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Histoire de la philosophie moderne


Auteur du livre: Jean-Michel Besnier

Éditeur: Grasset

Année de publication: 1993

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La période moderne est caractérisée par une rupture avec la tradition en affirmant l’autonomie de la pensée. D’un coup avec Galilée le monde obéit à des lois nécessaires que l’homme peut décoder intégralement et que les mathématiques reflètent totalement en fonction de notre esprit. La Nature n’est plus l’opaque dominatrice de nos destinées mais l’objet d’un projet de domination. 

La philosophie moderne est en train de fêter le désenchantement du monde mais elle introduit ainsi au relativisme. La vérité est dans la sensation, la recherche de l’explication et la maîtrise de toutes les choses s’exerce dans l’immanence. Mais est moderne tout autant ceux qui refusent le relativisme. L’aspiration à l’autodétermination débouche en Allemagne dans une volonté d’être toute réalité sous l’égide de Hegel.

Chapitre 1 : entrée dans le monde moderne

Montaigne considère l’humanité comme homogène. La notion clé est la quête de soi. Il a supporté son temps avec un mélange de détermination et de détachement. Or ce 16ème s. est tumultueux. Sa philosophie, on la lit dans les Essais où il prétend écrire immédiatement sans réflexion ni méthode. Ceci dit, cela est cohérent. Les événements rapportés le sont tels qu’ils ont été immédiatement vécus, ils se veulent édifiants, instructifs car servent à l’ambition d’un bien-vivre. Pas question de vivre selon autrui mais bien de vivre selon soi. Mais pas non plus question de se voiler la face par rapport aux choses. 

Ce conservateur voyage beaucoup sans que le chemin ne soit tracé d’avance. Montaigne est un sceptique : comme les cyrénaïques qui affirmaient ne connaître que leurs sensations. Pas question d’être donneur de leçons : les opinions valent ssi elles corroborent l’architecture « de la librairie où s’est retirée la philosophie ». La réflexion est libre, mais la tradition est un creuset permettant à l’opinion d’être testée. La modestie sied à l’esprit scientifique naissant. Parce qu’on n’émet que des opinions, on a un motif à communiquer avec ses semblables pour débattre et argumenter et parfois à nouer des amitiés. Homme de la Renaissance, Montaigne relativiste bute sur des limites incitant à obéir à la Nature. 

Le scepticisme politique se complète d’une méfiance par rapport à la technique en train de naître. L’esprit religieux reflète toujours l’attachement à un reste d’universalisme.

Machiavel dans sa profession de foi anti-idéaliste donne ici le moyen pour les hommes de mieux maîtriser les conditions de leur existence. L’abdication de tout idéal peut doter de la force d’affronter le destin. Les hommes sont responsables de leur condition. Politiquement ce philosophe se nourrira de l’expérience pour étayer une vocation à conseiller le prince. Plongé dans un monde qui finit, il s’attache à la tradition antique source d’exemples à imiter. L’histoire n’a pas de sens car rien ne bouge d’une époque à l’autre et l’homme est toujours pareil et l’organisation des hommes entre eux aussi. 

On assiste à un travail de sape de l’universel ; leçon de liberté car privé de ses repères transcendants l’homme est renvoyé à son action. Quiconque veut fonder l’Etat doit en prendre les moyens. Et d’abord partir du constat que les hommes sont méchants. Il faut partir de l’existence contre l’essence. C’est parce que les hommes sont délivrés de toute nature normative qu’il y a position par rapport au Mal : c’est lui qu’il faut tenir à l’œil chez chaque sujet. Car cela explique aussi que les hommes sont versatiles. Il n’y a pas à se référer à la raison mais endosser la responsabilité de soumettre des hommes libres. Un prince c’est l’autorité, qu’il l’assume et décide ce qu’il veut pour les autres. Comme les hommes sont malléables, il faut les impressionner. 

L’immoralité du prince est la condition de possibilité de toute moralité. L’action tente de chercher la continuité entre passé fameux, présent catastrophique et avenir restauré. L’être découle de l’agir et se donne posé par lui. La recherche de continuité réaliserait l’unité italienne contre les envahisseurs. Pour le reste c’est un homme de la Renaissance.

Bacon lui entre dans la période moderne, il revient à des questions de science. Il écrit le Novum Organum qui propose une méthode appuyée sur la recherche systématique d’informations d’histoire naturelle destinées à servir de matériau pour des recherches ultérieures. Le programme qu’il dessine commence par un travail de division des sciences selon le principe de mise en correspondance des formes du savoir avec les facultés de l’esprit. 

C’est la science de la Nature qui le retient. La science a un côté théorique et un côté spéculatif…même magique. La nature est à interprêter. Ce livre est un traité de la méthode pour éradiquer les erreurs ; soit la fameuse théorie des Idoles de l’esprit. L’homme de science est pareil à une abeille, l’homme à son image va développer l’art de l’induction qui transforme les observations en lois. Mais à la différence d’Aristote, il ne s’agit pas de procéder par sommation de cas individuels mais par exclusion des propriétés qui par épuration dégagera la forme du phénomène. 

Ce livre propose aussi la technique des 3 tables. Dans l’exemple de la chaleur, il s’agit de dégager l’essence, la quiddité, la loi du phénomène. La loi consiste dans le résidu qui subsiste après que les expériences sont passées au crible : dans le cas de la chaleur, la loi est celle du mouvement expansif et ascendant qui agit sur les plus petites parties des corps et qui est susceptible de devenir alternatif et trépidant. De plus il y a gain à suivre des expériences négatives jusqu’à l’espérience dite cruciale. Il n’y a pas de certitude absolue mais on ne conclut pas encore en termes de point de vue toujours subjectif et arbitraire.

Hobbes prend le contre-pied de Bacon en privilégiant les mathématiques par rapport à l’expérimentalisme. Il développe une méthode déductive. Il définit la science comme balisée par de grands principes : par la conservation du mouvement, par la réalité du principe de causalité homogénéisant les phénomènes naturels, par la re-création de la distinction entre puissance et acte, par l’élimination des substances spirituelles et la notion du libre-arbitre, par la réduction de la sensation et de l’activité spirituelle au jeu d’éléments discrets éventuellement inscrutables. Du côté de la science, s’en suit un point de vue matérialiste radical et une conception instrumentaliste de la connaissance : pouvoir de produire des effets par identification des causes. 

L’assimilation du savoir au pouvoir explique que le monde doive se limiter au seul jeu des causes efficientes et la raison à se réduire au simple calcul. Le langage stabilise et ordonne une expérience ponctuée de sensations discontinues. Tout part de l’imposition des noms aux concepts de l’esprit qui s’expliquent comme l’effet produit sur nous par l’action des choses et ensuite par leur connection méthodique dans des énoncés jusqu’à ce que soit réalisée la déduction intégrale des conséquences qui découlent de ces noms, dénotant la chose livrée à la démarche cognitive. Ce nominalisme est conséquent et affirme qu’il n’y a que des individus. La vérité consiste en ce que l’on dit et non pas dans la chose. 

Le savoir est délivré du respect d’une réalité prétendument normative. D’où l’hypothèse de l’annihilation du monde qui met en évidence la représentation. C’est la démonstration selon laquelle la pensée ne peut rien comprendre si ce n’est ce qu’elle est capable de faire surgir devant elle comme son objet propre. L’esprit n’est rien d’autre qu’un mouvement dans quelques parties de corps. 

Comment l’homme qui est un corps peut-il produire des effets qu’aucun autre corps ne produit et hors desquels son action et son bonheur ne sont pas pensables ? c’est ce qui va être travaillé dans une partie de l’œuvre centrée sur le politique, résultat d’une rupture avec la nature. Le socle du pacte est une analyse de l’état de nature, c’est-à-dire des passions humaines : un état de guerre permanent où l’homme découvre un droit naturel articulé au désir humain qui n’est limité par rien sauf le pouvoir maximal de chacun ; un instinct de conservation où chacun protège sa vie autant que sa force le permet, dans un climat de peur permanent. Le passage à l’Etat civil est un choix rationnel car 2 rivaux s’accorderont à reconnaitre que l’un comme l’autre combattent la même chose, la mort. La finitude humaine développe une stratégie pour conjurer l’ennemi commun. Le souverain est le tiers admis par tous ; il est absolu car celui qui représente assume la personnalité qui unifie l’Etat. Le souverain peut être destitué s’il ne remplit pas la fonction qui fait passer de la peur dans l’état de nature à une convention acceptée comme raisonnable et rationnelle. Reste la question de la préférence pour l’individuel : elle semble être imposée par l’usage de la métaphysique de l’organisme. La métaphysique prolonge la pensée du corps humain en termes mécaniques jusqu’à une technique de gestion de choses.

Chapitre 2 : Descartes pour ou contre

Descartes confie à l’idée de méthode un rôle moteur dans la production de connaissances. La méthode est la force fondamentale où s’origine toute réalité intellectuelle. 

La métaphysique n’est qu’un terrain de confirmation pour les principes de la science révélés par la méthode. Le discours de la méthode présente la logique, la géométrie et l’algèbre comme les 3 savoirs que l’idée de méthode doit pouvoir réformer et articuler en une mathesis universalis. L’arithmétique, l’astronomie, la musique, l’optique et la mécanique ont un même dénominateur commun qui les rend solidaires : soit un jeu de proportions et de relations, et en plus une structure régie par le concept d’ordre et de mesure. La connaissance est le produit d’une logique générale des relations c’est-à-dire une unité auto-suffisante qui dispose des ressources l’autorisant à mener à bien ses entreprises. L’ordre et la mesure étant au fondement de la pensée mathématique, toute figure géométrique est réductible à un alignement de points obéissant à une règle déterminée, et de là peut être rapportée à l’étendue spatiale toutes les déterminations relatives dans lesquelles se résolvent les objets de la géométrie. La science est tenue de forger des modèles pour rendre concevables les phénomènes  empiriques : seul requisit métaphysique ici , l’étendue s’impose comme une idée innée. 

On ne peut dissocier mathématique et nature. Il y a 2 modes d’accès à la connaissance, l’intuition et la déduction : l’expérience n’intervient que lorsqu’on a débrouillé l’ensemble du problème sur le terrain théorique. À côté de l’intuition et de la déduction, Descartes fait appel à l’énumération ou induction comme moyen de connaitre. Mais l’induction sert la déduction. La mathématique a le privilège sur l’expérience. On  fait du discours de la méthode le manifeste de la pensée moderne. Oui mais à condition de mesurer le côté prudentiel épistémologique qui affecte la formulation des 4 règles de la méthode. Le discours soutient la thèse qu’être = penser et être pensé = être. Le discours manque de métaphysique, la méthode est une onto-théologie de la pensée. 

