Banner background

Imperium Structures et affects des corps politiques


Auteur du livre: Frédéric Lordon

Éditeur: La Fabrique

Année de publication: 2015

Publié

dans

par

Étiquettes :


L’impérium est l’opérateur d’un groupement avec un supplément : l’affect commun qui fait l’être-en-corps. L’humanité existe à l’état fragmenté. Les fragments ne sont pas des poussières d’atomes individuels. Ce sont des ensembles finis distincts. Ces ensembles ont des formes qui font d’eux des corps. Un corps humain c’est une union de parties composées sous un certain rapport (certa ratio). Ceci est une définition structurale et non pas substantielle. Cette définition souligne un principe de singularité : ce corps-ci n’est pas celui-là ; il y a morphologie différente entre tribu, Etat absolutiste, Etat nation…mais c’est toujours la même structure. Toutes ces formations sont des corps.

Introduction

L’impérium et la « certa ratio » sont les structures élémentaires de la politique. C’est le même principe qui dit et la consistance du groupe et sa finitude : la servitude passionnelle. Tout corps est sujet à des forces contraires parce que les parties ne promeuvent pas à priori les intérêts de persévérance du tout, elles n’y sont tenues que sous un impérium pour autant qu’il s’impose à elles avec succès. Il ne peut donc pas raisonnablement et affectivement y avoir un Etat mondial tenu par un impérium mondial. On n’a des corps qu’à plus petite échelle; et l’on doit passer par les institutions permettant un principe vertical.

Lordon critiquera les principes de la Gauche : l’internationalisme, le dépérissement de l’Etat, l’horizontalité radicale. Mais le livre ne jettera pas le bébé et l’eau du bain, on cherchera une idée régulatrice qui ne supprime pas les tensions.

Ce qu’il y a à garder, c’est qu’on ne pense jamais que sous un certain désir. Penser n’est pas un exercice d’intellection représentative, c’est l’effet d’une activité de l’esprit. L’esprit, autant qu’il peut, s’efforce d’imaginer ce qui accroit ou ce qui seconde la puissance d’agir du corps. On reviendra sur vers quoi il tend et sous quelle orientation : immanence ou transcendance, selon l’ordre ou l’émancipation, par déterminisme ou par la rencontre d’un événement. Il y a 2 autres auteurs qui seront mis en avant : Althusius et Badiou.

Première partie : groupements

Chapitre 1 : les paralogismes de la franchise, je n’appartiens à rien ni personne

On démarre sur la question de l’appartenance. Celle-ci est nécessaire. il faut sortir des réflexes axiologiques, où l’on est pour ou contre, perdant à l’occasion la disposition favorable aux positivités : appartenir c’est vibrer avec les autres et peu importe pour quoi.

Par contre là où on s’enflamme mauvais c’est sur l’appartenance nationale. Le point de vue post national semble avoir beaucoup de positivité : beaucoup ont le désir d’échapper aux fixations. N’allons pas trop vite. Les prolétaires ne sont guère sensibles à l’internationalisme (ils sont solidaires localement). Guillaume Le Blanc a écrit sur la condition d’étranger et les conditions de l’exil, il conclut que les migrants oscillent entre appartenance perdue et imaginaire ou une appartenance possédée mais récusée.

En passer à la dés-appartenance est pour Lordon une vue de l’esprit illusoire : dès lors que les Etats nations s’intègreraient pour former quelque chose d’inédit, ça ne pourrait être que quelque chose de radicalement autre. Ce paralogisme colle à la Gauche qui rêve de se débarrasser des menées agressives de la souveraineté et des pathologies nationalistes de l’identité. Or la puissance donne des idées aux grands ensembles, relisons nos histoires coloniales ! En fait la dés-appartenance n’est toujours que le symptôme d’un attachement à sa nation. Ce n’est pas facile de se dés-affilier , il est bon de lire les articles de Shlomo Sand qui est mal pris entre être juif et être israélien.il y a toujours un lieu où l’on vit et ce lieu est toujours une partie de territoire d’une communauté. On ne peut vivre qu’à s’appuyer sur la force et les ressources collectives de la communauté qui occupe ce territoire.

