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De la représentation


Auteur du livre: Louis Marin

Éditeur: Seuil

Année de publication: 1994

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Là d’où on part c’est du vide qui en deux coups s’est installé au début de la période moderne : à la Renaissance, l’homme occupe la place de Dieu évincé ; et puis à l’heure de la naissance de la science, l’homme est évincé au profit d’un jeu dialectique à 2 pôles – l’objet et son corollaire, le sujet.

De nos jours la science elle même se trouve mise à l’épreuve de ce que sa cohérence avait dépassé une limite au regard de la vérité qu’elle avait perdu de vue, comme si elle avait perdu son nord. Le sujet de la science s’était cru au temps du positivisme pouvoir dominer la nature. La science s’était démultipliée au fur et à mesure qu’elle se choisissait un nouvel objet d’investigation. Et on ne comptait plus les sciences dures et les sciences humaines. Jusqu’au jour où survint le « tournant linguistique ». 

Première partie : sémiologie

Chapitre 1 : la dissolution de l’homme dans les sciences humaines : modèle linguistique et sujet signifiant

Michel Foucault en annonçant la mort de l’homme donne une visée sur une vérité qui touche les sciences humaines et tend à leur donner un fondement métaphysique. Fonder une science consiste à apporter les titres de sa légitime prétention à la vérité, soit les conditions de possibilité de son existence. Ainsi l’homme meurt-il dans les sciences humaines qui se le donnent pour objet parce que l’objet de ces sciences ne peut être construit que contre les intuitions globales, les représentations spontanées, les évidences immédiates. Tout le problème est alors de savoir quel est cet objet ?

La réponse passe par l’examen critique de la recherche scientifique : en quoi consiste le procès de structuration de l’expérience vécue de l’homme ? Qu’est ce qu’un modèle comme représentation du donné ? Quelles sont les règles de construction d’un modèle ? Quels types de relation existent entre les différents modèles constitutifs de l’objet ? Mais ce jeu de questions à son tour se trouve conjoncturalement constitué par un fait historique essentiel : la dominance du modèle linguistique fixant le langage comme science. Ce modèle va proposer des hypothèses, des concepts, des processus opératoires aux autres sciences de l’homme. On se doit donc aujourd’hui d’examiner la nature et la position du sujet signifiant dans la constitution du modèle structural du langage par la linguistique saussurienne.  de Saussure va dégager méthodologiquement la linguistique en séparant rigoureusement le synchronique du diachronique, le structural de l’historique. Quant à l’objet il est lié au développement de la méthode : bien loin que l’objet précède le point de vue, on dirait que c’est le point de vue qui crée l’objet.

Encart 1 : (j’utiliserai des encarts quand Louis Marin développe un point latéralement au développement principal qui fait le corps de mon résumé. Il s’agit souvent de citations et je distingue l’encart par l’usage des italiques) : l’objet

Le langage n’est ni une substance, ni un organisme en évolution, ni une création libre de l’homme, mais une relation constituante entre une méthode de connaissance et un objet à connaître. L’objet scientifique est une structuration spécifique opérée par un corpus de procédures et de critères méthodologiques et réciproquement ce corpus n’est que la projection opératoire complexe de cet objet.  

Pour trouver dans l’ensemble du langage la sphère qui correspond à la langue, il faut se placer devant l’acte individuel qui permet de reconstituer le circuit de la parole. Cet acte suppose au moins 2 individus : c’est le minimum exigible pour que le circuit soit complet.  Il n’est pas possible de récuser le fait diachronique : les sons et les sens changent et ce continûment. Mais dans la dialectique  de l’échange il n’y a à un moment quelconque de l’histoire du langage qu’un seul sens. Le changement continu n’est et ne peut devenir objet de connaissance que par l’introduction de la discontinuité synchronique dont de Saussure trouve le lieu radical dans l’unité dialectique de la communication.  D’où la conception  simultanée d’une histoire synchro-diachronique et d’un sujet qui est l’espace d’un échange où apparaît et se constitue pour la connaissance une totalisation qu’il n’effectue pas mais dont il est le lieu d’effectuation. 

Si la signifiance est la caractéristique des activités et des faits humains alors la sémiologie est la science fondamentale puisqu’elle se constitue en modélisant ces faits et ces activités comme le système des signes. Le caractère foncier de la langue d’être composée de signes pourrait être commun à l’ensemble des phénomènes sociaux qui constituent la culture. Mais le mouvement qui situe la linguistique comme science particulière de la sémiologie générale retourne dialectiquement cette position : la langue, objet de la linguistique est le système sémiologique par excellence, il est le système sémiotique interprétant général de tous les autres systèmes sémiotiques.

Le sens est relation : son ontologie est un système de renvois dans lesquels il se produit par ce qu’il n’est pas. Telle serait la contradiction ou le manque originaire dont la résorption serait constitutive du langage, des systèmes symboliques, de la structure de l’échange en général.

L’opposition du signifiant et du signifié, de la langue et de la parole, relève donc de cette conception théorique absolument générale que les relations préexistent aux choses mêmes, que les choses sont des effets ou des produits de la relation duale où elles se génèrent dans leur existence réciproque et différentielle.

D’où 2 premières critiques : sur le processus d’auto-fondation ; sur les structures d’opposition. Quant à la première, la critique c’est que le processus d’interprétation est inclus dans le signe (un cercle vicieux pour Ogden et Richards). Marin y répond en renvoyant à Hegel et au mouvement de circularité fondatrice. Quant à la seconde, c’est idéologiquement de vulgariser la proposition de de Saussure en la renvoyant aux antiques oppositions : esprit- corps, pensée-matière. Là de nouveau Marin trouve ces objections faciles et renvoie à la vraie portée de la dialectique, ce qui s’éclaire en précisant le rapport langue-parole. Pouvoir de comprendre la parole, telle est la langue. Pouvoir de production de la langue, telle est la parole. L’un et l’autre se manifestent concrètement aux 2 pôles du circuit dialogique sans que ni l’un ni l’autre ne relèvent d’un quelconque sujet parlant ontologique et substantiel puisque tour à tour dans l’échange, le pouvoir de comprendre la parole et le pouvoir de produire la langue appartiennent de plein droit aux locuteurs qui y sont engagés.Dès lors quelle pratique scientifique correspondra à l’attitude dialectique théorique que nous avons vue se dessiner à tous les niveaux de la connaissance et de l’objet linguistique ?  Elle consistera à prendre comme fil conducteur (directeur) la signification : le sens est la condition fondamentale que doit remplir toute unité de tout niveau pour obtenir statut linguistique. Or le sens c’est l’acte de communication.

Chapitre 2 : champ théorique et pratique symbolique

Pascal : au coeur du siècle classique s’écrit un texte pour contester la « mimesis » picturale qui depuis plus de 200 ans est l’expression la plus parfaite du système de Représentation. La peinture est cette merveille qui détermine le regard de l’origine (l’original), de la chose, de l’étant du monde dans son développement neutre et neutralisé parce que naturel, pour l’attirer et le capter par un leurre qui en est le substitut parce qu’il le répète et le reproduit. Quelle merveille que la peinture qui dénonce dans l’incohérence d’un effet symbolique non pas une contradiction logique de son système mais le rien tout puissant de sa force, sa vanité.

Tableau et perspective : la mimesis représentative se signifie, elle acquiert l’apparence d’un sens par la machine perspective qui la sous-tend, et avec cette machine, par la géométrie projective qui s’y réalise et qui assigne, rend nécessaire et significatif le véritable lieu du regard. Mais c’est aussi un leurre, le modèle du leurre. Les principes derniers des sciences de l’homme, les représentations vraies et justes qu’elles construisent, sont des faux semblants comme dans les tableaux les apparences exhibées sur leurs supports. Ainsi disait vrai l’opinion, la « doxa », que la vérité est bien dans leurs opinions mais non pas au point où elles se la figurent.

Le regard contemplateur du tableau découvre aveuglément les apories de l’origine et de l’infini. Mais il continue d’admirer une autre vérité indiscernable, inassignable, qui est la vérité d’une pratique sans théorie, d’un art sans règles, art de peindre, art de persuader, art d’aimer, art de commander. Double mouvement de la déconstruction : 1) production théorique des apories théoriques ; 2) en comblant ces vides : comme si l’analyse critique du système impliquait aussi une théorie spécifique de la pratique et non seulement spécifique mais première théoriquement par rapport à toute théorie de la théorie. 