Les méditations sont au nombre de 5. À l’évidence méthodologique fondatrice de la science doit correspondre une évidence métaphysique garante de toute vérité. Descartes réduit la philosophie à une théorie de la connaissance. La 1ère méditation répond de l’exigence de fonder la raison, il y a à révoquer toutes les choses en doute afin d’établir quelque chose de ferme. La 2ème méditation s’engage à éprouver le pouvoir de l’esprit sur les choses, sa vocation à l’autonomie. Si une chose n’est pas douteuse c’est l’idée « je pense, j’existe ». Par le doute on a vu naître la question mais qu’est ce donc que je suis, une chose qui pense. Mais qu’est ce qu’une chose qui pense, une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut et qui ne veut pas, qui imagine et qui sent. Être une chose qui pense ce n’est pas être un sujet pensant. On voit le pas par rapport au discours. Descartes ouvre un espace intérieur avec un observateur externe. La 3ème  méditation va montrer que les idées requièrent  une autre cause que le moi, il s’agit d’introduire de la passivité dans le sujet qui pourrait être tenté de se croire toute réalité. L’origine des idées n’est pas en moi. Il faut découvrir dans l’idée de Dieu ce sans quoi aucun argument ne me convaincrait de l’existence d’aucune autre chose que moi-même. La 5ème méditation recourre à la preuve ontologique de l’existence de Dieu. De cette preuve  dépend la cohérence de la pensée elle-même ; à condition de ne pas être trompé les idées innées en l’homme témoignent de l’aptitude de ses facultés. La 4ème méditation résout le problème de l’erreur. La matière reste sous le coup du doute, il y a donc à s’assurer de l’existence des choses matérielles et soutenir ontologiquement la possibilité de la physique. ..mais là Descartes est a quia.

Malebranche rappelle Augustin à la rescousse. Il y a union entre l’esprit et Dieu. Dans la recherche de la vérité, il est démontré que nos sens et nos passions ainsi que notre imagination sont inutiles pour découvrir le bien. La philosophie devient un occasionnalisme par quoi on s’attaque au dualisme cartésien. Avec Augustin, le dualisme est toujours incompréhensible car illusoire : la volonté à l’origine du mouvement ne s’explique pas en termes de causalité réelle. L’âme-corps est une correspondance. Il y a juste un couplage structurel pour expliquer l’accord non intentionnel d’un organisme avec son milieu. On ne comprend pas les trajets d’influence âme-corps mais on en fait l’expérience. Reste à conclure que seul Dieu possède le pouvoir de créer les idées que j’ai dans mon esprit et de mobiliser mon corps. La métaphysique de Descartes est disqualifiée : il est faux que la cause d’un phénomène est sa raison, Dieu créant le monde instant par instant est tout aussi faux. 

Les causes naturelles sont pour Dieu des occasions : la force de chaque cause n’est rien si elle n’est pas voulue par Dieu. Malebranche exclut la cause efficiente pour ne retenir que la liaison constante entre les phénomènes, leur correspondance naturelle. Cette position ontologique est précieuse pour la science qui y trouve l’espace désenchanté propice à son exercice illimité. L’homme n’est plus qu’un ensemble de connections constantes et la nature un ensemble de lois à découvrir. Avec une telle métaphysique on est fondé à chercher les liaisons entre les faits sur lesquels on peut agir. Entre Dieu et l’objet, il y a un terme unique, l’idée qui nous situe en Dieu pour autant qu’elle soit claire et distincte. L’âme voit directement en Dieu les idées générales, les caractéristiques géométriques des corps qui sont par elles-mêmes évidentes. La représentation des êtres, créés comme autant d’épures géométriques qui sont les modèles ayant servi à leur création, désigne l’étendue comme intelligible. La perfection de l’ordre des idées en nous serait absurde sans factualité.

Pascal prend un chemin de traverse, une logique du coeur. Dans un monde qu’il voit si désenchanté et où les repères tombent dans un rejet de la tradition, il faut pousser le paradoxe jusqu’au bout. Le réel obéit à 3 ordres irréductibles : les corps, les esprits et la charité. C’est par le cœur que pénètre la grâce divine, les idées fondamentales de l’esprit relativement au lien âme-corps ainsi que les impulsions de la volonté. Le philosophe déstabilise les quiétistes. En jouant du + et du – , sa stratégie détruit les opinions philosophiques appuyées sur la tradition et rétablit en droit le sens commun, puis fait l’inverse. Il met du vertige dans les certitudes au profit de la religion. La nature dépassera toujours la technique, la foi est loin d’être superflue. Une science de l’ordre et de la mesure n’est pas si entière qu’elle garantisse la vérité de ses concepts de base. Nos définitions restent nominales. On doit donc compter avec le cœur.

Ses conceptions épistémologiques oscillent selon le rôle qu’on accorde à l’induction et à l’analogie ; il n’y a pas de méthode infaillible. La recherche scientifique fondée sur l’étonnement devant le monde part du cœur et des sens et trouve une vérité nouvelle puis revient au cœur et aux sens pour en établir la signification et l’authenticité. La raison a aussi pour fonction de diffuser les nouvelles vérités et les transmettre par démonstration. Cette redéfinition de la vérité légitime le raisonnement apagogique par lequel on prouve la vérité d’une proposition par la négation de son contraire (ou le modus tollens grâce à quoi on conclut de la fausseté d’une conséquence à la fausseté du principe). Elle justifie le recours à la méthode expérimentale suggérant le lien entre vérité et réfutable.

Reste le pari : en ne sachant pas ne pas parier, pesons le gain et la perte de se référer dans sa vie à l’existence de Dieu. Si Dieu n’existe pas, vous êtes promis au néant, et s’il existe et que vous soyiez soumis à lui, alors vous gagnez l’équivalent d’une infinité de vies et le plus simple, vous en conviendrez, est de suivre la logique de votre bonheur car tout homme le cherche. Le calcul de la valeur d’attente répond en faveur de la foi au regard des petits gains liés aux plaisirs terrestres.

Chapitre 3 : Spinoza et Leibniz face au dualisme

Spinoza quand il écrit le traité théologico-politique (TTP) répond à quoi faire avec la multitude qu’il y a lieu de gouverner : en la rendant conforme à la raison malgré son penchant pour se laisser guider par l’imaginaire. Pour ne pas glisser vers la tyrannie, il prône pour la laïcité. Il faut mettre une fin à la crédulité prédisposant les hommes à l’arbitraire. Et une bonne école consiste à développer l’examen des Ecritures car elles enseignent d’autant mieux qu’on y donne à la raison toute sa liberté ; et il n’est même pas besoin d’être philosophe. Politiquement il faut respecter la liberté individuelle. C’est là le premier accent d’une philosophie qui va alors se déployer.

L’Ethique est faite de 5 parties. Dieu est le foyer unique et totalisant à partir de qui se développe des entités. Dieu, substance et unique, s’exprime sous la forme d’une infinité d’attributs éternels (à l’image de Celui qu’ils sont en réalité). Nous, les hommes, nous n’accédons qu’à la pensée et l’étendue, ce qui suffit pour comprendre Dieu. Les attributs divins peuvent se modifier, se manifester sans médiation sous forme d’âme ou de corps mis en mouvement : on dira qu’ils s’expriment en modes infinis, immédiats, dotés des propriétés de Dieu. L’homme composé de telle âme particulière et de tel corps apparait comme un mode fini n’ayant pas en lui-même la cause de son existence. Il est incongru pour l’homme de croire pouvoir seul remonter jusqu’à Dieu. Il n’y a pas d’autre solution que de partir de la Totalité, de Dieu. Spinoza s’est attaqué à l’anthropocentrisme et à son finalisme. Les hommes s’imaginent connaître quelque chose quand ils ont pu l’identifier comme le moyen d’autre chose de sorte que lorsque leur finalisme (causalité) spontané est mis en échec ils recourent à Dieu. En parade il y a la méthode géométrique. Soit la 2ème partie de l’éthique.

Des objections viennent autour de l’incompréhension de vouloir réduire le point de vue de l’homme au point de vue de Dieu, tel que l’affirme la connaissance du 3ème genre. Ici Spinoza développe le raisonnement dit « de la 4ème proportionnelle » : cela revient à utiliser la manière de faire des marchands qui savent depuis toujours faire des rapports en ayant l’intuition de la propriété des nombres composés pour arriver à la solution : étant donné 3 entiers a,b et c, il s’agit de rechercher l’entier x tel que a/b=c/x. La raison est beaucoup trop lente et n’arrive à la solution que de façon indirecte. 

Peut-on faire pièce à ceux qui doutent que l’ordre et la connexion des idées sont les mêmes que l’ordre et la connexion des choses ? Si la nature est bien unique et si tout mode de l’étendue et toute idée de ce mode ne sont qu’ une seule et même chose exprimée de 2 façons différentes, alors il va de soi que le processus logique par lequel les idées se déduisent les unes des autres est identique au processus causal par lequel les choses se produisent les unes les autres. Mais il y a parfois loin de la nécessité logique à la compréhension psychologique : n’est-on pas obligé d’admettre que Dieu se réduit au seul attribut « pensée » et de dire que l’ordre causal  et l’ordre des idées isomorphes l’un à l’autre en sont l’expression nécessaire. Il faut expliquer par l’entendement infini de Dieu la coexistence d’attributs qui conduit à penser qu’un cercle de la nature et l’idée de ce cercle soient une seule et même chose. Comment accorder l’indépendance des attributs les uns par rapport aux autres et la thèse selon laquelle ils obéissent à un ordre identique ? le parallélisme est imposé comme nécessaire. La 3ème partie de l’éthique insiste pour dire que l’homme n’a aucun privilège dans le monde des choses singulières. Il ne faut pas partir du sujet de la conscience (du libre-arbitre) mais au contraire de la nature et du désir qui révèle en nous une puissance d’agir par quoi la connaissance nous est promise. Derrière la préséance ontologique de Dieu, on aperçoit le désir comme aspiration de l’être fini à persévérer dans son être. Cette doctrine est une vitalisation.

La totalité d’où l’on part traduit la vie dans sa plénitude et non comme manque. Cet effort procède de la substance infinie de sorte qu’en se rendant intelligible sa source même (c’est-à-dire Dieu) comme l’idée la plus riche qui soit donnée à l’âme, il coïncide avec le Bien suprême qu’un mode peut espérer. L’économie du conatus débouche selon les choix de vie vers la joie ou la tristesse. L’homme est le seul responsable de son bonheur, la liberté retrouve une place. Par la connaissance du 3ème genre nous sommes éternels. C’est le corps qui apprend à l’homme la durée, ce corps est à la fois existence et essence séparément (puisqu’ils ne coïncident pas dans un mode fini) et si la première n’échappe pas à la durée, la seconde doit être conçue comme idée de Dieu, expression de l’attribut « étendue » et à ce titre, avoir les choses sous l’espèce de l’éternité qui n’appartient à l’esprit qu’en tant qu’il conçoit l’essence du corps sous l’espèce de l’éternité.

Leibniz voyage beaucoup et rencontre tous les humanistes de son temps (sauf Spinoza). Newton est déterminant. Leibniz s’opposera à Descartes. Mais surtout il s’inscrira dans le monde qui est le sien ; ainsi que dans l’ombre des grands hommes politiques (il sera annobli par la maison de l’empereur de Vienne). Il sera historien de la maison de Brunswick. 

