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De l’urgence d’être conservateur


Auteur du livre: Roger Scruton

Éditeur: L’artilleur

Année de publication: 2016

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Ce qui fonde la politique conservatrice de Thatcher (si controversée) c’est sa conscience aiguë de la loyauté nationale. Elle croyait dans les institutions parce qu’elles incarnent les affectivités sociales emmagasinées dans les siècles précédents (famille, associations civiles, religion chrétienne, common law). Pour Thatcher peu soucieuse de son image de marque, les élections n’ont pas beaucoup de poids en regard de la durabilité des institutions et de l’esprit public qui exige des élus qu’ils rendent compte de leurs actes. Les frontières de l’UK, pour elle, sont sacrées car elles naissent par l’émergence d’identités nationales qui exigeront que l’obédience religieuse passe après l’amour du foyer, du territoire et de l’environnement où on vit (enracinement). Et plus précieuses que les frontières nationales, il y a la culture, la civilisation qui a rendu nos frontières nationales possibles (la chrétienté).

Chapitre 1 : mon chemin

Scruton parle de son père Jack qui était socialiste : il y a à distinguer derrière l’adhésion idéologique son ancrage à la défense des valeurs qui se transmettent inconsciemment par la culture, dont les piliers sont le christianisme et la démocratie ; cette dernière étant soucieuse de rendre compte au peuple pour ses actes politiques …ce qui va jusqu’au sacrifice de soi (cfr.Teresa May).

Chapitre 2 : au point de départ, le chez-soi

Pour le conservateur, il n’y a pas de contrat social sans relation d’appartenance et l’inclusion des générations futures qui assureront la durabilité. Il faut y inclure les obligations de piété pour les aînés et les dieux, inventées dans l’antiquité romaine car elles découlent de la gratitude naturelle envers ce qui est donné. Ce n’est qu’alors que les êtres humains qui s’établissent quelque part sont animées par l’OIKOPHILIA. La première définition du conservatisme c’est pour souligner qu’il place l’OIKOS dans l’OIKONOMIA. 

Observons les institutions : les institutions qui répondent à une finalité s’écroulent quand cette finalité s’efface, tandis que les institutions sans finalité perdurent. Ainsi la société civile ne sert pas de but déterminé. Elle advient comme une fin en soi (au contraire de l’association d’entreprise).

Chapitre 3 : la vérité du nationalisme

La nation signifie l’identité historique et la poursuite de l’allégeance qui la réunit dans un corps politique. L’opposition démocratique y est nécessaire parce qu’elle est la porte de la raison dans les affaires du gouvernement. Comment protéger l’opposition ? On sait que dans une famille c’est faisable ; donc c’est possible au plan politique où là aussi il faut une identité partagée en dépit des désaccords. 

L’Etat-nation est le produit dérivé de la bonne relation de voisinage, façonnée par une main invisible à partir d’innombrables accords passés entre ceux qui parlent la même langue et vivent côte à côte. Pour rappel dans le monde anglo-saxon, et dans la common law, les lois émergent de la résolution des conflits locaux plutôt que par l’imposition d’un souverain. Aux yeux des conservateurs, ce qui importe à un Etat-nation, ce sont des frontières, un territoire, une histoire et des coutumes par lesquelles ce territoire s’est établi. Il faut faire place aux mythes nationaux. Ils sont précieux comme fictions, comme nobles mensonges car on les respectera comme on respecte les convictions religieuses et les héros des autres nations.

Chapitre 4 : la vérité du socialisme

Les socialistes pensent que les êtres humains sont tous égaux et devraient être traités comme tels en raison de leur appartenance à la société. Aucun sentiment d’appartenance (le « nous » de la 1ère personne du pluriel) ne peut émerger dans une société divisée par des antagonismes éclipsant la compréhension d’une destinée commune. C’est parce que dans nos sociétés nous coopérons que nous pouvons jouir de la sécurité et de la prospérité. L’avantage de l’appartenance est inestimable et elle implique une obligation de gratitude.