Bourdieu et Damisch font la critique d’une théorie de second ordre : la sémiologie. 

Bourdieu accorde un privilège méthodologique à la pratique (aux pratiques signifiantes), ce qui conduit à une redéfinition de la théorie des concepts fondamentaux de la linguistique structurale. Damisch lui met l’accent sur l’histoire de la théorie linguistique jusqu’à produire des modèles et son transfert automatique à d’autres ensembles signifiants ; il est conduit alors à renforcer les différences pour expliquer les images de peinture et les pratiques signifiantes dont elles sont le produit. Bourdieu développera une praxéologie ; Damisch en viendra à une métaphysique de l’écriture, une dialectique se substituant à la structure et y apportant une fondation rigoureuse.

Pour Bourdieu et Damisch, la recherche des conditions d’intelligibilité des pratiques signifiantes est bien l’objectif : Bourdieu de façon explicite , Damisch de façon détournée en prenant la peinture comme procès matérialiste de production. Marin dira que ces 2 penseurs occupent 2 moments au sens dialectique du terme : Damisch avec l’histoire et la théorie, Bourdieu avec la pratique et sa théorie. Mais du même coup 2 envers implicites s’indiquent : Bourdieu tombe sur une sorte d’interdit théorique et pratique à produire la question d’une imitation réelle ; et Damisch tombe sur la question de la Représentation le rendant oublieux des procès de production et de reproduction du système dans les pratiques signifiantes.

Encart 2 : un jeu dialectique entre Bourdieu et Damisch

Si toute théorie comme le pense Bourdieu implique une théorie de la pratique qui lui préexiste et si toute conception objectiviste de la réalité sociale renvoie à une attitude réductrice et déstructurante des pratiques matérielles et symboliques dont il convient de s’affranchir par une restructuration de la théorie, la raison n’en est-il pas qu’historiquement la théorie en général et la théorie de la pratique qu’elle enveloppe sont fondamentalement liées au système de représentation que Damisch analyse dans la peinture occidentale du quattrocento jusqu’au 19ème siècle comme le porteur de l’historicité de l’art dans cette période ? 

Que ce modèle de fonctionnement du signe pour l’esprit dans son rapport au monde soit un modèle idéal et que les esprits se heurtent aux obstacles de la confusion – épaisseur, opacité du langage – n’a point d’importance théorique car ce modèle est loin d’engager à une révision, pour permettre de rendre compte de la pratique réelle par un glissement dont on rencontre la justification théorique (théologique) chez les penseurs idéologues classiques. Le modèle explicatif devient paradigme normatif. 

Mais qu’en est-il dans ce modèle de l’image de peinture ? Réponse : elle est représentation comme le mot l’est mais en un sens différent : elle signifie analogiquement un visible, elle le fait voir dans sa représentation. Elle réalise la métaphore qui dissimule l’intuitus spirituel et que masque la convention culturelle du signe de langage. La peinture se doit d’en passer par la géométrie afin de faire accéder la ressemblance au fait qu’elle puisse être nommée ; la boucle sera bouclée quand l’image = le signe.

Un deuxième problème apparaît donc : celui des effets d’occultation du système. L’ordre symbolique est l’effet d’un refoulement souverain originaire des déterminations matérielles de toute pratique signifiante. La théorie objectiviste tend à refouler ce refoulement en en interdisant l’accès à la compréhension. Comme le dit Bourdieu, dans le travail de reproduction des relations établies, le travail nécessaire pour dissimuler la fonction d’échanges est pour une part qui n’est pas moins importante que le travail exigé pour le remplissage de la fonction, à savoir la production d’habitus. Mais entre la production des habitus par les structures matérielles et la reproduction de ces structures par les habitus dans les pratiques, il y a le moment de la méconnaissance de la première dans la réalisation de la seconde qui est à la fois l’institution objective d’une relation et son oubli subjectif. Or le système de représentation dont la théorie objectiviste est la reproduction dans le champ de la science est plus qu’aucun autre susceptible d’assurer cette méconnaissance et de la méconnaître. C’est ce que montre Damisch : dans la lecture du tableau il y a oubli du support de l’image et les pigments colorés. C’est dire que l’image peinte sera toute entière donnée par un effet du signifié. Il y a subordination du signifiant au signe mais en outre il y a censure du refoulement car la théorie du signe interdit l’accès théorique aux déterminations auxquelles la pratique symbolique est aveugle. Il est important de voir que cette dissimulation et ce refoulement apparaissent au moment historique de scission de l’indifférenciation archaïque entre le symbolique et le productif, l’économie de la bonne foi et l’économie d’intérêt, le rituel et l’efficace.

Damisch va étudier l’image chez Corrège pour questionner le caractère clos du système producteur de l’ »aesthesis ». Et de même Bourdieu va esquisser une logique polythétique qui articule le fonctionnement pratique (développement d’une cohérence pratique). De son côté Damisch va déceler une charge particulière liée à des indices autour desquels paraît pouvoir se nouer le projet d’une analyse sur le mode symptomatique. 

Le nuage comme graphe pictural est un des instruments syntaxiques qui peuvent assurer une totale emprise sur l’invisible dans l’imaginaire. Il désigne un espace typique, signe d’une relation spatiale tout en étant symbole iconographique thématique ou rhétorique. Damisch va chercher à exploiter la charge dans deux comparaisons : le rapprochement peinture – écriture ET écriture picturale – écriture du rêve. La démarche consiste en une récupération de résidus et suppléments qui échappent à un système pensé comme clos.

Encart 3 : toujours Bourdieu versus Damisch

La conception d’une logique polythétique permet au-delà des structures monothétiques à laquelle obéit l’analyse structurale de saisir le fonctionnement de la pratique analogique comme transfert de schèmes que l’habitus opère sur la base d’équivalences acquises facilitant la substitualité d’une réaction à l’autre et permettant de maîtriser par une sorte de généralisation pratique tous les problèmes de même forme pouvant surgir des situations nouvelles.

À propos des nuages : rien n’autorise à penser que l’ensemble des traits matériels soient articulés systématiquement en vue de la production d’un sens et encore moins dans les termes de Hjelmslev que ces figures soient au service de signes iconiques qui en détermineraient logiquement l’existence. Et si même l’on affectait d’y reconnaître par hypothèse les éléments d’un ordre signifiant, on ne voit pas que ces éléments soient justiciables a priori d’un inventaire fini ni qu’on soit fondé d’en restituer le système.

L’écriture picturale obéit comme celle du rêve à une grammaire mais dont l’inventaire des règles et l’exposition des procès syntaxiques ont toute chance d’être interminables. Mais ils le sont dans l’histoire c’est à dire dans la production temporelle des oeuvres où éléments et mécanismes sémiotiques sont successivement investis de fonctions et de valeurs différentes selon l’ensemble dans lequel ils sont manifestés. Entre les images, il y a des passages, des dissonances, des bords c’est à dire tous les procès qui relèvent du déplacement. En parlant du blanc, on peut signaler le vide entre deux mots, mais aussi la couleur de la lumière ou l’éclat dans l’image. Entre ces acceptions, le rapport est sans doute du registre du textuel avec le visuel voire le vocal.

Chapitre 3 : une mise en signification de l’espace social : manifestations, cortège, défilé, procession

On commence par un encart. 

Encart 4 : du vocabulaire cela convient bien à Bourdieu mais Damisch y ajoute du jeu…

Syntagmatique : tout rite considéré répond à une série de circonstances périodiques et forme un système selon un axe chronologique du calendrier.

Paradigmatique : on a une série de circonstances occasionnelles et cela répond par exemple par une procession dans les champs pour conjurer la sècheresse.

Symbolique : on y reconnait alors une structure symbolique (aspect liturgique), un schème intentionnel d’actions qui oriente une hiérarchie d’actants de rôles et d’acteurs.

Syntaxe : l’espace et le temps induisent une syntaxe de scènes, de décors qui articulent des phrases d’un discours en phrases nominales et séquences narratives.

Espace : l’effet produit par des opérations et des mouvements selon un certain parcours se cadre par un point de départ et un point d’arrivée.

Lieu : l’ordre selon lequel des éléments sont distribués dans des rapports de coexistence dont la représentation est celle de la carte. On y trouve des lieux remarquables, des lieux dangereux où l’on passe d’une loi à une autre, des lieux limites sous forme de trajets simples ou aller-retour ou en passant par un point de rebroussement.