Selon l’idée que, depuis la période humaniste, l’intellectuel a vocation à traîter de toutes les questions qui demandent une réponse, selon l’esprit de la science, Leibniz cherche la « caractéristique universelle » qui sous-tend le travail de la pensée partout où elle s’applique. Et selon l’idée que la mathématique est la science par excellence, il cherche la « mathesis universalis » à travers l’art combinatoire. Contrairement à Descartes, Leibniz développe sa pensée en réseau. La notion de « triangle harmonique » complète le triangle arithmétique de Pascal. Dépassant le calcul des probabilités, on en arrive au calcul infinitésimal car il faut faire une synthèse entre la mathématique universelle et la métaphysique en ajoutant une théorie de la communication : il y a à harmoniser l’individu dans le tout du monde, c’est-à-dire la matière, l’espace et le temps que nous percevons. Il n’y a que des réalités logiques et des points métaphysiques.

Le phénomène sensible n’est que la représentation confuse d’une réalité qui se dissimule en lui et qui est fait des monades et des interactions entre les monades. Comme tout système, la Monadologie culmine dans le concept de Dieu. Mais la méthode suivie va opérer régressivement : il faut considérer d’abord le monde dans ses éléments puis de là rechercher leurs causes avant d’en construire l’unité systématique. Tenter de résumer ce système peut être approché en 5 points.

Premier point : la substance ou la force. Contre Descartes, Leibniz manifeste une opposition entre la mécanique et la dynamique. Descartes confond la substance corporelle avec l’étendue. La notion de force ne se confond pas avec la puissance qui a besoin d’un élément extérieur pour passer à l’acte ; elle se définit par l’effort, la propension à agir qui  se réalise dès lors qu’elle ne trouve plus d’obstacle. La dynamique ne requiert que l’existence de cette force, qui se répartit d’elle-même dans la matière en fonction de la concurrence des corps qu’elle habite universellement. Trois conséquences s’en suivent : la substance coroporelle n’est pas inerte et sur ce point elle ne diffère pas de la substance spirituelle ; il n’ y a pas lieu de distinguer le mouvement du repos sinon en termes de degrés. Au-delà de l’apparence qu’est la matière, il y a des points d’énergie absolument simples dont est faite la réalité. 

Point deux : les perceptions et les a-perceptions. Par un raisonnement a priori, le développement est logique. La notion de composé requiert analytiquement celle de simple, laquelle ne saurait impliquer celle d’espace (toujours sécable). Leibniz avance en plus que les monades ne peuvent naître et périr que par annihilation car elles n’ont ni porte ni fenètre par lesquelles quelque chose puisse y entrer ou en sortir. La monade n’entretient aucune relation avec une extériorité parce que l’espace perçu n’a aucune réalité ; mais elle a le pouvoir de s’auto-limiter et d’engendrer ses représentations à partir d’elle-même : si nous croyons recevoir des informations en provenance du monde extérieur, ce n’est que l’effet de l’harmonie préétablie entre toutes les substances qui sont toutes des représentations d’un même univers. La monade semble endosser les caractéristiques du sujet. Mais alors comment les monades communiquent-elles ? Au lieu de dire que nous ne sommes libres qu’en apparence et d’une manière suffisante à la pratique, il faut dire que nous ne sommes entraînés qu’en apparence et que nous sommes dans une parfaite indépendance par rapport à l’influence de toutes les autres créatures. L’immortalité de l’âme entraîne la conservation uniforme de notre individualité et voilà la monade parfaitement règlée par sa propre nature à l’abri de tous les accidents du dehors. 

Point trois : les preuves de l’existence de Dieu. Étant comme un monde à part, suffisant à lui-même et indépendant de toute autre créature, enveloppant l’infini et exprimant l’univers, tout esprit – en l’individu, dans les anges et en Dieu – est aussi durable, subsistant, absolu que l’univers même des créatures, tel que nous le percevons. Chaque monade par rapport à l’univers y doit faire figure de la manière la plus propre à contribuer à la perfection de la société de tous les esprits comme doit le faire l’union morale dans la cité de Dieu. La preuve de l’existence de Dieu découle du parfait accord de tant de substances qui n’ont pas de communication ensemble car cet accord ne saurait venir que de la cause commune : Dieu est omniprésent et les monades sont en lui co-présentes. Ceci a une retombée politique : le sujet n’est pas nécessairement l’individu (comme chez Descartes)…et ceci mine de l’intérieur et pour longtemps une certaine conception de la modernité.

Point quatre : la détermination des attributs…d’un tel sujet. On bute sur le problème des indiscernables en lien avec la continuité qui préside à la notion d’harmonie. Il faut justifier que chaque monade est différente de chaque autre et qu’étant simple, elle ne peut se distinguer quantitativement mais seulement qualitativement de ses homologues. Il y a à faire place au changement tout en demeurant identique à soi-même. La monade va être pensée comme substance, comme quelque chose qui demeure permanent même si elle est en même temps le lieu de changements. Ce changement dans l’identité qui est susceptible d’intégrer des éléments différentiels en nombre infini s’appelle perception et s’étend à tout le réel. Le vitalisme touche les plantes, les animaux comme l’homme car toutes ont une âme immortelle (subsistant en dehors de la conscience qu’on en a). Cela réhabilite la finalité dans la physique : l’homme entre dans les desseins de Dieu au point de déterminer la fin de toutes les choses. Le principe de continuité explique que tout dans la nature obéit à des règles et relève de structures homologues, celles qui caractérisent les monades (la caractéristique universelle offre une description vitaliste du tissu organisationnel de la création). Ceci intéressera les évolutionnistes mais aussi les épistémologues (il faut réinsister sur l’apparition à la Renaissance des encyclopédies qui déboucheront en sciences dans les taxinomies). Des indiscernables dépend l’individuation des êtres naturels, la continuité garantit le réseau de leurs relations spatio-temporelles. Les évolutions ont été prévues et inscrites dans les germes des animaux, des plantes et des hommes. 

Point cinq : l’harmonie préétablie. On en arrive au principe de raison suffisante qui donne au principe de continuité sa crédibilité : toute chose est considérée comme l’effet d’une cause qui lui est homogène et d’une perception ne peut résulter qu’une perception. Ceci invite à comprendre le monde selon le principe du meilleur comme réalisation du maximum d’effets à partir du minimum de causes. Mais que répondre à l’objection qui suit : moi qui ne suis pas Dieu je ne peux pas discerner toutes les raisons ni les connaître, autrement dit pour moi homme il faut faire place au mystère car pour moi il y a des indiscernables qui m’échappent ? La réponse est du côté du « nous » des monades c’est-à-dire dans l’intersubjectivité ; il y a à montrer que l’harmonie préétablie concerne avant tout le rapport des intelligences entre elles. Pour Leibniz, Dieu, extérieur à sa création, est la raison suffisante : sans lui nous sommes exposés à une régression sans fin dans la chaîne des causes et incapables de penser la série elle-même comme une unité de son origine à son but. Dieu est donc conduit à vouloir le monde dont l’existence est une vérité de fait (il aurait pu ne rien y avoir) et il atteste les vérités nécessaires à la logique comme pur produit de Son entendement. Le monde réclame donc Dieu comme sa cause éminente : entre Dieu et l’homme il y a une différence de degré mais pas de nature. Le calcul infinitésimal peut en vérité passer à la limite l’écart entre Dieu et l’homme en créant la différentielle comme mesure du rapport de leurs différences. Et pourquoi l’homme n’est-il pas Dieu ? c’est parce qu’il ne peut connaître les choses par intuition et doit se soumettre à l’activité symbolique. Ceci dit l’univers lui devient intelligible de ce qu’il est le résultat des monades dans leur auto-déploiement. Lorsqu’une monade se déploie les autres sont contraintes à se limiter (d’où l’illusion qu’un rapport de causalité les solidarise) alors que tout s’explique  par la régulation harmonieuse de leur com-possibilité. Conclusion de ces 5 points. Chaque monade contient la représentation de toutes les autres. Il n’y a pas d’action réelle à proprement parler et dans la force des corps en train de tomber s’exprime toutes les autres forces mais sans agir directement sur elles. Voir une ville c’est prendre un point de vue et assumer la perspective qui en est engendrée, c’est avoir un univers ; mais vu que chaque monade sait les points de vue de toutes les autres monades, il y a comme autant de différents univers. Dieu c’est la sommation de toutes les perspectives, c’est la monade des monades. La conclusion c’est l’harmonie préétablie nécessaire pour justifier l’action réciproque des monades mais aussi l’accord des perspectives. Une science intégralement objective est devenue possible. Tout corps se ressent de tout ce qui se fait dans l’univers tellement que celui qui voit tout pourrait lire dans chacun ce qui se fait partout et même ce qui s’est fait et ce qui se fera.

Chapitre 4 : la pensée libérale

Locke écrit dans un mélange de préoccupations morales, politiques, épistémologiques, théologiques en lien avec des engagements précis. Ces objectifs différents induisent des tensions impossibles à réduire. Il développe une réflexion sur le pouvoir autour de la notion de loi naturelle. La loi naturelle est la nature des choses que la raison nous donne à connaître grâce à l’expérience sensible. Il croit dans l’idée d’un ordre rationnel voulu par Dieu et organisant l’univers tout entier. Il y a ici un requisit ontologique : il n’y a pas d’idées innées ni même de principes logiques, une large part doit être faite au conventionnel. La loi naturelle appelle la définition d’un état de nature pour légitimer l’ordre politique qui n’en devra être que l’incarnation institutionnelle. En recourant à la fiction théorique d’un état prépolitique, l’autorité instituée est tenue de respecter cet état de nature. Les hommes sont entrés en société pour protéger leurs propriétés. On obéit parce que l’on approuve, et on approuve ce qui est évident. L’individu seul compte. 

La pensée libérale a besoin d’un corrollaire : une théorie de la connaissance. Si le philosophe cherche à supprimer tout recours à la transcendance, il n’arrive cependant pas à argumenter sa théorie causale de la perception ni sa distinction entre qualités premières et secondes, il n’analyse ni l’induction ni la causalité et admet une réalité dernière des choses en soi. En fait l’intérêt pour l’anatomie joue un grand rôle car il vient du refus des hypothèses a priori. Il réduit toute connaissance possible à la seule expérience sensible en supposant une rationalité inhérente aux phénomènes. Il conçoit les opérations rationnelles comme des opérations de corrélation des phénomènes dans les limites des indications de l’expérience. 

La réalité pour inconnaissable qu’elle soit en son fond ultime est bel et bien rationnelle. Il y a là une place pour la sémiotique dont l’ambition est de considérer la nature des signes dont l’esprit use pour comprendre les choses ou transmettre leurs connaissances. L’origine des idées renvoie à une ontologie d’origine scientifique soustraite au doute : celle d’un mécanisme corpusculaire qui produirait dans les organes des sens et dans le cerveau des idées comme effets des éléments ultimes de la réalité. Les idées ont un rapport objectif avec le réel, la sémiotique offre une classification. L’idée de substance est un simple amas de qualités sensibles que l’expérience nous montre associées toujours  de la même manière. Et pourtant Locke ne franchit pas le pas vers le phénoménisme. La quête d’un absolu est illusoire ? en tout cas Locke prend peur et ménage toujours in extremis une place à l’idée d’identité faute de quoi il n’y aurait plus rien de stable. 

Au milieu de cette hésitation, s’ouvre la question du langage. L’idée et le mot sont indissociables, la première a les mêmes caractéristiques que la seconde, elle ne ressemble pas à l’objet et se révèle d’institution humaine. Locke n’est pourtant pas nominaliste, il parle de « termes généraux » qui font penser aux universaux. Les idées préexistent aux mots et même sans langage on possède des idées générales. L’universel est une idée abstraite à quoi est attaché un mot. L’entendement a besoin de cette notion (qui vient des grammairiens de Port-Royal) pour faire des mots des signes.