 Jusqu’ici , les conservateurs sont d’accord. Mais leurs vues divergent sur le comment faire ? À la fin de la guerre, il y a eu un consensus pour faire de la Sécurité Sociale ; maintenant il faudrait un nouveau consensus si comme Obama on cherche à introduire de nouvelles assurances de santé pour les pauvres. Obama n’a pas eu son consensus, il n’a eu avec lui que les Démocrates ; et sans les Républicains ce fut l’échec. Ce qui fait obstacle au consensus qui impliquerait les conservateurs, ce sont la définition de la pauvreté (Townsend) et le poids disproportionné du coût de la SS sur la classe moyenne. Mais c’est surtout le mensonge du programme socialiste affirmant que les produits du travail n’ont pas de propriétaires avant leur redistribution par l’Etat. La perversion ici c’est l’idée que la vie en société est faite de telle sorte que le succès des uns implique l’échec des autres : théorème de la somme nulle. Nietzsche parlera ici de ressentiment comme étant la substance des émotions sociales. Il est faux de dire égalité = justice comme le font les égalitaristes qui tuent l’esprit d’entreprendre ( où mérite, récompense et châtiment sont le résultat de l’action responsable qui assume par elle-même ses engagements). Il est à observer que les égalitaristes se retrouvent chez les libéraux comme chez les socialistes.

Chapitre 5 : la vérité du capitalisme

Ce terme décrit toute économie fondée sur la propriété privée et le libre échange. C’est ce dont parlent von Mises et Hayek. La théorie épistémique du marché ne prétend pas qu’il soit la seule forme d’ordre spontané ni que le libre marché soit suffisant pour produire la coordination économique ou la stabilité sociale. Mais seulement que le mécanisme de formation des prix génère une information et une connaissance nécessaire. La coordination peut être mise à mal par les cycles, les imperfections du marché et les externalités… et elle reste dépendante d’autres formes d’ordre spontané pour sa survie à long terme. Pour les conservateurs, les traditions morales et juridiques créent une forme de solidarité que les marchés pourraient éroder. Cet ordre spontané plus large est en train d’assurer une imposition de contraintes au marché ; et ceci ne pourrait jamais naitre par une politique juridique volontariste car il y faut un socle de common law. Reste qu’il y a une corrosion par le marché des relations sociales en raison de la conviction néfaste que valeur = prix. Ce que défend le conservatisme c’est que la liberté économique est l’affaire d’êtres libres car être libre veut dire être responsable. Sans responsabilité, pas de confiance et sans confiance, pas de transaction. En effet la transaction a besoin de temps et le temps c’est la confiance qui le donne. Quand les circonstances favorables ne sont pas réunies, le soutien de sanctions juridiques et morales obligeront peut-être les agents individuels indélicats. En effet aujourd’hui il y a du brigandage dans l’air ; on reporte les coûts sur les générations futures (et les Etats le font aussi). 

Mais fondamentalement comment combattre ? Ce sont la religion et l’art qui luttent contre le fétichisme des marchandises. Disraéli est intéressant ici de ce qu’il complète le propos d’un rappel : le droit est aussi un devoir (principal féodal). Ce n’est pas à l’appareil du pouvoir législatif d’intervenir, c’est aux individus de combattre, d’où l’importance de l’éducation, de la culture, des solidarités des associations dans la société civile

Chapitre 6 : la vérité du libéralisme

Les libéraux définissent la raison d’être de l’Etat dans une fonction de garantir la liberté individuelle ; l’autorité et la coercition ne pouvant se justifier que si la liberté le requérerait. Le processus politique propose la participation, la discussion et la législation fondées sur le consentement. Une société fondée sur le consentement ne provient pas forcément du contrat social ; c’est une société où les échanges entre citoyens sont consensuels dans la courtoisie (comme dans les repas de famille). Que dit la common law ? Que le droit émerge de nos libres transactions. Au sens libéral, une telle société n’est possible que si ses membres sont les souverains de leur propre vie car ils accordent leur consentement ou le retirent en toute liberté. L’Etat les garantit en protégeant leur vie, leur intégrité physique et leur propriété. Pour avancer le point de vue des conservateurs,  il faut distinguer le sujet …du citoyen, ce qui revient à distinguer droit naturel … et droits de l’homme. Il y a une dérive chez les libéraux quand ils cherchent l’émancipation de ces premières libertés rappelées plus haut : les libéraux déplorent que les libertés négatives offertes par les théories traditionnelles du droit naturel ne réparent pas les inégalités de pouvoir ; aussi parmi eux, les égalitaristes montent-ils au créneau pour imposer des libertés positives chargées de les renforcer au pouvoir. 