Ordre : l’ordre du cortège apparaît comme l’opérateur rhétorique transformant une métaphore en métonymie (renvoi à Mauss et Levi-Strauss)

Pragmatique : on touche ici au problème des effets ; il y a à s’interroger ici sur l’efficacité de ces actes et opérations. Sont-ils des simulations d’actes efficaces ? En dernier ressort c’est à la transformation en représentations qu’on est confronté.

En partant du dictionnaire, ici on va passer par le relevé de toutes les évolutions de sens « entre ces différents termes ». Marin relève certains traits essentiels de l’objet considéré : un procès collectif qui manipule de l’espace et engendre un espace spécifique. Et de même pour ce qui regarde le temps. Ces types de regroupement pour la plupart impliquent des structures à 2 pôles comme la théâtralité, la spécularité. Dans le développement de ce procès on arrive à caractériser une structure de répétition qui via les rituels dégage une structure symbolique spécifique en en interrogeant la syntaxe et la pragmatique.

Quelques remarques dessinent ainsi une typologie particulière des défilés, marches etc laquelle s’apparente à la règle syntaxique universelle proposée par Leach (mort et renaissance). La sémiotique du temps que ces parcours dégagent reste à faire : temps durée, temps ponctuel, temps statique, temps inchoatif, temps terminatif. On reconnaîtra alors là-dedans les approches philosophiques sur le temps et les aspectualisations du temps par la langue. 

Le texte libère pourtant la syntaxe de ses rapports à l’espace et au temps pour poser le problème de l’ordre comme dispositif d’appréhension de messages complexes où les relations entre les participants actifs et passifs jouent sur des notions de place et de rang. Il y a dégagement d’un message sur les messages qui correspond à la manière dont on devra lire les messages, soit une sémantique.

En passant par les lieux chargés de sens c’est à une narrativité d’un système hiérarchisé et articulé de valeurs qu’on a affaire puisqu’on est renvoyé à une instance de légitimation sociale. Pour cela les défilés ravivent la mémoire où chacun de sa place est prié de revivre l’événement commémoré se découvrant « faire partie de » (la performativité est une construction entre le réel et le symbolique).Toutefois Marin place en touche finale de tout ce raisonnement, un bémol sur la dimension de simulation présentée ici. Pourquoi ?

Chapitre 4 : le concept de figurabilité ou la rencontre de l’histoire de l’art et de la psychanalyse. 

Tous les chapitres ne sont pas résumés. Celui-ci traite des « blancs » ! Occasion de dire que tous les chapitres sont en fait des articles et le livre est en fait une collection d’articles. Agencés sans être articulés…ce qui laisse jouer les blancs…ce qui est bien dans la lignée de Damisch…ce qui est bien sûr du goût de Louis Marin.Mais c’est là le grand projet de Louis Marin, il y a à montrer le double fond de la représentation. Au delà du comme si, la représentation dévoile le vide et lui rend hommage en exploitant avec talent tous les ressorts de la rhétorique, le jeu de la métaphore et de la métonymie bien sûr mais pas seulement (on parlera d’EKPHRASIS mais seulement entre les lignes d’EIKONISMOS). C’est pourquoi LM développe toute une réflexion sur les blancs, sur les pas d’écart dans les marges, les trajets qui n’ont du sens que par ailleurs, comme les défilés, processions.

Chapitre 5 : mimesis et description ou de la curiosité à la méthode et ce de l’âge de Montaigne à celui de Descartes

Au temps du grand duc Ferdinand Ier et du pape Alexandre VII, Florence et Rome étaient des lieux où se tenaient des colloques qui ont étoffé notre culture. Le premier sujet débattu en ces hauts lieux concernait les considérations politiques sur les coups d’Etat, récoltées par Gabriel Naudi, né en 1600. Que se passe-t-il autour de 1630, moment où Descartes rédige le discours de la Méthode ? 

En fait Gabriel Naudi fait écho de Montaigne en se manifestant sceptique par rapport à la culture et outre qu’il se réfère à la Bonne Nature, il renvoie aux bons auteurs antiques, rencontrés dans les histoires, satires et tragédies. Gabriel Naudi n’a jamais vu un coup d’Etat mais comme un comédien il peut jouer à mimer la réflexion d’un prince. Pour être plus près de la réalité, il en passe par la collection et la collation de documents et par le travail de la citation. Ainsi l’érudit construit-il les images des différents comportements politiques. Subtilité ! la citation comme document travaille à dissimuler la politique autant qu’à la révéler. 

Descartes lui abandonnera cette approche et révélera une science admirable devenue description d’une vie en forme de tableau. 

Pourquoi la citation chez Montaigne ? Et pourquoi la rapprocher de l’objet documentaire ? Réponse : comme fin de la mimesis textuelle scripturale, comme fin de la mimesis visuelle iconique. Les 2 dimensions de la représentation sont marquées. 

Montaigne parlera d’emprunt qu’il distingue de l’allégation et de la citation juridique. Ce faisant Montaigne conteste l’autorité et la tradition dans la répétition du déjà dit. À cette époque de transition entre le système de régulation médiéval et classique, l’emprunt, rapporte l’usage, met l’expérience des anciens en regard du texte par pur empirisme. Sa ratio est le propre d’un individu qui s’identifie comme «  moi »  dans la rencontre. Attention car cela ne va pas de soi ni sans une certaine torsion : pourquoi citer si cela n’a pas de sens ? C’est ici que Montaigne évoque la mort de La Boétie.

Encart 5 : vocabulaire propre à Marin quand il penche vers Descartes tout en ayant en tête Montaigne et La Boétie

Citation : le comble de la mimétique textuelle où la représentation est réduite à la simple présentation d’une partie du texte original dans un texte d’accueil qui l’expose, le met en représentation au regard lecteur (prié de passer d’un espace de culture et de langage à un autre) 

Documentation : l’objet documentaire est extrait, par les nécessités ou contingences de l’histoire, de la culture, des arts, des échanges commerciaux, de l’ensemble dont il était partie intégrante et est importé dans une collection, dans un discours spatialisé, localisé ou visualisé, dans un parcours qui l’offre au regard curieux. Avec la citation, cet objet fonctionne selon les mêmes processus et joue des mêmes dispositions du côté des mots et du côté des choses.

Représentation : (la citation et) le document est un produit, un tenant lieu, le délégué d’autre chose qu’il représente et qu’il signifie. Il rend présent à nouveau un passé en chair et en os dans sa réalité propre et par là porte preuve, importe autorité. L’un et l’autre ne sont tels que d’être mis en représentation, d’être exposés à la lecture dans un autre ensemble textuel ou visuel et alors se constitue une propriété, s’opère une identification, se construit une identité juridique.

Allégation : lorsqu’elle met au travail des textes entre eux, on l’appelle scolie, glose, apostelle. 

Citation juridique : (assigner en justice) elle convoque, fait venir le hors texte dans le texte pour l’incorporer, l’absorber (le sujet fait venir en lui l’écrivain cité). Avec l’allégation, elle est un des 2 pôles concurrents de la stratégie de la reproduction au 16ème siècle, moment où on invente l’imprimerie.

Energeia : il y a enargeia réussie quand on ne se borne pas à expliquer une chose mais quand on la donne à voir comme si elle était peinte avec ses couleurs dans un tableau de telle façon qu’il semble que nous avons fait une peinture et non un récit et que le lecteur ne la lit pas  mais la voit (ekphrasis)  

Le lieu du « moi », mon lieu propre, qui est l’inoccupable, l’inappropriable lieu de l’autre, de l’altérité, bref de la mort que l’inscription peinte sur le seuil de la bibliothèque en 1571 rappelle, s’indique dans le texte des Essais (le 29ème)  comme un lieu étrange ni plein ni vide, un essai en instance d’effacement, juste la trace d’une citation que serait «  son livre » , celui de La Boétiesur la servitude volontaire… citation absente. L’écriture des Essais consiste en une prolifération monstrueuse d’un dispositif de présentation d’une puissance de figurabilité qui envahirait le lieu de la citation, c’est à dire qu’à la représentation de l’alter ego mort, surgirait «  mon livre » , au point de devenir la représentation en supplément et en suppléance du Moi menacé par l’insistance de l’ami. Dans la tentative de Montaigne de faire son propre autoportrait, en ce lieu du livre, l’ami mourant a rappelé l’impossible exigence de venir l’y rejoindre pour tenir le miroir : « et il se prit  à me prier de lui donner une place : mon frère, mon frère me refuserez-vous une place ? Et Montaigne de lui répondre qu’il était toujours vivant et La Boétie de lui répondre encore : voire, voire, lors j’en ai bien une de place mais ce n’est pas celle qu’il me faut ! » 

C’est là que vient le sujet moderne. Il faudra qu’il reconquière ce lieu singulier au profit de l’universalité inébranlable d’une certitude de soi qui fondera l’ordre méthodique de la science moderne. À ce moment Marin bascule avec Descartes pour qu’avec lui on puisse penser qu’à la faveur de l’artefact du langage ou de l’image, de la chose même, dans et par sa représentation, on arrive à découvrir sa vérité intelligible, sa structure cognitive essentielle à l’oeil et par ses puissances de séduction susciter plaisirs du sens et par là devenir leurre d’un désir – cette phrase pourrait être mise au dessus de la porte s’ouvrant sur la deuxième partie. La description serait ainsi la figure cruciale des relations entre les mots et les choses. On retrouvera ça chez Erasme avec l’enargeia, l’evidentia, l’illustratio. Le  baroque pourtant montrera le simulacre d’un tel dispositif. 