Berkeley a pour souci de souligner la dimension apologétique indissociable du projet philosophique : dévoiler la présence de Dieu par une inspection minutieuse du sens des mots. Il dégage un nouveau principe, l’affirmation de l’identité de la réalité et de la perception. Ici nait une théorie nominaliste de la connaissance qui corrige la lecture de Locke. Celui-ci s’est trompé, ce n’est pas la perception qui nous leurre mais les mots qui jettent un voile sur les choses. La science ménage la possibilité d’envisager la vérité comme ce qui la déborde, bref transcendante. Il y a une frontière nette avec la foi ; les concepts, les causes secondes n’ont aucun fondement ontologique. Le monde n’est composé que de réalités singulières auxquelles s’ajoutent des mots +/- généraux ; mais il n’est pas question de partir vers les idées générales renvoyant à la constitution de notre entendement. Il ne faut pas prendre les mots pour des choses. Il y a à critiquer les synthèses opérées par l’imagination car elle rassemble les données sensibles livrées à nous comme hétérogènes avant d’être associées par ressemblance ou contigüité et finalement condensées en concepts. Non nous sommes d’emblée pris dans un réseau de signes visuels. Ces signes sont le pur produit de l’imagination qui combine les données sensibles et justifie le langage à forger des mots généraux pour les manipuler. Les sens ne sont pas responsables de nos erreurs, seule notre volonté est incriminable. 

Berkeley fonde son immatérialisme sur sa théorie nominaliste de la connaissance. Exister c’est être perçu ou percevoir. La matière ne peut être saisie ni par les sens ni par l’intelligence, donc elle n’existe pas. Le corps en prend un coup. Le monde n’est que l’être perçu c’est-à-dire l’ensemble des données sensibles produites en nous par l’action divine. La cause n’est plus qu’une loi instaurant un rapport de simple signification entre des signes, l’enchaînement des phénomènes est un vaste système de signes. Berkeley s’étonne que les philosophes parlent de substance matérielle. Comment ne voient-ils pas qu’ils ne peuvent le faire qu’en se confiant à leurs sens ou à leur raison c’est-à-dire qu’ils ne peuvent affirmer l’existence des choses extérieures qu’en disant qu’ils en ont une représentation ? Sans être certains qu’il y a une connexion nécessaire entre ces corps et ces idées ? Non on peut prêter à nos idées d’autres causes qui proviennent d’une substance active, incorporelle, une intelligence dont nous ne pourrions avoir de connaissance qu’à partir ds effets qu’elle produit en nous. Il faut que dans l’intervalle de mes perceptions de l’univers celui-ci continue d’exister dans d’autres esprits que le mien ou dans l’intelligence d’un Agent tout puissant. Il y a une rerum natura.

Hume fait la genèse des facultés cognitives à partir des perceptions de l’esprit : ces dernières sont de 2 ordres, vives quand elles viennent des sens et des passions, estompées quand elles viennent de nos pensées ou idées. Ces dernières sont comme des images qui sont des copies de nos perceptions vives. Ceci disqualifie la notion métaphysique de substance. La permanence des objets doit être imputée à une disposition de l’esprit. L’identité dépend des relations d’idées et ces relations donnent le sentiment d’identité par la transition facile qu’elles occasionnent. Comment pourrions-nous nous priver de penser que nous sommes bien le même à travers le temps ? cette permanence relève de l’imagination, qui produit les croyances. Il y a autant de substances que de perceptions. 

Mais Hume dit aussi qu’il n’est d’authentique piété que celle qui sait résister aux mirages des fausses questions. Fini la notion de sujet…Hume lui-même s’effraye car il n’a pas le principe d’ordonnancement des phénomènes, il lui faut concilier la philosophie et le sens commun, il n’y a pas d’autre éthique que celle qui appelle le commerce des autres. Derrière la philosophie, il y a l’homme de conviction : je ne sens rien d’autre qu’une forte tendance à  considérer  fortement les objets sous le jour où ils m’apparaissent. Et puis il y a la nature qui est véritable source d’apaisement. Entre Newton et Locke, il y a à réconcilier le savoir et l’action. L’idée de nécessité vient-elle de quelque impression interne ou impression de réflexion ? Hume tranche, il n’y a pas d’autre impression interne en relation avec le fait que la tendance produite par la coutume à passer d’un objet à l’idée d’un autre objet qui l’accompagne habituellement. La faculté de l’imagination dote les idées de la vivacité exigible pour que nous les envisagions comme le strict reflet de la réalité. 

Le constat est radical, il nous faut élaborer des règles de goût pour trancher dans un raz de marée d’opinions qui se valent faute de critère de validation.  Hume pousse à une logique d’argumentation. La cohérence s’observe aussi en morale car apparemment ici aussi la volonté n’est dirigée que par les passions (la raison ne peut motiver à l’action). Il existe un sens moral, fondé sur la sympathie à laquelle concourent l’habitude, l’imagination, l’éducation et l’art politique. D’après la structure primitive de notre esprit, les hommes obéissent à ce qui conforte dans notre égoïsme, à ce qui nous tourne vers nos parents et amis, à ce qui nous ouvre aux étrangers.  De plus les hommes sont censés se convaincre facilement des bénéfices qui résultent pour eux de la vie sociale et de l’intérêt qu’ils ont à entretenir l’artifice des institutions. Ils sont attachés à la convention. La force de celle-ci tient à ce qu’elle s’oppose aux mouvements irréfléchis et qu’elle définit le sens de l’intérêt commun, en engageant les hommes à suivre certaines règles collectives. L’Etat n’a pas à représenter l’intérêt général mais à faire de l’intérêt général un objet de croyance en lui donnant cete vivacité que l’intérêt particulier a pour nous naturellement. Il faut à la base une inclination des hommes à l’imitation réciproque fondée sur la sympathie, arrivant à une réciprocité de comportement. Il s’agit du sentiment d’appartenance. Un juge du goût n’a qu’à invoquer l’association des idées , à dire avec qui, avec quoi la chose est en relation dans l’esprit d’un observateur « en général ». Pas de critères a priori et quand même accord sur les verdicts, le sens commun identifie spontanément la relation sensible qui doit fonder toute prétention juridique.

Chapitre 5 : entre les penseurs français et les penseurs anglais

Kant est dans le fil de ce qui précède. Le premier trait de sa conduite est de chercher l’union de la liberté et de la loi. Le second trait est la recherche du plaisir social. Et ces 2 traits montrent le problème abordé par la Critique de la raison pure (CRP) , à savoir comment les consciences peuvent communiquer, dépasser la subjectivité vers un monde objectif qui leur est commun et comment est possible la vérité. 

Le travail de Kant démarre avant la CRP par la Dissertation où est réhabilité le monde sensible. Aborder le sensible c’est rencontrer l’espace et le temps et rencontrer la sensation. Ce texte envisage une connaissance purement intelligible dissociée du monde métaphysique, qui serait la totalité du monde en soi, et propre au monde phénoménologique, seulement représentable et intotalisable puisque soumis à l’infini de l’espace-temps. Dans la lettre à Marcus Herz il énonce le problème critique qui consiste à élucider le rapport de la représentation à son objet. Comment les concepts peuvent-ils synthétiser des représentations sensibles différentes d’un objet particulier donné à l’autre et comment en avoir conscience si la conscience est le lieu de synthèses et non pas la sensibilité elle-même ? Cette lettre entame la déduction métaphysique des catégories mais n’envisage pas encore la déduction transcendantale qui devra déterminer comment des concepts a priori peuvent s’appliquer au sensible. Voilà le décor est planté. Attaquons les plats de consistance.

La CRP est une révolution car elle va régler l’objet sur la connaissance. Elle commence par l’esthétique transcendantale. En partant de la structure cognitive, on déterminera ce qui peut être appelé objet pour la connaissance. Cet objet se réduira à une certaine règle de synthèse des représentations, telle qu’elle pourra être tenue pour universelle et nécessaire. L’objectivité concerne la pensée de quelque chose susceptible d’être quantifié, qualifié, agencé dans une relation de causalité. Il faut identifier les lois de la raison et circonscrire leur juste espace de compétence. Après l’esthétique transcendantale on en vient à la logique transcendantale.

Il s’agit d’identifier l’origine et le lieu des concepts dont nous faisons usage et les rapports qu’ils entretiennent avec ce qui est conceptualisable. Le problème de la logique ne consiste pas à appréhender les règles d’association des concepts mais à déterminer quel donné peut s’inscrire dans un concept. L’objet transcendantal n’est rien d’autre que les méthodes par lesquelles la science constitue un objet. Mais comment les jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? car nulle expérience ne peut imposer l’idée qu’un objet doive avoir une cause vu que le jugement de causalité n’est pas analytique mais synthétique. La compréhension de la possibilité du jugement synthétique a priori sans lequel la science physique est inconcevable rend urgente la position d’un 3ème terme entre les éléments unis dans ce jugement. Soit la notion d’expérience possible. C’est elle qui dicte les conditions auxquelles doit satisfaire le sensible en général pour être transformé en objet et c’est elle qui est soumise à la méthode logico-transcendantale et à la déduction. 

La déduction c’est quoi ? La notion d’expérience possible suppose l’acquis des facultés (sensibilité, entendement, raison) ainsi que l’exposition de l’espace-temps qui constitue l’esthétique transcendantale. Le privilège de l’espace et du temps c’est de n’être ni concept ni intuition mais d’être ce qui conditionne  l’applicabilité de l’un à l’autre. L’espace-temps est la condition formelle des objets, leur position, définissant une ontologie du sensible radicalement nouvelle. L’analytique transcendantale établit ensuite les conditions a priori de possibilité de l’entendement. Puis la déduction transcendantale établit l’identification des concepts a priori (catégories) qu’elle rapporte à la table des jugements logiques en tant qu’ils relient des concepts avec les impressions sensibles d’où résulteront la constitution des objets. Loin de se réduire à l’aptitude à la représentation, l’analyse se caractérise par son pouvoir de synthèse : relier les concepts en un jugement , relier les intuitions en un objet. Les règles de synthèse qui valent pour le jugement logique se révèlent aussi valoir pour l’activité catégoriale de l’entendement. La découverte des catégories procède d’une synthèse à laquelle elle doit satisfaire : le concept de corps n’est concevable qu’avec la notion de quantité, qualité, relation avec d’autres corps. Transcendantal veut dire anticipation des conditions de possibilité de toute représentation pour obtenir un jugement scientifique. La déduction transcendantale a pour tâche de montrer que ces catégories s’appliquent bien à l’expérience et permettent de penser justement. Les concepts déterminent la forme de l’objectivité et la possibilité de l’expérience.