L’ennui c’est que ces nouvelles libertés-créances  (droit au travail, au loisir, à un niveau de vie, à la santé etc) font l’affaire de gens qui sont parfois instrumentalisés par d’autres forces politiques comme les socialistes ou les extrêmistes. Car il est dangereux que la législation des droits de l’homme mette dans la main du citoyen des outils avec lesquels une politique publique même la plus vitale peut être détournée en faveur d’individus insoucieux du bien commun. Les libéraux peuvent y perdre la référence originelle à la souveraineté individuelle qui justifie l’Etat comme garant des libertés fondamentales. 

Dworkin introduit ici un repère : les droits naturels n’ont pas la même teneur philosophique, morale ou politique que les droits de l’homme car les premiers sont des droits fondamentaux. Et pourtant on est aujourd’hui en train de glisser d’une logique pour la liberté (comme la définissent les conservateurs) vers une logique de la revendication. Il faut mettre un frein à cette inflation des droits en exigeant leur octroi à un historique préalable qui débusquera le profiteur et le fainéant (l’assisté). Pour revenir à Dworkin, seuls les droits-liberté peuvent prétendre à l’universalité ; quant aux droits-créances détachés de la loi morale ils sont une menace pour l’ordre consensuel. Il faut insister sur le calcul des droits et des devoirs. Quand on parle de loi morale il n’est pas inutile de la lier à Locke et Kant qui mine de rien se réfèrent à la parabole du bon samaritain.

Chapitre 7 : la vérité du multi-culturalisme 

A partir de ce chapitre, on entre dans le vif du propos du livre de Scruton. Le conservatisme comme philosophie politique date du temps des Lumières. Il n’aurait pu naître sans la révolution scientifique, le dépassement des conflits religieux, la montée de l’Etat séculier et le triomphe de l’individualisme libéral. Mais en même temps, les conservateurs ont mis en garde les Lumières avec Herder, Burke et Maistre, rappelant que les Lumières n’ont pas à se couper de leur passé. En introduisant la différence entre culture (nationale) et civilisation (chrétienne), ils rappellent que la communauté est tissée de liens forts (qui permettent les choix libres individuels) par les coutumes, les cérémonies, la langue et l’aspiration religieuse. Cette note de rappel a accompagné la naissance des démocraties du 19ème siècle. Mais elle fut gommée quand la politique fit partie au 19ème siècle de la culture de masse, celle-ci se redéfinissant comme perméable au reste de la vie sociale, s’adaptant aux institutions qui en retour s’adaptèrent à l’émancipation des hommes politisés. La philosophie des Lumières s’est enchâssée dans la loyauté sous-jacente des citoyens. La culture civique qu’elle insuffle permet une appartenance sociale libérée de l’affiliation religieuse, des attachements raciaux, ethniques, parentaux et des rites de passage par lesquels les communautés revendiquent le contrôle de leurs membres, en les protégeant d’autres coutumes. Ceci n’implique pas une logique de contrat car l’obligation s’enracine dans une appartenance pré-politique. Et ceci permet l’introduction d’une nouvelle perspective ouverte à l’admission de personnes extérieures à la communauté pour autant qu’elles vivent selon l’idéal libéral de la citoyenneté. 

Les conservateurs rappellent aujourd’hui de nouveau les bémols de Burke et Herder car sinon la philosophie des Lumières s’assombrira. Et cela se voit déjà : c’est à la philosophie de Condorcet que s’oppose une culture de la répudiation, soutenue par Rorty et Edward Saïd. Rorty cherche à promouvoir la sécurité confortable de son opinion comme valant toute autre : son opinion étant qu’une énorme volonté de croire s’oppose aux savoirs, ce qui finit de proposer une autre forme d’appartenance, celle d’un « nous » appuyée sur un déni de la valeur, vérité, autorité et sens. E Saïd lui s’attaque à l’impérialisme occidental et invite à s’ouvrir aux cultures d’autres civilisations en ne nous attachant à aucune. Ce faisant il prône le relativisme et le nihilisme (tout se vaut, rien ne vaut est devenu la morale dominante). Pour résister à cette vague bienveillante et tolérante des politiques d’accueil sans le moindre souci d’un parcours d’intégration, il faut distinguer ethnicité et culture (Herder). Et là on perçoit que toutes les cultures ne sont pas également admirables car certaines gomment la distinction essentielle entre vie privée et vie publique, essentielle pour mettre la religion à sa juste place dans notre culture (on y reviendra au ch 11).