Quoiqu’il en soit Descartes entend répondre à la crise du fondement ontologique, au défaut d’assise de la métaphysique en tant que savant technicien. Le baroque se présente pour lui comme une technique de l’apparence et c’est à travers cette fiction que la science moderne s’inaugure. D’ailleurs Descartes écrit une autre fable. La Nature tient à l’homme, à son corps, à son esprit, un langage d’institution dont les paradigmes sont géométriques. D’où tout un travail de fondement en toute légitimité du discours physique sur le plan épistémologique critique. 

Pour cela Descartes rompt tout lien, toute relation mimétique de ressemblance. Dans l’image spéculaire, l’objet se reproduit en s’assimilant dans sa différence. Mais la signification épistémologique est telle qu’elle permet l’articulation d’un discours rationnel fondé : on est autorisé à s’appuyer sur la reconstruction de la Nature de façon purifiée dans son modèle fait de relations intelligibles qui régissent son fonctionnement. Dessins, figures, schémas sont convoqués mais aussi indices, images métaphoriques qui sont autant de médiations qui font du schème géométrique la structure explicative du monde des phénomènes, tel que le présente l’image culturelle de l’époque. De nouveau du Bourdieu mais sans Damisch. Il se peut bien pourtant que Marin refasse un pas d’écart, pas tout avec Descartes pour retendre la main à Damisch par dessus Bourdieu.

Deuxième partie : récits

Chapitre 6 : discours utopique et récit des origines. De l’Utopia de Thomas More à la Scandza de Cassiodore-Jordanes

D’un côté lire l’Histoire des Goths et de l’autre Utopia. Jordanes raconte son histoire : est-ce un discours historique ou un conte fabuleux ? Ou un mythe d’origine de la communauté ? Pour trancher il faut choisir un ordre d’interprétation et de compréhension par référence à un genre et un style. Mais par un autre bout, si on prend l’oeuvre comme telle en considération, cela permet de poser une double grille de déchiffrement : l’Histoire connue par ailleurs ou la structure utopique. À moins que l’on regarde l’auteur : Jordanes est Goth et chrétien et il vit la fin de sa race, More est anglais et au début d’une période charnière qui verra s’imposer le capitalisme. D’où un travail d’écriture qui a pour statut une intégration complexe dans la Romanité. D’où une écriture apparentée à une geste fabuleuse attirant vers le nouveau monde. Mais sans oublier un chiffre obscur qui parcourt l’oeuvre et ne se laisse pas si facilement déchiffrer : une métaphysique de l’invasion, une voix qui est l’écho d’un transcendantal inconscient : l’insularité.

Encart 6 : vocabulaire dans les récits de Jordanes et de Thomas More

Îles : elles sont sur la limite du monde, ni en dehors de lui, ni en lui, sur une frange indiscernable de l’intérieur et de l’extérieur, sur cette ligne sans épaisseur où il cesse d’être monde, où il commence de l’être. Occasion de réfléchir sur une société parfaite. Origine, source, matrice, introjection du dehors au dedans, naissance qui est retour et non point sortie.

Noms : outopia, non lieu ; scandza des Goths : insistance du même s’opposant à la neutralisation dans l’autre, par l’acte de nommer.  Utopia disjoint dans l’imaginaire ce que l’histoire conjoint. L’enjeu est de ne pas se perdre dans l’échange

Coupures : épisode de la rupture du pont sur le Dnieper marquant le blocage des Goths en Scythie et entrée dans l’histoire de l’autre (Rome) ; épisode de l’origine des Huns (les mauvais Goths) détruits aux champs catalauniques. Les coupures renvoient à la différence entre le 0 (Utopie) et le 1 (Goths) de la série historique. Dans More il y a juste des fragments d’histoire qui sont toujours rapportés dans le récit de Raphaël.

Cultures : chez les Goths il y a le rôle de Dicineus qui a sa mort est remplacé par Comosicus prêtre et roi. Utopus, lui, ouvre le temps eschatologique profane sous les traits d’un apport culturel de l’occident dans l’autre monde, le monde littéraire, seul lieu de contacts et d’ouverture de la bibliothèque humaniste. À observer que ceci n’est pas une invention ex nihilo puisque cette bibliothèque nous vient des grecs anciens. Le passé, notre passé, est bien plus archaïque que ce que l’on pensait. L’exceptionnel n’est que l’oublié, il revient ; le singulier perd son sens dans la série (dérive capitaliste). 

Il faut s’intéresser aux modèles de surface autant qu’aux structures profondes. Que penser de ce type de compréhension qui trouve dans l’histoire passée le sens d’un présent inextricable ? Elle l’est dans la mesure où elle est le lieu d’apparition d’éléments dont la contradiction est immédiatement affrontée : l’ordre diachronique de leur apparition devient la ratio de leur coexistence dans une synchronie insoluble. L’étalement diachronique de la construction synchronique est une espèce de résolution différée de la contradiction. L’explication est compréhension. 

Mais la diachronie répond d’autre chose encore : un schème d’origine qui est rejet à l’origine de la contradiction présente. L’origine offre les catégories et les relations que le présent brouille. Le modèle devient idéologique et Dagron parle de structure utopique. Mais l’utopie en fait c’est plus que ça (ou moins), c’est une invention trouvée en Angleterre à l’heure de la découverte de l’Amérique. Ici la méthode de lecture s’appuie sur le constat que des textes qui n’ont rien à voir entre eux (époque, auteur, nature) mais ont pourtant la même structure. Hypothèse, théorie, conséquence de cette théorie dans son application aux faits, lesquels n’existent que dans la théorie. Contrairement à Jordanes qui lui articule son récit sur 2 registres de discours, l’utopie a un registre de discours pour 2 objets : UK, USA. Toutefois l’utopie est de nulle part, sa réalité est celle d’un texte imaginé dans le récit fictionnel de Raphaël. Récit d’un voyage dans le monde du discours : marquage de sa neutralité par rapport aux 2 objets mais rapportant la différence à l’intérieur même du voyage imaginaire : dès le début de l’histoire on assiste à la naissance artificielle d’une ile à partir d’une presqu’ile. Dès le début le narrateur chargé de préciser la situation géographique de cette ile est empêché de se faire entendre par un bruit, une toux intempestive.

Il y a aussi une ile dans l’histoire des Goths mais les 2 histoires vont en sens opposé : le point d’arrivée de l’un est le point de départ de l’autre. L’utopie gothique est une utopie négative : seuls les lieux d’arrivée sont valorisés, soit la romanité. Il ne s’agit pas d’une histoire catastrophique. Le royaume des Goths a existé mais Scandza  et le roi Berg qui franchit le bras de mer ne sont pas des faits historiques, ils sont la négativité fictive de l’Empire positif de Ravenne. La négativité utopique est ce qui permet au rien historique d’être réel, d’être positif.