Il faut montrer maintenant que les conditions de possibilité de l’expérience sont aussi les conditions des objets de l’expérience. Ici il faut l’intervention d’une faculté entre l’entendement et la sensibilité, soit l’imagination transcendantale. Cette faculté permet aux catégories de s’appliquer au temps, et au temps de se trouver déterminé par les catégories. La connaissance du réel fait intervenir plusieurs éléments en relation avec nos facultés : la sensibilité (intuition, perception), l’imagination transcendantale (par quoi les catégories s’appliquent au temps et inversément) et l’entendement (les catégories). On voit alors qu’il faut en plus « un quatrième élément » pour assurer l’unité de la conscience (qui est l’unité de la méthode de constitution de l’objet), à savoir le sujet transcendantal (l’unité originairement synthétique de l’a-perception). Sans lui les représentations ne sauraient jamais être identifiées comme miennes. Le rôle de l’imagination est central, il y a en nous un pouvoir actif qui fait la synthèse du divers.

L’action de l’imagination dans les perceptions s’appelle appréhension. Poser quelque chose comme un objet de connaissance, cela suppose la faculté de retenir le passé de la sensation, de le reproduire et de l’associer au présent. La conscience est l’ensemble des structures catégoriales dans laquelle le concept n’est rien d’autre que l’acte de la conscience. Nous avons besoin des concepts a priori (catégories) pour que la science soit possible. Les concepts ont une réalité psychique dont nous prenons conscience comme une série d’actes dans le temps, soit des schèmes. Le schème est une méthode de construction dans le temps. La catégorie est la règle de liaison, le schème est la représentation de l’application de cette règle, une synthèse figurée. L’unité de l’expérience est corrélative de l’unité de la conscience qui construit l’opération de schématisation. Le sujet transcendantal est assujetti à la sensibilité, il y a une différence entre penser et connaitre. La connaissance doit toujours se définir par rapport à l’extériorité empirique. La nature obéit aux mêmes règles que notre esprit. L’esthétique définit la chose en soi, l’analytique le noumène. 

Il y a quelque chose d’absolument irreprésentable pour la sensibilité, contrainte à intuitionner et qui se présente comme objet pensé pour l’entendement. Ce quelque chose explique qu’il y a du phénomène (par ailleurs inexplicable pour nous) et renvoie à un type de connaissance divin dont la science fera un idéal régulateur. Dans la dialectique transcendantale, il n’est dans le pouvoir du sujet de la connaissance que de ranger les cas particuliers offerts par l’expérience sous des règles générales données par les catégories et les schèmes et grâce à des principes qui en prescrivent l’application. Il y a 4 types de principes distribués comme les catégories en 2 groupes. Par ce cheminement Kant révèle les mécanismes producteurs des systèmes métaphysiques et la genèse de l’illusion de l’âme, du monde et de Dieu à partir du fonctionnement même de nos raisonnements logiques. Et on peut déconstruire cette illusion. Le sujet ne peut être transparent à lui-même. Cela n’empêche que l’idée du moi une fois désubstantialisée doive servir de méthode et orienter la tâche consistant à unifier autant que possible la totalité de l’expérience interne, tâche qui incombe à la réflexion et qui rend pensable une psychologie scientifique. Il est possible aussi de déconstruire les 2 autres illusions : le dogmatisme sous-jacent au scientisme (on ne passe pas outre aux antinomies) et la théologie (les preuves de l’existence de Dieu ne prouvent rien). On arrive au bout de la CRP avec un constat d’impuissance, de finitude. La CRP a mis en évidence un certain nombre d’impossibilités : impossibilité pour le concept de déduire le contenu de l’intuition (esthétique transcendantale), impossibilité pour le sujet transcendantal d’être considéré comme le producteur des catégories de l’entendement (analytique transcendantale). La déconstruction de la métaphysique avait eu de positif qu’ayant déconstruit les idées de Dieu, âme et monde, elle les restituait en légitimité comme principes de réflexion, comme idéal régulateur.

On passe maintenant à la Critique de la raison pratique (CPR). L’effort précédent avait abouti à 4 principes en 2 groupes (mathématiques avec les axiomes d’intuition et perception, dynamiques avec les analogies de l’expérience et les postulats de la pensée empirique) renvoyant dos à dos idéalisme et empirisme. On semblait ne pas pouvoir faire mieux puis le temps a joué et la pensée a rebondi quand s’est accentué au point d’impuissance un effet de glissement du centre de gravité sur la morale. Dans les fondements de la métaphysique des mœurs, la liberté serait légitimée si le sujet de l’action n’est plus subordonné au seul déterminisme naturel. D’où le travail de déterminer comment est a priori possible pour nous l’affirmation pratique de la réalité. La conscience morale semble jouer le rôle de matrice de jugements universels tels qu’ils procéderaient de jugements synthétiques a priori si on pouvait prouver qu’ils sont indifférents à toute préoccupation liée au bonheur et au plaisir. Il faut donner la formule exacte du goût moral. La bonne volonté définit une disposition à agir en vue du bien. La représentation de la loi conditionne l’action accomplie strictement par devoir : ici est introduit la notion de respect. Le concept de bonne volonté correspond à la conception du sens commun. 

Kant en arrive au problème de l’histoire. Celle-ci exprime la construction de l’humanité vouée à la perfectibilité infinie. Kant pense que l’homme progresse et vise l’idéal universel commun. Ceci bute sur la question du Mal radical. Le bois dont l’homme est fait ne permet pas de faire des planches droites. La nature veut de manière irrésistible que le pouvoir suprême revienne finalement au droit. Entre les 2 il y a l’histoire. Une république est possible qui associe liberté et ordre. La nature vient en aide, elle se sert des penchants pour proposer une bonne organisation de l’Etat où l’homme au bout du compte est contraint d’être bon citoyen. La politique ce n’est pas la morale. Kant parie sur sa compréhension chrétienne du monde où on prend en considération les invocations de la Providence pour justifier le cours de l’histoire ainsi que l’avènement d’une société juste. 

C’est alors que Kant amène la Critique de la façon de juger (CFJ).  La faculté de juger en général est la faculté de penser le particulier comme compris sous l’universel. Si l’universel est donné (la règle, le principe, le droit) alors la faculté de juger qui subsume sous celui-ci le particulier est déterminant. Si seul le particulier est donné et si la faculté de juger doit trouver l’universel qui lui correspond alors elle est simplement réfléchissante. La faculté de juger réfléchissante exploite notre propension à inscrire le particulier et le contingent sous une législation universelle (le code Napoléon) en l’absence de toute vérité et en raison de notre finitude. On passe ici à une théorie du sens.

Il y a à récupérer les idées déconstruites de la métaphysique comme régulatrices en tant que vecteurs de signification. Kant s’oppose à la métaphysique vu qu’elle défend l’idée que le réel est de part en part rationnel, conforme aux principes d’identité, de raison et de continuité. Prenant une position contraire, il disjoint le rationnel du réel rendant la réflexion possible. La réflexion n’équivaut pas à la détermination. Il y a satisfaction esthétique quand il y a découverte que le réel correspond à l’exigence projetée sur lui. La CFJ doit trouver le passage qui comblera l’abîme entre le domaine du concept de la nature, le sensible et le domaine du concept de liberté, le supra-sensible. L’expérience esthétique fait éprouver le sentiment d’une intervention de la liberté dans la nature. Ce sentiment qui relève de la subjectivité s’accorde avec celui des autres et réalise un « sens commun ». C’est l’expérience du beau qui dans les œuvres d’art accorde le concept et l’intuition, l’entendement et la sensiblilité. L’expérience esthétique nous expose à des objets dans lesquels nous croyons percevoir une finalité qui pourtant ne s’assortit pas de la représentation d’une fin et au terme, elle est ressentie comme nécessaire. Dans l’expérience esthétique un donné surgit qui semble répondre aux exigences de nos facultés de connaître. Un donné s’offre donc tout en restant donné comme s’il était un produit de l’activité du moi. La communauté obtenue par le sentiment esthétique mobilise un type de communication que les 3 critiques auront dégagé : à partir de l’activité conceptuelle (CRP), et par l’action morale (CPR). Mais la préséance de la dernière forme d’intersubjectivité (CFJ) est évidente : les 2 premières (CRP et CPR) exigent un élément médiateur externe alors que la CFJ s’en passe. Cette communication universelle est recherchée abstraction faite de toute relation objective c’est-à-dire sans concept (et en ce sens on ne peut affirmer que l’objet possède une véritable fonction médiatrice) et elle ne doit pas dépendre de la loi morale puisque ce qui doit être communiqué est un sentiment subjectif. Dans le sublime cette expérience de l’accord-discordant entre l’imagination et la raison, entre l’entendement et le sens intime du temps traduit l’avènement de l’expérience politique.

Chapitre 6 : La genèse du système philosophique, on la trouve chez Jacobi et Maïmon

Jacobi pense que Kant a le tort d’appliquer la catégorie de causalité à la sphère nouménale. Il ne faut pas vouloir expliquer l’inexplicable : la foi a la première place dans l’appréciation de l’être. Kant est un dogmatique, alors que l’objectivité se ramène à l’accord des représentations entre elles et non pas dans un accord à quelque chose qui leur est extérieur. 

Maïmon Salomon (avec Reinhold) va donner l’impulsion pour franchir le pas transgressif par rapport à Kant dont la critique est insuffisante. Le problème c’est le dualisme. Il faut supprimer la chose en soi et pour cela essayer de la ramener à la conscience. La solution est que de chercher à démontrer l’extériorité de la chose n’est qu’une illusion. Mais pourquoi cette illusion ? ceci amène la question de la dialectique. Comment Maïmon s’y prend-il pour démontrer qu’il n’y a pas d’extérieur à notre conscience ? l’objet dont nous avons l’intuition est le produit d’une synthèse de perceptions opérées par l’imagination. Mais d’où vient que quelque chose paraisse donné et extérieur à la conscience ? il faut passer par l’idée mathématique de différentielle. La conscience empirique reçoit comme un donné ce qui est en fait le résultat d’une sommation d’infiniment petits posés à partir de la conscience pure ; la passivité de l’objet donné n’est qu’un cas limite, la différentielle d’une activité. Il faut montrer comment s’effectue la connaissance et pourquoi l’entendement intuitif doit se limiter. 

Ici Maïmon travaille 2 thèses de Kant : le rapport entre entendement fini et entendement infini, les analyses contenues dans les anticipations de la perception. Sur le premier point, Kant avait suggéré que la passivité n’existe que pour un entendement fini. Mais Maïmon poursuit donc que pour un entendement infini il n’y aurait pas de donné mais uniquement de la pensée. Ici pourtant Maîmon oublie que pour Kant l’entendement n’a aucune réalité et cet oubli revient à considérer que l’entendement divin est la clé de la compréhension de l’entendement humain. Pour Maïmon les 2 entendements sont en continuité et le moi absolu n’est pas ailleurs que dans le moi fini. L’entendement fini apparait comme le passage à la limite de l’entendement infini. 