Chapitre 2 : le social comme excédence et comme élévation

Derrière l’idée de dés-appartenance, on voit l’appartenance comme une offense à la qualité de sujet (autonome), le sujet étant la norme accomplie de l’individu. On touche ici à la philosophie sociale du libéralisme laquelle pense la société comme collection d’individus singuliers. On peut dire que le paradigme de l’association (société veut dire réunion de plusieurs individus liés par un contrat réversible) hante toute la pensée moderne : Bakounine, Proudhon, Durkheim, Matheron. On va ici s’appuyer sur les 2 derniers… sans oublier Spinoza

Le lien collectif se comprend indépendamment d’une action exogène de l’Etat; il y a dans les collectivités humaines plus que l’effet des associations volontaires. Les liens viennent d’ « ailleurs » que de nos engagements réfléchis. Il n’y a vraiment de social que quand se dégage une excédence. Le social est une transcendance immanente. Matheron développant une genèse du concept propose une expérience de pensée délibérément construite à partir d’un état originel fictif, qu’il appelle état de nature. 

Et Spinoza donne le nom de ce qui est au coeur de la production du social, soit la puissance de la multitude. L’élévation du social ne vient pas du ciel, elle nait du plan de l’immanence.Il faut avancer avec des nuances et penser l’homogène et l’hétérogène. Le moteur est un foyer de production de différences et de divergences, il est fait des variations internes mais limitées par leur inclusion dans la totalité de rang supérieur, qui consiste dans le groupe politique. Un tout est donc un tout non totalitaire.

Chapitre 3 : dis-convenances et verticalité

Les hommes sont réunis par des blocs distincts, dans des compositions s’opérant jusqu’à un point où s’équilibrent les forces antagonistes de la convergence et de la divergence. Les hommes ne sont pas conduits par la raison mais sont aveuglés et perdus dans leur servitude passionnelle. Ambivalence donc mais pas symétrique : les forces négatives n’égalent pas les forces positives jusqu’à un moment où les hommes entre eux disconviendront. Hors de toute régulation institutionnelle la probabilité dominante c’est la guerre. Les pour, les contre jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un. 

C’est donc du même mouvement que la violence chaotique de l’état de nature trouve sa résolution et que se produit l’élévation qui constitue en propre le social. C’est le groupe qui se forme dans la formation de la puissance de la multitude. Un groupe ne tient ensemble que d’accepter d’une autorité (celle de la cité) une solution apportant la satisfaction de la stabilité. Bien nécessaire pour survivre, pour assurer le climat adéquat à la division du travail, pour éteindre la violence jusqu’au seuil de tolérance.

Non seulement la politique n’échappe en rien à l’universalité de la condition passionnelle, mais elle en est même la manifestation la plus haute (voilà l’ordre commun de la nature). La question reste ouverte de savoir pourquoi la dynamique de formation des groupes s’arrête. C’est parce qu’ils ne se forment que sous le travail des affects passifs. Nécessairement soumis à ces affects les hommes sont inconstants. Tout rend probable que se fasse jour une inconstance puis une disconvenance dont le groupe ne parviendra plus à s’accommoder. La convenance en nature des hommes entre eux est un état asymptotique, celui des affects actifs et de la vie sous la conduite de la raison. Le seul universel vrai est celui de la raison, qui n’est pas à notre portée.

Deuxième partie : les structures élémentaires de la politique

Chapitre 4 : l’Etat général – impérium

On en vient enfin à la capture étatique. 

Sous la loi des grands nombres du social, la capture est une fatalité de la transcendance immanente. Matheron distingue potentia et potestas : cette conversion a pour effet de faire entrer la multitude dans le régime de la vie sous les institutions. Il suffit d’une première capture et les institutions s’enclenchent les unes les autres. 

Selon le modèle de la genèse conceptuelle, il n’y a là nulle reconstitution historique mais l’intuition spéculative du processus institutionnel en son essence. 

Fondamentalement la capture est la capture étatique. Et il suit de l’institution étatique des groupements, des effets ambivalents de renforcement de leur unité interne et de limitation de leur extension. C’est le travail de reproduction d’une consistance interne typée qui fait obstacle à sa propre extension. Car à côté il y a d’autres Etats qui se sont constituées sous l’égide de l’Etat. Ce que nous entendons par Etat nation est une formation historique récente et cette entité a une durée de vie limitée. En dessous il faut dégager une généralité : l’Etat général. Ce qui est un concept reçu de Spinoza sous le nom d’impérium. 