Mais entre Jordanes et More il y a encore une autre différence : un narrateur neutre rapporte une donnée historique : les Goths ont voyagé de Scandza en Scythie. Dans Utopia c’est Raphaël qui raconte son voyage et l’enchâsse d’ailleurs dans un récit plus large, soit la quête d’Utopus. Ici on pointe la position de parole de celui qui parle. D’où parle-t-il de ce qu’il a à dire ? Dans l’histoire des Goths, Jordanes interfère lui même (« nous expliquerons … » ). Mais il tient un rôle à l’envers de celui de Raphaël. Si l’utopie se définit comme le contact avec l’autre dans le maintien de la différence, il y faut un narrateur dans une 2ème position (réelle et fictive) pour tenter l’impossible médiation. Intervention idéologique chez Jordanes : l’histoire est reconstruite au bénéfice d’une politique justifiée. Intervention  utopique dans l’autre, la contradiction est maintenue dans son envers fictif qui la surmonte par là même. Attitude du sujet dans le fantasme.La suite du texte s’attaque au contenu : les iles, les noms, les coupures, les cultures…accentuant les différences significatives. Pour conclure, les différences se sont en fait accumulées sur chacun des points mais en s’inscrivant dans une régularité, dans un cadre de corrélations signifiantes. Elles ont animé le jeu des oppositions catégorielles définies opérativement comme problématique générale. Raphaël, cause occasionnelle d’une réminiscence, permet à l’Utopie de retrouver ses origines donnant aux utopiens le fondement archéologique qu’ils avaient oublié : ce sont d’authentiques grecs de culture. Dans la langue même, l’ancien monde voit venir d’Amérique la révolution industrielle et le capitalisme à quoi s’ouvrir. Mals étant armés pour le voir venir, il ne fait plus peur. L’anglais n’y perdra pas son âme.

Chapitre 7 : du corps au texte. Propositions métaphysiques sur l’origine du récit

Commentant le texte de Xavier Léon-Dufour, avec les outils de l’analyse structurale, Marin relève un défi entre Ricoeur et Levi-Strauss : les textes mythiques sémitiques résistent à l’analyse. L’épisode des femmes au tombeau peut-il être abordé comme messages de codes multiples, de niveaux et d’ampleur différents, dotés chacun d’une grammaire et d’un lexique partiellement indépendants et dont les règles d’articulation et combinaison constitueraient une Grammaire Générale et un dictionnaire raisonné du récit en général ? 

Encart 7 : du côté de Levi-Strauss et Ricoeur et même Husserl et quelques autres

Citation de Levi-Strauss : «  comme dans le cas des femmes, l’impulsion originelle qui a contraint les hommes à échanger des paroles ne doit-elle pas être recherchée dans une représentation dédoublée résultant elle-même de la fonction symbolique faisant sa première apparition ?  La relation à l’autre constitutive de la présence de la chose symbolique est défaillance. Elle signifie que la chose même dans sa présence n’est pas ce qu’elle est dans le rapport qu’elle entretient avec l’autre et c’est à combler ce manque par l’échange idéologique que le discours s’emploie. Il instaure cette annulation en transmettant à l’autre la chose comme autre et en recevant de l’autre la chose comme soi ». Mais dans cet échange, il y a le moment initial qui est la relation pure. La contradiction est l’identité et la différence, la différence comme constitutive de l’identité. Par la parole l’être émerge à nouveau mais dans l’ordre symbolique. Quelle relation consubstantielle lie le langage au corps et à l’espace ?

Référence en filigrane à Ricoeur : qu’est ce qu’un lieu ? Que le lieu ultime du message de l’ange soit une désignation du lieu où est marqué l’absence du corps mort constitue un moment essentiel de la transformation de l’expérience signifiante en communication discursive. Le lieu signifie la relation de l’espace à une fonction ou une qualification de l’être qui s’y indique dans son absolue individualité. L’épiphanie de l’être dans l’espace, c’est le corps. Il n’est lieu que dans le récit qui déjà s’instaure : voyez l’endroit où il se trouvait, c’est le lieu où il gisait. Ceci est un topos. L’interprétation devient alors possible: elle s’effectue dans une figure qu’il faut décrypter. C’est tout un travail des schèmes : il y a à raconter la présence manquante (la mort et le mort) et sa substitution dans la vie par la parole vivante, comme un autre corps. C’est ici qu’il faut pointer le croisement entre 2 schèmes : avant-après, haut-bas ; croisement de la ligne et du point. Il n’y a pas congruence mais un récit unique qui les fait cohérer !

Appel à Husserl : tout ce jeu de différences et d’écarts n’est-il pas constitutif du « présent vivant de la monade phénoménologique » ? Présent vivant, immanence de la vie elle-même qui est toujours déjà ce qu’Aristote appelle l’apostase du maintenant (éloignement du présent de lui-même), ce que Platon découvrait comme rupture de la continuité du temps par la soudaineté du présent tombant sur lui à la verticale, ce que Hegel précise à propos de la signification qui ne se constitue que de l’évanescence de l’ici-maintenant de l’indication, ce que Freud approche avec le présent non temporel et l’ici non-spatial du processus primaire, ce qu’Augustin conclut avec le présent de l’âme comme distension.

Cet épisode raconte la transformation dans les mots d’une expérience située dans le monde et la transmission du résultat de cette opération à un autre qui en interprète les éléments par la production d’un discours qui déplace la parole à lui adressée (perception, langage, parole, dialogue). À la différence de l’historien qui n’ose affirmer que le passé à un sens, l’exégète estime connaître par la résurrection la totalité de sens qu’a le passé. On a ici un récit fondamental. On ne peut pas traiter ces textes comme le fait le philosophe. Ces fondements sont des récits dont la récitation explicite la fondation même du langage comme mise en signification de l’expérience dans sa communication, dans le temps où elle s’effectue, où se réalise telle ou telle virtualité de sens. De ce sens, les récits fondamentaux sont le possible. En cela, il est histoire, l’interprétation de l’incessant transfert de l’unité de l’expérience sensible signifiante, dans la cohérence d’un système de significations discursives, débouche sur la vérité.Les récits évangéliques aussi appartiennent à notre culture même s’ils ne sont pas traitables par une théorie du langage relevant du registre spéculatif.  Marin fait ici un pas dans la marge : une rhétorique de la fiction c’est l’étude des moyens par lesquels l’auteur impose son monde au lecteur. Au point focal, le récit raconte la défaillance d’une présence, un trou dans l’expérience sensible (alors que ce récit portait comme institution juridique vers un rituel, un culte des morts). Et sur ce trou vient une parole, discours organisé pour une présence absente : le fait se dit comme sens, le sens c’est le fait présent comme manque : niveau métaphysique.

Chapitre 8 : remarques critiques sur l’énonciation : la question du présent dans le discours

On re-croise Freud et Benveniste : la question est de cerner « la présence » dans le discours. Dès que l’on réfléchit philosophiquement avec les catégories du temps et de la personne, on doit ajouter, pour rendre compte du discours, l’ostentation et l’indication. Il y a dans le discours comme une synthèse de la constitution du sujet, de la constitution du temps, l’un et l’autre étant redevable de l’autre. À propos du cogito, dans la conscience que j’ai de moi même, avec la pure pensée, je suis l’être même. Mais cela laisse en suspens comment l’indéterminé, l’être, est déterminable par la pensée. La différence interne, c’est la forme du temps. 

L’acte de dire « je » pour celui qui le dit est chaque fois nouveau puisqu’à chaque fois il insère le locuteur dans un nouveau moment du temps. Mais l’identité systématique du « je » comme forme de langue (shifter) est pareil aux autres formes, parties compossibles du système, paradigmes grammaticaux coexistant ensemble en toute rigueur. Mais ce n’est pas tout, la conjonction est dialogique : cet acte de discours qui énonce « je » apparaitra chaque fois qu’il est reproduit comme le même acte pour celui qui l’entend. C’est donc l’autre comme « tu » qui remplit l’identité vide du « je ». Le présent permanent n’est autre que la structure dialogique de l’énonciation.

Mais en même temps il est permanent maintenant. Cette relation du permanent et du maintenant ne se lit pas dans le discours particulier. Mais est là dans les progrès du discours. Ce qui est exprimé c’est seulement le passé et le futur. On est renvoyé ici au point source de la métaphysique, laquelle s’élabore à partir de la différence et que cette différence met en question son élaboration elle-même. Permanente chute dans le piège, dans le trou du présent. Pour en sortir Marin reprend le thème de l’indication : au lieu même où la parole de l’ange s’énonce, elle se tait dans le geste du corps vers le corps : place au désir le plus premier dans le geste de manger et cracher.

Encart 8 : à propos de Léon Bloy

Sarrazin par rapport à Bloy écrit son livre comme le récit d’une perte et d’un excès, très précisément en ce lieu des interprétations et des lectures où les livres, le livre est déchiré, distancié, coupé c’est à dire cité et glosé, pour qu’un autre livre, écriture d’une lecture, puisse être écrit à son tour, l’autre dans celui-ci qui le déchire et le coupe. Et à chaque étape, perte et excès, profanation et consécration. Statut instable, déchiré, éclaté du  religieux, du discours religieux aujourd’hui, répétés de vieilles histoires d’écriture et de lecture et se faisant régresser.