Sur le deuxième point Kant examine et fonde la catégorie de qualité dans l’esprit leibnizéen. L’anticipation désigne toute connaissance par laquelle je puis connaître et déterminer a priori ce qui appartient à la connaissance empirique. Kant cherche à dévoiler l’origine de l’objet, le schème, et il démontre a priori que toute intuition a une grandeur intensive. L’axiome de l’intuition énonçait que toutes les intuitions ont une grandeur extensive en tant qu’elles sont spatiales, mais nous ne pouvons savoir a priori quelque chose de la forme de l’intuition ni aussi de sa matière même. La matière semble a posteriori mais il y a quelque chose que nous connaissons a priori : c’est qu’il y a une grandeur intensive. Maïmon prolonge : dans tous les phénomènes, le réel qui est un objet de la sensation a une grandeur intensive, un degré,  l’objet et la sensation ont une genèse qui les fait passer d’un degré 0 à la réalité, d’un infiniment petit a une grandeur extensive. Cette genèse est révélée  par le calcul infinitésimal, la sommation de grandeurs infinitésimales. Avant l’apparition de la conscience il y a déjà de la sensation et cette sensation a une certaine consistance. Toute conscience claire recèle forcément une infinité de degrés de conscience moindre ayant chacun un contenu. Voilà pourquoi la matière de la sensation est dite posséder une quantité intensive. C’est l’activité du sujet qui fait la somme de ces états infinitésimaux depuis le degré 0 jusqu’au seuil de la conscience claire. Le sujet ne produit pas la conscience mais les degrés de matière qui y conduisent. La représentation est le produit d’une succession de représentations. Tout acte de connaissance implique 3 facteurs : la sensibilité fournit les différentielles pour une conscience déterminée, l’imagination en tire un objet fini déterminé de l’intuition, l’entendement extrait du rapport de ces différentes différentielles  qui sont ses objets le rapport des objets sensibles qui en proviennent. Ces différentielles des objets sont les noumènes mais les objets qui en sortent sont les phénomènes. Cela revient à dire que l’entendement ne peut penser que des objets selon leur mode de production. Ainsi doit-on reconnaitre la suppression de la passivité, celle-ci se trouvant réduite à une différentielle de la conscience. On sort du dualisme pour entrer dans le scepticisme. Qui garantira que l’intégration faite par l’imagination est exactement la réciproque de la dérivation qu’a fait l’entendement infini  ?

Chapitre 7 : le rôle de l’Histoire

Fichte est resté dans la mouvance de Kant, celui de la CPR où se règle le conflit entre foi et savoir et où s’atteste le pouvoir causal de la liberté dans le monde des phénomènes. Il cherche à étayer les fondements du kantisme sur un certain nombre d’idées : la conscience est au principe de cette reconstruction, …en suivant MaÏmon (qui pointe le dualisme). L’ombre de Hegel toutefois se fait sentir dans les 3 étapes. 

Déduire la réalité à partir de la conscience, c’est apparemment s’éloigner de Kant et retrouver Descartes dont le cogito est la première certitude. « La doctrine de la science » affirme que le moi se pose lui-même identité sujet-objet (moi absolu). Mais c’est tout aussi certain qu’au moi on peut opposer un non-moi, le monde et qu’une synthèse dans le moi cherche à subsumer l’opposition moi-monde. Kant retrouve des couleurs : le moi autoposé n’est pas une intuition intellectuelle mais une illusion à déconstruire. Si le premier principe (moi = moi) est une illusion alors la réflexion est libre. C’est seulement parce que la finitude est assumée que le travail du philosophe a du sens. Le moi ne supprime pas la finitude dont le non-moi – 2ème principe – est l’indice nécessaire (et dont une critique sera chargée de dissoudre l’antinomie). Maïmon arrive au niveau du 3ème temps de la synthèse  : l’opposition qualitative du moi et du non-moi est une opposition quantitative pensable dans les termes de la catégorie de limitation. Le problème c’est que la proposition « le moi se pose comme déterminé par le non-moi » est limite non-pensable. La question c’est alors quelle détermination la rendrait pensable. La détermination passe par le problème de l’erreur au sens littéral, on ne trouve le vrai qu’au bout du faux. Fichte arrive ici avec la visée d’une réhabilitation d’une conscience commune. La conscience commune ne sait rien d’une chose en soi parce qu’elle ne s’élève pas plus haut que sa sphère propre. Ici il aurait fallu recourir à l’esthétique transcendantale (Kant et le sublime de la CFJ) mais Fichte ne le fait pas. La doctrine de la science est a priori possible même si elle doit s’appliquer aux objets du monde. L’objet n’est pas a priori, il n’est donné que par l’expérience à la doctrine de la science ; sa propre conscience de l’objet est pour chacun la source de l’objectivité et cette conscience ne peut a priori n’être que postulée et non pas déduite. La finitude envahit le champ de la CPR, invitant à s’engager dans le monde et à imposer au donné la liberté.

C’est dans les limites propres au sujet que se constitue l’apparence , dialectique suprême. Fichte n’a pas besoin de l’espace ni du temps pour arracher à l’illusion dialectique le sujet qui serait tenté de se croire toute réalité. L’erreur sur le sujet, révélée dans le choc exercé par le non-moi permet à elle seule d’engager la dialectique transcendantale. Indissolublement logique de l’apparence, construction de la vérité et synthèse des opposés. Cette dialectique donne lieu à la déduction des catégories comme autant de corrélats des principes déconstruits : au moi absolu correspond la catégorie de la réalité, au non-moi celle de la négation, à l’opposition moi-non moi celle de limitation, au principe de la détermination du moi par le non-moi celle de causalité, au principe de la détermination du non-moi par le moi celle de substance. L’histoire de la philosophie comme suite d’erreurs apparait en filigrane au fil de ces moments dialectiques : dogmatisme, scepticisme, criticisme, réalisme, pour en arriver à l’idéalisme.  Qu’est ce qui autorise l’homme à appeler une partie déterminée du monde des corps, mon corps ? comment l’homme en vient-il à admettre et reconnaître des êtres raisonnables de son espèce en dehors de lui ? « Le fondement du droit naturel » est la tentative la plus aboutie pour conférer à la réflexion sur le droit un statut systémique permettant le passage de la nature à la liberté. Le droit ne peut se réaliser mécaniquement comme l’autodéploiement dans l’histoire de l’intérêt des hommes, intérêt bien compris. Fichte opte pour une attitude volontariste en disant que le droit est le produit de l’action libre. Seule une constitution républicaine détermine les conditions pratiques de réalisation de la liberté dans l’histoire. L’ombre de Hegel est encore peu sensible car c’est Schelling le relais.

Chapitre 8 : le pas d’écart

Schelling a 4 périodes. Au début il entend résoudre le problème de la réconciliation du fini et de l’infini. Comment fais-je pour sortir de l’absolu et m’orienter vers son opposé ? entre dogmatisme et criticisme, c’est à notre liberté de décider et ce sans le recours à un appui style la CPR de Kant. 

Première période. Abordant les différences entre les systèmes philosophiques (Spinoza ou Kant), il rappelle que le philosophe n’a pas fini son travail quand  il a établi les premiers principes car ceux-ci n’ont qu’une valeur subjective, celle de l’anticipation de sa décision pratique. Quelle est la genèse de nos choix pratiques ? le moi et le non-moi ont une genèse. La réflexion doit être élucidée. La condition de la restitution de l’unité est subordonnée à l’identification de la source de cette scission. La philosophie qui reflète cette scission est amenée à se sacrifier pour la restauration de l’unité. La philosophie n’attribue donc à la réflexion qu’une valeur négative, elle part de cette séparation initiale pour unir de nouveau par la liberté ce qui dans l’esprit humain était uni primitivement. Etant donné que c’est cette séparation qui a rendu la philosophie nécessaire, qu’elle est donc un mal nécessaire, la philosophie devra éliminer la séparation entre l’objet et la représentation. L’unité est pensée comme accessible et pas comme une idée régulatrice. L’effort de Kant est inabouti. La question est : comment a pu se former en moi la représentation de productions répondant à des finalités et comment se fait-il que je sois obligé, bien que cette finalité n’existe dans les choses que par rapport à mon entendement, de le penser réellement existante en dehors de moi ? et la réponse est dans la préséance du moi absolu comme la seule instance qu’on puisse penser comme une chose dont « le pur faire » est susceptible de produire le monde des choses.  « La doctrine de la science » de Fichte fait la synthèse entre un idéalisme du sujet (le moi absolu) et un spinozisme comme philosophie de l’objet (le non-moi absolu) aboutissant à ce constat finalement que le rapport pensé du S-O est à lire comme expression de  leur scission. La tâche philosophique étant de surmonter cette scission, elle invite à remonter soit vers le criticisme où le sujet sera posé comme toute réalité soit vers le spinozisme où l’objet y résorbera tout sujet. 

Mais Schelling se décalle déjà. Dans le moi sa philosophie retrouve l’unité du tout. Schelling revendique l’intuition intellectuelle (connaissance du 3ème genre) pour accéder à cet inconditionné réfractaire du concept et de l’objet. Sa réinterprétation promeut le non-moi comme moyen terme entre le moi et la synthèse S-O. L’activité du moi fini aux prises avec le non-moi apparait comme la condition de la saisie de l’absolu ; il n’est pas nécessaire de penser le passage de l’infini au fini comme le produit d’une limitation réciproque. La philosophie pratique exige la destruction du fini et nous amène au monde transcendant (= le moi absolu). L’approfondissement de l’intuition intellectuelle demande de distinguer le thème de la fusion du moi fini dans le moi absolu d’avec le thème de la saisie de la liberté infinie par elle-même. Le problème c’est que ni Spinoza ni Kant ne parviennent à rendre raison de l’immanence du fini dans l’absolu, …du fait même de la finitude. Du coup ces 2 philosophies ne peuvent offrir qu’un choix pratique, en faveur de la liberté et en faveur de l’objectivité. Et comme ces 2 systèmes sont défaillants en théorie (par insuffisance), ils sont irréfutables en pratique car ici c’est une décision qui tranche, qui choisit. Ce choix est proleptique = antérieur à toute rationalisation. Et Schelling choisit.

Il s’agit de penser le donné (le non-moi) à partir des opérations d’un moi qui à l’occasion de sa rencontre avec le donné, produit les catégories et les principes explicatifs nécessaires. Schelling prête aux choses une force productive supposant une vitalité à l’œuvre dans la nature. L’unilatéralité des points de vue tombe devant l’esprit universel de la nature qui peu à peu conforme le matériau brut à lui-même. La nature est décrite sur le modèle du moi, unique source de vie qui par auto-limitation produit la force contraire à la productivité infinie qui la caractérise. Tout se passe comme si une force  infinie s’appliquait à détruire cette force contraire pour se produire indéfiniment. L’idée qui était comprise comme une figure du devoir est maintenant pensée comme force créatrice, comme principe de la forme et de la formation. Et par là semble être trouvée la synthèse entre moi et non-moi. Comme l’objet n’est jamais inconditionné, il doit exister dans la nature quelque chose qui est absolument inobjectif. Cet inobjectif absolu n’est autre que la primitive production de la nature ; le produit s’efface derrière la productivité.

Deuxième période. Dans « le système de l’idéalisme transcendantal » Schelling ouvre l’espace d’une analyse de la structure et de l’histoire de la conscience depuis la sensation originaire. Il propose une description de la naissance de la liberté. Il lui faut une philosophie matricielle chargée de présenter l’activité entre l’activité inconsciente qui a produit la nature et l’activité consciente qui se manifeste dans le vouloir. Ce principe d’identité est-il dans la nature ou en nous ? une pareille activité ne peut être que l’activité esthétique. Le monde idéal de l’art et le monde réel des objets sont les produits d’une même activité. La coîncidence des activités inconsciente et consciente : ainsi l’histoire de la nature et de l’esprit se révèlent ancrées dans l’unique grande histoire du moi. Schelling élève la création esthétique en matrice de la différence fondamentale entre nature et liberté. Outre à la distinction entre réflexion et détermination, il comprend l’univers comme organisme et comme œuvre d’art divine. L’absolu est l’identité privée de ses déterminations, l’indifférence totale au subjectif et à l’objectif. De l’absolu au réel (la réalité), il n’y a pas de transition continue ; l’origine du monde sensible est à concevoir comme le résultat d’un saut, rupture d’avec l’absolu. L’absolu est à creuser.