L’impérium a à voir avec l’imposition collective de manières, processus récursif dans lequel le groupe se constitue en constituant ses membres comme membres du groupe. L’autoconstitution du groupe par la normalisation de ses membres se fait sous l’affect commun générique de l’obsequium. L’Etat général rappelle que la multitude règne sur la multitude. L’Etat général est un concept limite de la politique. L’impérium est l’origine de tout pouvoir compris comme stratégie intercalaire, c’est à dire comme captation de la puissance même du social, par là convertie en capacité localisée de faire et faire faire quelque chose au grand nombre. La capture excède de beaucoup les limites du seul pouvoir politique. Toutes les formes de pouvoir à l’oeuvre dans la société en procèdent, toutes les formes d’autorité. Ce qui entraine le devoir de se plier tant que la captation est effective …parce que par derrière la puissance de la multitude continue d’irriguer ces autorités.

Chapitre 5 : ce qu’est un corps politique

Spinoza. L’esprit est l’idée du corps, l’homme est l’union de ce corps et de cet esprit. Ce chapitre développe ce qu’il en est du rôle de la mémoire, de l’imaginaire en lien au réel, il parle de la mort. Un corps est un ensemble de parties déterminées à rester unies entre elles du fait qu’elles se communiquent un certain rapport de mouvement et de repos. Les parties, elles mêmes des corps, composent selon un certain rapport une union de corps qui consiste en un individu distinct de tous les autres. Les individus sont notoirement divis, prêts pour faire partie d’une composition, dans une chaîne culminant dans l’individu suprême qu’est l’Univers. La référence au mouvement et repos sera précieuse quand on analyse les corps politiques, la politique étant la fabrique des résultantes de forces affectives collectives. 

Il y a de la politique dans les corps mêmes car pour Matheron les corps sont à voir comme des fédérations. Si les parties font le corps, elles ne le font que dans la mesure où le corps tient ses parties. Il est un rapport de souveraineté. L’identité d’un corps tolère qu’il prenne une multitude de figures. Forme est le nom donné au rapport constitutif de l’essence d’un corps. Mais cette forme n’apparait jamais concrètement que sous l’espèce d’une figure donnée. La forme est toujours figurée, car les figures sont l’affectation de la forme. La forme-rapport révèle la plasticité figurale. La loi de composition interne que constitue le rapport (la forme) peut se trouver configurée de multiples manières sous réserve de demeurer dans les intervalles que le rapport définit. En appliquant ces lignes générales aux corps politiques, on gagne à rajouter la certa ratio ici dégagée comme structure élémentaire à côté de l’impérium.Les individus collectifs sont les corps politiques. Les corps politiques qui ne composent que certaines parties et pas toutes sont des totalisations relatives. On peut sortir de la politeia à laquelle on appartient, on peut entrer par communication de mouvement et de repos dans la composition du corps politique qu’est l’Etat nation mais aussi avoir 2 passeports. La clôture est poreuse. Ceci dit il y a des différences entre corps humain et corps politique, le dernier étant soutenu par des convenances et non par des fonctions organiques. L’Histoire est la mémoire des individus collectifs, des corps politiques.

Chapitre 6 : les affects de la politique

Moment délicat. Comment penser la matrice de notre pensée ? de quels affects réguliers l’appartenance se soutient-elle? Spinoza répond : de l’amour de soi et de la haine des autres. 

Dans l’amour national il y entre d’aimer et de haïr en commun. Amour et haine dans leur généralité sont des affects de joie ou de tristesse accompagnés d’une cause extérieure. Les différences sont dans les intensités et les différentes actions que ces intensités déterminent. Ensuite il y entre un objet qui est semblable à soi. L’imitation des affects est indexée à des rapports de ressemblance; maximaux quand il s’agit d’un autre individu humain. Le semblable à soi n’est pas affaire que de morphologie, il passe par toutes les similitudes imaginées. Les affects internationaux procèdent du principe de l’amalgame; il n’y entre même plus une connexion causale réelle. Il n’y a pas que de la haine. C’est dans la joie que les individus puisent la ressource de leur attachement passionnel à la nation et aussi le sentiment d’offense qui leur est fait personnellement quand ils s’imaginent que c’est le groupe entier qui a été offensé. Le groupe national s’offre comme démultiplicateur de ce mécanisme. Cette fierté ne peut venir de nos actes, on y est pour rien.

