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Histoire de la philosophie contemporaine


Auteur du livre: Jean-Michel Besnier

Éditeur: Grasset

Année de publication: 1993

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Comment les sciences interrogent-elles la philosophie 

Philosophie de la vie, phénoménologie, existentialisme résistent

Comment la politique s’impose aux philosophe

Chapitre 1 : La philosophie comme théorie de la connaissance

Si Hegel est le philosophe de la période moderne, Nietzsche est celui de la période contemporaine.  

Nietzsche développe des grands thèmes qu’il est nécessaire de résumer. Et d’abord la mythologie. Le mythe est essentiel à la vitalité créatrice d’une civilisation et lui confère son unité. Chez les grecs il y a Apollon et Dyonisos dont la lutte représente le principe de la volonté universelle dans son opposition au principe d’individuation (l’illimité face à la forme). Et la tragédie attique réalise l’équilibre d’un Etat dans une société en faisant place à un puissant sentiment d’unité qui ramène l’être au sein de la nature (chez le spectateur augmente la puissance de sentir et d’agir). Mais avec Socrate et Euripide la forme tue la vie. 

Comment offrir les ressources d’une regénération du rôle de Dyonisos (innocence du devenir) ? en créant une philosophie-rupture qui appuyée sur l’admiration des Présocratiques marque un irrespect total de la tradition (judéo-chrétienne). Le pouvoir nocif des historiens est l’objectif d’un second front de lutte. Leur sens historique désigne la faculté paradoxale qui permet aux hommes d’éprouver un enracinement mais au prix de la perte de toute aptitude au dépaysement. L’éducation de l’humanité exige que l’on aspire au lointain et qu’on s’ouvre à l’autre que soi ; il faut arracher la culture à la politique (la critique de l’idée de but est à faire). Nietzsche préfère Kant à Hegel qu’il ne comprend pas.

Cette philosophie tient une position apologétique en faveur de la force contre le nihilisme. Dans le culte des hommes d’exception, on cherche à puiser leur énergie précieuse (l’esprit guerrier est naturel). Vivre c’est rejeter loin de soi ce qui veut mourir car la vie est volonté de puissance ce qui n’est pas la banale volonté d’un pouvoir. Nietzsche aime les âmes aristocratiques…

Tout en pondérant par le souci de défendre l’esprit libre, soit Zarathoustra qui est difficile à comprendre. Avec la parabole du lion, du chameau et de l’enfant, on voit bien qu’il faut affronter le chaos que chacun est pour lui-même. La peur est mauvaise conseillère, il n’y a pas à reculer devant la dimension pulsionnelle de la vie car c’est la source de la volonté de puissance. La valeur décisive de l’acte est dans ce qu’il y a de non-intentionnel (ceci est contre la morale de l’intention). Il y a à passer outre de la morale.

Le relativisme de cette philosophie affirme qu’il n’y a pas de vérité, juste des interprétations lesquelles s’évaluent à leur effet sur la vitalité de l’individu (perspectivisme). Le monde est redevenu infini et l’infini des interprétations échappe au dualisme, au militantisme. Il y a juste des degrés dans les apparences avec comme balise l’harmonie (matrice des valeurs). Nietzsche est contre le libre-penseur car celui-ci engendre des pensées réactives et du ressentiment, une morale de troupeau.

Cette philosophie est indifférente à la chose politique et donc à la démocratie. Elle est a-téléologique offrant aux hommes un espace ouvert à l’aventure. Si le chameau prend sur son dos tous les fardeaux du monde, le lion prend le relais en opposant un « non sacré » à toute entrave faite à la liberté mais le chemin des métamorphoses doit aller jusqu’à l’enfant qui incarne l’innocence, la fraîcheur des nouveaux commencements et il n’a pas besoin de l’agressivité du lion. Le « oui sacré » de l’enfant c’est la jouissance de la vie.

Nietzsche a une pratique généalogique, il n’y a pas grand-chose que l’on puisse qualifier de vrai. Anti-humaniste, le surhomme est une promesse et en même temps un fatum : l’imminence de la mort de l’homme (c’est ça qui est à comprendre dans cette affirmation jugée scandaleuse de la mort de Dieu).

C’est à la Renaissance que se mettent en place les grands modèles destinés à orienter la réflexion philosophique sur les sciences. Le triomphe du savoir humain se veut égal au pouvoir créateur de la nature. Mais ensuite les philosophes des Lumières pensant que l’entendement humain peut arracher à la nature tous ses secrets, montrent une certaine perplexité quand la nature résiste à la connaissance faisant grandir une attitude nettement plus sceptique. À l’époque moderne, s’est dissout le lien ontologique entre l’esprit et l’objet et a surgi un lien épistémologique se centrant sur la méthode et la critique. Le problème commence à propos du cadre de la représentation : comment ce qui n’est pas moi (ce qui est en-soi) devient-il pour-moi ? comment nouer une alliance avec le monde par la connaissance ? ceci suppose que le monde se pose en extériorité par rapport à moi. 

L’analyse de la représentation distingue dans le sujet la sensibilité, l’imagination et l’entendement : la perception du réel ayant pris la forme d’un objet, celui-ci est saisi par le souvenir à partir de multiples fragments perçus, il est abstraitement reconstruit à partir de prédicats susceptibles d’être décelés dans d’autres objets (le semblable connait le semblable) et au bout du compte il y a une relation S – O. S’ouvrent 2 voies selon qu’on insiste sur tel ou tel pôle, le réalisme et l’idéalisme. 

Piaget envisagera la construction simultanée du sujet et de l’objet, une stricte synchronie entre l’émergence de structures logico-mathématiques du sujet épistémique et la mise en œuvre de schémas d’action s’appliquant à des objets de plus en plus élaborés. La phénoménologie et les sciences cognitives surgissent pour combattre l’opposition du réalisme et de l’idéalisme. 

Husserl défend l’idée que connaître c’est s’ouvrir au monde et lui permettre ainsi de se révéler. Le concept d’intentionnalité veut en finir avec la différence S – O car ils devraient se réconcilier dans la démarche cognitive. La conscience vise un mixte de passivité et activité où un objet devient possible pour un sujet si une intention anime la sensation pour qu’elle dure un certain temps. 

Chez Merleau-Ponty l’autopoÏèse conçoit une interaction circulaire entre l’organisme et son environnement, tous 2 strictement autonomes. La connaissance prétend qu’il est illusoire d’imaginer un monde prédéfini qui s’affrirait à la représentation car on ne sort jamais de l’interprétation. 

La connaissance c’est l’acte de faire émerger du sens à partir de facultés cognitives qui sont le résultat de l’historique de ce qui est vécu. Il y a une ligne de faîte des grandes options épistémologiques : rechercher des concepts unitaires susceptibles de réduire la complexité du réel à un modèle unique. Le physicalisme produit la thermodynamique et sa notion d’entropie, le biologisme dégage dans les sciences du vivant le rôle des protéines et des acides nucléiques pour rendre compte de la complexité du réel par le modèle de la théorie moléculaire du code génétique. La nécessité de lier les niveaux macro et microscopique appelle le paradigme d’une architecture où chaque étape fait émerger des propriétés nouvelles selon un modèle systémique. Ceci on le doit à Carnot, Jacques Monod, von Bertanlaffy.  L’univers est constitué d’ensembles d’éléments en interaction et des atomes aux sociétés organisées on a usage d’un même modèle pour cerner des réalités même non matérielles comme les langues. L’auto-organisation se comporte comme un système ouvert puisant énergie et matière dans l’environnement, on en vient à la cybernétique qui articule une logique d’imput avec une logique de clôture. (Ilia Prygogine). Puis arrive Rorty qui questionne le mind…

Bref la critique des sciences intéresse la philosophie (Ferdinand Alquié) sur la question des fondements du pouvoir de connaître. Il faut retravailler la notion de causalité. Pour Descartes le pouvoir des sciences est subordonné à une théorie du sujet connaissant et la recherche des causes. L’empirisme s’est demandé si il faut situer la cause explicative des phénomènes dans le sujet rationnel ou dans un sujet que l’objet imprimerait de sa marque. Il y a 4 affirmations concurrentes : la cause est synonyme de la raison, comprendre c’est retrouver sous un fait un processus dynamique, les états de l’âme ont la vertu de pouvoir causer ceux du corps et réciproquement, dieu crée le monde instant par instant. Si le point 1 est strictement logique, le point 2 rappelle l’imagination en appui du mécanisme de l’analogie. Quant au point 3 on perd les moyens de comprendre la relation cause/effet. Le point 4 est pire encore car le temps discontinu réclame Dieu pour garantir une création continuée. Locke et Hume initient un mouvement critique sceptique qui engendrera la pensée de Kant qui sort du socle de l’ontologie en usant du mot transcendantal. 

Longtemps on a cru dans la démarche inductive mais aujourd’hui Popper et Bachelard la critique. Et Feyerabend sort carrément de la rationalité scientifique. 

Comte ouvre l’âge positif. L’âge positif est celui des relations et de la loi. Ce philosophe surfe sur la vague de la Révolution pour aspirer à une régénération universelle : un changement de point de vue. Pour réorganiser la société , il faut un plan des travaux scientifiques nécessaires. La sociologie doit étayer ce que la biologie démontre. La loi des 3 états c’est la loi qui conditionne le progrès ininterrompu de l’esprit : il y a l’état théologique, métaphysique et positif. Chaque état a son mode d’investigation. Dans l’histoire il y a une tendance à réduire les principes explicatifs à l’unité. Mais même le développement individuel suit le principe de l’isomorphisme entre onto- et philogénèse, voire sociogenèse. Tout est relatif et pour l’observer il faut refuser la lignée de l’inductivisme d’Aristote. Il y a aujourd’hui à achever l’odyssée de l’esprit en résolvant le cercle vicieux de l’origine par l’usage de fictions (les grands récits) ; le passage par des phases de transition est tout aussi salutaire car il en ressort une méfiance des tentatives explicatives totalisantes.

De la loi des 3 états découle la classification des sciences. Le classement reflète les caractères propres déterminant l’esprit de chaque science en rapport avec la complexité des phénomènes. Mais en outre il y a à œuvrer pour la constitution d’un savoir de l’articulation des savoirs.  La philosophie y gagne un espace de compétence à condition d’être pédagogique. La rigueur déductive des mathématiques, l’observation en astronomie, l’hypothèse en physique, les nomenclatures en chimie, la classification des espèces en biologie, l’histoire en sociologie sont autant de méthodes marquées par l’état historiquement atteint au moment de leur émergence. 