Troisième période. Schelling passe à une approche mystique. Pour donner à penser cette chute dont sont résultés le phénomène du monde ainsi que la promesse d’une réintégration finale dans l’indifférencié originaire, l’histoire est un poème épique sorti de l’esprit de Dieu. « Les âges du monde » mettent en scène une sorte d’Iliade et Odyssée. Le courant matérialiste s’intéresse à la tentative de faire un usage constitutif des concepts kantiens orientés sur l’idéal d’une république démocratique et où il est fait appel à l’Esprit qui crée tous les aspects de la Création. La question est de savoir si cet Auteur est indépendant de sa pièce ou pas car s’il ne l’est pas c’est qu’il ne se révèle et n’apparait que dans la succession des rôles joués par notre liberté. C’est faux de ne voir ici qu’un dérapage mystique car dans cette période il y a tout un travail faisant preuve de réalisme politique : l’Etat s’expose à l’anarchie car il est la conséquence de la malédiction qui pèse sur l’homme (lourde pesée vu qu’elle s’impose comme une lourde contrainte arbitraire face à la liberté individuelle). La Révélation et l’Eglise servent ici de contre-pouvoir au politique.Quatrième période. Schelling en vient à une vision de l’Etat comme une monarchie conservatrice. Devenue puissance effective dans l’Etat, la loi est la réponse à l’acte par lequel l’homme s’est placé hors de la raison pour s’assujettir à la raison de l’Histoire. La 3ème période a manifesté l’idée selon laquelle le monde est constitutivement coupé de l’absolu. Ceci donne argument pour une volonté de faire droit à l’histoire des hommes justifiant une politique de résistance contre la fausse unité que serait l’Etat. L’Histoire est celle de la liberté des hommes qui n’ont aucune obligation à l’égard de la transcendance et rien à espérer d’une rédemption qu’il lui faudrait mériter. La liberté se trouve face au mal rendu inéluctable par la corruption constitutive du monde. Il faut voir que la 4ème période fait un pas d’écart par rapport à la précédente ancrée mystiquement dans la vision de Jacob Boehme pour qui Dieu a créé dans le premier homme un autre dieu à qui il sera donné de pouvoir recréer historiquement le monde corrompu. Il y a 2 volontés (rien à espérer vs espérer quand même) qui s’affrontant gagnent et perdent successivement produisant un effet contraction-expansion, bref cyclique : mort et renaissance du monde. Le pas d’écart c’est que Schelling ne croit pas dans une réconciliation intégrale car le monde implique un homme libre et que la liberté est dépourvue de toute détermination. Il y a une différence entre fondement et existence et ceci met à mal la métaphysique de la subjectivité qui est la nôtre depuis Aristote. L’idéalisme allemand prend un sale coup car le coin enfoncé produit une scission entre 2 philosophies : la philosophie négative concerne le Grund et la philosophie positive se tourne vers l’existence cherchant une sagesse advenant dans le monde. Ce qui laisse ouverte la question de l’être au-delà de toute démarche créatrice.

Chapitre 9 : l’idéalisme allemand et l’absolu

Hegel a l’intention dès ses premiers travaux de constituer un tout organique de concepts dont la loi n’est pas l’entendement mais la raison. Il s’agit de lancer le projet d’un système sous l’égide de Schelling ; il faut montrer toutes choses dans l’Absolu jusqu’à abolir la conscience. Mais à distance de Schelling et de Kant, il imposera une auto-production de la raison où l’Absolu se modèle en une totalité objective qui est un tout appuyé sur lui-même et achevé en lui-même, dépourvu de fondement extérieur mais qui se sert de fondement en son commencement, son milieu et sa fin. La raison doit se développer grâce à l’opposition même qu’elle génère. L’œuvre se déploie en 4 temps.

Premier temps. « La phénoménologie de l’esprit » se veut une science de l’expérience de la conscience. (C’est un travail parallèle à la Logique -voir plus loin- car une même structure y est à l’œuvre). Il s’agit de rapprocher la philosophie de la forme de la science, comme vraie figure dans laquelle la vérité existe. Il faut donner consistance au concept de l’Absolu comme unité totale qui ne dissout pas la conscience ni n’aveugle le monde châtoyant des phénomènes. Il faut faire en sorte que la substance dont il faut partir contienne la différence et qu’elle ait la vertu de la déployer, de la délivrer comme sa manifestation. La substance doit être pensée comme sujet et on préserve la conscience ou la réflexion tout comme la négativité qui la caractérise. Le système a un déploiement circulaire en tant que processus de récollection des différences comme autant de moments de son autodéploiement : l’activité conceptuelle est productrice de son contenu (l’intuition, la différence). Hegel croit pouvoir mettre un terme à l’histoire de la philosophie. 

Il y a à dépasser les impasses par rapport à l’objectivité. Le sujet seul produit l’objet mais ne peut l’expliquer. Le problème des philosophes d’avant touche à la distinction entre une proposition prédicative et une proposition spéculative. Hegel réfute la proposition prédicative en l’espèce de la proposition mathématique. La proposition spéculative est plus intéressante : le sujet ne supporte pas passivement ses accidents, il y est le concept se mouvant soi-même produisant ses déterminations. Le prédicat y fonctionne comme un sujet de sorte qu’il n’y est question que du passage de sujet à sujet et si la détermination peut y être dite négation, c’est pour autant que le sujet s’y définit par autolimitation. Avec la proposition spéculative, l’Absolu se réfléchit. L’Absolu est l’universel, entendant qu’on a affaire, avec ce substantif mis en position de prédicat, à une forme plus développée du sujet lui-même, à une autodétermination. Mais ici aussi  il y a un problème, celui du statut de la réflexion. Dans la proposition spéculative, le sujet doit s’effacer devant le procès d’autodéploiement de l’Absolu. Le point de vue réflexif apparait celui d’un sujet s’opposant à un objet, celui de l’identique se donnant dans le non-identique. Or la totalité du système se constitue bien au moyen du travail de la réflexion jusqu’à ce qu’elle impose au sujet de se retrouver dans l’objet et pas à l’identique dans le non-identique. De sorte qu’il faut envisager que ce travail s’élimine progressivement et qu’au moment du savoir absolu (quand le sujet et l’objet coïncideront) on puisse dire que le système fut le seul sujet.

Deuxième temps. Dans « La science de la logique » le problème est plus complexe. La réflexion – qui est celle de l’absolu lui-même, sans la médiation du sujet fini – se supprime par une sorte de passage à la limite qui s’accompagne d’une suppression de la différence, du contingent et de la nature dans sa facticité. Avec l’annulation de la réflexion, le contingent lui-même paraît supprimé. Qu’est ce à dire ? que tout est devenu nécessaire ? que ce qui est rationnel est effectif et que ce qui est effectif est rationnel ? Pas tout a fait. Le système de Hegel est clos parce qu’il déduit l’ensemble de ses catégories logiques mais il est ouvert parce qu’il ne prétend pas rationnaliser la réalité empirique elle-même. Comment Hegel tient-il les 2 en même temps ? en distinguant fermement l’effectif du contingent. S’il entend bien enclore l’ensemble de la réalité conceptualisable, le système est également tenu de s’éprouver ailleurs que sur le terrain métaphysique.

Troisième temps. Le système se frotte aux questions de l’histoire, de la politique, de l’art et de la religion. Cet encyclopédisme découle de « La science de la logique » si celle-ci rappelle l’opération qui consiste à montrer que toutes les productions de l’esprit sont réductibles au fonctionnement de la pensée. En tant qu’effets de la pensée, l’Etat, la religion, les sciences et les arts procèdent de la philosophie et on va montrer  qu’elles obéissent à un mouvement d’unification de la multiplicité tout comme celui de l’activité conceptuelle. L’intuition humaine, le souvenir, la volonté, tout ça a sa racine dans la pensée. La structure de la pensée décrit la conquête progressive de l’universel. Une topologie des savoirs en devient possible. Au sommet de la hiérarchie, il y a la philosophie en fonction de son aptitude à dissoudre l’extériorité, présentant son objet dans l’élément le plus libre. La liberté de l’esprit c’est la vertu de déployer son objet dans sa pureté, dans l’élément même de la pensée.

Quatrième temps. Dans les « leçons sur la philosophie de l’histoire » , Hegel donne à la philosophie la tâche de comprendre ce qui est et vouloir que l’on conçoive toute réalité dans son déploiement. Ceci implique que l’histoire soit rationnelle si bien que le mal et l’idéal ne viennent pas comme des objectifs. Un système cela se pense de façon fermée alors que l’histoire est ouverte. Ceci conduit à la question de la liberté. La conception de l’histoire passe par 5 étapes. 1) le modèle c’est la Grèce, 2) le modèle tourne autour du concept de vie, 3) l’histoire réalise elle-même l’aspiration humaine à la liberté, 4) Hegel se prépare à raccommoder la raison et l’histoire : le concept livre le sens du temps ou de la vie ; reste à expliquer comment se concilient la liberté subjective et la totalité substantielle… 5) la solution est exposée dans « les principes de la philosophie du droit » : par la théorie de la ruse de la raison qui s’attaque au problème politique fondamental de l’accord du particulier avec l’universel. L’exemple porte sur la révolution française : a) Une révolution totale ne peut déboucher que sur un processus terroriste, l’esprit révolutionnaire aurait pu aller dans le sens de l’histoire si on avait suivi Montesquieu lequel prônait les institutions, la séparation des pouvoirs, la préservation des classes et de la société civile..b) le choix de Rousseau a entraîné une politique qui voulait la mort. En Allemagne on est plus proche d’un Etat rationnel car ici on écrit des lois inspirées par le droit de propriété, on opte pour une monarchie, et les mœurs promues par la religion donnent un sentiment d’appartenance dans un lien social. La ruse de la raison consiste dans l’activité médiatisante qui, en laissant les objets conformément à leur nature propre agir les uns sur les autres, sans s’immiscer immédiatement dans ce processus, ne fait pourtant qu’accomplir son but. La théorie de la ruse de la raison suppose acquis le point de vue absolu à partir duquel on envisage 3 étapes constitutives de l’histoire telle qu’elle se laisse intégrer dans le système du savoir absolu et que la philosophie en manifeste la structure : l’en-soi où se trouve en germe la chaîne des raisons, l’ être-là qui déploie l’évolution proprement dite, et le pour-soi qui assure le retour à l’unité en rapportant la diversité de l’être-là à l’en-soi originaire.

Chapitre 10 : le système philosophique et ses critiques

Hegel se fait attaquer mais résiste. Un mouvement réactionnaire se veut critique et est centré sur la notion de système. Avec Adorno et Russell. Puis par Kierkegaard qui induit une méconnaissance profonde et durable sur base d’une lecture erronnée, prouvant que la philosophie de Hegel ne se saisit pas d’emblée.  

