antiquité juive. Il traduit la Bible et produit une histoire naturelle. Il faudrait citer aussi Jean Perez et Gonzalès de Montès, prônant la mesure, la douceur, l’ordre, le rythme bref la sophrosunè.
Les belles lettres, le théâtre, les arts ne fleurissent pas encore de leur plein éclat. Mais on ne peut pas méconnaitre les productions en poésie, histoire, morale et dans le roman. On y cherche un accès à la littérature profane. En histoire on ne peut passer sous silence Diego Hurtado de Mendoza. Il n’est pas loin d’inventer le style picaresque que Quevedo mettra en pleine lumière un siècle plus tard. On sent l’influence de Tite-Live et surtout celle de Salluste. Avant on avait eu des chroniqueurs mais ici se dégage un indéniable sens politique. Antoine de Guevara y ajoutera un sens moral qui ne retiendra pourtant pas l’attention de Montesquieu de passage par là. En art dramatique il faut citer Lope de Rueda que certains comparent à Eschyle et Molière : il ose bousculer les intouchables dans des « pasos » qui font mouche contre les moines et les évêques.Les beaux-arts c’est évidemment l’architecture avec Alphonse Rodriguez, Antoine Egas (cathédrale deSalamanque) mais surtout Alphonse Berruguete au style plateresque en orfèvrerie. C’est un très grand sculpteur et un bon peintre en polychromie sur bois. Il fit école avec Fernand Ruiz et Gaspard Becerra qui louchent vers Michel-Ange. Il faudrait mentionner Henri d’Argé et Antoine Perez surtout parce qu’ils ouvrent des académies. Il y en aura aussi en musique avec le plain chant. L’influence de Rome se fait sentir avec François de Salinas, Christophe Moralès(musique sacrée). l’art a beaucoup à faire avec ses grands rivaux que sont la Bourgogne et l’Italie.
Chapitre 7 : l’hégémonie de l’Espagne
Philippe II fils de Charles Quint épouse successivement Isabelle de Portugal, Marie Tudor et Elisabeth de France. Dès sa naissance il est reconnu par les Cortès de Castille comme héritier de la couronne. Mais il faudra 12 ans pour que les Cortès d’Aragon en fassent autant. Pareil pour la Navarre. Il est élevé par Martinez El Siliceo et Luis de Zuniga. À 24 ans il est régent et conseillé par Pierre de Tolède et le cardinal Tavera. Son royaume s’agrandit des couronnes de Naples et des Pays-Bas. Par contre le sceptre de l’Empire ne passe pas de son père à lui mais à son frère Ferdinand. Ceci implique que l’image de souverain reste purement et uniquement espagnole. Le sceptre garantit la primauté de l’Espagne sur le monde et la défense du catholicisme. Il sera excommunié 4 mois par le pape Paul IV. C’est la victoire à Saint Quentin qui fera que le pape se révise vu sa défaite. C’est la victoire espagnole à Gravelines et dans le traité de Cateau-Cambresis qui apaise les rivalités avec la France. Désormais il y a régler le problème de l’hérésie qui a frappé l’Allemagne et l’Angleterre et même la France. Il s’accorde avec le pape Pie IV pour réouvrir le concile de Trente. Il nomme le duc d’Albe aux Pays-bas pour écraser la révolte luthérienne mais cela se soldera par la perte des Pays-Bas du Nord. Il s’en prend aux turcs qu’il remet dans leurs frontières lors de la bataille de Lépante. À la mort du roi du Portugal, il annexe ce pays mais seulement pour 60 ans. Apprenant que l’Angleterre d’Elisabeth I aide les insurgés des Pays-Bas, il lève l’invincible Armada qui échoue vu une tempête. Par contre il est pour beaucoup pour l’arrêt de la Réforme en France avec Henri IV.