La classification des sciences part du constat que tous les travaux humains sont de spéculation ou d’action et que les premiers renvoient à la philosophie théorique et les autres à la philosophie pratique. Dans les sciences théoriques il y a à distinguer entre les sciences abstraites dédiées aux relations entre les phénomènes et à la recherche des lois universelles et les sciences concrètes consacrées au spécial. On passe de l’ordre dogmatique à l’histoire pour arriver à l’étude de l’homme ; on passe des corps bruts (simples) aux corps organisés (compliqués). Ces derniers sont tributaires des lois générales de la nature et intriqués dans le réseau de leurs relations avec le milieu.

Dans le système des politiques positives, il y a 5 disciplines s’échelonnant du plus indifférent à l’homme jusqu’au plus proche de lui… mais Comte n’arrive pas au bout. Il est trop critique pour l’establishment scientifique et trop scientifique pour les philosophes. Ainsi il reproche à la psychologie de situer le miroir de l’esprit dans la conscience au lieu de dire que c’est la société qui permet de se connaître soi-même (rien de pire pour un point de vue individuel). Ainsi il remettra à sa place les mathématiques comme simples instruments vu que le langage du cerveau n’est pas le langage mathématique. Ce n’est que maintenant qu’on découvre chez lui des idées porteuses pour la neuro-biologie du système nerveux central…

John Stuart Mill s’interroge sur ce qui constitue le dénominateur commun à toute recherche scientifique. Il y a à reléguer les maths au second plan et parier sur l’induction : une méthode qui prête à la science la vertu de se construire à partir d’énoncés singuliers qui résultent d’observations répétées et qui finissent par acquérir la qualité d’énoncés généraux puis universels, en générant des lois et des théories. Le nombre élevé des observations, leur constance, leur persistance dans des conditions variées paraissent garantir la vérité du principe général. L’un des intérêts de l’analyse de l’induction concerne la question de son fondement. Le recours à l’induction présuppose une conception de la nature comme homogène. Il y a là une ontologie sous-jacente.

Mais conformément au principe de l’induction qu’elle est censée légitimer, il faudrait admettre qu’elle n’est, elle-même, rien d’autre que le produit de généralisations inductives et en ce sens dérivée de ce qu’elle devrait fonder. Pour éviter ce cercle vicieux, il faut expliciter le principe qui fonde le recours à l’induction comme une sorte de requisit tacite, en tant que tel inargumentable et inexpérimentable. L’induction «  Pierre, Jacques et Jean sont mortels, donc tout homme est mortel » peut être transformée en un syllogisme, mettant en tête comme prémisse majeure que ce qui est vrai de Pierre Jacques et Jean est vrai de tout homme. Mais d’où vient cette majeure ? il y a à établir le syllogisme selon une seule construction possible : la preuve réelle que ce qui est vrai d’untel est vrai de tous consiste dans le fait qu’une supposition différente serait inconciliable avec l’uniformité connue du cours de la nature. Ceci dit, le sens commun sait que l’attente de la régularité des phénomènes naturels est souvent trompée…bref nos inductions sont relatives à l’état de notre savoir. 

La méthode proposée par le système se présente comme une épistémologie construite sur la notion de cause, laquelle est le juste pendant de l’idée sous-jacente à l’induction selon laquelle tout phénomène obéit à une loi. Ce n’est que par l’expérience qu’on peut identifier la cause recherchée. La stratégie est cependant de limiter autant que possible les généralisations trop étendues ; il faut multiplier les points de vue. Rejoignant Auguste Comte, Mill reconnait que l’induction a besoin de la déduction. 

Ensuite le système procède à l’inventaire systématique des procédés inductifs : méthode par élimination, par concordance, par différence, méthode des variations moins concomitantes, méthode des résidus… ceci mettra au travail Frege et le Cercle de Vienne. Si l’on procède par induction, c’est en vertu de théorêmes arithmétiques qui eux sont a priori !

La dernière partie du système dégage une politique scientifiquement fondée débouchant sur un « art of life » qui résulte de l’unité de la morale, de la politique et de l’esthétique. Défenseur de l’individu contre l’Etat mais aussi opposé au principe utilitariste, Mill en appelle à une éducation qui sauvegarde le pluralisme et l’éthique de la discussion. 

Russell cherche à dégager la réflexion des ornières que lui creuse le langage en passant par la philosophie analytique, l’analyse logique des significations. L’idée vient de Frege : que veut dire ? … du coup il y a 2 domaines dans le travail de Russell, la théorie des descriptions et la théorie des types logiques. Quelles raisons peut-on bien avoir de croire dans la vérité des mathématiques ? Dans quelle mesure est-il possible de réduire les propositions mathématiques à celles de la logique ?  Cela entraîne 2 exigences : une méthode pour définir les nombres naturels en termes de classes, et la nécessité d’un système logique assez riche pour permettre de déduire toutes les propositions de l’arithmétique. C’est pas gagné d’avance, loin de là. 

La philosophie analytique argumente par de grands exemples. La théorie des descriptions a une thèse réaliste sur la signification en arrière-plan : chaque élément signifiant du langage représente quelque chose de réel de sorte que le sens d’une expression est simplement l’entité qu’elle représente, et qu’il se confond avec le référent. Exemple : l’actuel roi de France est chauve : est ce vrai, faux ou hors sens ? la réponse passe par la négation de cette affirmation : l’actuel roi de France n’est pas chauve. Autrement dit, il est faux que l’actuel roi de France soit chauve ? eh bien ceci est ambigü. Pour lever l’ambigüité, Russell prône la solution qui revient à transformer le sujet de la proposition : il y a un x tel que x règne sur la France, tel que, pour tout y , si y règne sur la France actuellement, y est identique à x de telle sorte que x soit chauve. Il y a disparition de l’ambigüité quand le sujet de remplacement est un sujet logique satisfaisant le quantificateur existentiel. Le cœur de la théorie de la description est qu’une expression peut contribuer au sens d’une phrase sans posséder aucun sens quand elle est seule. 

D’où la théorie des types logiques. L’emploi des noms et des phrases descriptives (expressions dénotatives) est insuffisant pour véhiculer le sens. Exemple : soit w la classe de toutes les classes qui ne sont pas membres d’elles-mêmes, est-ce que w est membre d’elle-même ? on dira devant le cercle vicieux qu’une fonction propositionnelle (= une fonction prédicative dotée d’un sujet quelconque) reste indéterminée tant qu’on n’a pas spécifié le domaine des objets susceptibles de la satisfaire. Les objets appartenant à un même ordre constituent un type et la règle sera que ce qu’on peut exprimer à propos d’un type ne pourra pas l’être à propos de ceux d’un autre type.   

On peut distinguer entre les propositions qui se réfèrent à une totalité quelconque de propositions et celles qui ne le font pas. Celles qui se réfèrent à une totalité quelconque de propositions ne peuvent jamais être membres de cette totalité. On parle de propositions de premier ordre comme celles qui ne se réfèrent à aucune totalité de proposition et les propositions de second ordre celles qui se réfèrent à des totalités de propositions de premier ordre.  Le menteur dira : tout ce que j’affirme est faux, ce qui revient à dire : j’affirme une proposition d’un ordre qui est fausse. Mais cette proposition est une proposition de second ordre et donc il n’affirme pas une proposition de premier ordre. Le paradoxe tombe. 

L’œuvre de Russell est polémique et il n’est pas commode. Il se met beaucoup de monde à dos.

Wittgenstein vit 2 périodes. 

La première est celle du « Tractatus ». Le monde est la totalité des faits c’est-à-dire un état des choses, soit ce qui relie des objets simples et s’exprime dans des propositions élémentaires indépendantes logiquement les unes des autres. La signification d’une phrase est subordonnée à la vérité/fausseté de la proposition élémentaire ou au dosage + ou – V/F des propositions qu’elle organise. Pour l’évaluer on utilise les tables de vérité : la proposition composée est dite fonction de vérité des propositions élémentaires qui sont des combinaisons de noms se référant à des objets et qui correspond à un état complexe de la réalité. De là il y a 2 calamités selon qu’on affirme une contradiction ou une tautologie. Les propositions vraies de la logique comme les propositions mathématiques, sont toutes des tautologies ! En effet les constantes logiques sont dépourvues  de référent. Tautologies et identités mathématiques  permettent les raisonnements déductifs mais ne disent rien sur le monde. 

Mais une proposition vraie telle que celles de la science de la nature est le tableau d’un état possible des choses, elle montre par lui comment les objets s’arrangent dans l’état des choses qu’elle dépeint ; elle est fausse  quand elle montre comment ces objets ne s’arrangent pas. Le tableau lui-même est un fait et il partage la forme de représentation et la forme logique, avec ce qu’il représente. S’il échoue à dépeindre un état de choses possible simple ou complexe, il est dépourvu de sens. Ainsi les assertions métaphysiques ne représentent rien ! elles sont privées de sens !

À tout prendre la philosophie ne s’occupe que de la classification de la pensée, elle élucide grâce à elle les propositions qui s’éclaircissent. Les pensées sont délimitées rigoureusement. Cela a l’intérêt de promouvoir  une éthique de la rigueur. 

L’éthique est transcendantale. C’est le tout de l’exprimé qui manifeste l’indicible, le sens du monde se trouve hors du monde. Ici pointe l’élément mystique. 

La deuxième période est celle des « Recherches philosophiques ». Il y a nécessité d’épouser les formes de vie dont notre langage est la traduction. Il faut affronter les imperfections du langage ordinaire, la signification consiste dans l’usage. Il y a à dissoudre l’obsession de la référence. Il y a d’innombrables manières de faire usage d’un mot sans que la signification en doive disparaître. Le sens n’est plus assujetti à la seule description d’une réalité, il n’est plus réservé aux seuls énoncés des sciences de la nature dont on aura pu établir qu’ils sont des fonctions de vérité de propositions élémentaires. Il y a 2 attitudes : 1) les mots veulent dire exactement ce qu’ils disent en fait, 2) ils veulent dire ce que l’on veut leur faire dire. Les mots veulent dire  parce qu’ils font partie d’un langage et celui-ci d’une forme-de-vie. 