Chapitre 8 : la vérité de l’environnementalisme

Les conservateurs font leur la définition de la société due à Burke, en reconnaissant l’importance pour un vivant de s’installer quelque part : l’OIKOS. Mais pourquoi les conservateurs n’embrayent-ils pas dans les campagnes environnementalistes ? Constatons d’abord que ces types de problèmes viennent de notre habitude de vouloir externaliser les coûts de nos actions. Pour y pallier on pourrait mettre au point une incitation par laquelle ces coûts seraient ré-attribués à leurs auteurs (qui pollue, paie). On sait que les entreprises externalisent leurs coûts environnementaux mais nous faisons pareil. Il est à notre portée d’ajuster notre demande afin d’en assumer le coût et de trouver un moyen de pression sur les entreprises pour faire de même. Il y a convergence entre les environnementalistes et les conservateurs dès lors que leur cause est le territoire. Les loyautés et les préoccupations locales doivent se voir accordées une véritable place dans la prise de décision. Hélas les environnementalistes ont tendance à oublier l’accent sur la dimension nationale. Ils ont aussi tendance à lever des problèmes colossaux qu’aucun gouvernement national ne pourrait solutionner et de détourner l’attention de problèmes plus petits mais traitables à notre échelle. L’effet de cette erreur de focale c’est que les gens finissent par croire que les changements nécessaires sont hors de nos moyens d’adaptation. 

Or il y a des solutions, on en a toujours trouvé mais pas besoin d’attendre la grande révolution. L’esprit de Disraeli plane sur les eaux de notre monde capitaliste : le principe féodal au coeur du marché c’est la réintroduction de la fiducie et d’une intendance réussie par des appuis logistiques complémentaires. Les paradoxes de la théorie du choix social (redéfinition de l’optimisation économique comme retour à l’équilibre) c’est qu’il n’y a de bonne politique que celle qui a pensé aux ressources demandées par son action afin d’éviter l’anarchie d’une course à une nouvelle ressource (opportunité) qui l’épuiserait en peu de temps. Le moteur électrique n’use plus du pétrole, le gaz de schiste non plus, l’éolien et l’énergie des marées complètent les apports d’énergie électrique pour sortir du nucléaire, on s’intéresse à l’hydrogène, etc mais si on n’apprend pas à gérer ces nouvelles ressources, on reproduira les déséquilibres qui affectent la survie de notre OIKOS.

Chapitre 9 : la vérité de l’internationalisme

Ce chapitre est très proche du précédent au point qu’on pourrait presque les fondre en un. Il y a une vérité de l’internationalisme : la résolution des disputes entre des souverains passe par les traités et non par la force (Grotius). Kant dans son projet de paix universelle redit que le droit international serait impuissant s’il n’y avait aucun moyen de l’appliquer en dehors de la guerre. Les Etats sont des personnes morales et devraient traiter les uns avec les autres par l’intermédiaire d’un système de droits, devoirs et responsabilités. Pour cela il faut qu’ils soient souverains, capables de prendre des décisions pour eux-mêmes et donc disposés à abandonner leurs pouvoirs à des entités chargées de faire respecter les accords internationaux et le droit qui les gouverne. Mais ici se glisse une motivation cachée qui piège les bonnes intentions : l’idée d’intégration dans l’UE. Celle-ci à la naissance avait du sens. Mais quand la chute du Mur a libéré d’immenses mouvements migratoires, il devient patent que d’absorber les pays de l’Est et du Sud jusqu’à la Turquie et la Méditerranée n’est plus vivable. Quand Bismarck a unifié l’Allemagne c’était pour en faire un Etat-nation. Mais l’UE n’est pas un Etat-nation et ce n’est même pas une confédération d’Etats assurant et l’autonomie des politiques économiques locales et la solidarité entre voisins d’une même famille. C’est une bureaucratie à la limite dictatoriale vu les pouvoirs de la Commission qui veille à obscurcir sa visibilité aux yeux du Parlement. L’UE a remplacé les mécanismes d’allégeance traditionnelle créant un noyau de loyauté (processus culturel qui part d’en bas) par une politique de subsidiarisation  à l’accueil des nouveaux membres (confirmant le pouvoir discrétionnaire du Centre sur sa périphérie et partant du haut, ce qui est une contradiction dans la définition). 