Son physique le présente comme homme du nord mais son caractère est complexe car c’est un grand lettré : bibliothèque de l’Escorial, collections du Prado, décoration des palais royaux, tapisseries flamandes, porcelaines et orfèvrerie. Mais ses grandes qualités sont ternies par une dureté et une froideur inaccessible à la compassion. Ses rancunes n’épargnent personne jusque dans sa propre famille. Antoine Perez et don Carlos en font les frais ; la rouerie du souverain fomente des procès interminables qui usent les nerfs de ses victimes. Homme de cabinet et de réflexion, il s’entoure d’espions, d’une police secrète et sa diplomatie est plus que prudente car ce n’est pas un homme d’action. Juan d’Autriche fait aussi l’objet de ses humeurs mais comme c’est un grand capitaine (Lépante, bataille de Gembloux) il ne peut être négligé qu’il se l’associe contre sa pente naturelle. Le roi épousera une 4ème épouse Marie Anne d’Autriche dont il aura un fils futur Philippe III. Mais les affaires de l’Etat empêchent le père de prévoir à l’éducation du fils. Sa bureaucratie est énorme et un modèle d’organisation qui imposera son concept au 17ème et 18ème siècle. À l’intérieur du pays il a eu affaire aux dernières grandes subversions des nobles ; il a cadré les fédéralisations tenaces entre assemblées. Il a eu à faire face à une grande crise financière.Et puis il finit par faire face à la gestion des colonies. Il s’agit d’y créer les conditions d’un peuplement européen. Il s’entoure de fonctionnaires, de moines et de paysans andalous. La main d’oeuvre passera par le travail forcé et l’esclavage. Mais en même temps on acclimate le blé, les oliviers, la banane, la vigne, les asperges, les carottes, les grenades, les pépinières, les ânes et les chevaux. Ces apports sont payés de retour, introduisant en Europe des produits exotiques, l’or, l’argent. La « Casa de contractacion » de Séville veille sur tous les flux, enregistrés dans les cadastres comptables. La délégation du pouvoir royal dans ces régions passe par des vice-rois. Mais Philippe II veille à une « Recopilacion de las layes de las Indias» dont la caractéristique est une curieuse confusion entre exécutif et judiciaire (le fameux tribunal « audiencia » en faveur du juge). L’autre trait de cette conception c’est les « regidores » des districts et les « alcades » municipaux élus par tous les habitants d’un lieu. Des droits spéciaux (fueros) sont accordés aux corporations. Parmi les grands noms des vice-rois il faut citer Antoine de Mendoza et François de Tolède. Mais c’est surtout le clergé qui est le fer de lance de la colonisation : la réforme des moeurs passe moins par les conversions que par l’éducation. Les ordres jésuites, augustiniens et franciscains ouvrent des collèges, des écoles primaires, des universités adossées à des bibliothèques, imprimeries et traductions des dialectes locaux, lexiques, grammaires, manuels scolaires. La femme autochtone est valorisée jusqu’au métissage des populations qui est encouragé.
Chapitre 8 : la contre-Réforme
Le concile de Trente est le premier outil de lutte conçu par l’Espagne. Depuis longtemps elle lutte contre l’hérésie et d’abord avec les musulmans mais maintenant l’enjeu c’est toute l’Europe. Charles Quint avait suggéré ce concile contre Luther car il y voyait la menace d’un schisme. Le concile se tient en Autriche mais dans l’idée de rajeunir la discipline de l’Eglise et sa dogmatique fixée par le concile de Nicée. Il y a deux camps : l’intransigeance sans concession ou une part d’autocritique (absolument justifiée). L’arrêt des sessions excède Charles Quint qui octroie aux protestants l’« intérim d’Augsbourg » permettant de communier sous les deux espèces ainsi que le mariage des prêtres. Dans ce croisement de points de vue et pour éviter le clash, il y a réouverture des sessions mais maintenant ce sont les français qui coinçent (Henri II). Philippe II arrive à ses fins et pendant 10 ans le concile accouche de la « professio fidei tridentina» dont le mérite revient aux théologiens espagnols. Plusieurs s’étaient signalé dans les sessions précédentes (Dominique Soto, Melchior Cano). L’accent qu’ils ont donné est une sorte de rationalisme chrétien qui justifie l’inquisition et qui s’oppose aux jésuites. Ce sont pourtant ces derniers qui vont monter en scène mais avec des dominicains comme Barthélemy Corranza . Diego Lainez sjfera taire l’aura des premiers théologiens de ce concile. C’est un jouteur de haut vol qui a appris ses armes contre Theodore de Beze et il obtient des aménagements conciliaires dans les questions de la communion, du mariage, de l’ordination et surtout sur la prééminence papale. À côté de lui il y a Alphonse Salmeron sj qui lui est hors pair dans la lecture des Ecritures dont il donne des commentaires décisifs. Il y a à ajouter au tableau les 2 frères Carrubios en casuistique et jurisconsulte.