Cela en vient aux jeux de langage. Le sens sera toujours relatif à une façon de parler, il n’est pas d’autre façon de comprendre que d’étudier les différents contextes dans lesquels ils peuvent s’inscrire et qui dictent des règles d’usage. De plus la notion de jeu connote la diversification des règles et procédures  qui conditionne la signification ; c’est la fin de l’idéal de complétude. La philosophie devient une thérapeutique destinée à démêler les grammaires. Exemple dans l’étude de la signification des phrases françaises : à propos du coucher de soleil : un lecteur moyen dira qu’en vacances chaque soir de beau temps : je contemple le coucher du soleil ; le petit prince dira que un jour j’ai vu le soleil se coucher 43 x ; et Newton dira : jamais le soleil ne se couche. Voilà 3 jeux de langage hétérogènes renvoyant à 3 réalités différentes trahissant 3 comportements différents face au monde, soit 3 grammaires réglant des jeux réaliste, poétique et scientifique (en astrophysique). Et il ne faut pas qu’il y ait confusion entre elles.

Le cercle de Vienne définit la philosophie comme une série d’actes par lesquels la signification des énoncés est déterminée, la réflexion se doit d’être engagée. 

Carnap prône un empirisme logique, il n’y a pas de connaissance synthétique a priori. « Le concept scientifique du monde » sert de manifeste et s’inscrit dans le fil des Hume, Berkeley et Wittgenstein. Masaryk apporte une autre influence dans le contexte de l’indépendance tchécoslovaque sur fond d’un engagement socialiste. 

En épistémologie, Ernst Mach s’attache à comprendre les ressorts principaux de la construction de la science : observations, formulation de lois, nature des explications et principes de sa mécanique. Sa thèse est que la certitude résulte uniquement de l’observation et in fine des sensations. Il faut toujours préférer l’évidence  à la systématisation et admettre qu’expliquer n’est jamais que décrire en simplifiant. On est dans la logique inductive dans un retour à la période classique anti-métaphysique. Sensible à la critique de Berkeley, il n’y a pas d’objet derrière nos sensations, on ne peut identifier que des relations fonctionnelles entre des événements physiques en corrélation. Les corps sont des complexes de sensations et ce qu’il faut expliciter c’est la perception. La base de toute connaissance est l’intuition sous ses 2 formes : comme image sensible avec les représentations intuitives, image potentielle avec les concepts. La logique ne s’occupe que de concordances et de contradictions et elle ne peut entrer en jeu que si des choses antérieurement connues sont perçues ou représentées.

Franz Brentano questionne d’où vient que notre langage puisse engendrer des fictions ? cette production de représentations vides  s’explique en invoquant le fonctionnement autonome du sujet. Et on en vient à l’intentionnalité. Soit le rapport qu’établit la conscience avec un objet conçu en termes de pure attente de réalisation et d’anticipation pouvant se réaliser ou pas, ceci justifie qu’on puisse se passer de la référence à un réel constitué.

Le Manifeste est sorti à une époque où des voix ont dénoncé des dérapages excessifs et se raccroche à l’usage de la logique du signifiant. Pour Carnap le sens d’un énoncé est la méthode de sa vérification. Il insiste sur la notion de constitution.

Moritz Schlick s’effraye de la montée de l’obscurantisme métaphysique et religieux. 

Max Planck cherche à dégager la signification de la théorie de la relativité d’Einstein. Finalement le cercle de Vienne rasemble des scientifiques de différentes disciplines. Et échafaude une méthode de communication autour du Tractatus basée sur le commun consentement à l’adage « ce qui se laisse dire, le fait clairement …et le reste il faut le taire ». Les énoncés se laissent transformer en énoncés empiriques justiciables de la science empirique ou pas. Il y a 2 espèces d’énoncés : les formules affirmées  de la science empirique ont leur sens dégagé depuis l’analyse logique c’est-à-dire par le retour aux énoncés les plus simples portant sur le donné empirique ; les autres énoncés sont dits métaphysiques et sont donc vides de sens. Nuance : ce qui serait au-delà de l’affirmation d’un fait empirique ne saurait être énoncé, pensé, ni questionné car seulement imaginaire mais il est indéniable qu’existent d’une part les jugements d’expérience mais aussi d’autre part les jugements de la logique et de la mathématique dont on ne dira pas qu’ils sont a priori mais seulement analytiques (c’est-à-dire sans objet propre). On est loin de Mill, le cercle a une conception tautologique de la mathématique.

Anti-a-priorisme et phénoménisme déterminent une attitude qui se détermine de tout questionnement sur la réalité ou non-réalité du monde extérieur. La seule définition de la réalité qu’on doive retenir échappe à la métaphysique. La science unitaire est possible au-delà des tautologies mais en énoncés sur le réel à condition que l’analyse logique les contrôle grâce à la réduction de tout énoncé scientifique à un énoncé sur le donné lequel sera dit de base ou protocolaire ; d’autre part grâce à la réduction des concepts relevant de toutes les disciplines à des concepts qui se rapprochent le plus possible du donné lui-même. Voilà la méthode qui satisfera le projet de Constitution.

Popper critique le cercle de Vienne. Car il n’a rien dit par rapport à l’induction. Existe-t-il un critère permettant d’établir la nature ou le statut scientifique d’une théorie ? en fait 3 théories ont arraché le penseur de son confort. La théorie de l’histoire chez Marx, la psychanalyse de Freud et la psychologie individuelle d’Adler. Le statut protégé des « sciences » marxiste et freudienne est le signe d’un manque radical de tenue devant le risque d’être invalidé. La recherche de la vérification des théories n’est pas la voie appropriée pour établir leur scientificité ; en fait une théorie qui explique tout n’explique rien. Toute théorie qui prétend  être une science entre dans une conjecture où l’on doit chercher à la prendre en défaut. Le degré de falsification potentielle est le critère de la richesse d’une théorie. Il y a gain à multiplier les hypothèses concurrentes en évitant le conventionnalisme qui consiste à proposer des hypothèses ad hoc quand la théorie a été mise en échec par l’observation. Nous procédons par essais et erreurs.

La définition du travail de la science devient : avancer des thèses, d’autres énoncés et finalement appliquer dans l’expérience, falsifier, poursuivre le projet de découvrir au moins un énoncé d’observation qui contredise la proposition falsifiable. Métaphysiquement on est partisan de l’indéterminisme. Il est extrêmement douteux que le monde soit Un et une connaissance est objective quand elle peut être justifiée indépendemment du caprice de quiconque et si elle peut être contrôlée par n’importe qui d’où la nécessité d’une intersubjectivité de la communauté scientifique.

Bachelard est influencé par Auguste Comte. Il faut introduire une épistémologie nouvelle de l’ambigüité car il faut renvoyer l’empirisme et le rationalisme dos à dos. On ne peut s’attacher à la démarche inductive, on ne peut soutenir que la science vérifie le sens commun (les cadres formels de notre faculté de connaître). Bachelard utilise un lexique qui renvoie au cartésianisme mais aussi à l’enseignement de Hume (l’évidence première n’est pas une vérité fondamentale). Si on regarde les avancées de cette époque, l’initiative est bel et bien du côté de l’esprit qui invente des hypothèses et prend des risques dans ses constructions rationnelles. Ceci dit il reste attaché aux mathématiques comme au véritable moteur de la science. Il finit par réhabiliter l’induction car elle invente là où la déduction ne fait que confirmer. Et puis finalement il est anti-cartésien ; il généralise non pas à partir de l’observation mais en s’appliquant à étendre les concepts, à prolonger ce que la déduction voudrait stabiliser. Un système intégralement déductif est illusoire, l’esprit a une structure variable dès lors que la connaissance a une histoire. Scientifiquement on pense le vrai comme rectification historique d’une longue erreur.Bachelard parle d’obstacle épistémologique. L’esprit se trompe parce qu’il cède toujours aux préjugés de son âge. Toute connaissance  scientifique est une construction, rien ne nous est pleinement et définitivement donné, pas même nous-mêmes à nous-mêmes. La science contemporaine manifeste que nous sommes entrés dans l’ère des techniques indirectes de détermination du réel. Entre l’observateur et l’objet à observer, il y a …le stétoscope. Dans une phénoménologie technique, la conduite rationnaliste est la seule qui vaille. Le fil de tungstène ne brûle pas s’il veut éclairer longtemps, et ce en raison de sa longueur et sa finesse qui augmentent sa résistance, le réalisme est défait parce qu’il s’éclairait à la bougie ! Il établit pour les philosophes un tableau des positions où il faut éviter les extrêmes : 1) formalisme – conventionnalisme = idéalisme ; 2) positivisme – empirisme = réalisme. Au centre on voit se rejoindre l’apport des 2 axes dans un rationnalisme appliqué (ou technique). Il en appelle à une philosophie du concept et non plus à une philosophie du sujet. Mais il ne voit pas venir le renouveau de la logique.

Chapitre 2 : la philosophie des sciences et les crises de la raison : Lakatos, Kuhn, Feyerabend, Rorty

La philosophie des sciences est préoccupée dans les domaines de l’objectivité, du déterminisme et de l’éthique. Le démon de Laplace est resservi pour rappeler aux sciences leurs idéaux. Mais les instigateurs de ce mouvement créent des effets collatéraux ravageurs sur la communauté scientifique : par rapport au référentiel de vérité (les paradigmes sont multiples mais chacuns fonctionnent dans un monde parallèle), par la dérive déconstructiviste US (avec le pragmatisme) qui finira par émerger sur les ruines de la pensée européenne livrée à l’anarchisme.

On devra reparler de ça en toute conclusion. Qu’a dit Einstein ? le relativisme est apparemment l’effet numéro 1 de la relativité mais c’est beaucoup plus profond. La notion de relation ou de grammaire revisite les questions métaphysiques comme le sujet, l’objet, la matière, la vérité, le sens, le savoir, le marxisme, le darwinisme, le freudisme.  Un raz de marée incontrôlable se développe à l’ombre de cette double sentence : soit : une propriété d’objet (un mouvement dépendant de la gravitation) peut devenir un objet (un trou noir n’est que de la gravitation sans mouvement), soit : 2 systèmes séparés après avoir été mis en interaction ne permettent pas la connaissance du système total dont ils proviennent (parce qu’ils n’y occupent plus une place définie définitivement et parce qu’ils n’occupent plus ensemble un même lieu et un même temps), voilà  2 x la révolution introduite dans les sciences jusqu’ici cadrées par Newton.Nous ne résumons pas les développements de Kuhn, Lakatos et Rorty. Parce que nous considérons que l’intérêt d’un résumé est de rendre sensible la pensée de l’auteur du livre, ici Jean-Michel Besnier.