Il serait bien de rappeler que le pouvoir est accordé par la liberté et non pas la liberté par le pouvoir (Hamilton – Campagne pour une Constitution US). Seule la nation est en mesure de décider qui entre et qui reste sur son territoire. Les contrats et les traités sont signés par des Etats-nation. Contrairement à la mondialisation, l’intégration européenne à l’UE a nui au libre échange. Des négociations (CETA) menées par la Commission sans mesure de protection pour les biens que nous avons délibérément mis à part parce qu’ils sont indispensables à ce que nous sommes implique l’abrogation de la possibilité même de la libre négociation, à savoir l’autonomie des partenaires. Supposons maintenant que nous fassions machine arrière, les Etats récupérant leur souveraineté, il n’y a pas d’autre voie que la perspective nationale car les grands traités transnationaux sont fragiles. Prenons l’exemple du protocole de Kyoto signée par l’Europe et par les USA : ces derniers se retirent quand ils découvrent qu’ils ne peuvent assumer les politiques alternatives faute de disposer des solutions techniques nécessaires, mais la France ou l’Angleterre (liés par l’UE qui a signé le protocole à leur place) ne peuvent sortir tous seuls. Il ne faut pas mettre pour autant les USA dans le camp des chinois parce qu’ils consacrent des moyens colossaux à la recherche-développement pour trouver les solutions techniques qui manquent : quand ils le pourront, ils réintégreront le protocole de Kyoto. Par comparaison l’Europe n’a pas les moyens techniques ni l’argent pour les chercher, elle vit sur le dos de ses membres qui doivent payer l’addition par une récession. L’UE est une idée fausse ; pire elle pourrait amener la guerre contre ses intentions de départ. Le BREXIT aura lieu (comme une promesse de contagion). Rien n’arrêtera après cet exemple les défections successives et ce sera violent. Normalement les guerres s’arrêtent quand les Etats-nation recouvrent leur territoire, leur espace de liberté. En conclusion si c’est la paix que l’on cherche,  cela n’a du sens aujourd’hui que si les peuples nationaux s’accordent sur des termes selon lesquels ils peuvent coexister.