On le voit la Compagnie de Jésus est devenue incontournable. Ignace de Loyola meurt en 1556. Et dans les débuts de sa vocation à créer un ordre, il y a à signaler la « réunion dans la crypte de Montmartre » avec François de Xavier, Lainez, Salmeron, Bobadilla, Rodriguez de Acevedo, Le Fèvre et 3 français (Lejay, Broet, Coudure). Ils décident des axes de l’ordre futur : convertir les infidèles et se mettre aux services directs du pape ; la croisade d’Ignace se jouera en Europe et sera poursuivie par le 1er général qui n’est autre que Diego Lainez qui rédige la « constitution sj ». Il regroupe 10000 novices dans 20 collèges dont celui créé par Guillaume Duprat sj à Paris. Le généralat passe ensuite à un espagnol aristocrate : François Borgia sj. C’est lui qui étend la mission à d’autres pays et veille à l’organisation de l’enseignement et de l’apostolat en Espagne. À sa mort succède un italien Vittaleschi sj. Il est important de distinguer François Xavier sj qui quitte l’Europe vers les Indes. Les jésuites seront présents en Amérique latine entre autre par la création des « réductiones du Paraguay ». L’instruction de la jeunesse s’opère dans un réseau de collèges pour l’enseignement secondaire et primaire qui attirent vers l’humanisme et le culte des lettres. L’éducation publique pour tous est expérimentée quand les rois espagnols successifs leur donnent leur appui pour s’adresser aux membres de la classe bourgeoise susceptible d’accéder au pouvoir. La philosophie est enseignée dans les universités sj depuis Molina sj. La morale est promue par les casuistes comme Escobar Antoine sj et Thomas Sanchez sj. Les jésuites vont créer un lien entre le siècle de Louis XIV et le siècle d’or espagnol dans la lutte conte le jansénisme.La 3ème arme de la contre réforme est l’inquisition ce qui ne fut pas inutile …pour sauver la civilisation chrétienne occidentale.
Chapitre 9 : au zénith de la culture
Les lettres et les arts restent marqués par la religion. Mais il y a tendance à se détacher. La philosophie cesse d’être absorbée par la dissertation théologique. Le roman abandonne la chevalerie pour la pastorale et l’étude des moeurs. L’histoire et le droit abordent des sujets plus généraux que les annales locales. Le théâtre accentue son émancipation, l’architecture, la sculpture et la peinture se hasardent hors des cathédrales pour se mêler à la vie civile édifiant des palais et des portraits. Toutefois on ne tombe pas dans le néo-paganisme, la licence, l’exaltation de l’amour profane. En Espagne la théologie est toujours très vivante en marge du concile de Trente et de la Compagnie de Jésus, avec Pierre d’Alcantara sj qui ravive le mysticisme. Jean Baptiste de Cardona fait partie de la classe des doctrinaires de la contre réforme. Même s’il est protestant, Cyprien de Valera est un grand théologien. Par contre le plus grand est un jésuite, à savoir François Suarez sj(qui brille également en morale et et en droit). Alphonse Rodriguez sj brille en philosophie scolastique et Gabriel Vasquez sj crée le congruisme qui est un compromis entre morale libre et morale arbitraire : ce très grand penseur (proche de Thomas d’Aquin en métaphysique et cosmogonie) crée surtout une alliance remarquée de la religion avec la science (mathématiques, philologie, goût dans les beaux arts, science en droit public) et il excelle en tout. Son étude sur la loi naturelle et la souveraineté fera école chez les réformistes français du 18ème siècle (le peuple et le prince qui en est le délégué aliéné) ; avec François de Vitoria sj, il est fondateur du droit international. L’histoire proche parente du droit a aussi de grands penseurs : Ribadeneyra lie cette science à la lecture des archives et une analyse critique des sources. L’histoire des Incas (Garcilosa de la Vega), des Maures de Grenade (Jean Perez de Hita) sont complétées de celles des Indes, du Portugal, du règne de Marie Stuart, sur les guerres d’Italie (Antoine de Herrera). Ambroise Moralès et Gines de Sepulveda écrivent sur l’antiquité des villes d’Espagne et dans le style de Tite Live il rapporte les règnes de Charles Quint et Philippe II. Mais la palme va à Jean Mariana sj pour son histoire générale d’Espagne (c’est de lui qu’on a la possibilité de discerner entre bon et mauvais prince et ses critères traverseront les siècles). La poésie perce avec Louis de Gongora et Fernand de Herrera. Le roman trouve son maître avec Georges de Montemayor ; c’est l’heure du picarisme qui chante le chenapan, le tricheur, la fille perdue (Mathieu Aleman, Vincent de Espinal). Ce picarisme séduira les romantiques du 19ème siècle avec Rojas de Villandrando, car il peint des tableaux remplis de la vie colorée espagnole. L’art dramatique produit par Lope de Rueda et Gil Vicente ne bute plus contre les réactions de l’Eglise. Diamonte a récolté tous les chants nationaux des Asturies et de Castille. Jean de la Cueva est un tragique. Quant à la musique elle brille avec Moralès et Salinas et s’assure un avenir avec les écoles de Barcelone, Séville (François Guerrero), Valence (Jean Baptiste Comès), Madrid (Thomas Luis de Victoria). Viana, Diego de Ortiz, Calasanz attendent leur heure.