On ne s’aime pas seulement dans des réalisations nationales, mais aussi dans les manières communes. Il s’agit de conjurer ensemble une lancinante inquiétude axiologique : les hommes cherchent à susciter à propos de leurs objets désirés le désir des autres comme une manière de confirmer le leur propre, quitte à déchaîner des rivalités envieuses. Cela ne va pas sans angoisse. Contrairement aux objets, les manières ont la propriété de ne pas être rivales : qu’un individu adopte telle manière n’empêche pas que d’autres l’adoptent avec lui. La convergence des manières est par l’effet du mécanisme de confirmation mimétique une puissance de cohérence collective sans pareille, apaisant nos angoisses. Il n’y a pas que les manières, il y a la méta-manière. La manière de vivre les manières, agressive ou aimable, ouverte ou fermée. C’est une chose d’avoir les manières, c’en est une autre d’en faire des manières supérieures, les seules admissibles. L’histoire montre que l’hybridation des manières n’est pas seulement l’effet d’une guerre de partis, il y faut entrer des conditions extrinsèques. Tout est contingence dans la survenue de la paix des manières; et pourtant elle est bien nécessaire, cette paix, si on cherche à accéder à l’universel, à tendre vers son propre dépassement. Le plus souvent il y a de la disconvenance passionnelle, un parti c’est de la disconvenance régulée. Spinoza rappelle cependant que le rapport de puissance qui maintient le souverain est contingent car il dépend de la capacité de capter la partie la plus forte de la puissance de la multitude et ceci est volatile. Le principe de sédition s’appuie sur l’indignation et sur l’espérance d’un changement largement partagée en commun. Tout est toujours parti d’une minorité. La fragmentation est à l’horizon de toute totalité. On ne doit pas s’en tenir à la géographie, les minorités se retrouvent par dessus les frontières. La disconvenance est le principal agent créateur de tracés inattendus.

Troisième partie : l’horizon de l’horizontalité

Chapitre 7 : le phénix de la capture

Reprendre le chemin de la potentia par la multitude ne tient pas. Spinoza rappelle que cela est dû à une mauvaise compréhension. L’impérium est une politique toujours inscrite dans l’horizon de la verticalité et de l’Etat général. Que signifie cette permanence du vertical. C’est ici qu’on croise Althusius (face à Bodin). 