«  La conversation en était là quand quelqu’un qui ne sentait pas bon fit son entrée dans l’appartement ». L’histoire se défait, à moins qu’on ne considère qu’elle s’achève hors récit par l’entrée du prodige en la personne de quelqu’un, signifiant vide, figure, lieu du vacillement du sens par une sorte de fading qui se produit au moment où la fiction interfère avec le réel.La question du religieux à la racine c’est la question de la suspension du sens et en occident la question posée est celle de l’existence d’un peuple excepté. À la racine des sciences modernes, de nos discours modernes, on trouve le religieux qui se présente comme une question, voire comme une utopie. Est ce possible que la question de la racine puisse rester à l’état de question ? Douteux au regard de l’histoire religieuse qui s’est remplie de guerres et d’inquisition contre les juifs.

Chapitre 9 : du religieux

La religion occupe une place intenable pour relier l’écriture et la lecture à travers le jeu des gloses. Mais le désir d’entendre peut ne pas s’accomplir dans l’opacité du livre à moins que cette grande défaillance soit le seul accomplissement possible : l’Autre vient peut-être à moi toujours en se retirant comme dans l’Eucharistie (comme en témoignent les pèlerins d’Emmaiüs). 

Pour Marin la métamorphose du livre-institution en texte, c’est la rencontre de l’écriture et la lecture rapportée à son radical, le religieux. Il s’agit de prendre les chemins de l’imaginaire dans le livre pour voir se profiler à ses bords, à ses carrefours, des aventures qui s’y marquent et s’y tracent : juive, chrétienne, pascalienne, bloyenne, sans compter celle du XXème siècle, plus critique, pour penser le symbolique comme le réseau topologique dans la topographie de l’espace du livre. L’imaginaire n’est pas illusoire dans la représentation car la fiction est de son fait.

Et ici Marin fait un pas plus loin : en même temps que fiction et réel s’effacent mutuellement, la possibilité apparait de 2 lectures contradictoires, jeu entre sens et non sens, non sens et sursens. C’est ici qu’est introduite la notion du neutre ; cette notion vise toute fracture de la totalité par la contradiction qui met à distance d’elles-mêmes les parties de la totalité. La contradiction est travaillée par la différenciation productive des différences « ni oui ni non, ni vrai ni faux, ni l’un ni l’autre ».  Mais la calamité de la contradiction c’est qu’elle est résolue par la pensée de la connaissance dans un changement qui l’annule en la dépassant, par où la totalité se reconstitue à chaque moment synthétique. La zébrure de la contradiction s’efface  trop vite laissant les traces de son passage devenir des traits, propriétés de la totalité. Est-ce possible de maintenir la zébrure agissante ? Indécidable ! L’incertitude signifie « au seuil de l’apocalypse », à la charnière du temps historique et de l’éternel exaiphnes, le maintenant soudain de Platon (ce qui fait penser au chemin de Damas pour Saul). «  je suis l’Absent partout, l’étranger dans tous les lieux habitables, le dissipateur de la substance » ; ce qui par lui est remis en question c’est cette obligation de la décision ou de l’identité.

Encart 9  : exaiphnes  

Marc 13, 36 : craignez qu’il ne vous trouve endormis, à son arrivée soudaine. Actes 22, 6 : comme j’étais en chemin, et que j’approchais de Damas, tout à coup vers midi, une grande lumière venant du ciel resplendit autour de moi.

Chapitre 10 : les plaisirs de la narration

Dans le pouvoir des fables, La Fontaine va écrire la morale qui ponctue son récit mais il s’interrompt pour faire allusion à Perrault et Peau d’âne ; il s’adresse à ce moment à l’ambassadeur de Louis XIV à Londres, au moment de la signature de la Paix de Nimègue. Il écrit pris par l’envie de mettre en avant autre chose que ce qu’il avait prévu : écho d’une voix, celle du conteur ;  évocation d’un plaisir, celui de détourner l’attention du savoir dans le plaisir extrême de l’écoute. Substituer au désir de vérité et de connaissance, l’accomplissement du désir autre, celui de la voix de la fiction. Dans ce moment du branchement, il y a réalisation pratique, pragmatique, par la voix de ce que l’écrivain allait énoncer théoriquement en discours de la vérité. Dans ce moment l’écrivain quitterait sa place pour écouter le conte, s’il lui était alors conté.

Tenir le pouvoir du récit comme narrateur serait moins plaisant que d’en être captivé comme auditeur ? …mais le conte ne lui est pas conté ! Seulement virtuel, seulement une promesse d’un plaisir mais en excès. Une mémoire fait signe d’un plaisir passé dans l’écho (le nom) d’une voix. Pour me faire plaisir en donnant du plaisir aux âmes d’enfants. Pouvoir de captiver bien plus fort que de convaincre. Érotique, jouissance où 2 sujets s’anéantissent. Perrault a difficile de tenir la place de l’écrivant Peau d’âne car c’est un peu comme une usurpation en fixant dans un texte les milliers de narrations des grands mères aux petits depuis des générations. Aussi Perrault allège sa tâche, de s’adresser à la Marquise de Lambert : « je vais lui faire plaisir ». Il se forge une légitimité.

Le principe de plaisir est source de loi, fondement du droit, d’une loi qui ne vaut que pour certains moments quand le reste d’écrire la morale de la fable est suspendu. Le principe de raison  y trouve son compte dans un plaisir de régression vers l’enfance. Le pouvoir du conteur c’est le pouvoir de la Raison que la raison retourne contre elle-même en retournant au bercement d’une jouissance primitive.

Encart 10 : la rhétorique du discours classique

Les 3 moments du discours sont plaire, émouvoir, instruire. Et voici Pascal et l’art de persuader ! Il y a sous-jacent une topique du dispositif psychique à 2 instances, entendement et volonté, 2 instances parce qu’au début il y a eu l’archaïque histoire de la chute et de la rédemption. Il y a combat entre s’aligner sur des vérités et ne pas renoncer à des désirs naturels…dont l’issue est incertaine. Et voici St Augustin. Dans la transparence de la représentation classique, ce dernier aide à pointer les opacités qui la travaille. Pour arriver à l’harmonie, il faudrait être Dieu. La formulation d’un art de plaire, la construction théorique d’une rhétorique du plaisir et de l’agrément se révèlent impossible. Il faudrait non seulement être Dieu pour pouvoir maîtriser en raison la totalité du sujet abordé et présenté comme vrai, mais il faudrait être maître aussi de son inconscient par rapport au ça. Alors il y aurait un effet sujet, alors la représentation « réussirait ».  Il est surtout impossible de maîtriser la diversité des situations et des contextes d’énonciation : différence des sexes, différence sociale. En revanche une certaine pratique pourrait mettre en place une érotique du langage, à condition de bien avoir conscience de l’impossibilité humaine radicale, sa finitude, de maitriser sa singularité. Le discours est non pas un outil de communication mais une puissance dialogique de persuasion. Et voilà toute l’importance de la règle de l’usage… sauf que l’homme pécheur a inverti la règle de l’usage des signes dans celle de la jouissance. Alors ? 

Saut ? Le récit peut se présenter en effet comme une coupure ; l’aoriste rapporte des événements hors de la personne du narrateur, les événements sont rapportés sans aucune intervention du locuteur dans le récit. Mais aussi à l’inverse c’est à ce prix que le passé, l’absent, le mort peuvent faire retour sur la scène du texte ou de l’image, dans l’imaginaire de la fiction. Pour Aristote c’est là dans ce double mouvement qu’est le véritable plaisir : fiction pure d’une union impossible de la mort et de la vie. C’est ayant conté cet irréel que la narration fait sourdre dans tous les coeurs à l’écoute le désir de pleurer et le plaisir qui va de suite. N’est-on pas ici dans une tentative de maîtriser le temps en le faisant redémarrer. Retour du réel dans la fiction à condition que le réel soit imité avec exactitude. D’où le glissement vers le plaisir issu de la présentation de la représentation car c’est comme ça que l’on passe du récit à la narration.