Chapitre 3 : de Einstein à Bergson

Marqué par Einstein qu’il va rencontrer, Bergson est d’abord de la famille d’Hegel. Avec Schelling il parle de double jeu alternant détente (déploiement de la matière) et contraction (retour à l’Esprit). Il va même rechercher le Philèbe de Platon pour articuler des tendances opposées. En quoi la relativité va le travailler en profondeur, cela intéresse énormément René Thom (topologie et catastrophes), Jacques Monod, Ilya Prygogine. Bergson requestionne le temps depuis la tradition en se laissant pénétrer par la nouveauté récente de la relativité et il a la révélation majeure concernant le temps dans les sciences classiques que là le temps ne dure pas.

Il y a un travail de relance des sciences et de la métaphysique à condition qu’elles prennent la mesure d’un vice commun, soit la spatialisation du temps. Bergson développe du coup une spéculation par rapport à la vie et pousse à connaître le réel sans désespérer de l’absolu. Entre l’âme close et l’âme ouverte, il y a l’âme qui s’ouvre. Le cœur d’une philosophie c’est son intuition. Sa doctrine va faire la représentation d’une multiplicité de pénétration réciproque totalement différente d’une multiplicité numérique : en faveur de la représentation d’une durée hétérogène, qualitative, créatrice. Il va être amené à travailler à partir de la réalité du temps qui lui est donné dans la conscience. La durée est une différence en soi. Il faut élever la différence à l’absolu en portant intérêt à la vie intérieure comme premier champ d’expérience. 

Par contre et en contrepoint, en science, il trouve la rigueur tout en se refusant aux habitudes de langage liées à un fonctionnement de l’entendement qui ne sait appréhender le mouvement que comme la succession de portions discontinues. Il y a gain à s’intéresser au flux et à la continuité des transitions. Il faut réhabiliter la réalité du temps vécu : création continuelle, jaillissement ininterrompu de nouveautés, manifestation de l’action libre. Il faut s’élever à une conception qui révèle la durée comme interpénétration de phases continues dans une espèce de croissance intérieure nourrie à des possibilités perpétuellement ouvertes. Comment apercevoir dans les réalités présentes les possibilités qu’elles furent ? par une bascule des regards. La conscience est à éduquer pour qu’elle comprenne à nouveau, tout en restant ce qu’elle est, qu’elle recueille un nombre indéfiniment croissant d’éléments à mesure qu’apparaissent dans le monde des nouveaux points de vue d’où réenvisager le réel. On peut dire que Bergson conçoit la philosophie comme manière d’apprendre à regarder en face le réel. Il pense qu’à terme nous devrions pouvoir atteindre les choses telles qu’elles sont en soi, par un contact direct avec la réalité. À terme ! 

Il y a entre la métaphysique et la science une frontière commune et il y a sur beaucoup de points matière à vérification. La science a à assumer les paradoxes de ses découvertes et la métaphysique doit prendre la mesure du réaménagement des critères de rationalité réclamés dans ce dialogue. Parler des rapports de l’âme et du corps, il le fait avec Broca et Wernicke (aphasies et localisations cérébrales). Pas question de dire que cérébral = mental, pas question de dire qu’on peut voir dans le cerveau ce qu’on pense dans la conscience, dans le for intérieur. On a un positionnement contre le déterminisme et en faveur de la liberté. Il évolue par rapport au début, par rapport à Schelling ; il n’y a pas à chercher l’unité systématique du monde, il n’a pas l’idée de la vérité comme obtenue par la déduction. Il en vient à souligner l’importance de l’art.L’artiste  a pour vertu de s’élever à la réalité authentique qui n’est jamais donnée dans la simple perception. La vie est au principe de la production des formes envisagées par une connaissance dont on peut dire qu’elle est faite d’inspiration et création ouverte aux possibles et à l’imprévisible. L’intuition c’est la conscience, la métaphysique est supérieure à la science. Retournement ! pas sûr parce que Einstein est peut être génial mais il ne sait pas tout et jusqu’à présent la physique quantique ne colle pas… et lui résiste. D’où la pertinence d’une position d’interpellation. Et il se trouve que la durée va donner de la consistance à la philosophie de Bergson et pas seulement en dehors de la philosophie des sciences.

Chapitre 4 : de Kant à Husserl

Husserl rève d’ériger la philosophie en science rigoureuse et pour cela il met le monde entre parenthèses. Décisif pour sa formation sont les cours de Brentano. L’ennemi c’est le psychologisme qui vient de Mill et qui a été mis à jour par Wundt. Ils pensaient que les fondements théoriques sont à chercher dans la psychologie en laquelle les propositions de la logique trouvent leur physionomie caractéristique : la pensée et le jugement obéissent à la nature particulière de notre esprit. Pour se démarquer il distinguera la question de fait de la question de droit. Husserl refuse de croire qu’on peut épuiser par l’analyse de ses éléments constituants le sens d’une notion. Le sens requiert une démarche fondative qui appelle l’évaluation des facultés du sujet connaissant ainsi que la genèse des notions qu’il se forme. C’est dans une évidence immédiate que sont données les formations logiques et leurs formes générales. La seconde étape est une réflexion thématique sur cette évidence. Il n’est pas concevable de prétendre que l’objet de la logique dépende de quelque contenu de la conscience ; cet objet est quelque chose en général identiquement déterminable malgré la multiplicité des visées psychologiques. La logique vise la forme vide des objets et c’est ça qui lui permet d’édicter des lois.

Dans 5 conférences de Göttingen, il s’agit de montrer la place de la phénoménologie par rapport aux sciences naturelles. La méthode consiste à partir du vécu intellectuel par lequel quelque chose m’est donné et en faire l’objet d’une vue et de là se trouve circonscrite une sphère de présence absolue, d’évidence immédiate. 

Comment puis-je dépasser cette sphère,  comment une connaissance transcendantale est-elle possible ? La réduction phénoménologique le permet : à tout vécu psychique correspond un phénomène pur qui révèle son essence immanente (prise individuellement) comme une donnée absolue. L’intentionnalité justifie le caractère propre à ce phénomène pur qui a la vertu de se rapporter à un être objectif, sans qu’il faille en rien préjuger l’existence ou la non existence de cet être. Pour être connu, l’objet doit posséder une matière (hylè). Cette matière (les sensations) doit être informée par l’acte de viser, la noèse ; du côté de l’objet informé on parle de noème, référent transcendant qui désigne l’aspect sous lequel est intentionné l’objet visé par la conscience. À côté de la conscience, on a donc les notions de sens et d’objet. Être dirigé c’est avoir un noème, l’esprit renvoie à des objets selon des modalités multiples et le noème remplit la fonction de référence, description et synthèse. 

Si la phénoménologie qui prétend se définir comme science exclut la transcendance, où va-t-elle trouver l’objectivité ? dans l’expérience d’un vécu singulier mais aussi des généralités, des objets généraux et des états de choses généraux qui peuvent ici parvenir à l’absolue présence-en-personne. Mais comment le général peut-il être de la sorte donné sur la base du seul objet singulier offert à la réduction phénoménologique ? en invoquant l’intention de la couleur rouge dont je retranche tout élément transcendant (le rouge du buvard sur ma table) afin d’accomplir de façon purement intuitive le sens de la pensée : rouge en général, l’universel identique que la vue tire de ceci ou cela. De cela qu’on sait que les vécus cognitifs possèdent par essence une intention, on conclura à la possibilité d’avoir une vive intuition du rouge mais aussi à celle d’y penser seulement par une intention symbolique vide. On saisit que ce qui est commun à tous les vécus cognitifs consiste bien dans le sens et uniquement en lui. 

L’objet se donne dans le temps. Le temps est le secret même de la subjectivité, l’expression de la liberté elle-même qu’exprime l’autoposition du sujet intentionnel. L’irréductible qui s’atteint va consister dans le moi opérant mais pas seulement : aussi dans la totalité formée par l’Ego et par le monde environnant dont l’analyse de la perception donne la clé.

Desanti montre que la perception est porteuse d’un souvenir primaire, d’une rétention. Mais elle mobilise aussi l’imagination et le re-souvenir. C’est par là que l’objet peut devenir général.

Paul Ricoeur accentue l’analyse de l’intersubjectivité en approfondissant la notion de contact et surtout de double contact. Entre deux pour l’interprétation.

Levinas se centre sur le problème de la présence, sur le premier jaillissement de l’esprit où à la fois il se pose et se possède, où il est libre.

Merleau-Ponty atteste la co-présence du corps et du monde comme condition de toute connaissance. Le corps se surprend lui-même, il cherche une sorte de réflexion en quoi il se distingue des objets. Il y a à faire place à l’intropathie, l’identique d’un divers d’apparitions et d’états qui s’unissent sous forme de dispositions, comme une objectivité intersubjective (l’autre premier en soi est l’autre moi). 

De Waelhens n’est pas loin. Car Husserl questionne à la fin un au-delà de l’histoire où jouent les rapports à la culture et au langage… que le sens suppose.

Dilthey parle de compréhension mais plus d’explication.Derrida amène la notion de différance et de trace pour sortir par un pas d’écart hors de la philosophie et de la métaphysique vers la littérature.

Chapitre 5 : Heidegger fait bande à part

Heidegger relit Leibniz : pourquoi y a-t-il de l’étant plutôt que rien ? faisant la différence entre être et étant. Ceci implique que l’on définisse l’être comme rien, un rien d’étant et cela implique que la différence ontologique devient pièce maîtresse sous la forme de la différence entre l’être et le temps. Le temps s’impose comme central parce qu’il se révèle lui-même comme n’étant pas ceci ou cela et néanmoins comme corrélatif de tout effort pour déterminer ce qui est. L’être humain est lui-même le temps car c’est seulement comme temps qu’il peut connaître et se comprendre. 