Chapitre 10 : la vérité conservatrice

Il n’est pas dans la nature du conservatisme de s’occuper de corriger la nature humaine. Il tente de comprendre la société en comment elle fonctionne et cherche quoi lui offrir pour qu’elle réussisse à bien fonctionner. Le point de départ est dans la PSUCHE telle que Hegel l’a analysée. La libre association nous est nécessaire parce que des valeurs intrinsèques émergent de la coopération sociale. De la matière première qu’est l’affection humaine, nous construisons des associations durables avec leurs règles lesquelles dotent nos activités d’une valeur intrinsèque (ceci sera traité dans le chapitre suivant). Les associations de citoyens font pour leurs membres des réseaux de confiance, connaissance et générosité contribuant à la stratification de la société en offrant ces avantages de façon sélective car c’est une loi de l’association que l’inclusion est aussi l’exclusion. Garde-fou : une institution ne peut être injuste mais opposons nous à Rawls pour qui justice = équité ; il y a à prendre la mesure du phénomène de ressentiment. Contre le ressentiment il y a la mobilité sociale. Pour accroitre les chances de chacun, il faut ouvrir les portes (cfr. le désastre de la disparition des grammar schools) : c’est en permettant aux institutions autonomes de croître que l’Etat favorise au mieux la circulation des chances. Il faut s’assurer que les pauvres aient accès en inversant la tendance de toute législation à se figer en un contrôle idéologique. Il faut développer les associations (les petites sections de Burke) car elles sont le lieu d’un ordre librement maintenu : c’est là leur impulsion interne. Bien que la connaissance soit utile, elle existe surtout parce que nous y attribuons de la valeur, que nous y trouvions de l’utilité ou pas. Le moteur est dans la curiosité pour les choses inutiles. Oakeshott prend le modèle de la conversation. La société civile devrait être un ordre spontané, devrait être consensuelle non pas au bout d’un contrat mais parce que découlant de transactions volontaires et des mesures que nous prenons pour nous adapter et nous corriger les uns les autres. Oakeshott montre que l’on converse en petits comités et que, si on dépasse un certain nombre, il y a décomposition de l’ensemble en factions ou tendances séparées. Si on veut néanmoins sauver l’unité d’ensemble, il faut de l’organisation, perdant alors la raison d’être de la conversation qui est de ne pas savoir où elle va ; ce qui n’est pas oiseux pour autant. Robert Nozick applique cette idée au domaine juridique rappelant qu’il n’a pas à être intrusif : un système juridique libéral est un système de contraintes secondaires. L’art de la conversation appartient à la famille du loisir. L’espace nécessaire à de telles conversations a un prix. Le loisir n’existe que parce que les hommes produisent un excédent ; le loisir prend la modalité de jouissance marquée par la sorte de travail qui a permis sa création. Le travail ne doit pas être instrumentalisé, il doit avoir le caractère d’une fin en soi (Schiller). Les vertus de la conversation doivent être répliquées sur le lieu de travail, si nous voulons que le modèle emporte la conviction au plan politique. Dans une vie humaine accomplie, la finalité et l’absence de finalité devraient s’interpénétrer de sorte que nos activités ne soient jamais simplement instrumentales mais toujours rattachées  par le sentiment de leur valeur intrinsèque. Aristote complète ce qui précède. La POLIS a pour dessein l’amitié vertueuse. 

À notre époque hélas, on en est, au maximum, dans une amitié d’utilité et, avec Philip Bobbitt, on parlera d’Etat marché. Mais pire, on en arrive à une POLIS dominée par l’amitié de plaisir dont Aldous Huxley nous a donné le « parfum » dans Le meilleur des mondes. Contre ces 2 visions politiques, il faut rappeler la nécessité d’une exigence morale : on ne valorisera que les associations qui sont porteuses de vertu. Ce qui revient par AUFHEBUNG à défendre la liberté. L’armée et la police sont l’expression de la société civile, enracinées dans la communauté locale, répondant aux conditions locales et aux exigences d’un gouvernement national. Alors elles contribuent à transmettre la valeur essentielle (l’amour de l’OIKOS) dans une fidélité à la tradition du common law où on meurt pour sauver sa patrie.

Chapitre 11 : royaumes de valeur

Le fond philosophique du conservatisme est de se préoccuper de ce que l’argent ne peut acheter. Le conservatisme est né au temps des Lumières, dans une oeuvre de préservation. La position du conservateur  n’est pas celle de l’homme politique providentiel car tout ce que la politique peut faire c’est d’élargir l’espace dans lequel la société civile peut s’épanouir. La valeur va avec l’autorité, la paix et le sens de l’appartenance. La religion crée un royaume de valeurs et d’autorité hors d’atteinte de l’Etat. Elle introduit toujours la valeur du sacré et de la transcendance dont l’influence s’étend à toutes les coutumes et cérémonies d’appartenance. Une société peut être fondée sur l’amour du prochain tout en permettant des distinctions de foi. C’est possible de lire l’enseignement du Christ comme apprenant une posture ouvrant à l’innovation juridique (il y avait la loi des prophètes mais je suis venu vous en apporter une nouvelle). La loi devient un instrument parmi d’autres grâce auxquels nous prenons en charge nos vies et tentons d’ouvrir notre coeur à l’amour de Dieu et du prochain. Qui est mon prochain est une question actuelle. Comme aujourd’hui la foi décline, l’enveloppe de la religion c’est l’ordre politique, qui y supplée. Il est important de témoigner de sa foi. Aux US, le conservatisme repose sur des fondements théologiques. Les anglais regardent la religion comme la racine de la communauté et une consolation dans la vie de l’individu.  Nous accordons à nos institutions religieuses un rôle cérémoniel dans la vie de l’Etat.