L’Escurial est un palais à la gloire de Dieu et des morts et il a la forme d’un grill (martyre de St Laurent). Il est l’expression du catholicisme dominateur de l’Espagne. Philippe II en a assuré les premiers plans tout comme il a changé le paysage de l’Andalousie et de la Castille avec des ponts, aqueducs, barrages, hôpitaux, collèges, portes… Jean de Herrera le relaye pour faire une épure qui s’en tient à la pureté des lignes et l’absence de toute mollesse.À côté de l’architecture, la sculpture (Michel Martinez, Jean de Castaneda, Balthazar Torneo), la peinture (Barthélemy Del Rio, François Lopez) commencent à dépasser les arts sacrés. Deux sculpteurs s’illustrent dans les bas reliefs de la cathédrale de Huesca (Jean Olezaga)et pour le tombeau de Ximenez (Barthélemy Ordonez). En peinture on verra naître un génie, Le Greco(enterrement du comte d’Orgez), même si on ne peut passer sous silence Barroso (la perspective) Louis de Moralès (dessin parfait pour traduire la douceur et la passion). Jean Fernandez Navarrette produit un extraordinaire tableau (Abraham et les bergers) pour l’Escurial. Au dehors de ce palais il y a Sanchez Coello, Pantojade La Cruz (portraitiste hors pair dans l’adoration des bergers).
Chapitre 10 : un prince oublié
Philippe III a pâti du manque de sollicitude de son père. Il est dit apathique du coup, falôt, paresseux … mais en fait il a pris à bras le corps les problèmes. Au démarrage, il ne gouvernait pas lui-même et les rênes du pouvoir glissaient dans les mains des favoris qui profitaient de la situation comme le duc de Lerme et Rodrigue Calderon (qui finirent à l’échafaud). À l’extérieur, il a 4 adversaires : la Hollande, l’Angleterre, la France et l’Islam africain. A l’intérieur il affronte les assemblées locales et les Morisques ! Il bénéficie de l’aide de Frederic et Ambroise Spinola dans la lutte contre la Hollande …et contre les Morisques de l’aide de Fajardo, de Villafranca, Rodrigue de Silva, François de Ribera. Contre Mantoue et la France de l’aide du marquis de Hinajova. L’expulsion des Moresques fera contentieux mais avec les assemblées locales il apparait que l’Espagne n’a pas sur la royauté la fiction du « droit divin » car le roi tient sa légitimité des Cortès. L’expulsion des Morisques n’est pas le fait de l’inquisition contrairement aux juifs ; les Morisques étaient agriculteurs (métayers) : si bien que les chasser c’était atteindre à l’économie des grands propriétaires terriens d’Andalousie. Les Maures ont été flattés tout un temps par le pouvoir qui leur avait accordé des « libertés » et le roi n’en reçut rien en retour sinon des révoltes armées dans les Alpujarras. Le duc de Lerme avait profité des « exceptions » accordées pour rester sur le territoire moyennant finances…pour sa poche !Les juifs étaient extrêmement cultivés, ils avaient occupé des postes de théologie et Louis de Leon juif obtint la mitre épiscopale après sa conversion. Les juifs ne menaçaient pas l’Etat, c’était une élite remarquable qui a eu le tort de subir son sort dans la passivité après des années d’assimilation à la culture espagnole. Philippe III ne décidait jamais sans avoir pris l’avis des assemblées. Il était le premier à respecter le droit naturel conçu par François de Vitoria et François Suarez sj. Avec la « junte de Valence » les pour en faveur de l’expulsion butaient contre les contre rassemblés par le pape soucieux de ne pas mettre les méchants et les bons dans le même sac. Obligé de trancher, le roi trancha en 1609 à Ségovie par l’ « ordonnance d’expulsion ». Dans le procès des favoris (jusqu’au valido qui est conseiller intime) le roi s’adressa au Conseil de Castille mais l’enquête fut décisive. Ce qui est à retenir c’est la leçon des grands juristes qui ont mis des limites au pouvoir du prince et précisé une nouvelle formulation du droit des gens dans le respect de l’individu.