Il développe sa pensée par une première enquête sur celui pour qui se pose la question, cet étant singulier pour qui il y a de l’être dans l’horizon du temps (le dasein). Il convient d’envisager l’homme non pas en dehors de l’étant mais comme conscience transcendantale constitutive et comme étant parmi les étants, c’est-à-dire comme existence facticielle. Le dasein est cet étant qui a la possibilité de révéler l’être de l’étant et qui possède en cela une précompréhension ontologique. Et en même temps c’est comme jeté au milieu de l’étant qu’il accomplit librement une percée toujours historique et contingente.

Il faut arriver à prouver que l’interprétation du dasein est la manifestation du sens même de l’être. Comprendre la temporalité du dasein, c’est à faire par l’impact de l’angoisse, du souci et de la déréliction. Ces vécus révèlent l’homme dans sa quotidienneté moyenne telle qu’il échappe à la simple étantité des choses pour s’éprouver comme être-pour-la-mort. Le temps se trouve être à la fois au fondement de l’être qui fait l’objet du questionnement et à celui de l’homme qui est le sujet de ce questionner. L’analytique existentiale identifie les différentes manières d’être (les existentiaux) propres au dasein.  L’analyse dégage l’existentialité (faite pour des projets), la facticité (dans une posture inauthentique) et l’être déchu (déchiré dans le souci). En fuite devant lui-même et prompt à s’immerger dans le monde, le dasein s’ouvre en effet au monde dans l’angoisse qui le ferme à lui-même. Mais le projette vers des possibilités à actualiser. Latéralement cette angoisse a l’effet de lui révéler sa liberté. La mort n’offre aucun aboutissement réalisable et c’est dans cette ineffectivité que la possibilité se dévoile vers une certaine vérité : le dasein est projet, en devenir le dasein est pouvoir-être. La mort est le gage de la transparence de l’homme à l’égard de sa propre existence, occasion d’assumer l’existant du fait qu’il est, il a à s’y résoudre. « Etre et temps » s’appuie mal sur Kant car oublie la dimension pratique.

« De l’essence de la vérité » justifie  son échec en disant que la langue métaphysique ne se prête pas à son projet. L’air de dire qu’en philosophie il n’y a pas d’issue car on ne peut sortir de son langage. Heidegger glisse vers un intérêt pour la poésie Le renversement (khèré, l’emploi d’un lexique grec n’est pas fortuit) est le passage d’un plan où il n’y a que l’homme à celui où il y va essentiellement de l’être. Car ce n’est pas par la volonté que l’on peut sortir de l’oubli de l’être. L’être ne peut se donner entièrement dans la présence, d’où l’importance du silence, sur fond de l’Éclaircie, Luminosité jaillissant dans le recueillement de l’orée. Heidegger en vient à une pensée de la vérité (voilée) qui sera le fondement à partir duquel peuvent être pensées la saisie authentique de l’être et du temps. Le dasein n’est pas seulement sujet interprétant mais c’est en tant que c’est en lui et en lui seulement que se dévoile le sens de l’être. Le dasein est inévitablement dans le temps celui à qui l’être se donne et comme celui qui produit la métaphysique de son oubli. L’homme n’est plus souci numéro un, il séjourne dans l’ouverture de l’être, l’homme a perdu l’initiative. Désormais il n’y a plus que la méditation, on ne peut pas ne pas se dire que ce renversement est une esquive du problème de l’engagement. Qui va donner place à un questionnement de la technique. La technique c’est le prolongement de la métaphysique dont elle ne fait qu’exaspérer les effets d’occultation. Ici de nouveau l’histoire de l’être nous laisse désarmés car il n’ y a plus à avoir une vision morale du monde. L’homme subit le contrôle, la demande et l’injonction d’une puissance qui se manifeste dans l’essence de la technique et qu’il ne domine pas lui-même. Reste donc le laisser-être, ce qui est bien la fin de la philosophie. Seul un dieu peut encore nous sauver. Et dans l’autre sens l’homme est l’abri dont l’être aurait lui-même besoin pour échapper à la détresse. Ces dernières lignes donnent un drôle d’écho si on les rapproche du projet nazi : la régénération de l’Allemagne comme la nouvelle Grèce a besoin d’un leader éclairé et dans l’autre sens Hitler a besoin de toutes les forces de la nation pour réaliser son déploiement à l’échelle du monde. Hölderlin et Wagner dans l’art mais aussi la philosophie de Nietzsche (qui traverse la période de façon fulgurante) peuvent transfigurer ce mouvement appuyé par l’Université (discours du Rectorat). Et ce toujours sans engagement car c’est tout juste si après la guerre Heidegger reconnaitra son erreur, continuant sans cesse à se justifier, sans jamais présenter des excuses où il reconnaitrait une responsabilité.

Chapitre 6 : la charnière entre la phénoménologie et l’action politique

Sartre écrit d’abord pour le théâtre (la Nausée), son théâtre est théâtre de la liberté car il y montre comment un caractère est en train de se faire. Le théâtre isole les situations limites, c’est un théâtre de situation : Oreste est meurtrier mais il va inventer son chemin de salut. Un acte n’est jamais plus qu’un simple geste tant qu’il demeure captif du regard de l’autre auquel il désire en imposer. Le théâtre donne consistance au diagnostic de mauvaise foi qui frappe l’homme dès lors qu’il se vit déchiré entre sa facticité (l’être-là) et sa transcendance (la conscience d’être toujours à distance de soi-même). Le théâtre c’est le mythe de l’acteur qui finalement n’est personne (Roquentin a compris qu’il n’y a de réalité que mimée ; c’est un imposteur qui révèle l’imposture). Renonçant à vivre dans le regard de l’autre il accède à l’être-pour-soi.  

On peut résumer « l’être et le néant ». 

On y part du fait brut de l’existence caractérisé par l’absurdité. L’issue pour l’homme est de s’éprouver comme conscience à l’origine de toute signification et d’assumer les projets qui orientent la perception de ce monde. Cette indéfinition radicale enclanche de l’angoisse : l’homme déploie souvent ses efforts pour se faire passer pour une chose parmi les choses. L’intentionnalité sartrienne désigne le monde comme dehors irréductible et la conscience comme ce qui résiste à se dissoudre en lui. Entre le monde et la conscience il n’y a rien et ce rien est intraversable. Je ne suis pas ce monde, pas plus que je ne suis mon passé ou mon avenir proposé de façon déterminée ; j’ai à l’être sans pouvoir jamais l’être effectivement puisque en tant que conscience je ne suis que ce refus qui fait apparaitre le monde comme monde et moi-même comme situation déterminée, comme surgissant au milieu du monde. Tout est dehors jusqu’à nous-mêmes.

2 types sont campés. L’être en soi qui est opaque à lui-même, parce qu’il est rempli de lui-même, il s’impose à la conscience comme de trop. L’être pour soi qui est ce qu’il n’est pas  et n’est pas ce qu’il est, qui a à être ce qu’il est, il caractérise la conscience humaine. Le drame de l’homme c’est de désirer rabattre l’être pour soi sur l’être en soi et ainsi se donner la consistance d’une chose. Il y a le caractère inéluctable de la liberté : l’homme échappe à lui-même quand il s’efforce de fonder sa liberté sur autre chose qu’elle-même et il le fait chaque fois qu’il s’aveugle sur les possibles qui s’ouvrent à lui. Jeté dans le monde l’homme est prié d’assumer ce qu’il n’a pas voulu. La fuite dans l’abstrait ne lui est pas permise car il n’est pas libre de ne pas avoir à faire avec ce monde (conditions initiales). Et en revanche je ne suis homme qu’en transformant ces conditions : j’ai à me donner le donné. La morale est traversée par une logique de défis. Tant que je vis, j’ai la possibilité de me conférer l’être en conservant ma liberté. Il joue à l’intellectuel engagé…ce qu’il n’est pas. Ceci dit c’est le champion des trahisons…tout en se proclamant auteur de la philosophie qui donne à l’individu accès à l’authentique humanité. Pas question de se laisser déborder par quoi que ce soi. « Dans la critique de la raison dialectique », on passe dans le baroque : il y a à sauver la posture partisane et derrière l’idée de révolution en justifiant la violence : « je n’ai pas de surmoi ». Il analyse le besoin, le travail, le tiers entre patron et ouvrier, l’aliénation qui gèle la « praxis » dans le « pratiquement inerte » ; la rareté gérée dans les choix de l’homo oeconomicus sous-jacente aux rapports sociaux, et le consentement aux institutions qui sérialisent la vie sociale (exemple de l’attente à l’arrêt de bus). La question est comment l’homme passif fusionne dans la foule comme une émeute ou en panique ? sans répondre  il y voit un passage à l’acte heureux car traversant une impasse que menace la multiplicité sérielle.

Chapitre 7 : La philosophie et la question du politique

Qu’est ce qui prend ce 20ème s. dans son glissement vers des guerres qui mettent en ruine l’effort de la pensée ? On ne fait plus que semblant. La philosophie des néo-kantiens fait de la politique l’objet ultime de leur réflexion sur l’intersubjectivité. Les néo-hégéliens font résulter la question politique de leurs efforts de penser le concept de temps. Désormais et de façon plus large, on va tenter d’élucider l’instituant des comportements collectifs dont les sciences humaines se bornent à dresser l’inventaire. Derrière les expressions de la pensée (idiosyncrasies), il y a à préciser l’acte constitutif de cette science en gestation. La question politique s’éveille dans une polémique entre les marxistes et les économistes autour de l’enjeu de l’autonomie du politique.

Léo Strauss se dresse contre les positivistes : il pense la modernité en réduisant la politique à la simple gestion du statu quo. Il faut bien fonder les procédures démocratiques dans la « polis ».

Habermas en vient à l’obligation d’étudier la communication. Fini les utopies eschatologiques car elles ont mené au totalitarisme. 

Claude Lefort s’en prend aux nouveaux philosophes qui cherchent surtout à secouer le cocotier.

Cornelius Castoriadis embraye et critique la représentation d’une société homogène et transparente à elle-même dans un peuple Un et où la division sociale dans tous ses modes est niée et où disparaissent les signes d’une différence de croyances. Pour lui on entre dans un despotisme où sera éliminée toute extériorité. Et la parade est dans le double fond de l’imaginaire. Pas seulement créatif mais structurant dans son lien au réel.

Hannah Arendt dans ce contexte étudie la genèse du système totalitaire mais aussi les ressorts de la bureaucratie. Le rôle néfaste d’Heidegger aura été d’avoir fait dominer une raison calculante ; en face l’école de Francfort cherchera à résister à l’instrumentalisation généralisée quand la pensée veut imposer l’universel au particulier.