Adorno nuance pourtant d’abord son propos en rappelant que Marx et Freud  font appel à Hegel pour défendre l’individu et ses possibilités d’autoréalisation dans l’histoire. Ses attaques  de fond se ramènent à reprocher à ce penseur hors norme d’avoir outrepassé les limites kantiennes. 

À la racine de la volonté de système, il y a l’ambition de supprimer le temps en le remplaçant par des procédures sociopolitiques étouffantes. Le système est un produit sublimatoire de l’impuissance politique de la philosophie (car avec Kant la bourgeoisie manque de représentation capable de légitimer son pouvoir). À la racine de la volonté de système, il y a aussi l’ambition d’en finir avec l’Autre ; ici le mécanisme est la projection : la loi de l’autoconservation étant inavouable on préfère charger l’autre de tous les maux.

Adorno étend ce mécanisme dans le champ politique. Mais son attaque est biaisée par les mots que Hegel utilise et qu’il reprend dans un autre sens sémantique, à savoir le mot système formel. Il y a une différence entre deux systèmes selon qu’ils travaillent la relation interne ou externe. Selon qu’il accueille en lui l’histoire sur le mode de la contingence ou de la nécessité, le système se prévaudra + ou – des prérogatives de la scientificité.

Russell critique Hegel car dans son option pour les relations internes il perd sa scientificité. En effet pour Hegel le système a une forme nécessaire, une forme autofondatrice, une forme qui dans le temps même où elle apparait comme autofondatrice produit ses modalités de fermeture et ses modalités de  développement. Le système hégélien prouve une solidarité des éléments en passant par la dialectique : la solidarité interne fonde l’économie du tout, rien n’est jamais nié sans que le vide qui en résulte ne produise autre chose. Face à cela il y a le système formel qui est une entité idéale qui engendre selon des procédures canoniques à partir de certains objets posés comme valables d’autres objets qui seront également reconnus comme valables. Un système formel est un ensemble composé d’un alphabet, de règles morphologiques et des règles de déduction-validation-substitution pour produire des thèses valides à partir d’axiomes. 

Mais ce logicien va à son tour perdre sa mise. La possibilité d’un énoncé sur quelque chose et la possibilité de l’existence de cette chose elle-même ne sont pas des thèses réductibles l’une  à l’autre.  Hegel au bout du compte reste bien vivant parce qu’il maintient une exigence pour la raison philosophique. C’est là un idéal rendant la question du système toujours bien actuelle (Gödel et Badiou). 

Kierkegaard a une philosophie trempée dans une biographie singulière. Très tôt il a le sentiment d’être né sous le signe du malheur et de la faute. Il ne va pas chercher à sublimer et son œuvre développe un passage par 3 stades : esthétique, éthique et religieux. Le début travaille la question de l’ironie socratique et surtout il médite beaucoup la philosophie de Schelling. 

Il ne peut y avoir de système de l’existence car le mouvement de l’existence apporte la possibilité, le choix et l’angoisse. Ce qui ne va pas chez Hegel c’est sa logique réconciliatrice qui subsume l’opposition des contraires. La subjectivité est la vérité parce que seul le singulier peut se rapporter à la vérité comme à son projet. Un projet esthétique en somme.

Mais attention, dans cette pensée philosophique il y a toujours deux choses. Ainsi la subjectivité est le contraire de la vérité quand elle choisit la faute. La vérité est dans cet événement unique qui est la subjectivité exceptionnelle du Christ. Revoici le moment d’un saut, d’un saut dans la foi. Hegel n’aide pas car la conscience malheureuse survit dans un système achevé, vanité du système. La conscience est destinée à endosser l’existence comme si rien n’était au départ déterminé. D’où l’importance de la liberté mais surtout de la loyauté. L’œuvre de ce philosophe paraît sous des pseudonymes car la communication ne peut être frontale. Les modes de la communication indirecte conduisent à chercher une communication authentique, celle qui affirme la réalité de l’autre en tant qu’autre irréductible. Il y a une triple séparation dans le sujet : d’avec lui-même, d’avec les autres et d’avec Dieu.

L’héroïsme tient à son affrontement avec l’angoisse, le désespoir, le scandale …ou la foi. Les pseudonymes endossent les possibles existentiels hantés par ces expériences de séparation. Le lecteur est laissé libre de choisir l’échantillon de vie qui est proposé par ces pdeudos et cette liberté prend alors toute la mesure de la distance communicationnelle : incommensurable. Il n’y a d’expérience intersubjective qu’avec des sujets « devant Dieu ». En fait il croit s’opposer à « la phénoménologie de l’esprit ». Au bout des stades la seule règle c’est Dieu… Hegel dit que c’est l’Esprit. La force du désespoir consiste à révéler au moi « la mort dans le temps même où on la vit » et ce dans une synthèse de liberté et de nécessité où s’origine l’angoisse. Alors viendra le salut. 

En passant par les 3 stades, on expérimente le passage comme une séparation devant deux impasses : esthétique dans la perte de tout moi, éthique dans la répétition du quotidien contre les passions. À chaque fois on expérimente l’impuissance propre à la finitude de l’homme quand on « vit (vivote) dans la mort de Dieu ». L’homme est libre grâce à son incomplétude, jamais Dieu ne s’impose à lui, la grâce est un don qui s’apprécie dans les moments d’incertitude existentielle.

Schopenhauer subira aussi des lectures faussant son propos, ainsi dans les bouches de Horckheimer et Thomas Mann. Après Hegel, la philosophie subit une terrible éclipse. Les sciences se sont légitimées à partir de la logique formelle. Schopenhauer à la différence de Kierkegaard rompt d’avec la théologie, tout en cherchant une éternité extatique dans la pure connaissance, la contemplation du beau et la conquête de l’indifférence que promet la musique. Ce qu’il faut considérer c’est la montée en puissance des sciences humaines et le réveil de la littérature autour de Goethe.

Ce monde ne peut pas être l’œuvre d’un être infiniment bon. L’époque découvre le bouddhisme. Le contexte philosophique est celui d’un évidement de la foi traditionnelle ; le sujet accède à une autonomie pragmatique et il y a détournement de la curiosité pour le monde en soi au profit d’un développement des formes de production d’un monde pour soi. Avec Kant et Platon, il pense dans les limites assignées par la critique de la raison. Mais la conquête métaphysique de la totalité refait place aux Idées platoniciennes à l’instar du noumène. La conscience meilleure est un sommet où il n’y a plus ni personnalité ni causalité, ni sujet ni objet. Dans la foulée il prône une démobilisation politique. La métaphysique de la volonté inassouvissable, chose en soi vécue dans le corps, considère ce à quoi la sagesse doit renoncer. Le monde comme chose en soi est une grande volonté mais qui ne sait pas ce qu’elle veut (elle ne sait pas parce qu’elle veut seulement et rien d’autre). 

« Le monde comme volonté et comme représentation » trouve écho chez Goethe. Métaphysique de la nature (de la volonté), métaphysique du beau, métaphysique des mœurs, « Parerga et paralipomena » donne le résultat d’une collaboration avec Goethe (sur la théorisation de la lumière et des couleurs). Ce livre donne une doctrine de la vie qui montre que l’on peut continuer malgré tout, une doctrine qui parce qu’elle s’attend au pire est capable de trouver l’esquive vers le moindre mal. Le désir du bonheur mute en une peur avisée du malheur. Il devient le philosophe du vouloir vivre. Il a l’intuition de l’unité de l’être en apercevant au principe de toutes les choses une volonté (qui se manifeste du végétal jusqu’à l’homme selon tel degré proportionnel à la complexité de l’organisation du vivant en question).  Une volonté infaillible en bas mais qui porte l’erreur en haut. Cette volonté manque totalement de fin dernière, elle entretient une tension permanente, un désir que ne termine aucun objet atteint, incapable d’une satisfaction dernière et qui pour s’arrêter a besoin d’un obstacle, une source de déplaisir. Le répit vient quand la volonté n’a pas de motif de désirer mais alors guette l’ennui, qui est la transformation du présent en un passé sans vie, une mort perpétuelle. 

La façon de remédier à la souffrance sera l’indifférence stoïque : le philosophe est celui qui sait combien la volonté et la vie sont des ennemis. Le plaisir esthétique est apparu comme un moyen pour nous arracher au vouloir-vivre, la musique ignore tout du monde phénoménal. Le philosophe dans « le monde comme volonté et comme représentation » distingue 3 formes extrêmes de la vie : 1) l’homme héroïque traduit une volonté énergique propre aux passionnés, 2) le chercheur se nourrit de pure connaissance et devient génie, 3) et sinon il y a l’ennui !! Le plaisir esthétique renvoie au point 2 par la contemplation du beau mais hélas cela n’a qu’un temps. Le degré suprême de la sagesse est atteint par l’homme dont la volonté est complètement éteinte. Il y a à guérir de la vie.

La scène de l’histoire offre un spectacle de comédie, à quoi bon s’occuper de politique dans un monde absurde. Toute décision obéit à des fins irrationnelles. La liberté est la capacité de mettre en contradiction le phénomène avec lui-même mais nullement dans sa prise en charge. C’est une ascèse apprenant à renoncer aux entreprises pour lesquelles la nature nous a si mal doté. Il faut se soumettre à l’Etat come à un moindre mal. Mais rien ne vaudrait le dspotisme des sages et des nobles. L’égoïsme résulte du principe d’individuation qui contraint la volonté en soi à s’incarner dans l’espace et le temps. Chaque volonté incarnée identifiable dans un corps conservera de la volonté en soi d’où elle est issue, un appétit sans limites et une soif inextinguible de dominer. Que faire avec ça ? absolument rien.

Nietzsche a pour valeurs la vérité, l’avenir, l’authenticité…pourquoi résiste-t-on à cette philosophie héroïque qui fait penser à Kierkegaard et Schopenhauer.

Premier chef d’accusation : ce penseur est un relativiste. Deuxième chef d’accusation : son concept de vie se révèle impitoyable à l’égard des faibles. Et le pire c’est qu’il attaque le judéo-christianisme.

Philologue, il se met au service de la vie…mais la maladie va orienter sa destinée. La maladie devient un privilège ; le salut (comme aide à la supporter) ne vient pas de Dieu mais de la poussée de la force vitale car il ne faut pas céder à la maladie. Il reconnait que c’est la maladie qui l’a ramené à la raison se traduisant comme un « amor fati ». 

Que dire de notre civilisation ? il y a une diversité d’interprétations mais la plus fausse est celle du nazisme. Refusant le marxisme il est vite isolé, seul Georges Bataille et Klossowski le réhabiliteront. La Grande Politique, au plan international, s’appuie sur des communautés électives voire secrètes où il faut accepter une ascèse, celle de l’éternel retour par quoi on accepte de dissoudre tous ses anciens repères. La Sur-Humanité refuse l’activisme incontrôlé (le caractère complotiste des sociétés secrètes est à entendre comme simulacres mis en place quand les repères sont par terre). L’éternel retour dissout l’identité des êtres et la Grande Politique revient à une généralisation du ludique comme le voit Deleuze : un univers de perspectives en rhizomes.Reste à aborder les grands thèmes de cette philosophie subversive.