Althusius pense à partir de la vitalité des relations à faire croître d’en bas. La vie sociale n’est plus vouée à la passivité de l’hétéronomie mais est vue comme une activité communicationnelle et ensuite comme une instance de productivité propre : d’où la politique se doit d’avoir pour objet non l’asservissement mais le développement indéfini. Althusius est moderne de ce qu’il baigne dans le courant individualiste naissant à son époque et de ce qu’il en voit l’insuffisance. Althusius pense l’ensemble d’une architecture institutionnelle et associative qui se totalise au niveau communautaire suprême, l’universitas, point de fédération d’un ensemble politique régi par un principe de partage de la souveraineté et de la stricte délégation de pouvoir des niveaux inférieurs aux niveaux supérieurs. Althusius prend acte du moment de la totalisation : la dynamique ascendante des associations d’associations ne s’étend pas indéfiniment. La finitude distincte des ensembles politiques, c’est le point que la pensée libertaire internationaliste ne peut pas admettre. Pourtant Althusius montre qu’à un moment on tombe sur un ressort cassé, sur une figure, la république platonicienne. Les associations sont souveraines dans les limites de leur « going concern » partagé mais partiel, elles ne peuvent prétendre être une figure de Souverain général. La république comme concept ex ante est un idéal…mais de l’ex ante, l’on sort et la nature de l’Etat s’apprécie selon la manière dont ex post il a tranché son indétermination à l’auto-organisation des niveaux inférieurs… lesquels se chargent de ce que la res publica laisse dehors. La première butée c’est la régulation de la violence. Ce n’est pas affaire de police car c’est la puissance affectante de la multitude qui soutient ses propres productions axiologiques, pose ses partages du bien et du mal, et y tient ses parties constituantes par voie d’affect. Et c’est cela l’Etat général soudé dans l’obsequium, affect normalisateur. Toutefois ne jetons pas le bébé et l’eau du bain. L’enforcement est sans cesse convoqué : il y a à persévérer pour que le partage du bien et du mal se maintienne, et cela concerne uniquement le travail de la multitude, immanence intégrale de la « consociatio universalis ». Ceci dit, quand on sort de la gestion en bas des jeux de la physique des corps politiques pour se placer à un niveau de complexité supérieure concernant la république, il n’y a pas recours possible au jeu des régulations spontanées. La puissance de la multitude y est l’objet d’une capture. Comment alors organiser la pleine reprise de notre propre puissance collective? Le moment lié à la composition des parties pour en faire un tout c’est le moment de surgissement de l’excédent, avec des pertes comme la fin de la transparence et de l’immédiateté du contrôle de soi. L’horizontalité renvoie à la notion d’horizon, il ne s’atteint jamais car le vertical l’en empêche tout le temps. Althusius ne tient que la moitié du raisonnement; oui, il faut partir de l’immanence. Mais pour que la construction tienne, il va falloir recourir à un maître dans l’art de débusquer les idées inadéquates et confuses : Spinoza.

Chapitre 8 : anthropologie de l’horizontalité

On veut nous mêmes notre servitude; l’Etat c’est nous. L’erreur de l’anthropologie (Pierre Clastres) c’est de ramener le problème politique de la verticalité au problème anthropologique de la violence. En se débarrassant du second, elle croit avoir réglé le problème premier. Inévitablement l’anthropologie s’enlise dans la notion de nature humaine. Spinoza lui il cherche là où trouver des contenus de la nature humaine qui soit une et commune à tous : l’homme est un être de désir. Spinoza cherche comment s’opèrent très généralement les enchaînements des affections, des affects, des désirs et des mouvements des corps …soit très généralement, le caractère élémentaire des mécanismes passionnels.

Que veut dire : élémentaire ? Qu’un mécanisme passionnel est trop fruste, trop coupé de la complexité de la vie réelle, trop abstrait pour être observé réellement. Son statut premier est d’être une des briques de base dont la combinatoire seule est à même d’engendrer des affects concrets. C’est le côté élémentaire qui qualifie une nature humaine une et commune… soit une généralité adéquate, générative si l’on veut. Cette nature est sous déterminée et pour passer à des comportements réels, il faut l’ajout de toute une série de déterminations complémentaires mais contingentes, supplément décisif qui ne peut venir que des formations sociales où les comportements individuels s’engendrent. L’histoire c’est le développement temporel de toutes ces possibilités combinatoires de la nature humaine. voilà le sens à donner à auto-affection de la multitude : les manières communes, les schémas comportementaux, valeurs et significations. D’où la question : dans quelles conditions les hommes conviennent-ils davantage qu’ils ne disconviennent ? On est ici renvoyé à l’ethnologie qui explique que l’homme est bon ou mauvais en raison de périodes d’abondance ou de disette ; être coopératif ou pas ne relève pas d’une nature mais de conditions extérieures. Que l’assemblage tienne ou pas ce sera un certain jeu d’affects composés qui en rendra raison. La nature humaine selon Spinoza est une matrice sous déterminée d’où s’engendrent des ingénia modifiables, des complexions dont les plis sont d’abord formés par les effets de la socialisation primaire mais complétés et confirmés ou défaits et refaits au fil des trajectoires socio-biographiques et de leurs affections marquantes, les unes communes au sein de groupes, les autres relevant d’idiosyncrasies. Ce sont les balances affectives qui ont tout pouvoir de détermination ; les choses tiennent ensemble tant que dure l’affect commun d’indignation, par exemple, et la mobilisation pour la lutte qui s’en suit.Sur quoi une forme de vie peut-elle compter pour se stabiliser ? Sur des institutions éducatives. L’éducation c’est le nom de la production d’ingénia adaptés à telle forme de vie. Mais dont rien n’est assuré …d’où on parlera d’un problème. un problème à l’intersection de l’institutionnel et de l’anthropologique.