À nouveaux frais, Marcel Gauchet (contre Pierre Clastres) souligne que les hommes sont enclins à situer la raison d’être de leur existence individuelle et collective dans un dehors religieux puis dans un Etat. La société démocratique c’est le régime qui accepte la division en veillant à la séparation nette entre société et Etat par rapport à un élément tiers : la loi valant pour tous.

Aujourd’hui on est enfermé dans un conflit à l’intérieur du libéralisme et on réveille Fichte qui a une conception réparatrice , partant de ce qu’il dénonce comme l’élimination du sujet : il faut réaffirmer l’écart insuppressible entre réel et rationnel, ouvrant l’espace politique sous l’égide de la philosophie du droit, à distance maximale de la logique des systèmes.

Luc Ferry (et Alain Renaut) retrouve l’idéal régulateur de l’action, dessinant un cadre pour une ontologie pratique où on déconstruit les idéologies en évitant 3 pièges : faire triompher la raison, se confier au mystère de l’histoire de l’être, faire droit à une vision morale du monde. Notre époque manifeste 2 symptômes : la référence aux droits de l’homme, la confiance dans les réalisations d’une conception procédurale.

Le passé fait retour.   

Rousseau aurait été frappé par une illumination. Et vu les particularités de son psychisme, il y a là un élément déclenchant. En tout cas cette fragilité est surcompensée par la certitude de sa supériorité morale : quiconque a le courage de paraître ce qu’il est devient tôt ou tard ce qu’il doit être. Rousseau se vit comme victime dans un climat d’effort intellectuel orienté vers une généalogie du malheur ; face à cela il fédère sur sa personne tout « le camp des opprimés ».

Rousseau développe un schéma chrétien pour rendre compte de l’état de nature. La chute de l’état édénique dans l’état de nature renvoie l’homme à sa misère, divisé contre lui-même. La pensée naturaliste abhorre tout ce qui existe artificiellement. Décrire l’homme de l’état de nature se fait par contraste avec celle de l’état civil : spontané, sans réflexion ni moralité, l’homme vit en solitaire. L’inégalité marque l’entrée dans une histoire catastrophique : une fois quitté l’état de nature, on ne peut plus y revenir. Du malheur seul l’homme est responsable. Ce qui préserve la liberté c’est que l’homme peur refuser de sombrer dans la dénaturation.

Comment concilier ceci avec l’affirmation que l’homme est bon ? en plaçant la responsabilité dans un nouveau sujet, la société. Il faut marquer la différence entre l’homme et l’animal. Le critère différentiel c’est la faculté propre à l’homme de se perfectionner. C’est dans la description d’une série d’étapes que Rousseau fait glisser de la bonté (individu) à la méchanceté (société). Si l’homme n’est plus satisfait de l’état naturel c’est parce qu’il rencontre l’altérité qui résulte de la propension à vouloir se vivre dans le regard des autres. La modernité fait passer de l’amour de soi à l’amour propre. Les relations sociales sont nouées dans l’imitation et le conflit des désirs, c’est ce que tu désires que je désire. Mais paradoxalement les hommes sont en société par cela même qui les oppose : le besoin, l’intérêt, l’envie. Il y a finalement 2 états de nature et un funeste hasard vient interrompre ce qui s’appellera la première socialisation. Il y a avantage à en venir à la division du travail et à amasser ce qui n’est plus seulement consommé : la propriété s’introduit et l’apparition des clôtures ; s’en suivent les guerres de possession. Et c’est maintenant que nait l’idée d’un ordre civil : instituons des règlements de justice auxquels tous soient obligés de se conformer. À l’usage pourtant on constate que cela rend les pauvres plus pauvres et les riches plus riches. La faiblesse du raisonnement ici est de fonder la société sur la seule (bonne) volonté humaine. L’éducation est le seul espoir de voir aboutir cet idéal. 

« Le contrat social » développe cette logique de l’idéal. L’état de nature numéro 2 est devenu intenable, l’homme petit à petit est forcé de fonctionner selon de nouveaux principes. L’humanisation ne croit que lorsque croît la socialisation. Accepter et désirer les conventions sociales renvoie idéalement à la notion de volonté générale qui pourrait jouer le rôle bienfaisant de l’amour de soi dans l’état de nature. Par contre les volontés particulières ne font que prolonger l’amour propre. Imaginons les individus dans la société comme des monades également informées mais sans communications entre elles, on s’aperçoit que la différence d’un citoyen à l’autre est infiniment petite. Et on concevra la volonté générale comme le produit de l’intégration de tous les moments de choix infiniment petits représentés par les individus. Cette intégrale s’appuie sur l’« entre-destruction » des + et des – qui réalise la sommation des petites différences. Quiconque refusera d’obéir à la volonté y sera contraint par tout le corps. Ceci exige de chacun d’être entièrement lui-même, d’assumer la petite différence qu’il représente, surtout qu’il doit parvenir à s’intégrer harmonieusement dans le tout. Si certains individus sont en désaccord avec la volonté générale c’est qu’ils ne l’ont pas comprise. Chacun a donc la capacité de saisir ce qui est exigé par la volonté générale parce qu’intérieurement il la connait. Et dans la fête civique, l’individu oublie sa différence dans l’exaltation collective. C’est ce délire qui conduira la révolution à la Terreur.

Tocqueville donne à penser aux théories libérales. Il fait des voyages en Amériques et y étudie leur démocratie. Par comparaison avec Rousseau, il insiste sur un exécutif nettement dissocié du législatif auquel il est soumis ; la démocratie émane de la base, les décisions sont prises localement ce qui rend la corruption difficile, la démocratie n’est plus seulement un idéal puisqu’elle est réalisée et que le peuple ne rechigne pas à voter à tous les niveaux de la vie publique. En exigeant des fonctionnaires qu’ils soient élus, l’administration ne se coupe pas du peuple. L’Amérique est un vaste pays et les gens y circulent beaucoup, la société est composée d’individus atomisés sans autre lien entre eux que « leur intérêt bien compris ». L’égalité des conditions promet le nivellement des rangs et des fortunes ; en fait la démocratie est stable, les institutions y sont respectées et la religion aussi.

Appliqué à la France, il faut résister à la dépolitisation, il faut retourner à l’esprit de 1789 et y être fidèle. Pour combattre les maux que l’égalité peut produire, il y a le remède de la liberté politique. Il faut résister à l’étatisme. L’individu français ne lutte plus et se laisse atomiser, homogénéiser par la foule (qui crie fort et qui comme ça a trop souvent raison contre celui qui pense plus silencieusement et n’arrive pas à faire entendre la raison) en prêtant à l’Etat et à la société l’omnipotence démesurée que l’Etat normalement doit cadrer. L’homme n’a pas à désinvestir la chose publique et il ne faut pas abandonner les affaires communes à l’Etat. La liberté des Modernes si elle signifie la jouissance privée des bienfaits de l’égalité et si elle est réfractaire en ce sens à l’exercice des droits politiques menace de verser dans son contraire. C’est une erreur d’écrire dans la Constitution le droit au travail et c’est une erreur d’en appeler à l’Etat pour se faire sortir de son indigence.

Tocqueville veut alors creuser des solutions susceptibles de sauver la liberté politique d’elle-même. L’échec de la logique de la majorité pousse à inventer une parade qui est d’investir le législatif au point d’étouffer la puissance exécutive. L’Amérique a réussi à mettre des garde-fous en entravant toute centralisation administrative offrant donc au niveau local des espaces de liberté face aux consignes arrivant du gouvernement. Mais ils y sont arrivés par le légalisme et ses procédures. L’idéal de liberté politique de Tocqueville trouve satisfaction dans l’institution des juges entouré de jurys du peuple (école civique par excellence). La majorité exerce sa tyrannie dès lors qu’elle s’interdit de laisser au local  le pouvoir social : importance essentielle ici des associations politiques ou civiles. La nouvelle science politique devient la science des associations. Et dans le même ordre d’idées on soulignera le rôle de la presse d’opinion.

Tocqueville commence à déranger (les français) quand il lie l’esprit démocratique à l’esprit religieux. L’égalité devant Dieu en offrant la ressource d’une transcendance à la loi démocratique compose harmonieusement avec une liberté dépourvue de licence puisque les mœurs et les croyances font, grâce à la religion, naturellement obstacle à l’anarchie. Tocqueville a la conviction qu’en démocratie la religion ne peut être conçue que comme une institution au sens fondamental où elle facilite l’usage de la liberté en offrant une représentation de la totalité qui suggère des limites à la pensée et à l’action trop égoïste. Le bénéfice de la religion c’est de pallier au doute métaphysique qui saisit l’individu atomisé. Elle fait garde-fou par rapport aux méfaits d’un individualisme désocialisant et contre le matérialisme. La religion bien comprise est un régulateur, l’avenir privé de par ailleurs du recours à la transcendance y trouve une espérance. Et comme cette religion n’est plus dogmatique, elle offre une place tout aussi précieuse à l’indétermination.

Marx construit sa pensée contre Hegel, du moins apparemment. De lui il retient le caractère foncièrement historique de la réalité. Il y a une rationalité intrinsèque qui justifie l’approche scientifique ; il retient aussi l’aliénation, la dialectique, la description de la société civile et l’émancipation. Mais surtout de lui il refuse l’abstraction. Il se met à étudier les économistes et affirme le primat de cette discipline. À partir de l’analyse du monde du travail et son exploitation par le capital, la philosophie devient action militante. 

Dans « l’idéologie allemande » il soutient que le monde ne repose pas sur les idées ou sur la conscience mais sur les faits matériels produits par les hommes eux-mêmes. Le matérialisme historique se fonde sur la conviction que les hommes sont productreurs de leurs représentations mais que leurs actions sont conditionnées par le développement déterminé des forces productives. Ces forces sont la force musculaire mais aussi le développement des technologies. Elles s’accompagnent des rapports de production soit la division du travail, le régime de la propriété, le système de distribution (et des échanges) des produits du travail. Forces productives et rapports de production composent des modes de production (antique, féodal, bourgeois). Dans le passage de l’un à l’autre les marxistes voient des lois de développement (l’accumulation primitive permettant l’apparition du capitalisme commercial) qui donnent sa crédibilité théorique au matérialisme historique. Les rapports de production bourgeois sont porteurs d’une contradiction qui nait des conditions d’existence sociale des individus ; par contre les forces productives de ce même mode de production offriraient des possibilités de solution de cette contradiction. Pour cela il faut en passer par l’analyse de l’idéologie.