L’éducation morale est passée à la famille. L’idée de normes sexuelles et reproductrices renvoient à un royaume de valeurs. Mais d’où vient le droit de la famille ? Il est né du désir de protéger une forme spécifique de vie domestique fondée sur l’union de toute une vie entre un homme et une femme. Nos lois contre l’inceste, la bigamie, le mariage forcé des enfants reflètent que le mariage tel que défini par l’Etat doit être jugé selon des critères autres, c’est à dire supérieurs. Le lien qui unit l’homme et la femme n’est pas du registre d’un pacte, il concerne la société toute entière. Se marier c’est s’embarquer dans une transition existentielle. Cette expérience confronte à l’altérité de l’autre sexe, ici aussi il nous faut témoigner. il faut redécouvrir le mariage comme une union substantielle d’où nait une personne morale. En revenant sur le thème du travail et du loisir, Scruton ouvre un autre royaume de valeurs. Il développe le sens de la fête dans le prolongement du sens accordé au dimanche. Ce développement glisse alors vers l’essentiel : on a le temps pour la beauté, l’art et la culture. Ces pages de 237 à 252 sont à savourer à l’ombre de Shaftesbury. Elles dégagent l’espace d’une métaphysique pour notre temps : expérience d’une présence réelle parmi nous de quelque chose de supérieur. Il faut lire tout ce qui concerne le monde de l’information par le Net car s’y refonde par contraste le sens du visage de l’autre quand il est en face de moi. On entend presque Lévinas quand il parle de l’Autre (quand je me reconnais comme autre dans les yeux des autres). Ce qui est menacé aujourd’hui c’est la pratique du jugement (Kant). La raison d’être de la culture est la transmission d’une telle pratique. L’art n’est pas une espèce naturelle mais fonctionnelle ( une oeuvre d’art est un artefact, une chose mise en avant comme objet d’un intérêt esthétique). Les oeuvres d’art sont objet de perception : par l’intérêt esthétique, nous voyons le monde comme il apparaît réellement (cfr. Spinoza : qui laisse l’être être à la fin du paraître). Une culture est la sphère des artefacts à l’intérêt intrinsèque. L’éducation transmet des pierres de touche, des repères, des signes de la beauté du monde. Ceci débouche sur une métaphysique pour des individus qui cherchent leur place dans un monde d’objets rappelant que nous sommes chez nous dans ce monde. Nous ressentons la réalité de quelque chose de précieux et de mystérieux, laquelle se manifeste à nous par une demande qui d’une certaine façon n’est pas de ce monde.

Chapitre 12 : questions pratiques

Les 2 derniers chapitres ne sont pas vraiment des conclusions (c’est fait dans les chapitres 10 et 11). On va faire ici, en 2 temps, l’inventaire de ce qui fait obstacle à l’implantation du conservatisme. Et d’abord : pourquoi n’y a-t-il pas de résistance à partir du coin des conservateurs ? Les anglais au pouvoir ont été cyniques ; puisqu’ils étaient dans l’UE …que les bureaucrates prennent les prises de position qui fâchent (eux peuvent s’en laver les mains à leur retour au pays en se cachant derrière les règles de décision entre Etats membres). Les bureaucrates soutiennent l’idéologie économiciste que les conservateurs contestent quand ils sont comme Scruton mais qu’ils tolèrent quand ils sont soucieux de plaire à leurs électeurs qui supportent financièrement leurs campagnes. Scruton lui est beaucoup plus attentif au peuple anglais et ces pratiques politiciennes le hérissent. 