Troisième partie : visibilité

Chapitre 11 : les fins de l’interprétation, ou les traversées du regard dans le sublime d’une tempête (Giorgione)

Chapitre 12 : la ville dans sa carte et son portrait (Strasbourg)

Chapitre 13 : visibilité et lisibilité de l’histoire : à propos des dessins de la colonne Trajane (dessin commandé par le roi)

Chapitre 14 : éloge de l’apparence (thèse d’Alpers sur un modèle théorique tiré de la peinture hollandaise pour contrer le modèle d’Alberti)

Chapitre 15 : mimesis  et description

Chapitre 16 : le tombeau du sujet en peinture

Chapitre 17 : déposition du temps dans la représentation peinte

Ces 7 chapitres sont traités en bloc.

Interpréter un tableau c’est d’abord chercher un point de vue et un point de fuite selon les règles de la perspective frontale. Ce qui frappe c’est 2 colonnes brisées qui séparent le fond où une tempête grandit et l’avant plan où un homme regarde une femme nourrissant son bébé. Les colonnes les protègent dans leur solidité comme la tradition le leur demande. Pas de panique… l’homme est un soldat. Mais rentrer dans l’histoire du tableau ce n’est pas ça, c’est se trouver un représentant-représentation de mon regard dans le chef d’un personnage qui latéralisé ma lecture dans le plan du tableau. D’abord on a une femme et elle me regarde l’air de dire : devine à quoi je pense ! Et puis elle elle est regardée par un homme. Et moi qui ne suis pas représenté dans le tableau je suis vu alors que l’homme est invisible à la femme et cependant représenté. Le forçage latéral du mouvement qui m’entraine de gauche à droite sur un plan qui n’existe pas, ce plan c’est ce que voit l’homme soit le plan de la fiction où se joue la relation entre ces deux personnages. Le personnage révèle la vérité de voyeur qui m’habite, je suis cet homme qui fascine devant cette femme complexe, monstrueuse.  Mais ici dans une école de Venise, la construction du tableau joue aussi sur les couleurs et leurs charges intensives, dégageant une nouvelle dynamique faite de pathos, laquelle produit alors des figures cryptées gorgonesques qui viennent me méduser hors cadre. La tempête affole les repères et met en demeure de trouver le point de fuite ; il faut s’appuyer sur les édifices en ruine, prolonger les lignes d’arêtes qui convergent sur deux points. D’abord un point dans le tableau où il n’y a littéralement rien, bref un vide pour la narration. Mais il y en a un second, pas trop loin du premier, un peu plus haut, juste à côté d’un éclair orageux qui déchire la masse sombre des nuages menaçants et ce serait alors comme un plein qui répond du vide. 2 points de fuite qui ensemble racontent que les ruines peuvent être sublimées quand la Nature s’en mêle. (11)

L’élaboration de la carte de la ville de Strasbourg oscille par rapport à une autre approche, celle du portrait de ville par elle-même où le sujet n’est plus le détenteur de la carte utile pour connaitre la ville mais le non sujet, un sujet fragmentaire porteur d’un regard pluriel dont la disparition anime les choses dans leur représentation d’une auto-présentation visuelle, une conscience chose. La ville est contente de se présenter toute seule. Elle n’a plus besoin de personne pour faire voir ce que l’omniprésence de la cathédrale obstruait par son évidence si bien qu’en l’effaçant apparait autre chose, que la ville est une ile urbaine, qui se distingue sur la mer de l’immense campagne des alentours. (12)

La représentation d’histoire en peinture est complexe car, dès sa construction, des peintures de la frise étaient déployées en procession pour le public chargé de louer son divin Empereur. Le passage au tableau un millénaire plus tard est programmé dès le début, en lien avec une narration comme dans une sorte de BD.  Cela va être l’occasion de mettre à plat les opérateurs d’articulation des énoncés narratifs qui cadrent en découpant des séquences choisies (convenables). Mais sans oublier de mettre à plat les opérateurs articulatoires d’énonciation narrative car il faut souligner la posture héroïque d’un roi qui réécrit l’Histoire. Les détails reproduits sont tous fidèles à la période romaine et du coup imposent l’objectivité du récit faisant croire dans la valeur sacrée du monarque actuel. Poussin est le peintre par excellence de ce genre en peinture. Poussin est celui qui met en pratique une nouvelle grammaire de l’image comme Port-Royal l’avait fait pour le mot : c’est lui qui invente les solutions d’intégration de la présentation des figures dans la représentation moderne de l’espace ; il s’agit d’une invention car les sculpteurs romains n’avaient trouvé que des fausses solutions utilisées faute de mieux. (13)

La peinture hollandaise du 17ème n’est pas du tout inspirée par la Renaissance italienne. Car elle se démarque au moins sur 2 points de la théorie d’Alberti : non narrative, non fenêtre, soit descriptive et toute en surface. Pourquoi et comment ces images précisément apparaissent ici à ce moment là ? La surface est un écran où se projette le monde ; c’est Huygens qui a inventé en Hollande la camera obscura, soit une réplication de la chose. Le modèle est passif, il n’y a aucun sujet constructeur, l’appareil photographique s’annonce avant l’heure. Ce modèle théorique est celui de Kepler qui comme Peirce avec l’indice, traque la trace, l’empreinte, la marque de la chose elle même. Pendant ce temps en Italie on part sur les anamorphoses. On ne recherche plus le sens, on développe les conditions de possibilité de l’oeuvre dans sa singularité. L’oeil de Van Eyck opère comme un microscope ou un télescope (oscillation) mais la bonne distance n’est pas trouvée pour observer l’émotion humaine. Vermeer ne s’occupe pas de description car quand celle ci est excessive, on n’a plus rien de vivant. Lui il se préoccupe de saisir la lumière. Il y a à se préoccuper non pas du monde réel mais de ce qui se passe au fond de l’oeil : la surface est quasi rétinienne et les choses sur la toile en perdent quasi les mots pour le dire. (14)

1) L’art de peindre produit le double de la chose, c’est tellement ressemblant que c’est la chose même, là, sur la toile…dès lors pourquoi imiter ? 2) la mimesis ne produit pas le double de la chose en son artefact, c’en est seulement l’image plus ou moins ressemblante. Cette deuxième proposition est celle de la représentation qui vient en remplacement et en supplément de son modèle. Toute la fantasmatique de la description et de la mimesis s’est édifiée sur la dimension transitive de la représentation (représenter quelque chose) par oubli de son opacité réflexive et de ses modalités (se présenter). À ce double travail on peut rapprocher la mise en travail de la transparence représentative du discours descriptif, par ses limites opaques. Aucune description de langage qui ne serait que couplée sur la machine mimétique de l’image ne parviendra à rendre compte de ces forces opaques de la présentation de la représentation où prennent forme à titre de leurs effets, les identifications imaginaires du sujet. Est ce que tout le tableau, tout dans le tableau s’offre au nom ? Prenons Mémento Mori de Philippe de Champaigne : le fond de ce tableau est noir et que représente-t-il ? Rien. Un rien qui est un reste en excès du pouvoir de nomination mais où ce pouvoir trouve son impulsion. Ce fond se présente. Est-ce que c’est une porte qui s’ouvre sur la voie d’un plus haut sens ? En parler de ce fond convoque les marqueurs de virtualité que sont la figurabilité, l’énonciabilité, la lisibilité. Benveniste regarde le tableau sur Delft de Vermeer et il remet en cause le sens du titre dans la mesure où il donnerait sans reste ce qu’il en est dans le tableau : c’est une ville. Non ! Le nom Delft n’est qu’un circonstanciel d’infinité, d’une infinité de listes de noms emboitées les unes dans les autres si bien que les figures s’embrouillent et qu’on n’a plus d’images. Car si on s’approche alors c’est …et si on s’éloigne alors c’est… Montaigne dit qu’il peint le passage …, c’est moi que je peins ! Mais maintenant allons encore plus près et on ne voit plus des maisons mais de petites gouttes de rouge, de vert, de blanc, un pan de mur jaune. Le sujet descripteur ne se présente que dans cette variation, comme effet de flux, d’un rythme. (15)

Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face. La mort n’est jamais qu’un point de fuite, non pas rien mais ce vers quoi tout tend, trou à l’horizon de l’oeuvre de peinture où toutes les images disparaissent tant il est vrai que le sujet de l’image, la mort, est inassignable au point de vue fixe où une construction perspective se disposerait à situer l’oeil contemplateur de l’ouvrier des synthèses mimétiques. Car si la mort est au point de fuite alors elle est au point de vue creusant l’oeil du spectateur du même trou. Masaccio sous l’autel en trompe l’oeil de sa Trinita à Santa Maria Novella, place un tombeau ouvert avec étendu sur la dalle un squelette (de la taille de l’homme debout dans la nef placé au point de vue). Il y a couverture de la mort dans le mort ; la tombe dissimule, couvre, supprime le mort, il sera toujours sous la dalle. En dissimulant, couvrant, supprimant la mort, la tombe marque la mort, du moins son lieu…d’où l’importance des épitaphes. À fortiori dans les mausolées à la mémoire d’un mort mais dont le cadavre n’est pas sous la dalle. Ces vains tombeaux relèvent en signe la tombe simple marque, et ce par défaillance de l’objet et par disparition du référent. Le 17ème inaugure le portrait par l’effigie du roi mort sur son lit de parade, faisant du lit une représentation, un faux cercueil, un vain tombeau. On en vient alors au tombeau du peintre en son tableau voire le portrait de soi en peinture : qu’en est-il de ma mort dans mon portrait ? Poussin se place devant un tombeau dans Les bergers d’Arcadie alors que Le Caravage peint la résurrection de Lazare et avant ça David et Goliath. D’un côté il y a trace d’un ego, de l’autre côté il y a la destruction de la peinture d’histoire. La charge est forte puisque Goliath est l’autoportrait du peintre qui vous est envoyé à la figure par un petit berger qui n’habite pas l’Arcadie. (16)Démarrons avec l’autoportrait de Poussin sans aucune commune mesure avec le Goliath. Le tableau de Poussin accroche par l’arrière fond où s’accumulent des toiles peintes mais retournées si bien qu’on n’en voit que le dos… présenté comme le dessous des apparences. Le temps sédimente en couches successives. Laisse  moi le temps de me voir moi, attirant vers moi pour la faire mienne cette femme au diadème qui est la Théorie de la peinture. Le Caravage lui il peint la décapitation d’Holopherne par Judith. Ici le temps se bloque comme le coup qui jamais ne sera achevé ; on ne le voit qu’à mi-course de son effort sans jamais pouvoir passer. Dans le sacrifice d’Isaac, le regard d’Isaac renvoie à un sujet qui ne se constitue que comme le sursis de sa propre mort. Rien n’est plus opposé à Poussin qui lui alterne son tableau par Temps calme, avec le tableau L’orage pour tenter de capter le sublime… sans y arriver. D’un côté on a la mort dans tout ce qu’elle entraine de répulsif (Judith, sans parler du visage de méduse de la servante) ; de l’autre on a une méditation sur le temps qui change mais qui réclame 2 tableaux pour être représentée. Le temps fait l’objet d’une approche sur l’impossibilité d’en rendre compte malgré les approches juxtaposées dans un avant geste à distance de l’après geste mais aussi à mi-temps du geste en train de s’accomplir, jusqu’à l’anticipation de l’oeil de la victime propitiatoire dans la rencontre avec la mort. Dans le traitement du temps par Poussin ce qui se dégage c’est tout le côté énigmatique de la figurabilité. (17).

Quatrième partie : limites de la peinture

Chapitre 18 : représentation et simulacre

Chapitre 19 : figures de la réception dans la représentation moderne de peinture

Chapitre 20 : aux marges de la peinture, voir la voix

Chapitre 21 : le cadre de la représentation en quelques unes de ses figures

Chapitre 22 : ruptures, interruptions, syncopes dans la représentation de peinture

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Le trompe l’oeil, le simulacre, l’anamorphose sont à comprendre comme effet de présence, laquelle présence échappe au cadre de la Représentation et plonge dans le monde des doubles et des troubles propres au registre de la jouissance. Merleau-Ponty nous pousse à quitter le temps de la métaphysique en analysant un carré noir comme un cube dont le fond noir engendre des figures lesquelles remontent à la surface du tableau. Décortiquer la 3D c’est dégager un regard impossible à situer vu qu’il ne peut prendre place face à un tableau construit en perspective frontale. Il faudrait en même temps se trouver dans un axe parallèle à la toile et l’éclairer de façon rasante pour dégager les accidents de sa surface qui tout d’un coup étonnent en opacifiant toute la profondeur artificielle du procédé albertien. Le sujet y perd de son aura. (18)

La pragmatique c’est l’analyse de la disposition à donner au spectateur d’un tableau pour qu’il le voie et le lise correctement. Il y a déjà dans la représentation une contrainte du point de vue liée au cadre et à la perspective. Mais il y a dans le tableau classique, chez Poussin, une composition des postures d’un groupe de personnages désignée à fixer le cadre de réception correct pour une juste contemplation. Il y a à ajouter un personnage en place de délégué du spectateur dans la narration même ; parfois il est trois fois marqué par le doigt, le regard hors tableau, le premier dans le groupe désigné.(19)

Voir la voix relève de l’hypotypose entre dire et voir, lieu d’une défaillance, par un récit d’extinction du discours dans les cris de la violence et le silence de la mort. Poussin travaille cette question dans les liens entre peinture, musique et poésie par quoi apparait qu’il faut savoir capter les forces. Les marges ne cessent de se redéfinir pour en arriver à déceler un effet visuel des plans (une faille bien au delà des règles de Port-Royal) sous la poussée d’une voix qui se fait cri-parole-chant mais d’abord est produit par un corps, une bouche, accompagnée de gestes qui complètent et même à partir d’ajout d’éléments (l’épée, une colonne) car il y a finalement à être renvoyé à une voix antérieure à l’articulation d’énoncés défaillants…ainsi chez Piero della Francesca qui représente dans l’Annonciation l’empêchement pour Marie de voir l’ange mais pas de l’entendre. (20)

Les ruptures dans nos habitudes sont valorisées dans l’approche du peintre Stella (après d’autres comme Paul Klee dans son tableau Ad Marginem) qui ne propose que des cadres… (Gran Cairo). Le tableau contemporain est attendu sur sa capacité de comprendre les jeux de rythme de la présentation et de la représentation bousculant les règles de la réception. Il convoque le sujet de l’art de voir et de l’art de décrire pour le bluffer absolument. La représentation ne peut pas vivre tranquillement dans un contexte qui ne cesse de travailler ses limites. La réception d’une oeuvre se travaille théoriquement dans la pragmatique : voir une oeuvre a tendance à s’éloigner de sa simple description (contemplation). Car la contemplation n’est plus acquise par l’aliénation du point de vue à travers la perspective. On navigue entre le son et le sens quand la peinture opère un déplacement de l’action oratoire, la peinture mais surtout le discours de et sur la peinture. On court après une gageure : rendre visible ce qui est en puissance de vision, le virtuel. La peinture moderne ne cesse de travailler la structure potentielle d’indétermination de la réception ; c’est là que se dégage la productivité esthétique de la Représentation. On quitte la toute puissance du langage (du discours qui peindrait dans la figure de style par imitation les choses au point d’en faire un tableau) pour l’image qui laisserait entendre par ses figures spécifiques des sons. Le discours l’avait complètement recouvert, et surtout la voix. Désormais on retravaille les fondements autour des notions de fond, de plan et de cadre dans un mouvement critique qui régresse à l’infini comme rien d’autre que des emboitements de cadre. (21)Le dernier chapitre (22) est à lire car il résume si pas tout le livre en tout cas la 4ème partie. Il précise d’emblée ce qu’est la transitivité blanche de la Représentation : soit successivement mais dans un enchainement, arrêt sur la perspective, sur les notions de sujet, de tableau, de peinture d’histoire jusque finalement sur les instances de production et de réception. Il faut ensuite rendre compte des types variés d’opacification qui viennent troubler cette transparence en usant de la terminologie de la pragmatique contemporaine, à partir de la carte de géographie ou du portrait. L’opacification de la transitivité blanche de la Représentation consiste dans l’interruption du récit par la narration, par la représentation de l’acte de narrer ce récit par la mise en figure de sa production-réception. Il y a donc interruption d’un mouvement réflexif  : il ne faut pas voir ce que le tableau met en place en termes de propagande et d’imposition d’une vérité, celle du pouvoir du roi mais aussi du peintre faiseur et défenseur de roi. Pour que l’idéologie triomphe, il y a reprise dans une syncope visuelle de tout un dispositif extraordinaire d’espacement et d’intervalle dans le cadre cohérent de la Représentation, un dispositif d’écart qui fonctionne en tourniquet : pas vu-vu, pas pris-pris !