L’idéologie dans les rapports de production se voit dans l’opposition contre nature entre travail manuel et travail intellectuel. Cette division soutient l’inégalité des relations sociales. L’idéologie nourrit la lutte des classes et est le mécanisme générateur des révolutions. À un moment du développement des modes de production, l’évolution des techniques capitalistes de production marginalisent les ouvriers qui coinçés dans leur situation ne voient la survie qu’à s’engager dans le mouvement réel qui abolira l’état actuel. L’idéologie est dévoilée et la lutte en devient politique car elle s’en prend à l’Etat bourgeois (le droit, la philosophie, la religion, l’éducation, concourant à maintenir au pouvoir les bourgeois et leurs représentants). 

La pensée de Marx va nourrir un débat entre mécanisme et volontarisme, science et humanisme. L’étonnant est que la voie moyenne n’a jamais été défendue. Selon celle-ci le communisme résulterait de l’action conjuguée du sujet et de l’histoire universelle, de la lutte active menée contre le système capitaliste et de la maturation historique de ses conditions objectives.  Au contraire la conception matérialiste de l’histoire est le critère de distinction entre socialisme utopique et socialisme scientifique. Cette dernière dénomination rassemble la conception matérialiste de l’histoire et la révélation de la plus value. Quant au premier point, on apprend que l’histoire des sociétés a été depuis toujours l’histoire de la lutte des classes (esclaves, serfs, prolétaires). Il n’y a d’homme qu’en société et la libération du prolétaire passe par la destruction de la superstructure de la société officielle. Le recours à la dialectique hégélienne aide à déréifier les réalités socio-économiques et cette déréification est le gage d’une abolition ultérieure possible de ces réalités. La critique de l’économie politique est théorie de l’histoire passée et à venir ou plus exactement à faire. La science de la logique de Hegel  agit comme un dissolvant, comme un instrument de subversion. Marx et Hegel tiennent que le réel est un processus homogène et comme le lieu du conflit susceptible d’engendrer de nouvelles possibilités. 

Mais Marx a trouvé chez Ricardo que la loi de la valeur se trouve dans le travail, source de toute richesse. Il corrige l’économie classique en montrant que le travail est une marchandise qui se vend et s’achète sur un marché. Les propriétaires des moyens de production achètent la force de travail (les travailleurs ne pouvant que la vendre). Dans le mode de production capitaliste, les rapports sociaux sont réduits à des rapports marchands. Marx ici dégage la notion clé de plus-value. L’économie classique se focalisait sur le bénéfice réalisée dans la vente des productions ou marchandises. Mais la journée de travail se décompose en un temps de travail payé et un temps de travail non payé, le surtravail. Ce n’est pas l’échange qui crée la plus-value mais un processus qui autorise le capitaliste à obtenir sans échange, c’est-à-dire gratuitement, du temps de travail cristallisé en valeur monétaire. L’appropriation de  la plus-value ne définit pas le capitaliste mais bien la transformation des moyens de production en capital et la force de travail en marchandise. Son enrichissement est ensuite fonction de son aptitude à faire circuler les marchandises. Le capitalisme est un système pour autant qu’il se transforme de façon endogène, sa seule finalité consistant dans sa reconduction majorante : réduction de la concurrence, contrôle des marchandises, blocage des salaires, spéculation financière.Mais ce système a des défauts qui sont les lois de la concurrence, la baisse tendancielle des taux de profit, les phénomènes de surproduction, les effets paradoxaux des progrès technologiques ((chômage des travailleurs en hausse, déséquilibres offre-demande des marchandises, baisse de la valeur des marchandises (hausse de l’offre et baisse de la demande = baisse des prix…et des salaires par réaction)). Althusser fera une lecture symptômale du Capital et introduit la notion de coupure épistémologique. L’enjeu est la question du rapport entre objet de la connaissance et objet réel, il faut montrer que la théorie de Marx est la seule vraie. Les ouvriers qui lisent le Capital le comprennent mieux que les scientifiques parce qu’ils y lisent l’exploitation dont ils sont victimes. Et ici Hegel est repris pour faire muter l’idéalisme en matérialisme. Il y a chez Hegel un noyau rationnel : le seul sujet du procès d’aliénation c’est le procès lui-même dans sa téléologie ; Hegel décrit la méthode absolue, l’Idée se faisant éternellement. Sachant que pour Hegel l’Ëtre est toujours déjà Devenir, l’Histoire est conçue  comme un procès de l’aliénation sans sujet, un procès dialectique sans sujet. Il suffit d’étudier l’idéologie autoproduite par les appareils d’Etat (AIE). Feuerbach pourrait suggérer que Marx n’aurait pas été d’accord avec Althusser lequel n’a jamais cessé de croire plus que de penser, croire au Grand Soir jusqu’à l’aveuglement.

Chapitre 8 : l’école de Francfort : avec Horckheimer, Adorno, Habermas, Apel

On entre dans l’entre-deux-guerres et l’après-guerre. 

Horckheimer fait naître ce cercle sur le fond d’une communauté de destin. D’abord il est séduit par l’anarchisme de Kropotkine mais il finit par s’appuyer sur Marx et Engels. Ce cercle privilégie la recherche, refuse le mandarinat et l’affiliation à un parti, il étudie ce qui est négligé : la superstructure culturelle. De là se dessine un programme : développer une philosophie sociale dans le contexte de l’effondrement des synthèses, concevoir une théorie matérialiste enrichie par un travail empirique, entreprendre une étude des attitudes des ouvriers, favoriser la psychologie sociale pour combler le fossé individu-société, prendre en compte la psychanalyse.

Adorno milite pour une culture aristocratique et choisit de résister à la banalisation de l’art (contre Benjamin qui étudie les mécanismes de reproduction des modèles par les techniques). Au carrefour de la faillite de l’idéalisme, de la vanité du néo-kantisme de l’école de Marbourg et de l’impasse de la phénoménologie de Husserl et Heidegger, il refuse le désert de l’abstraction conceptuelle, il défend le particulier contre l’universel.  Rejoignant Horckheimer, il prend un virage. 

Dans « la dialectique de la raison » il montre que la raison a 2 manifestations dans l’Histoire. L’une où elle est instrumentalisée par la bourgeoisie, l’autre où elle est une puissance d’identification vouée à exercer sa domination de façon illimitée ; l’une où il y a place pour une rectification de l’Histoire (Hegel), l’autre (Kant) débouchant sur une résignation désabusée. Le constat final de cette période de réflexion est que Marx a fait des erreurs en sous-estimant les ressorts d’un capitalisme qui apprend de ses crises. Plus il y a de justice, moins il y a de liberté voilà l’analyse des expériences du socialisme réel, celui de qui sait y déployer son habileté et sa force. 

Dans « la dialectique négative » Adorno dit que la société  va évoluer vers un monde totalement administré. Ce fut une erreur de croire que le réel et le rationnel allaient coïncider. Ils tentent alors un marxisme ouvert puis déchantent. Mais à terme cela ramènera Hegel et l’idée que la raison finira par s’imposer avec ou sans ruse, l’universel au particulier, l’idée que la totalisation et l’abolition des différences dans l’identité est l’issue de l’Histoire. Car déjà chez Horckheimer et Adorno il y a l’idée qu’il faut distinguer une raison critique  d’une raison instrumentalisée . Mais le découragement les saisit comme si l’idée kantienne que l’on ne peut attraper la réalité dans le concept avait eu pour effet de détruire l’idée du marxisme ouvert (aujourd’hui repris avec Hegel par Badiou et Zizek). Être sociable c’est prendre part à l’injustice, le mot clé c’est décomposition. Aristocrate il y a à prendre distance, cultiver le goût de la distance, cette détermination de la différence. Le culte de la transparence c’est la brutalité pure et simple.

Habermas rappelle que le philosophe et l’intellectuel ont pour tâche de s’arcbouter contre les représentations de ce monde mensonger dominé par les lois du marché et qui confond la communication et l’échange. Les mots ont été contaminés par l’entropie (par l’air du temps où Heidegger n’est pas pour rien). Il reprend chez Adorno la critique des totalitarismes. « L’espace public » décrit la naissance d’un public faisant un usage critique de la raison pour mettre l’Etat à la question. Les discussions – mot clé – opèrent la transposition de la volonté kantienne en une ratio qui résulte de leur concurrence au sein du public. Par les arguments privés on en arrive à un consensus, reflet de l’intérêt général. Soit le parlementarisme et émergence dans la masse d’une élite qui serait instance de contrôle des excès d’un gouvernement.

« La théorie de l’agir communicationnel » s’appuie sur Kant qu’il emploie à dégager la rationalité qui sous-tend la communication de tous les jours. Il dégage ainsi une pragmatique, laquelle classe les critères grâce auxquels nous jugeons que nos actions ou nos échanges avec les autres …ont réussi ou pas.

Apel renforce ce point de vue. Au début, il y a un principe normatif et éthique qui invite à soumettre tout conflit à des arguments destinés à réaliser un consensus. Au-delà des hypothèses de discussion, il y a un statut transcendantal non soumis aux aléas de l’expérience mais au contraire qui la conditionne. Habermas avait une réticence à faire le pas qui ici impose l’idée d’un a priori de la communauté de la communication à titre de fondement ultime de la raison. À l’impératif catégorique il faut rajouter le principe procédural visant à l’universalisation des normes à travers des discussions pratiques. Comment assurer que la rationalité procédurale soit compatible avec la rationalité stratégique qui sert les fins de l’action ? c’est ici l’enjeu des institutions démocratiques comme relais des actes de langage.

Chapitre 9 : les philosophes français, le langage et le pouvoir

Politique la parole l’est par essence puisqu’elle est la source de la liberté. Mais comme elle nous livre à l’indétermination, elle peut virer à la violence. 

4 tableaux peuvent être dégagés.

Barthes prend en compte le tournant linguistique. L’ère du soupçon et le structuralisme se coalisent contre la notion de sujet. C’est le langage qui dit le mieux le poids des structures à quoi in fine l’homme est assujetti. La tâche du philosophe est que si le langage nous expose à l’oppression, il faut le contourner, il faut tricher la langue en recourant à la littérature.