Chapitre 9 : tendre vers l’universel

La modification vers l’universel est une longue patience . L’appartenance est faite de la contribution. L’appartenance s’atteste dans la participation contributive à l’effort collectif de la persévérance du groupe dans l’être. Persévérance qui ne s’épuise nullement dans des réquisits matériels mais y entrent tout autant les autres puissances qui font la vie du corps commun : intellectuelles, artistiques, morales, culturelles. L’appartenance et la souveraineté vont de paire. La contribution généralisée d’une localité de vie se vit dans les groupes associatifs ou simplement amicaux et familiaux, dans les conversations ordinaires, tissage local de ce qui fait l’étoffe globale du corps politique à l’image de la contribution identique chez ceux qui s’intègrent comme chez ceux qui sont déjà intégrés. Balibar oppose la citoyenneté de statut à la citoyenneté active et montre que c’est chez les seconds que s’observe en acte la capacité politique. Bourdieu lui parle d’universel tronqué mais non par rapport à la citoyenneté mais par rapport à l’Etat. Ainsi dans l’Etat tout le monde sera traité comme égal par rapport à la loi. Par contre à l’extérieur on verra triompher tous les réflexes particularistes difficiles à vivre…il suffit de voir la lutte des sans papiers pour en avoir ! Mais alors que peuvent plus les conditions de possibilité à l’universel authentique ? on voit de suite que ces conditions sont rares car elles réclameraient que l’on soit complètement sorti de la servitude passionnelle d’où naissent toutes les particularisations. il n’est qu’un seul objet qui se puisse désirer en permettant sans aucune réserve que d’autres le désirent avec soi, c’est la raison.Hypothétique donc. N’oublions cependant pas les gradations de la puissance, on peut s’approcher de cet idéal; nous ne pouvons pas avoir tout mais avoir davantage, oui. La suite de ce chapitre se démarque curieusement de Badiou et Rancière pour revenir vers Bourdieu. Lordon devient plus compliqué à comprendre car il va puiser en philosophie, mais, quand nécessaire, à d’autres sources comme la sociologie et il est difficile de mettre ensemble Spinoza et Bourdieu. L’idée clé de Lordon c’est la notion d’intérêt générique à rapprocher de la notion d’Etat général. Suivant Spinoza, Lordon développe une logique modale : une indétermination (forme) qui ne s’observe pas sauf dans des déterminations (figures). L’intérêt conatif (conatus) peut accéder chez Spinoza dans un nouveau régime, celui des affects actifs et non plus passifs (liés à la servitude passionnelle), et accéder à un entendement par des idées adéquates sous les espèces de connaissance du 2ème et 3ème genre. Ici Lordon stoppe sur le chemin vers la béatitude et glisse vers Kant et son éthique. Ce glissement est capital car il bifurque vers la sociologie : l’éthique de Kant est conservatrice et s’inscrit dans le respect des lois institutionnelles en jouant sur la subtilité que le philosophe est libre de prendre à son compte, comme vertu propre, ce qui est pourtant imposé de l’extérieur; La loi faite mienne ne m’oppresse pas, j’y adhère sans me perdre !

Conclusion

L’irraisolu, l’interminable. Lordon a une définition curieuse de l’Histoire car il s’en remet à elle comme ce qui offre des occasions. il y a des surgissements historiques de l’universel ! Lordon amène enfin son idée régulatrice. 

La fin du livre s’accélère : 1) dé-médiation nécessaire car on est trop formaté; 2) subsidiarisation favorisant l’horizontal. Lordon poursuit un principe d’égalité dans tout selon un principe de participation à une forme de vie. Il y a une architectonique de la souveraineté qui ne se résume pas à un souverain. Il y a une composition de souverainetés partielles locales, il n’y a pas un pôle unique. il va falloir faire attention à la façon de décider en commun, et comment cette façon se distribue.Lordon dans sa géométrie s’arrête à l’équilibre des tensions.