Ceci dit, ce mal est généralisé et frappe la droite et la gauche qui confient la politique à des experts en management et à des lobbies au service du monde scientifique et des laboratoires en recherche de développement de produits pharmaceutiques ou pour l’agriculture intensive, plutôt que d’honorer leurs liens de loyauté avec tous ceux qui les ont élu (en croyant à la parole donnée). Et puis il y a le rôle des médias dans le blocage de toute politique en lui opposant l’opinion étayée sur dieu sait quel droit de l’homme ; cela est quotidien dans l’espace hypersensible des mesures d’intégration des migrants. On en vient alors à un problème qui menace la liberté d’expression par des intimidations et des pratiques de censure (droit de réponse et de recours). Il est urgent de la défendre car elle ne va pas de soi ; elle n’est pas co-naturelle à la démocratie, ou plus exactement à la vie sociale. Scruton a dû quitter l’université pour l’affirmation de ses opinions contre le politically correct. En 1689, Locke a parlé de tolérance à l’égard des opinions et modes de vie avec lesquels on pouvait être en désaccord. Mais pour lui la tolérance ne signifie pas que l’on renonce à toutes les opinions que des autres peuvent trouver offensantes. La tolérance ne signifie pas qu’on adopte un relativisme arrangeant ou que l’on croit que tout est permis. Au contraire la tolérance signifie qu’on est prêt à protéger les hommes frappés de censure (discrimination négative) même si on ne partage pas leur vue, Question de principe. Et de respect de la logique du compromis et du consensus. Car ceci est la condition  préalable à toute forme d’ordre politique.

Chapitre 13 : un adieu qui interdit le deuil mais admet la perte

Mais surtout si les conservateurs ne passent pas c’est parce qu’ils sont pessimistes sur l’avenir et nostalgiques par rapport au passé. Or il est important de reconnaitre la perte. Arnold et Nietzsche parlent de 2 types de perte : la perte de la foi, ou la perte absolue qui caractérise les actions des hommes ordinaires. La seconde appelle alors un surhomme qui sera animé de la volonté de puissance qui plane au-dessus du monde fini en attendant son heure. La première nous importe beaucoup plus. Arnold voit quelque chose que Nietzsche n’a pas vu. Perdre la foi chrétienne implique de perdre la communion, de perdre une expérience originelle du chez-soi. La perte de la foi est une perte d’ancrage. Arnold à l’ère victorienne n’est pas prêt à une telle perte et il cherche à rafistoler le monde social avec des ressources purement humaines. Arnold a un vertige qui le saisit quand il voit un instant le vide où son pied se dérobe, vide qui s’étend sous l’ordre moral qu’il raccommodait sans cesse. John Ruskin est son disciple et il lui succéda : la vision gothique qu’il a, vise à se ré-approprier le sacré pour un temps séculier. C’est grâce à ces gens que le monde de la foi a perduré longtemps après que la foi se fut retirée. Et qu’aujourd’hui on peut toujours dans nos villages, rentrer dans une église. Pour Scruton, ce que son père lui transmet c’est que l’architecture traditionnelle trouve sa source dans le désir de maintenir nos villes comme le lieu où les signes et les symboles de l’ordre éternel sont toujours reproduits. La réforme de l’église anglicane (EA) elle aussi est animée d’une combativité pour le foyer que nous aimons contre ceux qui profitent de sa destruction. Les anglais par rapport à leurs institutions sont conservateurs, ils leur demandent de continuer d’être là parmi nous, à l’arrière plan de la vie nationale. L’EA est là parce qu’elle est là. Mais par sa position de fouillis créatif, elle a réussi d’introduire le peuple anglais dans le monde moderne. 

Orwell rappelle que les anglais ont toujours gardé une teinte profonde de sentiment chrétien, tout en oubliant le nom du Christ. Et son message passe par le réseau campagnard du paysage, par des flèches, des pinacles ou fleurons qui relient nos villes au ciel ; ces bâtisses ne sont pas que des symboles, elles sont partie de notre identité nationale. Le besoin de sauvegarde des campagnes est lui aussi soucieux du registre de la beauté. Il y a un besoin de sauvegarder une expérience autre et plus ancienne du temps. Il y a à entretenir le sens de l’histoire (devoir de mémoire) grâce aux sentiers du patrimoine. L’histoire est un aspect du présent qui influence nos projets et se modifie sous leurs influences. Il y a un lien entre le temps et l’espace. Par le sens de l’histoire nous habitons un pays comme notre chez-nous, notre OIKOS. La réponse de l’Occident à la perte n’est pas de tourner le dos au monde, elle est de supporter chaque perte comme telle. La religion chrétienne le permet parce qu’elle considère les pertes comme des sacrifices. Et ce sont nos sacrifices qui ont acheté le sursis dont nous continuons de profiter.