Les phénomènes de domination sont imputés à une maîtrise des codes et on peut user du langage contre la liberté.

Jean Pierre Faye se propose d’identifier les narrations qui sont transformées en action et ont contribué à modifier le réel. Le mot totalitario employé par Mussolini glisse vers le syntagme : lo stato totalitario, et le langage est gage du pouvoir. En analysant le jeu complexe des narrations on finit par former un contexte dont on peut dégager les modes de production et comprendre comment ils imprègnent les masses. En Allemagne on voit que des narrations peuvent se croiser comme l’oxymore d’un parti conservateur et révolutionnaire. Les langages peuvent bouleverser les codes et on voit apparaitre l’élaboration d’une syntaxe des idéologies dans l’articulation des groupes et des classes sous des discours producteurs de sens.

Althusser embraye sur l’idée que le langage produit des effets dans le réel. « Lire le Capital » c’est une façon de désacraliser les textes. Ce faisant il force une coupure épistémologique entre Marx et Hegel pour asseoir la lutte des classes dans la militance (langage de propagande). L’idée de la coupure entre idéologique et scientifique atteste qu’un bon usage du langage est possible et est garant d’un bon pouvoir. Ce qu’il faut neutraliser c’est notre représentation du réel biaisée par l’idéologique. Par la notion de lecture symptômale il rabat la philosophie dans une entreprise de philologie. La purification de la lecture obéit à un geste politique. Obligé de garder Hegel et sa dialectique, il entre au cœur de la théorie de Marx et la renverse. Althusser veut tout maîtriser en théorie pour guider infailliblement l’action. Il rejette la téléologie de l’Histoire jugée démobilisante, il rejette la négation de la négation car c’est par elle que se dégage le savoir absolu… mais en devenir.

Foucault va chercher Nietzsche. Et s’attaque à la notion de discours. La domination s’exprime toute entière dans les codes et les énoncés qui grillagent l’espace social. On veut savoir comment la maladie mentale a pu historiquement s’imposer comme une réalité relevant d’une approche institutionnelle, politique, religieuse, littéraire. Comment cet objet émerge avec la pratique asilaire qui lui est liée. Sa méthode indique qu’une réalité supportée par un pouvoir politico-social est d’abord le produit de multiples langages dont il faut débrouiller l’économie. Tout événement culturel est rapporté au contexte historique qui le conditionne.

Levi-Strauss montre à partir d’un épisode ethnographique la relation nécessaire qui unit la possession d’un code et la détention du pouvoir. Le chef qui joue à écrire apparait aux yeux de sa tribu comme le seul qui peut régler les transactions parce qu’il connait le secret du blanc. Mais ce qu’il fait sans le savoir c’est faire pressentir le risque de s’exposer à l’évolution historique.

Derrida creuse le problème de l’écriture contre Levi-Strauss. Plutôt que de voir en démocratie jouer à plein la parole pleine, on voit jouer l’usage de la force publique. Reconnaitre l’écriture dans la parole c’est dégager la différance de l’absence de parole, c’est commencer à penser le leurre. Il n’y a pas de lieu protégé du langage.

L’époque suivante s’en prend à la langue de bois  des précédents. On démarre des tentatives pour donner la parole à ceux qui en sont privés. La liberté devient subordonnée à la prise de parole. Pour l’émancipation et la célébration de l’incontrôlé.

Bataille milite contre les langages clos. « L’expérience intérieure » énonce la répugnance par rapport à l’idée de projet. Il faut prendre distance de la forme discursive car contre Hegel il faut embrasser le rire, les larmes, la souffrance du particulier ou la déchirure de l’existence individuelle. L’expérience érotique dit l’aspiration à dépasser les limites. C’est de l’extérieur que l’économie du système de la raison est contestée par le jeu de tous les possibles. Il sait que sa vision politique est impossible mais il cherche la souveraineté qui engendre une communauté a-céphale. Seules les conduites souveraines manifestent que la mort prête à rire. Envers absolu de la raison, la violence est l’autre du langage. L’Absolu est ici remplacé par son contraire, la toute-puissance du Non-Absolu. La communauté est insoumise. L’angoisse offre sa chance à la conscience désorientée d’être le néant qu’elle est. 

Blanchot développe l’idée d’une parole plurielle. Elle crée toute une résistance à l’unité mortifère. Cette parole ne s’assigne pas d’en finir et place la littérature comme jeu avec le hasard. « Thomas l’obscur » témoigne de la capacité d’être lié par l’essentiel sans être ensemble. Ce dialogue n’est pas seulement entre deux moi puisque l’Autre (le tiers) y parle de cette présence de parole comme d’une parole neutre, sans pouvoir, où se joue l’illimité de la pensée. Avec Bataille, il y a ici le dernier moment d’une recherche intellectuelle engagée face aux enjeux graves du moment. La dérive du politique, qui s’incline devant la menace faite à la démocratie, est stoppée par une pensée de feu.

Vient l’époque du désenchantement où le réel devient objet de nostalgie. Le réel est idiot et on en vient à vouloir s’ajuster au silence des choses dans leur indifférence à toute nomination, jusqu’au silence du politique en politique.Contre cette pente on cherche à reconstituer un espace public, on fantasme une démocratie directe…Bref on patauge.

Chapitre 10 : qu’appelle-t-on la philosophie contemporaine ?

On va conclure ce livre par 5 points.

L’entreprise de déconstruction est entamée dans les années 30 contre « les trois H » et est assise sur les transgressions de Freud, Marx et Nietzsche sous le signe du soupçon.

Vincent Descombes montre comment sont construits les discours philosophiques. Sa théorie est basée sur la critique des idéologies, la généalogie et la psychanalyse, induisant des recherches sur l’écriture, le texte, l’inconscient, l’histoire, le travail, la trace, la production et la scène. S’impose ici un nouveau style de questionnement.

En 1950 arrive le structuralisme qui met un terme aux philosophies fondées sur une subjectivité irréductible. Les attributs jusqu’ici attachés à des individus peuvent être identifiées dans des collectifs et les mêmes attributs du sujet individuel peuvent être rapportés à un sujet sans sujet (propriétés émergentes d’une configuration neuronale).

Oublier Hegel est un mot d’ordre lançé par Léo Strauss. Nietzsche assume l’irréconciliation de la raison et de la réalité en interprétant le monde comme dépourvu de sens ou motif. Que faire et que penser après Hegel ? car il est le dernier à résister à l’irrationalisme. Ceci renvoie à l’impression de relativisme qui saisit la France comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent. En France on s’est enfonçé dans les philosophies de la différence affrontant la multiplicité mais refusant le temps du rassemblement, d’où la montée des littérateurs : écriture, réseaux, altérations… Heidegger et l’école de Francfort vont prendre une grande place dans un combat contre le système (= totalitarisme) et l’irrationalisme de la métaphysique…mais finalement on tombe dans la post-modernité.

Chez les anglo-saxons tout part du turn linguistic mais cela ne cerne pas d’abord une philosophie typiquement US car Ricoeur participe au mouvement en s’opposant aux accents positivo-scientifiques. Sauvegarder une position éthique s’appuie sur la notion de narration qui dissout la représentation unitaire de l’histoire de la métaphysique. Il y a des récits multiples, des visions du monde, des expressions culturelles et la philosophie doit en penser les liaisons en vue d’une politique de l’action. Toute action donne lieu à un jeu de langage et à un réseau où s’entrecroisent les concepts de causalité, événement, motivation et décision.  

Les US apparaitront originaux et meneurs du mouvement philosophique avec Quine. En attendant sur le continent,  on ne progresse plus vers le sens mais vers la philosophie analytique : la philosophie ne s’occupe que des mêmes faits que la science, mais surtout elle s’occupe de la façon dont nous exprimons ces faits. Le Cercle de Vienne dit que la distinction entre synthétique et analytique ne tient pas , il n’y a pas de jugements synthétiques a priori mais seulement  deux classes d’énoncés : les énoncés hétérogènes vérifiés par l’expérience et les énoncés qui unissent des termes en vertu de leur signification linguistique (et ce qui reste n’a pas de sens). Cette philosophie  s’en tient aux énoncés portant sur le langage et réductibles à la logique ; elle abandonne à la science le soin d’expérimenter la vérité des énoncés qui portent sur la réalité. Mais aux US arrive Quine qui ruine la notion d’analyticité en montrant que les vérités logiques sont empiriques. La notion de signification est superflue. Les références des termes du langage sont indéterminés. Il revise les règles logiques car il n’y a pas de frontière entre énoncés synthétiques en lien avec l’expérience contingente et analytiques vrais en toutes circonstances. La mécanique quantique montre qu’une règle logique peut toujours être modifiée. Il n’y a pas d’opposition entre factuel et normatif. C’est ça le pragmatisme.

Mais au même moment apparait un nouveau style en philosophie avec Recanati. Celui-ci tente d’allier l’esprit scientifique et le souci de communication intersubjective car il a la conviction qu’un progrès est pensable à travers une logique de l’argumentation et du discours univoque. La philosophie analytique est interpellée par un nouveau goût des problèmes (âme-corps, existence du monde extérieur, nominalisme face au réalisme, problème de l’identité personnelle). La philosophie analytique US ne veut pas confondre la philosophie avec l’histoire de la philosophie au point qu’il n’y aura pas de possibilité de dialogue continent-US. Et c’est vrai que le continent n’innove rien mais répète l’histoire de la philosophie.

On cherche quand même depuis le continent à instaurer un dialogue entre les tenants de la notion de mind et les résistants à un amalgame du mental et du physique pour qui il y a un caractère irréductible des normes de rationalité en lien avec l’herméneutique. Dialogue de sourds. Aujourd’hui tout le monde  a intérêt à écouter les US sur la notion d’argument car sur le continent les philosophes sont peu nombreux qui peuvent dégager les maximes à partir du sens commun (comme dans la CFJ de Kant). Les philosophes ici n’ont plus de méthodes mais seulement des techniques d’argumentation tenant lieu de preuves formelles ou empiriques. Sur le continent on louange la qualité de la conversation mesurée à l’acceptation du différend.

Perelman et surtout Peirce comprennent comment se fixent les croyances qui conditionnent la compréhension de la vérité. Putnam travaille sur la distinction entre un concept externaliste ou internaliste qui réduit la vérité à une simple cohérence entre les croyances et des expériences qui assument leur singularité.