Michel Cervantès Saavedra écrit Don Quichotte comme une oeuvre étincelante ; elle a été écrite par un vieillard dont toute la vie fut faite d’expédients. L’éblouissante diversité de son talent s’affirme dans une trentaine de comédies, poèmes et nouvelles. De son oeuvre on peut dégager les caractères qui la rattache au génie de l’Espagne et à l’esprit du siècle d’or. Don Quichotte c’est une réaction par l’absurde contre la vogue de romans de chevalerie qui en était arrivée à l’extravagance. La Renaissance en Espagne n’a pas modifié la conception de l’hidalgo (seigneur et paysan). Ce type d’humanisme si spécial en Espagne ne sera pas pour rien dans la résistance que la petite aristocratie terrienne allait opposer aux nouveautés de l’Encyclopédie et autres idées des Lumières. La forfanterie de l’honneur alimentée par des lectures purement romanesques altérait un sentiment louable en soi : Don Quichotte fera d’une farce une magnifique leçon de morale, ce livre de philosophie pointue est une peinture pleine de vie et de vérité saisissante. Le second volume de ce livre est riche de maximes, paraboles et aperçus généraux qui donnent une profondeur à cette pensée. Sancho illustre les excès, les erreurs, les mécomptes, mais aussi la sensibilité généreuse de l’âme espagnole. Il l’emporte sur Don Quichotte lequel est pétri d’appels à la prudence et à l’abstention. Les accents d’un homme de foi profonde habillent les personnages sans oublier Dulcinée .
Chapitre 11 : le couchant de la monarchie
Philippe IV prend comme premier ministre Gaspard de Guzman qu’il ennoblira sous le nom de comte duc de Olivarès. Cet homme est instruit et loyal, infatigable au travail et d’un parfait désintéressement. Il réagit contre l’immoralité de la Cour, libéral il modère les rigueurs de l’inquisition, il étouffe les complots des grands mais ne peut rivaliser contre Richelieu. À l’extérieur le règne a commencé par des victoires contre les hollandais et la Suède mais à la bataille de Rocroi s’amorce un revers de fortune. Ceci dit le royaume reste immense. Philippe IV est le plus humain et le plus sensible des Habsbourg. Sa bonté et sa correction de vie s’enrichissent dans son mariage avec Elisabeth de Bourbon soeur de Louis XIII. Très grand croyant il s’éclaire dans sa foi auprès de la supérieure du couvent Marie Agreda. Ces 2 femmes ont guidé le monarque et insufflé une énergie qui lui manquait naturellement. Elisabeth après la disgrâce d’Olivares (aux penchants dictatoriaux, personne n’est parfait) invite le roi à prendre pour valido Louis Mendez de Haro qui fera beaucoup pour nouer des relations apaisées avec la France.
Quand il s’agira de recueillir l’héritage du siècle d’or ce sera la France de Louis XIV qui le fera avec respect et admiration. À défaut d’un meilleur emploi Philippe IV exerce tous ses talents comme mécène. Il honorera Velasquez de La Croix des chevaliers de Saint Jacques. La protection coûteuse qu’il accordait aux lettrés (il a beaucoup appris près de Lope de Vega et Calderon) et aux artistes s’étendait à tout ce qui embellissait la vie publique. Madrid se transforme. La pauvreté est cadrée par des aides publiques. L’amour des arts se transmet aux grands du royaume. Le luxe prenant tendance à se répandre, le roi donne l’exemple des restrictions avec d’étranges promulgations de « Pragmatiques ». Ceci dit la bonté du roi a un effet sur l’adoucissement des moeurs et il était grand temps.Inévitablement arrive le déclin du siècle d’or. Il s’accompagne de critiques par la plume de François de Quevedo. Ce Voltaire espagnol est d’un talent fou et pas seulement dans les pamphlets. Son oeuvre est variée et brillante : poésie, roman, philosophie, morale, religion, politique, histoire. L’Espagne annonce ici l’esprit critique du 18ème siècle, entre autre le libéralisme intellectuel qui perdra les monarchies.
Chapitre 12 : vers une conclusion
Le résumé du livre s’arrète ici car l’essentiel est dit… L’évolution nouvelle faisant passer du pieux au profane lancera le théâtre (Chapitre 12). L’apothéose en peinture dégagera d’immenses noms comme Velasquez, Zurbaran, Murillo, Pacheco et Ribera. (Chapitre 13). Dans le sillage du siècle d’or l’auteur (fait allusion au règne de Charles II)…et surtout donne ses sources bibliographiques comme Maranon et Marcel Bataillon.